Section 3 Les facteurs d'évolution de la population de langue maternelle française

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L'évolution des groupes linguistiques dans une province ou une région donnée dépend de l'effet combiné des facteurs de l'accroissement naturel que sont la fécondité et la mortalité d'une part et ceux de la migration interne et internationale d'autre part. Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, se sont ces deux derniers facteurs qui retiennent particulièrement notre attention. S'y ajoute la composante de la continuité linguistique intergénérationnelle, c'est-à-dire la transmission de la langue maternelle de la mère aux enfants1. Un autre facteur sera également présenté dans cette section, soit celui de la continuité linguistique intragénérationnelle ou, son pendant, le transfert ou la substitution linguistique. Ce dernier, bien que n'influant pas directement sur l'évolution d'un groupe linguistique à court terme, peut néanmoins avoir une influence importante à long terme dans la mesure où la langue d'usage prédominante au foyer est généralement celle qui est transmise aux enfants.

Dans la présente section, une bonne partie de l'information présentée portera sur le groupe de langue maternelle française à l'Île-du-Prince-Édouard. Toutefois, dans le cas de la migration interprovinciale, l'analyse portera également sur la population dont le français est la première langue officielle parlée.

3.1 Transmission de la langue maternelle et effet de l'exogamie

On sait que la tendance à transmettre une langue à ses enfants varie en fonction d'un certain nombre de facteurs, dont l'un des plus importants est la concentration géographique de la population constituant un groupe linguistique donné. Ce facteur de concentration géographique influe également sur la propension à vivre au sein d'un couple exogame, c'est-à-dire un couple dont les conjoints2 n'ont pas la même langue maternelle. En outre, plus faible est la concentration géographique ou le poids relatif d'un groupe linguistique au sein d'un milieu donné, plus faible sera la propension des parents à transmettre la l'Île-du-Prince-Édouard;le-du-Prince-Édouard, la proportion d'enfants issus de couples constitués d'au moins un partenaire de langue maternelle française qui se sont vus transmettre le français comme langue maternelle au moment du Recensement de 2006 se situait à 39 %.

De 1971 à 2006, la proportion d'enfants issus d'une famille exogame français-anglais parmi l'ensemble des familles dont au moins un parent est de langue maternelle française a augmenté à l'Île-du-Prince-Édouard, passant de 43 % à 74 %. À l'inverse, la part des enfants vivant au sein d'une famille endogame dont les deux parents ont le français comme langue maternelle a substantiellement diminué, passant de 57 % en 1971 à 25 % en 2006. La formation de familles exogames français-tierce langue a légèrement augmenté durant cette période, de 0,4 % à 1,0 % (voir le graphique 3.1).

Graphique 3.1 Proportion d'enfants de moins de 18 ans vivant au sein d'une famille dont au moins un parent est de langue maternelle française, selon la langue maternelle des parents, Île-du-Prince-Édouard, 1971 et 2006

Au cours de cette même période, la proportion de couples exogames français-anglais parmi l'ensemble des couples composés d'un conjoint de langue maternelle française s'est fortement accrue, passant de 42 % en 1971 à 71 % en 2006. À l'inverse, la proportion de couples endogames dont les deux conjoints ont le français comme langue maternelle a chuté, passant respectivement de 57 % à 27 %. La proportion de couples exogames français-tierce langue a quant à elle peu changée, passant de 0,7 % en 1971 à 1,6 % en 2006.

En raison de la baisse de la proportion de couples endogames français de 1971 à 2006, on pourrait s'attendre à observer une baisse du taux de transmission de la langue minoritaire (en l'occurrence le français) aux enfants. Or, alors que les enfants de moins de 18 ans issus de couples endogames français s'étaient vus transmettre le français comme langue maternelle dans une proportion de 83 % en 1971, cette proportion atteignait 89 % en 2006.

On pourrait s'attendre à ce que cette hausse de la transmission du français soit en partie attribuable à une augmentation de la connaissance de la langue française chez les conjoints non francophones en union avec un conjoint francophone. Or dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, bien que le français soit davantage transmis aux enfants en 2006 qu'il ne l'était en 1971, on constate que la proportion de conjoints de langue maternelle autre que française qui peuvent soutenir une conversation en français et en anglais n'a pas augmenté (voir le tableau 3.1). Alors que 19 % des conjoints non francophones en union avec une conjointe de langue française déclaraient pouvoir soutenir une conversation en français en 1971, cette proportion était de 9 % en 2006. De plus, on constate que la proportion de conjointes non francophones, en union avec un conjoint francophone, qui connaissent à la fois le français et l'anglais, est demeurée stable. En effet, cette proportion est passée de 12,5 % en 1971 à 13,4 % en 2006.

Tableau 3.1 Proportion de conjoints de langue maternelle autre que français qui peuvent soutenir une conversation en français et en anglais selon la combinaison linguistique du couple, Île-du-Prince-Édouard, 1971 et 2006

En outre, mentionnons qu'en 2006, 11,6 % des conjointes de langue maternelle française qui vivaient avec un conjoint de langue anglaise parlaient français le plus souvent à la maison. En 1971, cette proportion était sensiblement la même (10,7 %). Chez les conjoints de langue maternelle française qui vivent avec une conjointe de langue anglaise ces proportions sont restées identiques, soit de 4,6 % en 2006 et 4,7 % en 1971.

3.2 La structure par âge

L'examen de l'évolution de la structure par âge de la population francophone de l'Île-du-Prince-Édouard est instructif dans la mesure où il permet de mettre au jour une partie de l'histoire démographique de cette population tout en fournissant une indication de son évolution future. De 1971 à 2006, cette évolution est essentiellement le résultat de la diminution de l'indice synthétique de fécondité des femmes francophones, du solde migratoire interprovincial de la population de langue maternelle française et d'une hausse de l'espérance de vie. À tous ces phénomènes vient s'ajouter une transmission faible ou modérée du français comme langue maternelle aux enfants. Rappelons en effet qu'au moment du Recensement de 2006, environ quatre enfants de moins de 18 ans sur dix issus de couples composés d'au moins un conjoint de langue maternelle française s'était vu transmettre le français comme langue maternelle.

Le graphique 3.2 permet de cerner l'évolution de la structure par âge de la population de langue maternelle française de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous avons déjà mentionné que de 1971 à 2006, la population de ce groupe linguistique a connu une baisse de près de 24 % de son effectif, passant ainsi de 7 360 à 5 610 personnes. Ce ne sont pas toutes les cohortes toutefois qui ont vu leur effectif décroître. En fait, les effectifs des cohortes âgées de moins de 40 ans ont connu des pertes en raison d'une baisse de la fécondité des femmes francophones, en partie due à un taux de fécondité inférieur au seuil de remplacement des générations. En contrepartie, on observe une hausse modérée du nombre de personnes âgées de 40 ans ou plus en raison du vieillissement de la population et de l'allongement de l'espérance de vie.

En 2006, le nombre d'enfants âgés de moins de 5 ans (125) était plus faible que le nombre d'adultes âgés de 25 à 29 ans (250), l'âge moyen de la fécondité, pour un rapport de 0,50. Par comparaison, en 1971 ce rapport était de 1,2 (soit 490 / 400). En outre, notons que sur le graphique 3.2, l'effectif de la génération des baby-boomers (nés de 1946 à 1966), qui correspondait aux cohortes d'âges des 5 à 9 ans à 20 à 24 ans (2 760) en 1971, est beaucoup plus important que celui des cohortes âgées de 40 à 44 ans à 55 à 59 ans (2 100) 35 ans plus tard.

Graphique 3.2 Structure par âge de la population de langue maternelle française, Île-du-Prince-Édouard, 1971 et 2006

Toutes choses étant égales par ailleurs, le faible effectif des plus jeunes générations en 2006, couplé au fait qu'au cours des prochaines décennies plusieurs cohortes franchiront le cap des 65 ans, résultera en une structure par âge témoignant d'un vieillissement important de la population de langue maternelle française à l'Île-du-Prince-Édouard.

Le vieillissement de la population de langue maternelle française étant principalement le fait d'un faible indice synthétique de fécondité et d'un allongement progressif de l'espérance de vie, on peut présumer qu'il résulte également d'une non-transmission de la langue maternelle française aux enfants. Tel que mentionné plus haut, le taux de transmission intergénérationnelle du français dans les familles composées de couples exogames français-anglais est faible, bien qu'il ait augmenté de 1971 à 2006 (voir le graphique 3.2). C'est plutôt la transmission de l'anglais (79 %) aux enfants issus de ces couples exogames qui prévalait en 2006.

Prise dans son ensemble, la continuité linguistique intergénérationnelle n'a pas favorisé la population francophone au cours de cette période. Celle-ci se mesure en établissant le rapport du nombre d'enfants de langue maternelle française âgés de moins de 5 ans à celui du nombre d'enfants dont la mère est de langue maternelle française3. À Île-du-Prince-Édouardd, cet indice se situait à 0,51 en 2006, une baisse par rapport à 1971 alors qu'il était de 0,60. Notons qu'« un groupe linguistique ressort gagnant du processus de transmission de la langue maternelle lorsque l'indice est supérieur à 1. […] À l'inverse, le bilan des déplacements est défavorable à une langue maternelle lorsque son indice est inférieur à 1 » (Lachapelle et Lepage, 2011 : page 91). Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, la transmission intergénérationnelle demeure défavorable à la population de langue maternelle française dans la mesure où cet indice de continuité intergénérationnelle est inférieur à 14.

La forte baisse des naissances qu'a connue le groupe de langue maternelle française depuis 35 ans n'est pas unique à ce groupe linguistique. Le graphique 3.3 rend compte de la structure par âge des principaux groupes de langue maternelle en 2006. On constate que les conséquences d'un indice de fécondité inférieur au seuil de remplacement des générations sont également apparentes chez les Anglophones de moins de 15 ans, bien que la part relative des cohortes de moins de 35 ans du groupe anglophone soit plus importante que ne l'est celle des deux autres groupes. Contrairement au groupe de langue maternelle française et tierce, le groupe anglophone bénéficie de l'apport de la mobilité linguistique intergénérationnelle des deux autres groupes.

Mentionnons en outre que la surreprésentation du groupe de langue maternelle française par rapport au groupe d'anglophones parmi les cohortes âgées de 35 ans et plus fait état d'un vieillissement de la population qui est autant marqué chez les francophones que chez les personnes de langue maternelle tierce.

Graphique 3.3 Structure par âge des populations de langue maternelle française, anglaise et autres, Île-du-Prince-Édouard, 2006 (taux pour 1 000)

3.3 Les transferts linguistiques ou la mobilité linguistique intragénérationnelle

Les transferts linguistiques, aussi appelés substitutions linguistiques, désignent le phénomène suivant lequel la principale langue d'usage au foyer est différente de la langue maternelle des individus. Ce phénomène de mobilité linguistique n'a pas d'incidence directe sur l'évolution des groupes linguistiques définis selon la langue maternelle. Toutefois, dans la mesure où la langue qui domine au foyer est habituellement celle qui est transmise aux enfants, elle influe donc à long terme sur le devenir des groupes linguistiques. En outre, lorsque le critère utilisé pour la définition des groupes linguistiques est celui de la première langue officielle parlée, la langue parlée le plus souvent à la maison a une influence directe sur l'effectif du groupe francophone. Par exemple, selon ce critère, les personnes ayant une connaissance des deux langues officielles et qui ont soit le français et l'anglais, soit une tierce langue comme langue maternelle font partie du groupe de langue française s'ils parlent le français le plus souvent au foyer5.

Au fil des recensements, on a pu constater une augmentation du taux de transferts linguistiques chez les personnes de langue maternelle française à l'Île-du-Prince-Édouard. Ainsi, en 1971, 43 % des insulaires dont le français était la langue maternelle déclaraient parler une autre langue, essentiellement l'anglais, le plus souvent à la maison. Trente-cinq ans plus tard, 51 % des personnes de langue maternelle française déclaraient parler une autre langue que le français le plus souvent au foyer. Presque nulle chez les personnes de langue maternelle anglaise, la proportion de transferts linguistiques est restée stable, se situant à 0,3 % en 1971 et à 0,1 % en 2006. Chez les personnes de tierce langue maternelle, les transferts linguistiques sont restés plutôt stables de 1971 à 2001, soit autour de 70 %. Cependant, ils sont passés de 71 % en 2001 à 60 % en 2006, soit une diminution importante pouvant s'expliquer par une forte augmentation de l'effectif des personnes de tierce langue maternelle au cours de la même période.

Tableau 3.2 Taux de transferts linguistiques selon la langue maternelle, Île-du-Prince-Édouard, 1971 à 2006

Un indice de continuité linguistique peut également être utilisé comme corollaire du taux de transferts linguistiques. Cet indice représente le rapport de l'effectif des personnes d'une langue d'usage donnée (au foyer) à l'effectif des personnes de langue maternelle correspondante. Lorsque cet indice est supérieur à 1, cela signifie que ce groupe ressort gagnant des échanges avec les autres groupes linguistiques alors qu'un indice inférieur à 1 signifie une situation défavorable au groupe en question.

À la lumière des statistiques présentées au tableau 3.3, on constate que le groupe de langue maternelle française a vu son indice de continuité linguistique passer de 0,60 à 0,49 de 1971 à 2006 alors que celui du groupe anglophone est demeuré le même, soit de 1,04. L'indice du groupe de tierce langue maternelle a quant à lui peu varié au cours de cette même période : en 2006, il se situait à 0,39.

Tableau 3.3 Population selon la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison et indice de continuité linguistique, Île-du-Prince-Édouard, 1971 et 2006

Les statistiques du tableau 3.4 révèlent que la langue parlée le plus souvent à la maison varie en fonction de la langue maternelle des personnes qui utilisent ces langues. En 2006, environ la moitié (48,5 %) des personnes ayant le français comme langue maternelle parlent le plus souvent le français à la maison, alors que l'autre moitié (51,5 %) utilisent l'anglais. En outre, la quasi-totalité (99,9 %) des personnes de langue maternelle anglaise utilisent l'anglais à la maison. Pour ce qui est des personnes de tierce langue maternelle, elles utilisent majoritairement l'anglais (62,3 %) à la maison alors que 37,4 % font usage d'une tierce langue maternelle.

Tableau 3.4 Population selon la langue maternelle et la langue parlée le plus souvent à la maison, Île-du-Prince-Édouard, 2006

En raison du fait que la principale langue d'usage d'un individu à la maison diffère de sa langue maternelle, la notion de transfert linguistique a souvent été perçue comme un phénomène désignant l'abandon de la langue maternelle. Or, depuis 2001, le recensement canadien comporte une question sur les langues autres que la langue principale qui sont parlées de façon régulière au foyer. Bien qu'il puisse être difficile de juger de la façon dont les répondants interprètent cette nouvelle question, des tests qualitatifs effectués auprès de répondants ainsi que les résultats de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) ont montré que ceux-ci y associaient habituellement une utilisation quotidienne de cette langue.

Les résultats du recensement sur cette question permettent de distinguer le phénomène du transfert linguistique partiel de celui du transfert linguistique complet. Par le fait même, le corollaire de cette distinction amène à nuancer la notion de continuité linguistique dans la mesure où l'utilisation régulière de sa langue maternelle au foyer ne peut être interprétée comme une discontinuité d'usage linguistique.

En 2006, près de 2 700 résidants de l'Île-du-Prince-Édouard parlaient le français comme seule langue principale à la maison alors que 150 personnes déclaraient parler cette langue le plus souvent en combinaison avec l'anglais ou une tierce langue (voir le tableau 3.5). Ainsi, ce sont 2,1 % des insulaires qui ont déclaré avoir le français comme principale langue d'usage. Les données tirées du Recensement de 2006 révèlent également que 2 400 personnes ont déclaré parler régulièrement le français à la maison, bien qu'il ne s'agisse pas de leur principale langue d'usage (voir le tableau 3.6). En somme, le français est parlé le plus souvent ou régulièrement au foyer par 3,9 % de la population de la province, soit environ 5 250 personnes.

Tableau 3.5 Population selon la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison et les autres langues parlées régulièrement à la maison, Île-du-Prince-Édouard, 2006

Tableau 3.6 Effectif et proportion de la population ayant le français en tant que langue maternelle, première langue officielle parlée, langue parlée le plus souvent à la maison et langue parlée régulièrement à la maison, Île-du-Prince-Édouard, 2006

L'information sur l'utilisation régulière du français comme langue secondaire au foyer permet de distinguer les transferts linguistiques complets des transferts linguistiques partiels. Ainsi, en se fondant sur les réponses uniques à la question sur la première langue apprise et encore comprise au moment du Recensement de 2006 (communément appelée langue maternelle), on constate que, pour l'ensemble de l'Île-du-Prince-Édouard, le tiers des personnes dont le français est la langue maternelle n'utilisent pas cette langue au moins régulièrement à la maison (transfert complet) alors que 19 % en font un usage régulier (transfert partiel). Par conséquent, le français n'est la langue d'usage principale au foyer que pour 49 % de l'ensemble des francophones. Notons par ailleurs qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, les francophones qui opèrent un transfert linguistique le font dans la quasi-totalité des cas vers l'anglais.

On sait que les taux de transferts linguistiques complets et partiels varient selon le groupe d'âge (voir le tableau 3.7). À Île-du-Prince-Édouard, les statistiques du Recensement de 2006 révèlent que plus les francophones sont âgés, plus ils sont susceptibles d'avoir fait un transfert linguistique complet, exception faite des personnes âgées de 65 ans ou plus et dont le comportement linguistique se rapproche davantage de celui des 35 à 54 ans. D'une part, les francophones âgés de 55 à 64 ans sont plus enclins à utiliser une autre langue que le français à la maison (70 %) que ceux des autres groupes d'âge alors que ceux de moins de 15 ans sont moins susceptibles de le faire (18 %). Pour ce qui est des taux de transferts linguistiques partiels, les francophones âgés de 25 à 64 ans s'avèrent être ceux affichant les taux les plus élevés (environ 21 %).

Tableau 3.7 Taux de transferts linguistiques complets et partiels des francophones selon le groupe d'âge, l'Île-du-Prince-Édouard, 2006

L'exogamie est souvent associée aux transferts linguistiques des francophones à l'extérieur du Québec. En effet, 84 % des Francophones de l'Île-du-Prince-Édouard qui vivent en situation d'exogamie avec un conjoint de langue maternelle anglaise parlent l'anglais le plus souvent à la maison. Les données de l'EVMLO permettent cependant de mieux documenter le lien entre l'exogamie et le transfert linguistique des francophones. Ainsi, chez plus de la moitié des francophones, on constate que le transfert linguistique a eu lieu bien avant le moment de former une union avec un conjoint anglophone : environ 72 % des francophones qui vivent en situation d'exogamie ont commencé à parler l'anglais le plus souvent à la maison avant l'âge de 21 ans, dont 45 % avant l'âge de 15 ans. Ainsi, ce n'est pas seulement l'exogamie qui influe sur le fait qu'un francophone parle l'anglais le plus souvent à la maison. De fait, ces résultats donnent à penser qu'habiter en milieu fortement minoritaire accroît l'usage de la langue majoritaire dans les activités quotidiennes et influe à moyen terme sur la langue principale des francophones et, ultimement, sur la propension à choisir un conjoint de langue anglaise. Quoi qu'il en soit, le lien entre exogamie et langue d'usage au foyer est certainement bi-directionnel.

Les données tirées de l'EVMLO jettent un éclairage sur l'association qu'on tend à établir entre transfert linguistique et anglicisation. L'enquête comprend en effet une question sur la langue principale des répondants, c'est-à-dire celle dans laquelle ils sont le plus à l'aise pour parler. Les données révèlent que 59 % de la population dont le français est la première langue officielle parlée a soit le français (38 %) soit les deux langues officielles (21 %) comme langue(s) principale(s).

Dans l'ensemble de l'Île-du-Prince-Édouard, une proportion plus importante de francophones déclarent parler anglais le plus souvent à la maison (transferts linguistiques complets et partiels) que celle des francophones qui déclarent être plus à l'aise en anglais qu'en français. Ainsi, environ 50 % des insulaires francophones déclarent parler l'anglais6 le plus souvent à la maison alors que 40 % ont déclaré être plus à l'aise en anglais qu'en français.

3.4 Usage du français dans la sphère publique

Les statistiques tirées du recensement de la population permettent de faire état de l'utilisation des langues dans la sphère privée (au foyer) et, comme nous le verrons à la section portant sur la population active, sur l'utilisation des langues en milieu de travail. Mais que savons-nous de l'utilisation de l'anglais et du français par les francophones de l'Île-du-Prince-Édouard, dans des domaines d'interaction autres que celui du foyer?

L'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle comporte de nombreuses questions sur l'utilisation des langues dans divers domaines de la sphère publique tels les commerces, les institutions du système de santé (que nous aborderons plus en détail à la section suivante), les activités de bénévolat, de soutien social, les activités communautaires ou sportives, etc. Certaines questions de l'enquête portent également sur des domaines qui se situent à la frontière des sphères privée et publique tels, par exemple, la langue parlée avec les amis à l'extérieur du foyer ou la langue dans laquelle on « consomme » divers médias.

L'examen des pratiques linguistiques dans divers domaines des sphères publique et privée révèle que, à l'Île-du-Prince-Édouard, la population dont la première langue officielle parlée est le français fait surtout usage de l'anglais dans la sphère publique alors que dans la sphère privée (au foyer) elle utilise autant le français que l'anglais (voir le graphique 3.4). C'est dans les échanges qui ont lieu dans les institutions et les commerces (87 %) et la consommation des médias (80 %) que l'usage prédominant de l'anglais (surtout ou seulement) est le plus répandu. Dans les autres domaines de la sphère publique (avec les amis, au sein des réseaux immédiats et au travail), le degré d'utilisation prédominante (surtout ou seulement) de l'anglais varie peu, soit entre 53 % et 64 %. Fait à noter, l'utilisation conjointe du français et de l'anglais par les francophones oscille entre 10 % et 18 % selon le domaine.

L'indice général d'utilisation des langues dans la sphère publique révèle que 67 % de la population dont le français est la seule première langue officielle parlée utilise surtout ou seulement l'anglais dans l'ensemble des domaines de la sphère publique (médias, institutions et commerces, travail, réseau immédiat et amis à l'extérieur du foyer)7. Ainsi, dans la sphère publique, 29 % des francophones utilisent exclusivement l'anglais alors que 39 % utilisent surtout l'anglais (avec une autre langue).

Graphique 3.4 Proportion de francophones selon l'utilisation des langues dans divers domaines de la sphère publique et privée, Île-du-Prince-Édouard, 2006

3.5 Connaissance du français

La proportion de personnes qui ont déclaré pouvoir soutenir une conversation en français (13 %) au sein de l'ensemble de la population de l'Île-du-Prince-Édouard en 2006 est plus grande que celle de la population qui a déclaré le français seul ou avec une autre langue comme langue maternelle (4,2 %) ou encore que celle dont le français est la première langue officielle parlée (3,8 %). La part relative des insulaires de l'Île-du-Prince-Édouard ayant la capacité de soutenir une conversation en français est fortement polarisée selon le groupe linguistique. Bien que 92 % des personnes de langue maternelle française aient déclaré une connaissance des deux langues officielles, cette proportion était de 9 % chez les personnes de langue maternelle anglaise et de 10 % chez les personnes de tierce langue maternelle (voir le tableau 3.8).

Tableau 3.8 Connaissance des langues officielles selon la langue maternelle, Île-du-Prince-Édouard, 2001 et 2006

Pour les personnes ayant comme langue principale le français, les opportunités d'utiliser cette langue peuvent s'accroître si elles sont en contact avec des personnes qui peuvent soutenir une conversation en français, même si cette langue n'est pas leur première langue officielle parlée. À l'Île-du-Prince-Édouard, parmi les anglophones8 bilingues, c'est-à-dire qui déclarent être capables de soutenir une conversation à la fois en français et en anglais, 11 % parlaient le français au moins régulièrement à la maison et 29 % l'utilisaient au moins de façon régulière au travail en 2006.

Dans les municipalités où les francophones représentent moins de 10 % de la population, le taux de bilinguisme français-anglais chez les non-francophones atteint à peine 10 %. Dans celles où ils représentent de 10 % à 29 % de la population de leur municipalité, le niveau de connaissance du français chez les non-francophones grimpe à 19 % alors que dans les municipalités où les francophones représentent plus de 70 % de la population, le taux de bilinguisme français-anglais chez les anglophones atteint près de 30 %. Ainsi, plus forte est la part relative des francophones au sein de leur municipalité, plus élevée sera le niveau de connaissance du français chez les non-francophones.

3.6 Migration

La mobilité des francophones à l'intérieur du Canada est un facteur qui influe sur l'évolution de la population de langue française de l'Île-du-Prince-Édouard.

3.6.1 Lieu de naissance

Le tableau 3.9 rend compte du lieu de naissance des francophones de l'Île-du-Prince-Édouard. On y observe, en 2006, qu'environ 70 % des personnes de langue maternelle française et de celles dont le français est la première langue officielle parlée étaient nées à l'Île-du-Prince-Édouard. Peu importe le critère retenu, environ 27 % des francophones résidant à l'Île-du-Prince-Édouard étaient nés dans une autre province ou un territoire du Canada, dont 12 % au Québec et 8,5 % au Nouveau-Brunswick. Quant aux personnes nées à l'étranger, des immigrants pour la plupart9, ils composaient entre 2 et 3 % de la population de langue maternelle française et de celle dont le français est la première langue officielle parlée.

Tableau 3.9 Lieu de naissance des francophones selon la langue maternelle et la première langue officielle parlée, Île-du-Prince-Édouard, 2006

3.6.2 Migration interprovinciale

De 1981 à 2006, le solde migratoire net de francophones entre l'Île-du-Prince-Édouard et les autres provinces et territoires a été presque nul, variant de -590 à 335 selon la période quinquennale (voir le tableau 3.10). Les départs de francophones vers les autres provinces ou territoires ont oscillé entre 390 et 1 140 alors que le nombre de migrants qui sont venus s'installer sur l'Île a varié de 380 à 725 au cours d'un lustre donné. En ce qui a trait aux anglophones de la province, on remarque qu'ils ont également été plus ou moins aussi nombreux, à avoir quitté l'Île-du-Prince-Édouard qu'à être venus s'y installer. Par conséquent, le solde migratoire net est passé de 1 215 personnes au cours du lustre de 1981 à 1986 à 740 au cours du lustre 2001 à 2006. C'est de 1986 à 1991 que la province a connu son solde migratoire le plus défavorable, comptant une migration nette de - 240 personnes.

Tableau 3.10 Migration interprovinciale entre l'Île-du-Prince-Édouard et les autres provinces et territoires selon la première langue officielle parlée, 1981 à 2006

Les graphiques 3.5 et 3.6 rendent compte des mouvements migratoires entre l'Île-du-Prince-Édouard et les autres provinces et territoires de 2001 à 2006. On y constate que parmi les quelque 425 francophones qui sont venus s'établir à l'Île-du-Prince-Édouard en provenance des autres provinces et territoires, 31 % résidaient au Québec et 28 % au Nouveau-Brunswick en 2001. Parmi les quelque 540 francophones qui vivaient à l'Île-du-Prince-Édouard en 2001 et qui ont par la suite migré vers d'autres provinces, environ la moitié se sont établit au Québec alors qu'un peu plus de 20 % ont choisi le Nouveau-Brunswick.

Graphique 3.5 Province ou territoire d'origine des francophones qui se sont établis à l'Île-du-Prince-Édouard de 2001 à 2006

Graphique 3.6 Destination des francophones qui ont quitté l'Île-du-Prince-Édouard pour s'établir dans une autre province ou territoire de 2001 à 2006


Notes :

  1. La transmission d'une langue se fait aussi bien entendu des pères aux enfants, mais c'est habituellement celle de la mère qui prédomine.
  2. Le terme « conjoint » inclut les personnes légalement mariées ainsi que celles vivant en union de fait.
  3. Pour ce faire, les démographes considèrent généralement les enfants vivant dans une famille biparentale ou monoparentale dirigée par une femme, lesquels représentent plus de 97 % de l'ensemble des enfants de ce groupe d'âge.
  4. Pour un examen approfondi de cette approche, se référer à Lachapelle et Lepage (2011).
  5. Rappelons que les personnes de tierce langue maternelle qui ne connaissent que le français se voient attribuer le français en tant que première langue officielle parlée, peu importe qu'elles parlent ou non cette langue le plus souvent à la maison.
  6. Cette proportion inclut les réponses uniques et multiples. Par le fait même elle inclut les francophones qui déclarent utiliser à la fois le français et l'anglais comme langues le plus souvent parlées à la maison.
  7. Se référer à l'annexe C pour une description de l'indice général d'utilisation des langues dans la sphère publique.
  8. Sans répartition des réponses multiples.
  9. Les personnes nées à l'étranger comprennent les immigrants, les résidents non permanents et les Canadiens de naissance nés à l'étranger.
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