Chapitre 1 : Un retour aux sources et un aperçu du début des années 1970

Table des matières

L'évolution de l'organisme statistique national du Canada

Les ouvrages historiques offrent d'excellentes occasions de jeter un regard sur le passé, non seulement pour satisfaire sa curiosité sur « la façon de faire d'autrefois », mais aussi pour prendre conscience du chemin parcouru depuis et tirer des leçons du passé. Pour Statistique Canada, ces ouvrages représentent aussi des occasions de commémorer les contributions de l'organisme au pays et à sa population. Ils nous permettent également de nous rappeler qu'une institution comme Statistique Canada ne s'est pas construite en un jour; elle a été façonnée au fil des ans par de nombreux éléments et elle continue d'évoluer chaque jour.

Deux importants ouvrages relativement récents ont été publiés sur l'histoire de Statistique Canada. Le premier, paru en 1993, s'intitule 75 ans à compter : L'histoire de Statistique Canada, et porte sur les origines et les 75 premières années de l'organisme. Six ans plus tard, un ouvrage à visée plus éducative est publié, intitulé Le Bureau fédéral de la statistique : Les origines et l'évolution du bureau central de la statistique au Canada, 1841-1972. Rédigé par le statisticien en chef adjoint retraité David Worton, cet ouvrage intègre l'histoire de l'organisme dans le contexte économique, politique et social de l'époque. Suivant la pratique courante chez les historiens, l'histoire se termine dans un passé suffisamment lointain pour permettre une objectivité raisonnable. Une vingtaine d'années plus tard, en 2018, Statistique Canada célèbre son 100e anniversaire et, pour souligner l'événement, publie le présent ouvrage. Même s'il n'a pas une visée éducative aussi prononcée que l'ouvrage précédent, il reprend l'histoire là où David Worton l'a laissée en racontant les 36 années suivantes, jusqu'en 2008, après un résumé des débuts de l'activité statistique au Canada.

Des employés traitent des statistiques de l'état civil dans la salle de codage, vers 1930
Des employés travaillent dans la salle de courrier, 1952

L'avènement des statistiques au Canada

Le Canada a célébré le 150e anniversaire de sa confédération en 2017. Avant la Confédération, l'activité statistique consistait essentiellement à dénombrer la population pour mesurer l'évolution de la colonisation européenne. La collecte de statistiques sur le territoire aujourd'hui appelé le Canada remonte ainsi au début des années 1600, alors que les missionnaires catholiques recueillent pour la toute première fois des données sur les naissances, les décès et les mariages des premiers colons européens. En fait, il est possible de remonter jusqu'à l'année 1605 en fouillant dans les archives de la colonie européenne de Port-Royal ou en parcourant les écrits de l'explorateur français Samuel de Champlain et du missionnaire Gabriel Sagard. Selon les données tirées de ces documents historiques, le nombre de décès dépasse le nombre de naissances jusqu'à environ 1638. Par la suite, la population se met à croître. Il est d'ailleurs mentionné assez sobrement dans un document de 1952 sur l'histoire de Statistique Canada que [traduction] « la population canadienne-française a toujours été remarquable par son taux élevé d'accroissement naturel ».

Bien entendu, les premiers occupants du territoire aujourd'hui appelé le Canada étaient les peuples autochtones. Un ouvrage publié en 1876 sur les recensements du Canada de 1665 à 1871 présentait des tableaux statistiques sur les conditions sociales et économiques au pays au cours de ces 206 années. Ces tableaux donnaient également des estimations de la population autochtone. Les premiers chiffres, tirés de lettres de missionnaires jésuites écrites en 1611, rendaient compte d'estimations de la population et des terres par bande. Le premier dénombrement systématique des peuples autochtones eut lieu lors du Recensement de 1871, et 102 358 Autochtones furent dénombrés.

Bien des années plus tôt, au cours de l'hiver 1666-1667, le tout premier dénombrement systématique de la population de la colonie au Canada est effectué par le premier intendant de la Nouvelle-France, Jean Talon. Il est intéressant de souligner que, quelques années plus tard, ce dernier reçut le titre de comte d'Orsainville, ce qui fit de lui un comte qui compte! Il dénombra 3 215 colons européens dans les trois districts établis de Québec, de Trois-Rivières et de Ville-Marie (ou Montréal). Jean Talon mena ce recensement à la demande du Roi-Soleil, Louis XIV, qui veut connaître le nombre de personnes que compte la colonie après plus de 50 ans d'existence. Il recensa ainsi tous les habitants de la colonie et consigna leur nom, leur âge, leur profession, leur état matrimonial et leur relation avec leur chef de famille. Il évalua également les richesses industrielles et agricoles de la colonie, la valeur des ressources forestières et minérales locales ainsi que le nombre d'animaux domestiques, de seigneuries, de bâtiments de l'État et d'églises. Les données recueillies faisant ressortir la nécessité d'accroître la population, Jean Talon demanda qu'un plus grand nombre de personnes soient envoyées de France. Cela donna lieu à l'immigration d'un millier de femmes (les Filles du roi), destinées à devenir les épouses des hommes de la colonie. Pour aider les nouvelles familles à s'établir, Jean Talon leur remit des plantes et des animaux, encourageant ainsi le développement de pratiques agricoles. Il établit aussi des industries comme la construction navale et construisit la première brasserie de Nouvelle-France. Certaines personnes disent qu'il a semé les germes de la permanence et ainsi contribué à la formation des racines du pays.

Au cours des deux siècles suivants, la collecte de données s'est poursuivie, quoique de façon irrégulière, sur la population, ainsi que sur d'autres sujets, notamment l'agriculture, le commerce, les mines et la fabrication. Il faut attendre l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 (qui deviendra, en 1982, la Loi constitutionnelle de 1867), moment de la formation du Dominion du Canada par l'union des provinces de l'Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, pour que l'activité statistique relève officiellement de la compétence de l'État fédéral. Cet acte prévoyait également qu'un recensement de la population devait être effectué tous les 10 ans. Qui plus est, en vertu de cet acte, la représentation des provinces à la Chambre des communes fut modifiée pour la première fois en fonction de l'évolution de la population. La province de Québec obtint ainsi un nombre fixe de 65 sièges, soit le même nombre de sièges que détenait le Bas-Canada à l'Assemblée législative du Canada avant la Confédération. Les autres provinces se virent attribuer un nombre de sièges en fonction de leur population, selon les données du recensement. En 1870, l'Acte concernant le premier recensement du Dominion fut adopté et il jeta les bases législatives en vue du Recensement de 1871, le premier recensement national effectué après la Confédération. Ce moment charnière de l'histoire du recensement sera souligné cent ans plus tard, en 1971, sur des timbres-poste commémoratifs. Les fondements d'un système général de statistiques canadiennes furent établis par Joseph Charles Taché, nommé en 1864, par Thomas D'Arcy McGee, comme premier sous-ministre permanent de l'Agriculture du Canada chargé de l'activité statistique. Il devint ainsi le commissaire au premier recensement de la nouvelle nation du Canada.

L'activité statistique n'est pas chose récente

Jean Talon, le premier statisticien officiel du Canada

Le recensement effectué par Jean Talon en 1666 plaça le Canada sur la liste des premiers pays de l'« époque contemporaine » à effectuer un recensement. Le mot recensement tire son origine de l'époque romaine : il est dérivé du terme latin censere, qui signifie « estimer ». Utilisés par des civilisations anciennes à des fins militaires ou fiscales, des recensements furent aussi menés au XVIIIe siècle en Suède, au Danemark, en Autriche et dans plusieurs États italiens.

Le premier recensement mené aux États-Unis eut lieu en 1790 et il se distingua par son objectif principal, soit celui de servir de fondement pour la répartition des membres de la Chambre des représentants entre les divers États. Au Canada, il faut attendre la Confédération, en 1867, pour que la représentation selon la population à la Chambre des communes soit incorporée à la législation canadienne.

Au Royaume-Uni, le premier recensement eut lieu en 1801. Le Rapport du Recensement de 1921 du Canada mentionne que, en 1753, un député déclara à la Chambre des communes britannique que ses électeurs [traduction] « considèrent la proposition comme un sinistre présage et craignent qu'un fléau social ou qu'un désordre politique aux proportions épidémiques ne soient la conséquence du recensement ».

La peur du recensement était aussi bien présente au Canada. Le recensement du Haut-Canada et du Bas-Canada tenu en 1851 ne connut pas un grand succès, entre autres, parce que la population voyait le recensement d'un mauvais œil. Joseph Charles Taché, qui, à l'époque, est secrétaire du Bureau d'enregistrement et de statistiques, écrit dans son rapport « [...] qu'on est pénétré généralement dans toute l'étendue de la colonie de l'idée que le recensement se rattache directement ou indirectement à la taxation;—et par suite de cette conviction les recenseurs ont été souvent reçus d'une manière peu courtoise, et on leur a, dans certains cas, refusé absolument tous les renseignements qu'ils demandaient ». Les instructions données aux recenseurs pour les recensements subséquents mentionnent clairement que le recensement n'est pas effectué à des fins fiscales.

Le premier Annuaire

Après la Confédération, d'autres produits statistiques officiels furent développés. Par exemple, la toute première compilation de statistiques canadiennes fut réalisée en 1867, avec la publication du Year Book and Almanac of British North America for 1867; being an annual register of political, vital, and trade statistics, tariffs, excise and stamp duties; and all public events of interest in Upper and Lower Canada; New Brunswick; Nova Scotia; Newfoundland; Prince Edward Island; and the West India Islands [annuaire et almanach de l'Amérique du Nord britannique : un recueil annuel des statistiques politiques, démographiques et commerciales, des tarifs douaniers, de l'accise et des droits de timbre, ainsi que des événements publics d'intérêt survenus dans le Haut-Canada et le Bas-Canada, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et les Indes-Occidentales].

De 1867 à 1879, l'annuaire fut publié par le ministère des Finances et, pendant de nombreuses années, il fut le seul ouvrage qui rassemblait le vaste ensemble de renseignements statistiques sur le pays et ses habitants. Les premières éditions de l'annuaire furent publiées à des fins commerciales et elles étaient accompagnées d'annonces publicitaires faisant la promotion de billets de navire à vapeur, de machines à coudre, de pianos et de sociétés d'assurance-vie. En 1879, l'annuaire devint une publication officielle de la Couronne, sous la direction du ministère de l'Agriculture, et les annonces publicitaires ne furent plus acceptées. L'annuaire est l'ancêtre du Résumé statistique, un ouvrage qui parut pour la première fois en 1886 et qui était publié par le ministère de l'Agriculture. Ce dernier s'était vu confier le pouvoir de réglementer la collecte et la publication de statistiques générales en vertu de la Loi du recensement et des statistiques de 1879. La première édition française du Résumé statistique fut publiée en 1887, et les annonces publicitaires disparurent peu après. En 1905, la publication fut rebaptisée l'Annuaire du Canada, un nom bien plus connu aujourd'hui. L'Annuaire du Canada devint un ouvrage de base dans de nombreux foyers canadiens, surtout avant l'ère de l'information numérique. Cette compilation de statistiques fut réalisée pendant 145 ans, avec quelques périodes d'interruption, et produite en format électronique à partir de 2003. La publication cessa sous toutes ses formes en 2012. Au total, 111 numéros furent produits au cours de ces 145 années, l'écart étant attribuable aux coûts, aux changements organisationnels et même à la disponibilité du Parlement au cours des premières années. Pendant de nombreuses années, l'Annuaire du Canada fut la seule publication qui rassemblait l'ensemble des connaissances recueillies au moyen du système statistique national. Il s'agissait d'un document officiel faisant état d'un siècle de progrès économique, social et législatif au Canada. La publication fut toutefois abandonnée en raison du besoin grandissant des utilisateurs de données de disposer de renseignements actualisés en ligne, renseignements que l'organisme rendit accessibles gratuitement à partir de 2012.

Par ailleurs, à l'époque, les statistiques commencèrent à être regroupées sous la forme de « produits dérivés de l'administration », notamment les statistiques sur les assurances de la Direction des assurances du ministère des Finances en 1875. Les données furent par la suite publiées rétroactivement à 1869. Parmi les autres statistiques de nature administrative recueillies à cette époque, mentionnons les statistiques sur la criminalité, la mortalité, les chemins de fer, les services postaux, la marine marchande, le commerce et l'immigration.

La création du Bureau fédéral de la statistique

L'année 1905 marque la création d'un bureau permanent du recensement et de la statistique qui relève du ministère de l'Agriculture. Il s'agit d'un autre grand jalon dans l'histoire statistique du Canada, car l'expérience acquise lors de la tenue d'un recensement sera dorénavant conservée pour être mise à profit au recensement suivant. La plupart des autres statistiques étaient produites de façon décentralisée par différents ministères du gouvernement canadien, et elles ne faisaient l'objet de pratiquement aucune norme ni analyse de comparabilité. La création du bureau permanent trouva sa force motrice en la personne d'Archibald Blue, qui fut nommé commissaire spécial au recensement en 1900 et qui effectua les recensements de 1901 et de 1911.

À l'époque, sir Robert Laird Borden était premier ministre. Sir George Eulas Foster, quant à lui, était ministre du Commerce et il était donc responsable des statistiques officielles du Canada. En 1912, George E. Foster intégra le Bureau du recensement et de la statistique au sein de son ministère et, peu après, fonda la Commission des statistiques officielles du Canada, chargée de déterminer la meilleure façon de créer [traduction] « un système élaboré de statistiques générales répondant aux exigences du pays et aux besoins de l'époque ». La Commission confirma plus tard la nature fragmentaire et disparate des statistiques officielles au pays et recommanda la création d'un bureau statistique central.

Parmi les membres de la Commission figurait Robert Hamilton Coats, un journaliste de Toronto qui avait commencé sa carrière à Ottawa en 1902 au sein du nouveau ministère du Travail, sous la direction du sous-ministre William Lyon Mackenzie King. Le ministère fédéral du Travail avait été créé au tournant du siècle pour recueillir des renseignements sur les conditions de travail et les salaires, qui étaient ensuite publiés dans la Gazette du travail. Robert H. Coats devint plus tard rédacteur en chef de la Gazette du travail, fort de sa vaste expérience dans le domaine des salaires et des statistiques sur le coût de la vie. Il se forgea une réputation grâce, en grande partie, au rapport sur les prix de gros qu'il produisit de 1890 à 1909 et qui lui permit de montrer sa maîtrise des questions techniques liées aux statistiques. Après son mandat à la Commission, il retourna au ministère du Travail et il fut rapidement nommé à une autre commission d'enquête, celle-là sur le coût de la vie. Il acquit de la notoriété en refusant de signer le rapport produit parce qu'il n'était pas d'accord avec son caractère anecdotique et il produisit son propre rapport en parallèle. Les deux rapports furent publiés en collégialité.

En juin 1915, Robert H. Coats est nommé statisticien fédéral et contrôleur du recensement au ministère du Commerce. Il fut chargé de mettre en pratique les recommandations de la Commission et de jeter les bases d'un système statistique centralisé. Il rédigea la Loi sur le Bureau fédéral de la statistique, que le ministre du Commerce, George E. Foster présenta à la Chambre des communes le 4 avril 1918. Il s'agissait du projet de loi 32. Celui-ci fut adopté peu après et il reçut la sanction royale le 24 mai 1918, ce qui donna lieu à la création du Bureau fédéral de la statistique et d'un système statistique national centralisé et coordonné. Robert H. Coats devint le tout premier statisticien fédéral du Bureau, poste qu'il occupa pendant 27 ans. Tout au long de sa carrière au Bureau, il encouragea activement l'innovation et le développement sur le plan de la collecte et de la compilation de données.

Sur le plan structurel, la Loi sur la statistique de 1918 était une consolidation de la législation statistique antérieure, soit la Loi sur le recensement, la Loi générale sur la statistique, la Loi sur la statistique ferroviaire, la Loi sur la statistique criminelle et les articles d'autres lois portant sur la statistique. Des articles précis de la Loi sur la statistique de 1918 étaient consacrés aux recensements décennaux et quinquennaux de la population et de l'agriculture, à un recensement annuel de l'industrie (notamment les mines, les pêches, les forêts, la fabrication et la construction), aux statistiques sur le commerce, aux statistiques sur les transports ainsi qu'aux statistiques sur la criminalité et aux statistiques générales. La Loi comportait également des articles sur la collaboration avec d'autres ministères et avec les provinces, mais, par-dessus tout, elle établit un système statistique central doté d'un vaste pouvoir de collecte de données administratives et de données d'enquête à des fins statistiques.

Le système unifié et centralisé ainsi créé constitue depuis le fondement du système statistique national canadien. C'est donc en se fondant sur la création du Bureau fédéral de la statistique en 1918 que Statistique Canada célèbre son 100e anniversaire en 2018.

La langue d'autrefois

L'éloquent parler de nos prédécesseurs est une leçon d'humilité. L'extrait suivant est tiré d'un discours de 1936 prononcé par Robert H. Coats. Ce dernier s'exprimait sur sa nomination comme septième président de l'Association canadienne de science politique et sur le fait d'être le premier statisticien à assumer ce rôle :

[traduction] « Ici même au Canada, une association statistique est née, s'est essoufflée et s'est éteinte avant l'avènement de notre propre association. Ainsi, je m'exprime tout en délicatesse au nom de mes confrères qui œuvrent dans le domaine statistique pour vous dire ceci : nous estimons que, après avoir eu à notre tête six économistes politiques d'affilée, il va de soi que nous avons été appelés à faire plus. Dans l'effervescence du moment, d'aucuns pourraient même nous comparer à Cendrillon, invitée à passer de ses cendres au salon. Elle s'y rendit, vous vous en souviendrez, en douceur, ses yeux dépourvus de la lueur des fourneaux. Pourtant, elle avait, j'en suis sûr, une certaine conscience de son mérite, car finalement, c'est elle qui épousa le prince. »

Statistique Canada voit le jour

Walter Elliott Duffett était statisticien fédéral depuis 1957 lorsque, 53 ans après l'adoption de la Loi sur la statistique de 1918, une nouvelle Loi sur la statistique fut adoptée et promulguée le 1er mai 1971. Comme Robert H. Coats, Walter E. Duffett fut employé au ministère du Travail avant d'entrer au service de Statistique Canada. Il devint le premier statisticien en chef du Canada lorsque le Bureau fédéral de la statistique fut rebaptisé Statistique Canada. Il exerça cette fonction jusqu'en 1972.

Walter E. Duffett

Walter E. Duffett était un économiste respecté à l'échelle internationale. Né à Toronto en 1910, il fréquenta l'école secondaire publique à Galt, en Ontario. Il obtint un baccalauréat en commerce de l'Université de Toronto et une maîtrise en économique de la London School of Economics. Après avoir travaillé comme analyste de la sécurité au Service des placements de la Sun Life à Montréal et à London, Walter E. Duffett se joignit, en 1942, à la Commission des prix et du commerce en temps de guerre. Il travailla ensuite au département des Recherches de la Banque du Canada en 1944 et, 10 ans plus tard, il fut nommé directeur de la Division de l'économique et des recherches du ministère du Travail. En 1957, il fut nommé statisticien fédéral, un titre qu'il détint jusqu'à sa retraite, en mai 1972. Dans les faits, Walter E. Duffett fut le premier statisticien en chef du Canada, après que le Bureau fédéral de la statistique fut renommé Statistique Canada, mais il préférait le titre de statisticien du gouvernement. Après avoir quitté l'organisme, il fut nommé vice-président du Conference Board du Canada, puis, en 1980, il fut élu président de l'Institut interaméricain de statistique.

L'horloge démographique du Canada, 1969

Statistique Canada, un nom « osé »

Bien que le Bureau fédéral de la statistique devint officiellement Statistique Canada en début d'année, la mise en œuvre du nouveau nom fut reportée au mois d'août 1971, une fois les activités du recensement sur le terrain terminées, afin d'éviter de semer la confusion dans l'esprit du public. En effet, l'ancien nom de l'organisme figurait dans les documents du Recensement de 1971. La première publication dans laquelle figure le nouveau nom est le bulletin Le Quotidien de Statistique Canada, lancé le 3 août 1971. À l'époque, plusieurs autres noms furent proposés. Le public écrivit même au ministre responsable de Statistique Canada pour lui faire part de ses suggestions. Parmi les noms proposés, mentionnons le « Bureau canadien de la statistique » et le « Bureau de la statistique du Canada ». Certaines personnes étaient d'avis que « Statistique Canada » était « un nom osé » et un peu « tape-à-l'œil ». En outre, certains membres du personnel de l'organisme s'inquiétaient de l'utilisation possible de la forme contractée « StatCan », qu'ils trouvaient bien peu élégante. Des dispositions furent également prises pour modifier le nom qui figurait sur l'horloge démographique située dans le hall d'entrée de l'immeuble Principal du Bureau fédéral de la statistique. Cette horloge fut dévoilée par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1968 pour souligner le 50e anniversaire de l'organisme. Cette année-là, l'horloge indiquait une population de 21 millions de personnes au Canada.

La révision de la Loi sur la statistique visait à établir une coopération fédérale-provinciale plus efficace en matière de statistiques. En outre, la Loi révisée comprenait des dispositions pour éviter les chevauchements dans la collecte de données par la collecte conjointe de données et par l'échange de données avec les provinces. En ce qui concerne les utilisateurs de données, des modifications avaient été apportées aux dispositions sur la confidentialité des données afin de permettre aux chercheurs d'avoir accès à des microdonnées non identifiables. La Loi révisée prévoyait également un accès accru aux données administratives, notamment aux déclarations de revenus et à d'autres données dont disposaient les ministères fédéraux, afin d'éviter les répétitions dans la déclaration des renseignements. En réponse à une préoccupation croissante au sujet du fardeau des entreprises répondantes, Walter E. Duffett se prononça devant le Comité des finances de la Chambre des communes au sujet des résultats positifs de la nouvelle Loi. Il fit notamment valoir que [traduction] « les répondants sont nos meilleurs amis, et nous ne voulons pas tuer la poule aux œufs d'or ».

L'horloge démographique de Statistique Canada

L'horloge démographique de Statistique Canada fut construite dans le cadre du Programme du recensement pour mettre en évidence la nouveauté de la technologie informatique à l'époque. Haute de plus de deux mètres, elle était dotée d'un compteur numérique sur sa partie supérieure et d'autres compteurs sur ses quatre faces, qui affichaient le nombre de naissances, de décès et d'immigrants. Les démographes de Statistique Canada calculèrent la fréquence de ces occurrences, et l'horloge fut programmée en conséquence. Elle était extrêmement populaire auprès des employés de l'organisme et des membres du grand public, qui passaient dans le hall d'entrée de l'immeuble Principal simplement pour la voir. Le sort qui fut réservé à l'horloge est incertain, mais celle-ci fut probablement démantelée après seulement quelques années d'opération.

Un organisme à part entière

Walter E. Duffett était statisticien fédéral lorsque le Bureau fut reconnu comme un organisme à part entière qui ne relevait plus de l'administrateur général d'un autre ministère. La Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (la commission Glassco) de 1960 fut chargée de recommander des changements visant à améliorer l'efficacité et l'économie du gouvernement ainsi que la fonction publique dans son ensemble.

Parmi les résultats symboliques les plus importants de la commission Glassco, mentionnons l'adoption officielle de l'indépendance par convention qui avait été réalisée étape par étape depuis l'époque de Robert H. Coats, pour qui l'objectivité était d'une grande importance. L'officialisation de l'indépendance pour assurer l'objectivité et l'impartialité constitue une préoccupation de tous les instants pour les organismes statistiques nationaux. En janvier 1965, par décret, le Bureau fut désigné organisme du gouvernement fédéral, et le statisticien fédéral, administrateur général.

Une constatation clé du rapport de la commission Glassco fut l'importance de l'objectivité des opérations statistiques. Il fut notamment recommandé que le statisticien fédéral occupe son poste à titre inamovible, sous réserve de révocation pour un motif valable, et non à titre amovible. Cette recommandation refit surface plus d'un demi-siècle plus tard dans le projet de loi C-36, la Loi modifiant la Loi sur la statistique, qui proposait le renforcement de l'indépendance de Statistique Canada au moyen de diverses modifications législatives. Dans le même ordre d'idées, la commission Glassco avait recommandé l'établissement d'un conseil consultatif qui serait composé de représentants des principaux utilisateurs de statistiques et d'autres organismes publics, qui tiendrait des réunions périodiques avec le statisticien fédéral pour se pencher sur des questions statistiques, et qui rendrait compte de ses activités chaque année au ministre compétent. À l'époque, le Bureau hésitait à créer un autre comité consultatif compte tenu de son réseau existant de 45 à 50 comités spécialisés et autres, dont ceux de nature fédérale-provinciale. Vingt ans plus tard, le Conseil national de la statistique était créé, et il fallut attendre le dépôt du projet de loi C-36 en 2017 pour que soit envisagée la possibilité qu'un groupe consultatif entreprenne la production d'un rapport annuel sur l'état du système statistique. Pourtant, en 1918, Robert H. Coats avait recommandé la création d'une commission consultative de la statistique, sans succès. Cette même recommandation fut présentée à plusieurs reprises dans les années qui suivirent.

Une expansion importante en période de grands changements

À la fin de l'exercice 1918-1919, le Bureau comptait 123 employés, recrutés initialement au ministère du Commerce et au ministère de l'Agriculture. Puis, au début des années 1970, Statistique Canada comptait entre 3 500 et 4 000 employés permanents et occasionnels. L'organisme embauchait de 300 à 400 stagiaires d'été chaque année et avait de la difficulté à trouver et à conserver suffisamment de personnel pour répondre à ses besoins grandissants, surtout aux échelons professionnels et supérieurs. Par exemple, au cours de l'exercice 1969-1970, l'organisme embaucha 1 700 nouveaux employés (dont 1 100 à temps plein). Ce nombre élevé de nouvelles recrues était probablement attribuable en partie au gel du recrutement à l'échelle du gouvernement l'année précédente et à la restructuration récente de l'organisme en janvier 1967. Cette restructuration constituait une étape importante pour une organisation en pleine croissance. Dans l'organigramme précédent de Statistique Canada, un grand nombre de divisions relevaient directement du statisticien fédéral. Une telle structure n'était toutefois pas viable étant donné la croissance de la taille et de la complexité de l'organisation. Pendant un certain nombre d'années, le Bureau envisagea de regrouper les divisions en directions, mais la disponibilité du personnel professionnel était un obstacle de taille. Au cours de l'exercice 1966-1967, il fut estimé que le recrutement et le perfectionnement des agents actuels permettraient à l'organisme de répondre aux besoins de la nouvelle restructuration. Ce changement fut donc effectué. Enfin, en 1971, l'organisme embaucha du personnel pour mener les opérations du Recensement de 1971, comme il le fait pour chaque recensement. Le 1er juin 1971, jour du recensement cette année-là, environ 50 000 employés temporaires étaient prêts à passer à l'action.

Naturellement, une grande partie des changements qui survinrent au sein de l'organisme découlaient de ce qui se passait dans la société canadienne à l'époque, et les années 1970 constituèrent assurément une période de grands changements au Canada et sur la scène internationale : Pierre Elliott Trudeau était premier ministre, le pays devenait officiellement une nation bilingue, le mouvement séparatiste était actif au Québec, la guerre du Vietnam se déroulait et les prix mondiaux du pétrole quadruplèrent pendant la crise du pétrole de 1973. Cette année-là, les prix à la consommation augmentèrent de près de 8 % par rapport à ceux de l'année précédente en raison de la croissance des prix de l'essence, de l'électricité et des aliments. Ces hausses de prix constituèrent la première étape vers une décennie de stagflation, marquée par une forte inflation des prix à la consommation et une lente croissance économique.

Grâce au baby-boom d'après-guerre et à la croissance de l'immigration, la population du Canada était en plein essor. Aussi, la population active connaissait une hausse considérable, en grande partie en raison de l'activité accrue des femmes. Pour répondre aux besoins en matière de statistiques du pays, l'organisme vit sa taille, sa complexité et son budget croître dans une mesure inégalée depuis ses débuts. Le budget fut septuplé, et, au cours du mandat de Walter E. Duffett, l'effectif fut doublé, passant de 1 449 employés en 1957 à 3 545 en 1972. Des pressions pour l'expansion de l'organisme étaient exercées non seulement en raison du besoin d'information plus précise et plus détaillée, mais aussi en raison de l'importance croissante des sphères éducatives, culturelles et sociales du savoir.

Des employées perforent des cartes du Recensement de 1931
Un colosse du calcul, l'ordinateur IBM 705 III, 1969

Le mouvement séparatiste et la crise d'Octobre

Le Front de libération du Québec (FLQ) était un groupe paramilitaire séparatiste marxiste-léniniste formé au début des années 1960. Il était connu comme l'aile radicale du mouvement souverainiste québécois. Il commit de nombreux délits tout au long des années 1960, notamment des vols de banque, des enlèvements et des attentats à la bombe, dont le plus important fut celui de la Bourse de Montréal en 1969. En 1970, après dix ans de soutien grandissant à l'égard du FLQ, la crise d'Octobre éclata au Québec. Des membres du FLQ enlevèrent Pierre Laporte, ministre du Travail de la province, et le diplomate britannique James Cross. En guise de riposte, le premier ministre Pierre Elliot Trudeau appliqua la Loi sur les mesures de guerre, seule invocation de la Loi en temps de paix. Il s'agissait d'une mesure controversée : les libertés civiles furent suspendues et de vastes pouvoirs d'arrestation et de détention furent accordés à la police. En outre, des troupes furent chargées de patrouiller dans les zones vulnérables et de protéger les personnalités considérées comme en danger. Le FLQ souhaitait une insurrection socialiste contre l'impérialisme britannique, le renversement du gouvernement du Québec et l'indépendance de la province par rapport au Canada. L'appui du public prit de l'ampleur chez les Canadiens de gauche jusqu'à la mi-octobre, quand Pierre Laporte fut assassiné. Au début du mois de décembre, après environ deux mois de captivité, James Cross fut libéré à l'issue de négociations. Les ravisseurs demandent, entre autres, la libération de 23 prisonniers politiques, une rançon en lingots d'or, la publication du manifeste du FLQ, un vol vers Cuba ou l'Algérie, et la cessation de toutes les activités de fouille policière. Les cinq ravisseurs connus furent autorisés à se rendre en toute sécurité à Cuba, après l'approbation de Fidel Castro. Les responsables du meurtre de Pierre Laporte furent arrêtés et accusés. En janvier 1971, les troupes furent retirées du Québec. La crise d'Octobre accéléra le recours aux moyens électoraux pour accroître l'autonomie, par opposition à la violence, et donna lieu à une croissance du soutien envers le Parti Québécois, le parti politique souverainiste qui forma le gouvernement provincial en 1976 et qui prépara le terrain en vue d'un référendum sur la souveraineté du Québec quatre ans plus tard.

L'ère de l'automatisation

Cette période fut aussi marquée par l'ère de l'automatisation, au cours de laquelle l'organisme commença à exploiter la puissance informatique pour mener ses activités. Bien que l'équipement de totalisation mécanique ait été mis à l'essai dès 1891, ce n'est qu'à l'occasion du Recensement de 1961 que le Bureau effectua pour la première fois des totalisations informatiques à l'aide de bandes magnétiques et d'un ordinateur IBM 705 Mark III. Au Recensement de 1971, le traitement commença par le microfilmage de chaque questionnaire, suivi du transfert des données sur bande magnétique pour alimenter un ordinateur IBM 360/65. À cette époque, l'organisme menait également un projet pilote de transmission par télécopieur entre les bureaux régionaux et Ottawa.

Le statisticien en chef Walter E. Duffett pilota le Bureau pendant 15 années d'expansion et d'automatisation rapides avec l'aide de trois statisticiens en chef adjoints. L'effectif de l'organisme était passé de 1 800 employés à environ 5 000 employés au moment du départ à la retraite de Walter E. Duffett. Évidemment, l'habitude du statisticien en chef de rendre visite à chaque nouvel employé pour s'assurer de son confort à Ottawa ne fut jamais reprise par ses successeurs : l'organisme devint tout simplement trop gros. Au moment du départ à la retraite de Walter E. Duffett, H. L. Allen était le statisticien en chef adjoint responsable des affectations générales et participait à la gestion du Bureau, Simon Abraham Goldberg était affecté à l'intégration et au développement, et Lorne E. Rowebottom dirigeait la Direction de la statistique socioéconomique. Les quatre autres directions (Administration, Comptes économiques, Statistique financière et Statistique économique) étaient dirigées par des directeurs généraux. Au moment de la création du poste de directeur général, l'adoption d'un tel titre fit l'objet d'une certaine hésitation, car il fut estimé qu'il pouvait évoquer une « folie des grandeurs ». Pendant un certain temps, avant que le titre de directeur général ne passe dans l'usage, certains documents renvoyaient plutôt au poste de super directeur.

À l'époque, l'organisme comptait huit bureaux régionaux, soit ceux de Vancouver, d'Edmonton, de Winnipeg, de Toronto, d'Ottawa, de Montréal, d'Halifax et de St. John's. Ces derniers étaient chargés du dénombrement et du traitement initial des recensements de la population, du logement et de l'agriculture, de l'Enquête mensuelle sur la population active, de la collecte mensuelle des prix des biens et des services pour l'Indice des prix à la consommation, de l'Enquête sur les postes vacants et d'autres projets spéciaux. Ils recueillaient divers rapports d'entreprises locales et aidaient les utilisateurs ainsi que les bibliothèques de référence locales, car Internet n'existait pas encore pour diffuser de l'information.

Les inventeurs de l'organisme

Un inventeur du bureau, Fernand Bélisle, conçoit des tabulatrices mécaniques

Les données du Recensement de 1911 furent les premières à être traitées presque entièrement au moyen de totalisations mécaniques. Une équipe temporaire, composée de 160 commis travaillant avec 70 perforatrices de cartes et 20 tabulatrices, fut chargée du traitement. La première tabulatrice fut inventée par Herman Hollerith aux États-Unis et elle fut d'abord utilisée dans ce pays pour le Recensement de 1890. L'entreprise de Herman Hollerith devint plus tard la société International Business Machines (IBM). Au Canada, le Bureau fédéral de la statistique fit l'essai de la tabulation électrique pour la première fois l'année suivante, pour le traitement des données démographiques du Recensement de 1891. Pour mettre les choses dans leur contexte historique, il convient de mentionner que la production d'électricité était chose relativement récente; en fait, les rues des grandes villes canadiennes ne furent éclairées à l'électricité qu'au début des années 1880. Les tabulatrices électriques permirent au Bureau de compiler des statistiques démographiques plus rapidement et à moindre coût au moyen de cartes perforées. Chaque personne dénombrée (soit environ 4,8 millions) avait une carte. Les cartes étaient d'abord perforées à l'aide d'une poinçonneuse pantographique, chaque trou correspondant à un point de données. « Ces cartes sont ensuite passées dans le compilateur électrique, qui au moyen d'un agencement ingénieux, enregistre les réponses sur un certain nombre de cadrans. » Dans les faits, des tiges métalliques traversaient les trous des cartes perforées pour entrer en contact avec des plaques métalliques de sorte à générer un circuit électrique et à enregistrer un nombre. Cette activité devait être assourdissante : l'un des bulletins du recensement mentionne que « chaque fois que le levier commutateur est abaissé sur la carte, l'aiguille de l'un des cadrans avance et un timbre annonce à l'opérateur que la religion a été enregistrée ». Selon le même bulletin, « l'un des avantages de ce système est l'exactitude avec laquelle les renseignements sont enregistrés. La machine ne saurait être accusée de paresse. L'état de l'atmosphère n'arrête jamais son travail. Elle n'est pas malhonnête. Elle n'enregistrera jamais un Catholique Romain au lieu d'un Presbytérien, ni un Calviniste au lieu d'un Arménien. Elle est tout à fait impartiale. » Il fallut 40 jours pour effectuer le premier passage des cartes dans la machine afin de compiler les données sur la religion.

Aux États-Unis, les coûts de location des machines de Herman Hollerith devinrent trop élevés. Le service de conception des machines du recensement, la Census Machine Shop, entreprend donc de concevoir sa propre machinerie de totalisation au début des années 1900. Un article de journal attribue à Charles W. Spicer l'invention de la tabulatrice utilisée pour le Recensement de 1910 aux États-Unis. Une fois que l'efficacité de la machine fut démontrée, le gouvernement canadien acquit les droits d'utilisation du brevet et commanda la fabrication de trois de ses machines par une entreprise de Toronto. Les machines suivantes du Bureau furent conçues et construites par les inventeurs de l'organisme Arthur Ernest Thornton et Fernand Bélisle.

Fernand Bélisle, dont le nom complet est Georges Étienne Fernand Bélisle, est né en 1889 dans la municipalité de Wotton, au Québec. En 1923, Robert H. Coats fit l'éloge du travail de Fernand Bélisle dans une note de service : [traduction] « M. Bélisle est particulièrement doué pour la totalisation automatique. Depuis son arrivée au Bureau, il a inventé la multiperforatrice électrique, qui a été brevetée et que nous utilisons au Bureau. Il est responsable depuis un certain temps de nos machines de tri horizontal et il a considérablement augmenté leur production; en fait, il a amélioré le rendement de certaines machines qui ne traitaient qu'environ 12 000 cartes par jour à un point tel qu'elles en traitent maintenant presque autant à l'heure. » Fernand Bélisle est reconnu comme le concepteur de la machine dite « pantographe », utilisée pour la perforation des cartes depuis 1911, comme l'inventeur de la multiperforatrice électrique utilisée pour le Recensement de 1931, et comme l'inventeur du classicompteur à air comprimé utilisé pour le Recensement de 1941. L'une des six machines du Bureau fut même prêtée au gouvernement de la Jamaïque pour la compilation des données de son recensement du 4 janvier 1943.

Simon Abraham Goldberg

Simon A. Goldberg, le père de la comptabilité nationale des revenus

Si Walter E. Duffett était la force tranquille de l'organisme, Simon A. Goldberg en était l'innovateur. Ce dernier avait la ferme conviction que l'échantillonnage était la voie de l'avenir, même si ce concept ne faisait pas l'unanimité au sein de l'organisme, qui, traditionnellement, était chargé du recensement. Simon A. Goldberg était un ardent défenseur de l'analyse et de la méthodologie. De fait, la méthodologie à Statistique Canada lui doit une fière chandelle, ainsi qu'à son protégé, Ivan Fellegi, car ils furent en grande partie responsables de la création, à partir de zéro, du premier service de méthodologie de l'organisme.

En 1927, Simon A. Goldberg, encore enfant, quitta la Pologne pour émigrer au Canada. Il obtint un diplôme de l'Université McGill en 1939, puis deux maîtrises en économique, l'une de l'Université McGill et l'autre de la Harvard University. Après avoir passé un certain temps dans la force aérienne, il entra au service du Bureau fédéral de la statistique dans la nouvelle Section de la recherche et du développement, mise sur pied pour coordonner les travaux relatifs à la statistique économique et pour produire les comptes des revenus et des dépenses. Il quitta Ottawa pendant un an pour entreprendre des études de doctorat à la Harvard University. En tout, il travailla au service du Bureau fédéral de la statistique de 1945 à 1972.

En 1954, Simon A. Goldberg fut promu au poste de statisticien fédéral adjoint; il était chargé de l'intégration des statistiques au Bureau. Il était un fervent partisan des équipes interdisciplinaires et il fut l'un des premiers à reconnaître les répercussions éventuelles de l'informatique sur Statistique Canada. Il avait l'habileté innée de planifier les activités et de faire la distinction entre le possible et l'impossible. Il joua un rôle essentiel dans l'établissement d'une fonction de planification au sein de l'organisme.

Simon A. Goldberg fut et demeure, dans l'esprit de l'organisme, le père des comptes nationaux du Canada en raison de sa vision du recours à un système intégré plutôt qu'à un ensemble fragmenté d'indicateurs. Il conçut et corédigea la première publication complète sur les comptes nationaux du Canada, et c'est sous sa direction que le Canada devint le deuxième pays au monde à publier des comptes nationaux trimestriels et le premier à produire des données sur la répartition du revenu selon la taille du revenu. Il est, dit-on, l'une des personnes les plus importantes de l'histoire de l'organisme après Robert H. Coats, non seulement en raison de son rôle dans l'élaboration des comptes nationaux, mais aussi en raison de l'établissement de la capacité méthodologique de l'organisme ainsi que d'autres éléments d'infrastructure, comme les systèmes de classification. Parmi ses initiatives importantes, mentionnons la création d'une section de recherche à l'appui des comptes nationaux et les pressions exercées pour que le Bureau devienne un organisme d'enquête par sondage plutôt qu'un organisme de recensement, de sorte à pouvoir fournir des renseignements plus actuels aux décideurs. Pour permettre la transition de l'organisme vers les enquêtes par sondage, il eut l'idée d'encourager la collecte de données administratives pour créer un registre des entreprises. En outre, il est en grande partie responsable de l'octroi à l'organisme d'un accès légal aux déclarations de revenus pour la première fois en 1971.

Simon A. Goldberg croyait fermement à l'importance de la recherche et du développement et de la prise de décisions par consensus. Il était extrêmement populaire au sein de l'organisme : de nombreux cadres supérieurs cherchaient à obtenir ses conseils. David Worton, dans son ouvrage sur l'histoire de l'organisme, précise que, dans les dernières années du mandat de Walter E. Duffett, l'organisme était géré plus ou moins comme un partenariat et que de nombreux cadres supérieurs se fiaient à Simon A. Goldberg. Celui-ci, selon Ivan Fellegi, [traduction] « manifestait une forte individualité. Il balayait tout simplement les obstacles sur son chemin par la seule force de son intelligence. Il n'avait, dans les faits, que très peu de pouvoir hiérarchique officiel au Bureau, sauf celui de faire des propositions. Aucun des statisticiens fédéraux adjoints ne relevait officiellement de lui, mais, en réalité, tout le monde relevait de lui. »

Dans le Recueil de Statistique Canada, Jacob Ryten fait la déclaration suivante :

« De bien des façons, le visage moderne de Statistique Canada a été dessiné par Simon Goldberg, sous-statisticien fédéral dans les années 60. Il fut le seul à voir à quel point il était essentiel d'élaborer, de maintenir et d'utiliser le cadre des comptes nationaux pour organiser des statistiques économiques de base, à concevoir la façon d'améliorer leur qualité par une confrontation constante entre les mesures de mêmes variables obtenues de sources différentes et à saisir la façon d'utiliser le cadre des comptes nationaux pour former les jeunes économistes et statisticiens. »

En novembre 1972, Simon A. Goldberg prit un congé de trois ans de l'organisme pour occuper le poste de directeur du Bureau de statistique des Nations Unies. Il y siégea jusqu'en 1979, puis il occupa un certain nombre de postes à titre de conseiller.

Simon A. Goldberg est décédé en 1985 à l'âge de 85 ans. La salle de conférence principale de l'organisme est nommée en son honneur. Dans un numéro spécial de SCAN qui lui est consacré, il est décrit comme [traduction] « l'une de ces rares personnes à posséder à la fois un désir passionné de faire progresser la science et un intérêt réconfortant pour les collègues qui prennent part à ce travail ». Juste avant son décès, il fut mis en nomination pour recevoir l'Ordre du Canada, mais comme l'insigne n'est pas décerné à titre posthume, il ne fut jamais décoré.

La conversion au bilinguisme

En 1969, lorsque fut adoptée la première Loi sur les langues officielles, qui prévoyait l'égalité de statut du français et de l'anglais au gouvernement fédéral, le Bureau prit les mesures nécessaires pour s'y conformer. Au sein de la Direction de l'administration, une section du bilinguisme mesurait les progrès vers l'atteinte des objectifs de bilinguisme en faisant rapport sur les capacités linguistiques, la formation du personnel et la disponibilité des publications dans les deux langues officielles. L'organisme participait aussi à une initiative du gouvernement fédéral visant à désigner des services en tant que « services de langue française » à titre expérimental. La création de ces services venait s'inscrire dans le programme de bilinguisme dans la fonction publique, lequel visait à améliorer l'efficacité des services offerts au public dans l'une ou l'autre des langues officielles et à tenir compte de l'égalité de statut des deux langues. L'organisme désigna ainsi quatre services à titre de « services de langue française », à savoir le bureau régional de Montréal et celui d'Ottawa, la Section de l'information sur les étudiants de la Division de l'éducation et la Section de l'habitation et des permis de bâtir de la Division des finances des entreprises. Statistique Canada entreprit également une conversion des rapports périodiques courants en format bilingue, de sorte que, en 1971, 89 % des 620 publications étaient disponibles en français et en anglais, contre 40 % en 1970. Toutefois, il va sans dire que des documents bilingues avaient déjà été produits plus tôt; en fait, Robert H. Coats employait une équipe de traduction pour les publications bilingues comme les rapports du recensement, Le Quotidien et l'Annuaire du Canada. Les années 1970 constituèrent une période importante pour l'avancement du bilinguisme, et surtout pour le soutien des francophones qui travaillaient au sein de la fonction publique à Ottawa. C'est d'ailleurs au début des années 1970 que la Place du Portage fut construite pour accueillir divers ministères fédéraux, dans le cadre des efforts d'accroissement de la présence du gouvernement au Québec.

L'égalité des chances pour les femmes

En 1970, la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada publia un rapport sans précédent. Celui-ci contenait des recommandations à l'intention du gouvernement fédéral pour qu'il veille à l'égalité des chances pour les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société canadienne, y compris dans la fonction publique. Parmi les recommandations formulées figuraient l'actualisation du système législatif et le règlement de questions cruciales pour les femmes (comme la pauvreté, le droit de la famille, la Loi sur les Indiens et la nécessité d'avoir une personne qui représente les femmes au sein de l'administration fédérale). La même année, la Commission royale créa l'Office de promotion de la femme et encouragea les autres ministères à se donner les moyens de promouvoir les chances d'avancement de la main-d'œuvre féminine. Peu après, en 1971, un ministre délégué à la Situation de la femme fut nommé pour la première fois. Cinq ans plus tard, Condition féminine Canada devint un organisme du gouvernement fédéral. Puis, en 1973, Statistique Canada créa le Comité d'égalité des chances pour les femmes, qui relevait directement du statisticien en chef. Pendant une courte période, un journal interne intitulé Action, dans lequel les activités du Comité étaient annoncées, fut également publié. La mise en œuvre des recommandations de la Commission royale par le gouvernement fédéral constitua une étape importante pour l'atteinte de l'égalité entre les hommes et les femmes au sein de la fonction publique.

Un signe des temps

Le concours de beauté Miss DBS [Miss Bureau fédéral de la statistique], parrainé par l'association du personnel, est un bon exemple des réalités de l'époque. Les femmes mariées ne pouvaient y participer, et chaque concurrente était jugée selon [traduction] « son apparence, notamment ses vêtements, sa grâce et sa personnalité ». Ce fut un concours très populaire; en 1952, il attira 43 concurrentes. La gagnante méritait l'honneur de représenter le Bureau dans un concours mettant en lice des représentantes d'autres ministères, qui rivalisaient pour le titre de Miss Fonction publique. Ces concours se sont tenus dans la fonction publique jusqu'en 1973.

L'innovation au travail

Le programme de primes au rendement de la fonction publique fut instauré pour la première fois au sein de l'organisme en 1953. Dans le cadre du Programme de primes à l'initiative de la fonction publique, des prix en espèces ou en nature étaient remis aux employés qui présentaient des suggestions pour améliorer tout aspect de la fonction publique. En 1971, l'une de ces suggestions fut la création d'un « bureau en carton pour le recensement », qui fit ultérieurement l'objet d'une demande de brevet en vertu de la Loi sur les inventions des fonctionnaires. Chaque bureau pliant utilisé pour le Recensement de 1971 pesait environ 3,5 kilogrammes et coûtait 1,75 $, comparativement à 39 $ pour une seule des tables en bois usuelles. L'auteur de cette invention, un agent d'administration de Statistique Canada nommé Bill Butler, formula son idée après avoir vu une table en carton conçue aux États-Unis qui coûtait 8,50 $, mais qui était trop petite pour le recensement. Bill Butler reçut 5 000 $ pour son invention, qui permit aux contribuables d'économiser plus de 500 000 $ en seulement deux recensements. Le brevet expira 20 ans plus tard, en 1992, mais les bureaux en carton sont utilisés encore aujourd'hui par les sous-sections du soutien du recensement. Les bureaux en carton sont repliés et recyclés à la fermeture des bureaux temporaires. Le Bureau du recensement des États-Unis aussi utilisa des bureaux en carton dans ses bureaux temporaires sur le terrain pour les Recensements de 1990 et de 2000. Bien que les bureaux soient traités au moyen de produits chimiques ignifuges, un bureau américain aurait découvert un ennuyeux défaut : ils ne font pas le poids contre un système de gicleurs défectueux!

Des employés travaillent dans des bureaux bondés en temps de guerre dans les années 1940
Le Centre principal des ordinateurs, 1969

Le bulletin de nouvelles des employés fait peau neuve

Un nouveau magazine pour les employés de l'organisme, intitulé Scan, fut lancé en 1972. Parmi ses prédécesseurs figuraient le bulletin inaugural DBS News, qui parut pour la première fois à l'été 1931 (malheureusement, aucun exemplaire ne fut conservé); le Green Island News, publié en 1946 alors que le Bureau était situé sur, tenez-vous bien, l'île Green (sur laquelle se trouve maintenant l'édifice John G. Diefenbaker, qui servit d'hôtel de ville à Ottawa de 1958 à 2000 et qui est désormais majoritairement occupé par des employés d'Affaires mondiales Canada); le DBS Pasture-ized News, qui parut pour la première fois en 1953, bien que le sigle anglais du Bureau, « DBS », fut par la suite tronqué du nom; le bulletin mensuel STAT, publié à compter de la fin de 1954; et enfin le DBS Staff News, publié de 1957 à 1959. Puis, après 13 ans sans bulletin des employés, le bulletin Scan fut publié de 1972 à 2000. Parallèlement, le bulletin actuel des employés, @StatCan, fut publié pour la première fois en avril 1997 et il paraît toujours 21 ans plus tard.

Les jalons importants du programme statistique

Le début des années 1970 constitue une période charnière pour l'application de la méthodologie statistique aux programmes du Bureau. Même si la totalisation mécanique avait commencé au tournant du siècle au Bureau, la totalisation informatique n'apparaît qu'au début des années 1960, et son mariage avec la méthodologie donne lieu à de grandes synergies. Au cours des années précédentes, les divisions spécialisées étaient relativement cloisonnées et elles constituaient plus ou moins des entités autonomes. Chaque division concevait ses propres questionnaires, les postait, les recevait, les codait et totalisait les données elle-même. Toutefois, au fur et à mesure que l'automatisation et l'utilisation des données administratives prirent de l'ampleur, le besoin d'une approche plus intégrée pour l'élaboration des enquêtes et la collecte et le traitement des données se fit de plus en plus sentir.

La nouvelle Direction de la méthodologie et des systèmes fut mise sur pied en 1970. Elle permit une meilleure intégration des principales disciplines liées à l'élaboration des plans d'enquête et de recensement et à leur automatisation. La création de cette direction visait aussi à accroître la fiabilité des statistiques, à améliorer les délais de diffusion, à réduire les coûts de compilation, à faciliter l'utilisation étendue des données en établissant des bases de données lisibles par machine et à développer des logiciels pour créer des bases de données intégrées.

Cette période fut aussi marquée par la parution de l'article d'Ivan Fellegi et d'Alan Sunter intitulé A Theory for Record Linkage [théorie du couplage d'enregistrements], en 1969, dans le Journal of the American Statistical Association. Cette publication représentait une étape cruciale dans l'histoire du couplage d'enregistrements et elle ouvrit la voie à une utilisation plus efficace des bases de données administratives et autres bases de données lors de l'élaboration de registres et lors de la compilation et de l'analyse des données statistiques.

L'année 1971 marque l'achèvement de la première Classification canadienne descriptive des professions, le fruit d'un énorme projet de recherche et développement de cinq ans, mené conjointement avec le ministère de la Main-d'œuvre et de l'Immigration du Canada. Auparavant, les systèmes de classification des professions étaient produits en interne pour le recensement et étaient ensuite utilisés dans l'ensemble de l'organisme. Toutefois, il s'agissait de la première classification des professions normalisée préparée aux fins d'utilisation à l'échelle du Canada.

L'organisme tâchait aussi d'accroître la disponibilité des données régionales pour répondre à la croissance de l'intérêt pour les données infraprovinciales en raison de la participation accrue des provinces à la planification économique et sociale. Statistique Canada amorça des travaux de recherche au sujet de l'élaboration d'un système qui permettrait de fournir les données du recensement à l'échelle des petites régions géographiques. Ces travaux entraînèrent la création d'un système de géocodage appelé le Système de stockage et d'extraction des données codées suivant une grille géographique (GRDSR) et d'un système de stockage, d'extraction et de totalisation appelé STATPAK.

Au cours de ces années, le sujet de la faisabilité d'un registre des adresses fut également abordé. Un registre des adresses urbaines fut alors établi en tant que produit dérivé du Recensement de 1971 et proposé comme base de sondage pour l'Enquête sur la population active et pour d'autres enquêtes auprès des ménages. Ce registre donnait à l'organisme la possibilité de réduire les coûts sur le terrain pour les recensements à venir et de l'utiliser pour des études liées au parc de logements. De même, un registre central des fermes fondé sur le Recensement de l'agriculture de 1971 était en cours d'élaboration; il fut utilisé pour la première fois comme base de sondage dans l'Enquête sur les cultures et le bétail de décembre 1972.

C'est aussi durant ces années que la liste centrale des entreprises et des établissements fut élaborée. Cette liste n'était, au départ, qu'un outil de base servant à normaliser la classification des entreprises et de leurs sous-unités. Un grand projet réalisé au cours de l'exercice 1969-1970 mena à l'élargissement de la liste afin d'y inclure toutes les entreprises du Canada et de permettre leur classification par industrie et par lieu de travail. À la fin de 1971, la liste comptait 550 000 noms d'entreprise, dont chacun est codé par industrie et par région géographique. La liste devint toutefois extrêmement difficile à tenir à jour et fut finalement éliminée progressivement un an plus tard, à mesure que le Registre des entreprises fut mis en œuvre. Celui-ci devint opérationnel en 1972. Au départ, il couvrait tous les employeurs du Canada. Durant l'exercice 1974-1975, la couverture du registre fut étendue à toutes les sociétés, y compris celles qui n'étaient pas des employeurs.

À l'époque, la Direction de la statistique socioéconomique était chargée des recensements de la population, du logement et de l'agriculture, ainsi que des statistiques de l'état civil, des statistiques judiciaires et des statistiques sur l'éducation, l'agriculture, la santé, le revenu familial, l'actif et le passif. Cette direction était également responsable de la nouvelle Division des opérations régionales, créée durant l'exercice 1970-1971 et chargée de mener toutes les activités d'enquête sur le terrain du Bureau. Cette division fut créée à la suite d'un remaniement de la Division des enquêtes spéciales visant à élargir la base d'enquêtes dont elle avait la responsabilité (soit quelques grandes enquêtes essentielles comme l'Enquête sur la population active). La Direction de la statistique socioéconomique était aussi chargée des bureaux régionaux, de la liaison provinciale et des services consultatifs, fonctions qu'elle perdit rapidement au cours de l'exercice 1972-1973, au moment où le Bureau fit l'objet de la plus grande réorganisation de son histoire.

Pour mener l'Enquête sur la population active, Statistique Canada employait alors 750 intervieweurs à temps partiel qui interviewaient 30 000 ménages. Le bulletin mensuel sur la population active détaillait la situation de l'emploi et du chômage au Canada, dans les cinq régions du Canada (à l'époque, l'Atlantique, le Québec, l'Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique) et, à compter de 1971, dans les provinces. Des questions supplémentaires et, à l'occasion, des questionnaires spéciaux étaient ajoutés au questionnaire de l'Enquête sur la population active afin de recueillir de l'information sur des sujets comme les habitudes de tabagisme, l'immigration, l'absence rémunérée du travail, les coûts de location et les déplacements des personnes au Canada. D'autres enquêtes sociales furent menées séparément, comme l'Enquête nationale sur les dépenses alimentaires et l'Enquête sur les dépenses des familles, mais elles étaient fondées sur la base de sondage de l'Enquête sur la population active. En 1970, l'Enquête sur la population active fut transférée de la Division des enquêtes spéciales à la Division du travail, et des plans furent esquissés afin d'instaurer des publications trimestrielles et annuelles à titre de suppléments aux données mensuelles. L'enquête fit également l'objet d'un projet pilote d'interview téléphonique, qui visait à déterminer l'effet des interviews téléphoniques sur la qualité des données de l'enquête ainsi que sur le taux de non-réponse et sur le coût de la collecte des données. Grâce au projet pilote, il fut établi que cette méthode était praticable, économique et efficace puisqu'elle générait des taux de réponse plus élevés. Par conséquent, l'interview téléphonique fut adoptée pour 40 % de l'échantillon de 35 000 ménages interviewés chaque mois.

À la fin de février 1972, Walter E. Duffett invita Sylvia Ostry, titulaire d'un doctorat en économique et alors présidente du Conseil économique du Canada, à participer aux discussions sur l'Enquête sur la population active, qui faisait l'objet d'un examen approfondi. Une demande croissante de renseignements supplémentaires sur le marché du travail au Canada avait été observée en raison de l'augmentation des taux de chômage. Une équipe de projet fut formée en 1971 afin d'élaborer et de mettre en œuvre des changements importants qui touchaient pratiquement tous les aspects de l'enquête. De plus, de vastes consultations furent menées auprès des utilisateurs. Même si l'enquête remaniée ne fut mise en œuvre qu'en 1975, de grands changements furent apportés à l'enquête en 1972. Ainsi, en février, Statistique Canada commença à fonder son analyse sur des données désaisonnalisées, puis, en avril, des données par région infraprovinciale furent diffusées pour la première fois. L'organisme commença aussi à diffuser des données dans CANSIM et à classer les estimations des industries selon la nouvelle Classification type des industries de 1970.

La première Enquête sur les postes vacants, menée en 1971, fournissait des renseignements sur les postes vacants par groupe professionnel et par province. Ces données constituaient la première mesure officielle de la demande de main-d'œuvre au Canada, et les résultats furent utilisés pour la prise de décisions en matière de formation, d'orientation professionnelle et d'analyse générale du marché du travail. Des moyennes annuelles des taux d'embauche minimaux associés aux postes vacants furent établies dans le but de déterminer les taux d'embauche par profession, par industrie, par province et par région métropolitaine de recensement. Il existait toutefois déjà depuis 1962 un « indice de l'offre d'emploi » élaboré par le ministère fédéral des Finances selon les annonces d'offres d'emplois publiées dans certains quotidiens du pays. Cet indice fut pris en charge par Statistique Canada au cours de l'exercice 1973-1974.

Les débuts des comptes nationaux

Pendant son emploi à la Banque du Canada, Walter E. Duffett contribua à l'élaboration d'un cadre conceptuel pour le premier ensemble de comptes nationaux du Canada, en collaboration avec de nombreux autres acteurs clés, dont Simon A. Goldberg, Claude Isbister et Agatha Chapman. Dans les années 1930 et au début des années 1940, aucune méthode unique et largement acceptée ne permettait de définir et de mesurer le revenu national. Parmi les jalons importants de l'élaboration des comptes nationaux, soulignons le travail de John Maynard Keynes au Royaume-Uni, qui, en 1936, utilisa la théorie macroéconomique pour justifier l'intervention du gouvernement dans le cycle économique. Aux États-Unis, l'économiste Simon Kuznets fut le premier à élaborer un cadre conceptuel pour les comptes nationaux des revenus et des produits américains. Il reçut le prix Nobel d'économie en 1971. Au Canada, Robert H. Coats établit un comité des statistiques nationales sur le revenu en 1939, mais le Bureau ne fit que des progrès modestes jusqu'à l'établissement, en 1944, du service central de recherche et de développement à l'appui des efforts de reconstruction d'après-guerre. Le service était dirigé par George Luxton et par la directrice adjointe Agatha Chapman, qui était en détachement de la Banque du Canada.

À l'automne 1944, des spécialistes des États-Unis (Milton Gilbert), du Royaume-Uni (Richard Stone) et du Canada (George Luxton) tinrent des discussions à Washington, appelées les discussions tripartites, au sujet de l'élaboration d'un cadre théorique des statistiques sur le revenu national, qui donnent lieu à un accord sur les principaux concepts fondamentaux du système. George Luxton décéda en 1945, à l'âge de 31 ans. Claude Isbister fut alors nommé directeur du service de recherche et de développement, et Agatha Chapman fut chargée de l'élaboration des comptes. À l'été 1945 se tint la conférence fédérale-provinciale sur la reconstruction, au cours de laquelle Claude Isbister et Agatha Chapman présentèrent des estimations du produit national brut de 1938 à 1944 et des comptes des revenus et des dépenses par province. Ces comptes furent acceptés sans difficulté et ils devinrent la base du calcul des paiements de péréquation. Claude Isbister et Agatha Chapman assistèrent également à la Conférence de Princeton en décembre 1945, première réunion du sous-comité des statistiques du revenu national du comité d'experts statistiques de la Société des Nations. Il s'agissait là de la première tentative de normalisation internationale.

Les premières estimations annuelles des comptes équilibrés des revenus et des dépenses au Canada sont publiées en avril 1946. Elles furent utilisées à l'appui d'un nouveau programme fédéral de péréquation fiscale pour les provinces ainsi que des objectifs établis dans le Livre blanc du gouvernement sur l'emploi et le revenu déposé en 1945 et rédigé par W. A. Mackintosh, anciennement professeur à l'Université Queen's à Kingston, en Ontario. W. A. Mackintosh avait été recruté à Ottawa pendant la guerre pour aider à gérer l'effort de guerre. Il travailla pour le ministre Clarence Decatur Howe, responsable du ministère de la Reconstruction et des Approvisionnements. Il estimait qu'il était important de rassurer le pays à une époque où l'incertitude et la confusion commençaient à se faire jour en raison de la transition vers une économie en temps de paix et d'un retour possible aux conditions économiques difficiles d'avant la guerre. Dans son document, W. A. Mackintosh cite, à titre d'objectifs de la politique gouvernementale, des niveaux stables d'emploi et de revenu ainsi qu'une amélioration du niveau de vie.

Simon A. Goldberg, le père des comptes nationaux du Canada, eut la clairvoyance d'adapter le Livre blanc pour en faire le cœur des programmes économiques de l'organisme et conçut ainsi les premiers comptes nationaux trimestriels du pays. Les quelque 50 employés du service de recherche et de développement furent alors chargés de déconstruire l'économie, d'en classer les composantes, de leur associer des mesures et de les intégrer dans le cadre conceptuel du système de comptabilité nationale. La réalisation de ce mandat nécessita de nombreuses années : les premiers comptes nationaux trimestriels furent publiés en 1954 et le premier manuel de référence important fut publié en 1958.

Le début de la Guerre froide au Canada

L'économiste Agatha Chapman

Née en Angleterre en 1907, Agatha Chapman émigra au Canada avec sa famille. Sir Charles Tupper, père de la Confédération et premier ministre pendant un mandat, était son grand-père. Agatha Chapman était titulaire d'une maîtrise en économique de l'Université de Toronto, qui lui a décerné la prestigieuse bourse de recherche Maurice Cody. En outre, elle occupa le poste de présidente de la University College Women's Literary Society. Agatha Chapman entra au service de la société d'assurances Sun Life à Montréal, à titre d'économiste. Elle assistait aux réunions de la section régionale de McGill du Mouvement chrétien des étudiants, un mouvement activiste qui se concentrait sur des sujets comme la pauvreté, le désarmement et le fascisme.

En septembre 1945, Igor Gouzenko, un jeune chiffreur en poste à l'ambassade soviétique à Ottawa, fit défection en emportant des documents secrets révélant l'existence d'un réseau d'espionnage soviétique au Canada, particulièrement au sein de la fonction publique fédérale. Le gouvernement canadien prit alors Igor Gouzenko et sa famille sous sa protection, et l'information fut tenue secrète pendant que le premier ministre Mackenzie King et ses homologues américain et britannique tenaient des discussions au sujet de la question. À l'issue de celles-ci, Mackenzie King créa une commission royale d'enquête pour enquêter sur l'affaire. Il s'agissait de la commission Kellock-Taschereau, dirigée par les juges Robert Taschereau et Roy Lindsay Kellock. Elle fut rendue publique en février 1946 lorsqu'un chroniqueur américain fit courir des rumeurs à ce sujet. La commission recommanda l'arrestation de treize personnes, dont deux amis d'Agatha Chapman. Les personnes arrêtées par la police furent amenées à la caserne de la Gendarmerie royale du Canada à Rockcliffe pour être interrogées. La commission annonça finalement que le réseau d'espionnage était actif depuis 1924 au sein de plusieurs ministères au Canada, au haut-commissariat de Grande-Bretagne à Ottawa et au sein du projet de recherche nucléaire canado-britannique. L'affaireGouzenko marqua le début de la Guerre froide pour les Canadiens et mit au jour la vulnérabilité du pays en matière de sécurité, ce qui mena à la restructuration du système de sécurité nationale.

Agatha Chapman témoigna devant la commission en mars 1946. En juin, elle fut désignée par la commission comme une « espionne » et une « chef de cellule » communiste qui avait facilité la transmission de renseignements secrets à l'Union soviétique. À son audience, elle déclara qu'elle était membre de groupes d'étude qui discutaient de littérature socialiste et marxiste; les réunions étaient fréquentées par des personnes d'intérêt pour le comité. Bien qu'Agatha Chapman travaillât au Bureau fédéral de la statistique, son employeur demeurait la Banque du Canada, et le rapport devint public même si elle n'était pas encore en état d'accusation. Par conséquent, elle dut prendre un congé payé, à la demande de son employeur, jusqu'à ce que la question soit réglée. Dans le but de mettre fin à la stigmatisation associée au fait d'être nommée dans l'affaire, mais non accusée, Agatha Chapman demanda en août d'être traduite en justice afin d'être blanchie et de rétablir sa réputation. Le juge interrompit le procès après environ quatre heures et demie, les accusations ayant été retirées parce que la Couronne n'avait pas réussi à présenter de preuve concluante qu'Agatha Chapman était une agente soviétique. La défense n'eut même pas à plaider sa cause.

Pourtant, même si Agatha Chapman fut blanchie, sa vie ne reprit jamais son cours normal. La Banque du Canada l'informa qu'elle ne serait pas réintégrée dans son poste de recherche, et elle fut ostracisée par la fonction publique canadienne. Claude Isbister souligna, dans une lettre adressée à Richard Stone à Cambridge, le casier judiciaire vierge et l'immense talent d'Agatha Chapman, et déclara qu'il trouvait [traduction] « malheureux qu'il ne lui soit pas permis de retourner à la fonction publique ». Rapidement, elle fut embauchée par Richard Stone à Cambridge à titre d'économiste chargée de recherches; elle quitta le Canada en mars 1947. Après trois années productives à Cambridge, elle revint au Canada dans les années 1950 et forma un cabinet de conseil en recherche à Montréal. Elle mit fin à ses jours tragiquement en 1963. D'aucuns laissèrent entendre qu'elle ne s'était jamais remise du traumatisme de l'affaire Gouzenko.

Les employés de l'organisme connaissent peut-être déjà le nom d'Agatha Chapman; il s'agit du titre de l'un des prix décernés par l'organisme, le Prix de l'innovation Agatha-Chapman. Ce prix récompense les personnes qui ont fait preuve d'une volonté d'innovation et d'un dévouement envers l'élaboration d'idées dignes de mention.

Le Programme du recensement

Le premier recensement mené par le Bureau fédéral de la statistique après la guerre de 1914-1918 fut le Recensement de 1921. Celui-ci comprenait cinq annexes distinctes, ou questionnaires, portant sur la population, l'agriculture, les animaux et les produits d'origine animale, les fruits cultivés hors ferme, et les établissements manufacturiers et commerciaux. Il comprenait également un questionnaire supplémentaire pour les personnes aveugles ou sourdes.

Le Recensement de 1971 fit l'objet de plusieurs améliorations et innovations importantes. Il s'agit du premier recensement au cours duquel l'autodénombrement est adopté dans l'ensemble du pays; cette méthode n'était toutefois pas accessible aux personnes vivant en région éloignée (« quelques localités de Terre-Neuve » et les Territoires du Nord-Ouest figurent parmi les exemples donnés) et aux personnes vivant en établissement, soit 3 % de la population en tout. Il s'agissait d'un changement considérable dans les méthodes de collecte du recensement, puisque tous les recensements jusqu'alors avaient été menés par interview. L'autodénombrement permit à l'organisme de réduire au minimum le nombre d'erreurs des recenseurs et d'améliorer la qualité des données, tout en répondant aux préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels et au fardeau des répondants. Parallèlement à l'autodénombrement, une aide téléphonique fut mise en place pour la première fois pour aider la population canadienne à remplir les questionnaires.

L'échantillonnage fit aussi partie intégrante du Recensement de 1971 : la plupart des questions furent posées à un ménage sur trois. Un questionnaire « abrégé », qui comprenait des questions de base sur la population et le logement, fut distribué aux deux tiers des ménages canadiens. Un questionnaire « détaillé », distribué à une partie de la population, contenait des questions supplémentaires sur le logement et sur la situation socioéconomique des ménages. La première utilisation, au Canada, de l'échantillonnage aux fins d'un recensement remonte au Recensement du logement de 1941, dans le cadre duquel fut recueilli un enregistrement descriptif des renseignements d'un logement occupé sur dix dans le Dominion. Le Recensement de 1941 eut lieu à la suite d'une décennie de dépression et de près de deux ans de guerre, période dont les effets sociaux et économiques connexes étaient sans précédent. L'expansion rapide de la production agricole et industrielle pendant la guerre entraîna des mouvements de population généralisés, qui créèrent de graves pénuries de logements. En outre, des préoccupations avaient été exprimées quant à l'état des logements. Après la Première Guerre mondiale, une commission royale fut chargée d'étudier les problèmes sociaux et industriels du Canada et fit rapport sur « la pénurie de maisons et le mauvais état de celles qui existaient ». Il fut toutefois plus tard reconnu que ce rapport n'était pas fondé sur des statistiques exhaustives. Par conséquent, le Recensement du logement de 1941 fut jugé important pour le rétablissement d'après-guerre.

Le Recensement de 1971 fut aussi marqué par l'introduction du géocodage pour permettre l'adaptation personnalisée des zones d'intérêt. Une autre innovation importante de l'époque fut la contre-vérification des documents, qui visait à déterminer le nombre de personnes oubliées lors du recensement. Il s'agissait également du premier recensement au cours duquel fut effectué un appariement agriculture-population au moyen de la combinaison des données du Recensement de l'agriculture et de celles du Recensement de la population et des logements. En plus de coder manuellement les réponses écrites des questionnaires sur la population et les logements, les bureaux régionaux de traitement jumelaient manuellement les questionnaires du Recensement de la population et des logements avec ceux du Recensement de l'agriculture en vue d'un couplage informatisé ultérieur à Ottawa. Ce processus permit la création d'une riche base d'information socioéconomique offrant de nouvelles possibilités analytiques.

Parallèlement, le Recensement de 1971 fut le théâtre de protestations de la part des défenseurs de la libération des femmes au sujet de la désignation de l'époux comme chef de ménage. À l'époque, le chef de ménage était défini comme « l'époux lorsque deux conjoints sont présents [ou] le père ou la mère (quel que soit l'âge ou la dépendance) s'il n'y en a qu'un des deux avec des enfants célibataires ». Cinq ans plus tard, la définition fut modifiée pour désigner l'époux ou l'épouse. Puis, en 1981, le terme « chef de ménage » fut supprimé et remplacé par le terme « Personne 1 », qui évoque moins un ordre hiérarchique.

Coup d'œil rétrospectif sur les premiers recensements

Les premiers recensements nécessitaient beaucoup de main-d'œuvre. Pour expliquer le temps requis pour mener le recensement, le bulletin no 1 du Recensement de 1891 précise que 4 300 recenseurs [traduction] « ont dû traverser l'immense région du Canada par toutes les méthodes imaginables de locomotion. À bord d'un navire à vapeur, les recenseurs ont suivi la côte escarpée du Pacifique jusqu'en Alaska et, de là, ils se sont rendus jusqu'aux îles de la Reine-Charlotte pour dénombrer les gens. Dans les régions montagneuses de la province, les recenseurs ont dû parcourir à cheval, avec leurs dossiers, les vallées qui longent les collines des Rocheuses. Ils ont eu besoin de traîneaux à chiens pour se déplacer en Saskatchewan. Pour dénombrer la population sur le versant nord de la ligne de partage des eaux en Ontario et au Québec, les recenseurs ont dû entreprendre une expédition en canot à partir de la pointe de la rivière du Lièvre pour se rendre, en canot et par portage, à la rivière Albany, à la baie James. Les recenseurs ont eu recours à de l'équipement de camping et à des canots pour dénombrer la population dans le district de Nipissing, juste au-delà de la ligne de partage des eaux. Au Manitoba, les recenseurs ont dû continuer tantôt à pied, tantôt en chariot ou en bateau; il y a même eu un homme qui, s'étant perdu, survécut en abattant son propre cheval pour le manger. Dans de nombreux cantons d'Algoma, les recenseurs ont dû effectuer le dénombrement à pied, méthode lente et difficile. Pour dénombrer les habitants du versant nord du golfe du Saint-Laurent, les recenseurs sont montés à bord d'une goélette et ont effectué maints arrêts à divers endroits jusqu'au détroit de Belle Isle, après quoi la goélette s'est dirigée vers l'île d'Anticosti, qui a fait l'objet du recensement. Puis, la goélette est retournée au détroit et est redescendue le long de la côte tout en récupérant les recenseurs jusqu'à l'embouchure de la rivière Saguenay. Les retards sont donc inévitables. Aucune échéance précise ne peut être imposée aux recenseurs. »

L'émergence de l'échantillonnage

Dans la foulée de la dépression des années 1930 et des bouleversements de la Seconde Guerre mondiale, le recours à l'échantillonnage aida le Bureau à répondre à une demande sans précédent de statistiques. L'échantillonnage, qui permettait de produire des données plus rapidement et à moindre coût, tout en réduisant le fardeau de réponse aux questionnaires, fournit une aide inestimable au Bureau et fut indispensable aux besoins croissants en information du pays. La première enquête importante dans le cadre de laquelle le Bureau eut recours à l'échantillonnage fut l'Enquête sur la population active de 1945, notamment grâce aux efforts de Nathan Keyfitz, une sommité de la démographie et l'un des anciens employés les plus éminents de Statistique Canada, qui travailla au Bureau de 1936 à 1959. En 1948, la Loi sur la statistique fut modifiée pour autoriser la collecte des statistiques au moyen de l'échantillonnage.

Les temps ont changé, n'est-ce pas, M. Talon?

L'introduction de l'autodénombrement au Recensement de 1971 donna lieu au slogan « Soyez du nombre », qui visait à sensibiliser le public à l'importance du recensement et à appuyer l'autodénombrement. Un film fut réalisé, intitulé Les temps ont changé, n'est-ce pas, M. Talon? en français et On a Clear Day You Can Count Forever en anglais. Le titre en anglais se veut probablement un jeu de mots sur le titre de la populaire chanson de Barbra Streisand, On a Clear Day You Can See Forever, sortie l'année précédente. Un timbre-poste commémoratif fut émis le jour du recensement, et des clichés d'oblitération spéciaux pour le recensement furent utilisés dans 200 bureaux de poste d'un bout à l'autre du pays. En outre, un million d'élèves participèrent à un exercice de recensement en classe, un projet public à participation volontaire dans le cadre duquel les élèves et, par extension, leurs parents, étaient amenés à se familiariser avec le recensement et la méthode d'autodénombrement.

Sur la scène internationale

Les contributions de Statistique Canada à l'échelle internationale commencent dans les années 1920 avec la participation de Robert H. Coats à la première Conférence des statisticiens de l'Empire britannique, au cours de laquelle il fit ardemment la promotion de la centralisation des statistiques. Dans les années 1930, l'organisme continua de contribuer aux travaux statistiques de la Société des Nations (qui fut par la suite remplacée par les Nations Unies) et de l'Organisation internationale du travail. En 1935, le gouvernement britannique chercha à savoir si le gouvernement du Canada permettrait qu'un agent du Bureau fédéral de la statistique soit détaché en Palestine pendant trois ans à titre de chef d'un nouveau bureau de la statistique. Sedley Anthony Cudmore, qui devint plus tard statisticien fédéral après le départ à la retraite de Robert H. Coats, fut alors détaché auprès du nouveau bureau. Dans les années 1940, après une période d'accalmie pendant la guerre, la prestation d'une aide technique à l'échelle internationale devint pratique courante.

Dans les années 1970, Statistique Canada continua de s'intéresser aux besoins de statistiques des pays en voie de développement et offrit notamment un soutien aux activités de traitement du Recensement de 1970 dans les Antilles. En collaboration avec l'Agence canadienne de développement international, l'organisme transféra l'ancien ordinateur IBM S/360-30 au centre informatique de la University of the West Indies de Kingston, en Jamaïque, pour le traitement du recensement.

Le Bureau contribua également à la préparation de la septième Conference of Commonwealth Statisticians, tenue en Inde à l'automne 1970, d'autant plus que la conférence précédente avait eu lieu à Ottawa en 1966. Cette dernière avait duré près de deux semaines, du 19 au 30 septembre 1966, et avait accueilli 22 délégués de 15 pays, notamment Walter E. Duffett, Simon A. Goldberg et Lorne E. Rowebottom du Canada, des observateurs du secrétariat général du Commonwealth, de la République d'Irlande et du Bureau de statistique des Nations Unies, et des spécialistes du Bureau fédéral de la statistique du Canada et des Antilles. Mitchell Sharp, alors ministre des Finances, donna le coup d'envoi officiel de la conférence. C'est aussi lui qui, lorsqu'il était sous-ministre du Commerce, avait recommandé Walter E. Duffett pour le poste de statisticien fédéral à son ministre, C. D. Howe. La toute première Conference of Commonwealth Statisticians eut lieu à Londres en 1920 et elle fut suivie de celle d'Ottawa en 1935, de celle de Canberra en 1951, de celle de Londres en 1956 et de celle de Wellington en 1960. La sixième conférence visait à promouvoir l'établissement de liens et la collaboration entre les hauts fonctionnaires de chaque pays du Commonwealth, en raison de la croissance de l'indépendance par rapport au Royaume-Uni qui, au fil des ans, avait donné lieu à une augmentation du nombre de pays participants.

Un rôle plus actif dans la diffusion de l'information

La banque de données la plus connue de l'organisme est appelée CANSIM, ou Système canadien d'information socioéconomique. La Division de l'information fut chargée de la mise en œuvre de la première phase de CANSIM. Le système, conçu aux États-Unis à la Southern Methodist University, au Texas, et importé au Canada en 1965 par le Conseil économique du Canada avant d'être remis au Bureau fédéral de la statistique en 1966, fut lancé en 1969. Il était alors programmé en langages de programmation FORTRAN et COBALT. Les données étaient entrées dans le système à l'aide de cartes perforées. Les premières données de la banque de données furent celles des comptes nationaux. En 1968, le système contenait 2 500 séries chronologiques, qui exigeaient une mémoire gigantesque de 100 kilo-octets. Par comparaison, en 2017, les 72 millions de séries chronologiques accaparaient plus de 300 gigaoctets d'espace de stockage. L'accès électronique à CANSIM fut introduit en 1972 pour les employés du gouvernement fédéral par l'entremise de terminaux à distance, puis un an plus tard pour le grand public par l'entremise de distributeurs secondaires. Il fut rapatrié à Statistique Canada en 1984.

Une employée travaille avec une machine Vari-Typer, vers 1950
Des employés travaillent dans une imprimerie, vers 1960

Un accent accru sur l'actualité des données

Au début des années 1970, l'organisme, à titre de diffuseur de données, s'efforça d'adopter une approche orientée vers l'action plutôt que vers la réaction. Il s'employa activement à améliorer la rapidité de diffusion de ses données et mit d'abord l'accent sur les statistiques de l'emploi, des salaires, des importations et des exportations, du commerce de détail, et de la production industrielle. Cette réorientation découlait en grande partie des résultats d'un sondage auprès des utilisateurs, réalisé en 1968 par un groupe de travail sur l'information gouvernementale, dans le cadre duquel les répondants avaient critiqué l'actualité, l'utilité, la clarté et l'accessibilité des données de l'organisme. Des efforts avaient été déployés à l'échelle de l'organisme, à partir de la fin des années 1960, pour améliorer l'actualité des données, donnant lieu à des analyses pour déterminer la cause des retards et trouver les moyens de les éliminer. Bien entendu, les plans à plus long terme comprenaient la conversion au traitement automatique des données. Rappelons que, à l'époque, l'informatique n'en était encore qu'à ses balbutiements et ni l'ordinateur de bureau ni le courriel n'existaient. Pour calculer les résultats, il fallait transporter de lourdes boîtes de cartes perforées, utiliser des machines pour percer les cartes et des lecteurs de cartes pour entrer les données dans l'ordinateur, puis de volumineux documents de résultats étaient imprimés. La communication se faisait par téléphone ou au moyen de notes de service tapées à la machine, et l'information était diffusée au public uniquement au moyen de publications imprimées, qui étaient entreposées et omniprésentes. En fait, les comptes nationaux étaient compilés au crayon, dans d'épais registres aux pages usées. La question de l'actualité était particulièrement importante dans le cas des comptes : les comptes trimestriels étaient diffusés dans un délai de 90 jours suivant leur collecte, délai jugé beaucoup trop long par les utilisateurs. En outre, aux États-Unis, les mêmes données étaient diffusées beaucoup plus rapidement. Pour rectifier le tir, l'organisme prit des mesures afin de réduire le temps nécessaire à la compilation des données des comptes à 60 jours, un délai en vigueur encore aujourd'hui.

L'adoption d'une politique sur la diffusion officielle

Jusqu'au début des années 1970, l'organisme dut composer avec les effets de sa croissance très rapide. Malgré les changements organisationnels réalisés par Walter E. Duffett pour renforcer la haute direction, certains secteurs de l'organisme utilisaient encore des approches différentes pour effectuer des tâches comme la transmission des documents avant leur diffusion. À leur diffusion, les documents étaient transmis en mains propres, par la poste et par télégramme codé à divers ministères, bureaux régionaux, gouvernements provinciaux et même à des entreprises et à des associations industrielles. De nombreux accords de longue date étaient en place et visaient, par exemple, à améliorer les délais ou encore les relations avec les entreprises répondantes en favorisant la coopération pour le partage d'information. Les politiques relatives à la transmission des documents avant leur diffusion n'étaient pas clairement établies ni diffusées dans l'ensemble de l'organisme. En juillet 1971, le Comité de direction exprima son insatisfaction à l'égard de la transmission des documents avant leur diffusion et recommanda l'élaboration d'une politique sur la diffusion des données. Des discussions se tinrent tout au long de l'automne. Cependant, en octobre et en novembre 1971, des données de l'Enquête sur la population active firent l'objet de fuites dans la Montreal Gazette. À l'époque, Statistique Canada et le ministère de la Main-d'œuvre et de l'Immigration collaboraient à l'élaboration de communiqués conjoints au sujet de l'Enquête sur la population active, et le ministère de la Main-d'œuvre contribuait à l'analyse des données. Les deux ministères menèrent chacun des enquêtes pour déterminer la source des fuites. Walter E. Duffett demanda également au ministère des Finances de mener une enquête, mentionnant dans sa lettre de demande que [traduction] « le journaliste en question a dit à mon personnel qu'il avait une bonne source et qu'il continuerait à l'utiliser ». Dans un cas, un agent du ministère des Finances s'était adressé à la presse à 7 h 50, car il croyait que le communiqué avait été diffusé à 7 h 30 alors que la diffusion officielle était prévue pour 8 h. Pour réduire le risque de fuites de données, une politique sur la diffusion officielle fut élaborée. Elle prévoyait, entre autres, l'utilisation systématique du Quotidien pour la diffusion de toutes les données et l'approbation du statisticien en chef à toute transmission de données avant leur diffusion. La diffusion des communiqués conjoints au sujet de l'Enquête sur la population active cessa, et Statistique Canada assuma à lui seul l'analyse des données. Cette décision ne fut pas prise parce que le ministère de la Main-d'œuvre et de l'Immigration était responsable de la fuite des données : il s'agissait plutôt de réduire le nombre de personnes ayant accès aux données avant leur diffusion. L'organisme commença aussi à diffuser les données de l'Enquête sur la population active deux jours plus tôt, et l'accès aux données avant leur diffusion fut restreint au ministère des Finances, à celui du Travail et à celui de la Main-d'œuvre et de l'Immigration exclusivement. La source des fuites de données ne fut jamais découverte.

Un changement de direction

Des employés en face de l'immeuble Principal, situé au pré Tunney, à Ottawa, 1966

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, l'organisme se pencha sur l'élaboration d'un système de planification qui lui permettrait d'établir des priorités et d'orienter la planification à long terme. Un groupe central de planification fut créé sous la direction de Simon A. Goldberg. La planification ne semblait pas progresser très rapidement, et le Comité de direction ne cessait de renvoyer le groupe de planification à la case départ. L'organisme savait, tout comme le Bureau du Conseil privé (BCP) et le gouvernement de l'époque, qu'il devait améliorer sa planification, mais il ne semblait pas être en mesure d'y parvenir assez rapidement.

Dans cette optique, en février 1972, le document de Simon A. Goldberg intitulé Towards the development of a comprehensive medium term plan for Statistics Canada [vers l'élaboration d'un plan exhaustif à moyen terme pour Statistique Canada] fut présenté à la deuxième réunion du Comité consultatif interministériel sur la statistique. Ce document visait à fournir un cadre et un contexte pour les délibérations du Comité ainsi que des lignes directrices générales et une orientation pour les examens des programmes prévus au cours de l'exercice 1973-1974. Le Comité, créé en 1971 pour recueillir les points de vue objectifs d'autres ministères fédéraux sur le contenu du programme statistique et sur la capacité en matière de prestation de services de l'organisme, fut rapidement aboli, car il n'avait pas tout à fait l'objectivité voulue; il s'était rapidement transformé en groupe de pression faisant la promotion des intérêts ministériels.

À cela venait s'ajouter une autre complication : le Bureau avait connu une croissance extrêmement rapide, mais il avait perdu beaucoup d'employés chevronnés au cours des années précédentes en raison des écarts au chapitre des salaires offerts par la Commission de la fonction publique entre les ministères responsables de l'élaboration des politiques et ceux qui ne l'étaient pas. Les recommandations faites auparavant par le Bureau au centre pour la promotion du personnel avaient entraîné des négociations prolongées, longues et frustrantes. En raison des écarts au chapitre des salaires, le Bureau n'était pas en mesure de recruter ou de conserver des employés chevronnés, qui choisissaient de travailler pour d'autres ministères. Même si le rapport de la commission Glassco recommanda de mettre fin à l'écart salarial pour les employés du Bureau, les effets de la perte de personnel chevronné se faisaient probablement encore sentir au début des années 1970.

En janvier 1970, les membres d'un comité du Cabinet qui discutaient des sujets à inclure au Recensement de 1971 demandèrent à obtenir une note de service sur la méthode d'établissement des priorités utilisée pour répondre aux besoins de statistiques du gouvernement et pour classer les besoins des ministères. Le comité souhaitait ainsi veiller à ce que les priorités du Bureau soient harmonisées avec celles de l'ensemble du gouvernement. Le comité demanda également de l'information sur l'ampleur des chevauchements dans la collecte de l'information et sur la façon d'éviter ces chevauchements. En réponse à ces demandes, le ministre de l'époque, Jean-Luc Pépin, remit au comité un rapport préparé par Walter E. Duffett. Le rapport faisait état de certaines des difficultés rencontrées par l'organisme sur le plan de la détermination des besoins à long terme du gouvernement et des ministères; il contenait également un certain nombre de suggestions. Figurait parmi ces suggestions la création d'un comité consultatif de hauts fonctionnaires présidé par le BCP. Le rapport recommandait aussi que l'organisme cherche à améliorer et à élargir ses procédures de consultation interministérielle, que le BCP mette à la disposition du statisticien en chef des documents faisant état de la mise en œuvre des priorités gouvernementales et que les deux parties se consultent à intervalles réguliers. Ce n'est toutefois que trois ans plus tard que le BCP communiqua pour la première fois à Statistique Canada, alors sous la direction de Sylvia Ostry, des documents pertinents du Cabinet pour aider l'organisme à mieux comprendre les nouvelles exigences en matière d'information concernant l'élaboration et l'évaluation des politiques et pour l'aider à répondre aux besoins du gouvernement fédéral. Walter E. Duffett avait eu énormément de difficulté à obtenir la collaboration du BCP, et ses lettres au BCP et au ministre Jean-Luc Pépin traduisaient sa frustration grandissante quant à son incapacité à répondre pleinement à la demande du comité sans leur contribution et leur collaboration. Le BCP justifia sa réponse tardive en précisant qu'il devait tout d'abord examiner des questions fondamentales concernant le rôle et la fonction de l'organisme. Walter E. Duffett estima alors qu'il y avait un manque de confiance à son égard et fit savoir qu'il souhaitait prendre sa retraite. Il prit officiellement sa retraite le 30 juin 1972 et il fut nommé vice-président du Conference Board du Canada. Quelques années plus tard, il entra au service de l'Institut interaméricain de la statistique, d'abord comme vice-président, puis comme président. Il fut aussi nommé rédacteur en chef fondateur de la Canadian Business Review, lancée en 1974. Walter E. Duffett est décédé en 1982.

En mai 1972, pendant la fête de départ à la retraite de Walter E. Duffett au Centre national des Arts, Jean-Luc Pépin, ministre responsable de Statistique Canada, prononça un discours. Il évoqua l'approche directe et approfondie de Walter E. Duffett et souligna qu'il était un homme précis et persuasif, doué d'une force tranquille. [Traduction] « Nous tous, membres du Cabinet, reconnaissons les réalisations nombreuses et substantielles de Walter. Le Bureau, sous sa direction, gagna l'estime du public et de la communauté internationale. Depuis le début du mandat de Walter, il y a plus de 15 ans, nous avons vu Statistique Canada gagner énormément en solidité et en productivité. »

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