Rapports sur la santé
La santé mentale des immigrants et des réfugiés : données canadiennes provenant d’une base de données couplée au niveau national

par Edward Ng et Haozhen Zhang

Date de diffusion : le 19 août 2020

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202000800001-fra

Dans l’ensemble, on remarque qu’à leur arrivée, les immigrants sont en meilleure santé que la population née au Canada; ce phénomène est appelé l’effet de la « sélection d’immigrants en bonne santé » ou l’effet de l’immigrant en bonne santé (EIBS). L’avantage initial en matière de santé semble cependant disparaître au fil du temps, en partie en raison du stress et d’autres défis d’intégrationNote 1Note 2Note 3. Que cet EIBS et sa détérioration s’appliquent également à la santé mentale est un domaine de recherche continueNote 4Note 5Note 6Note 7Note 8Note 9Note 10. Le Plan des niveaux d’immigration du gouvernement canadien stipule que près d’un million d’immigrants seront admis au Canada entre 2018 et 2020 et que le nombre d’immigrants au Canada augmentera, passant de 7,5 millions à plus de 12 millions d’ici 2036 (c.-à-d. près de 30 % de la population canadienne)Note 11Note 12. Du fait de la croissance de la population des immigrants au Canada, il est important de surveiller leur santé (y compris leur santé mentale). Compte tenu de la pandémie de COVID-19 et de son incidence sur la santé mentale, la présente étude peut servir de référence à de futures études sur les répercussions à plus long terme de la COVID-19 sur la santé mentale des immigrants, par catégorie d’immigrantsNote 13.

Une étude antérieure sur la santé mentale des immigrants au Canada, typiquement fondée sur un petit échantillon d’immigrants récents ou de réfugiés de diverses parties du monde déchirées par la guerre, a révélé que les immigrants au Canada présentaient un désavantage en matière de santé mentaleNote 14Note 15. De récentes études fondées sur des enquêtes représentatives au niveau national ont, en revanche, indiqué que les immigrants avaient un avantage en matière de santé mentale par rapport à leurs homologues nés au Canada en termes de santé mentale autodéclarée (SMAD) et de troubles de santé mentale plus précis. Ces études ne sont cependant pas aussi cohérentes pour déterminer si et quand l’avantage en matière de santé mentale des immigrants se dissipait au fur et à mesure de leur présence au CanadaNote 3Note 9Note 10Note 16Note 17.

Une dimension importante à examiner lors de l’étude de la santé des immigrants est la catégorie d’admission. Parce que les immigrants sont sélectionnés au sein de catégories d’admission (principalement les immigrants économiques, le regroupement familial et les réfugiés) et ont vécu une expérience distincte avant leur migration et font l’objet d’exigences de sélection différentes, les résultats en matière de santé mentale après la migration peuvent différer par catégorie d’admissionNote 18. Peu d’études ont examiné la santé mentale des immigrants au Canada selon la catégorie d’admission par rapport au groupe de référence né au Canada. Un obstacle clé à l’étude de la santé des immigrants par catégorie d’admission est le manque d’ensembles de données assez importants comprenant des variables détaillées en matière d’immigration. Des exceptions comprennent des études provinciales couplant des enregistrements d’immigrants provenant de fichiers d’admissions récents à des enregistrements provinciaux sur la santé, comme des dossiers hospitaliers et de laboratoires pour l’OntarioNote 19. Généralement, ces études ne comprennent pas de groupe de comparaison bien défini né au Canada, puisque les données non couplées de ces projets de couplage d’enregistrements comprennent à la fois des personnes nées au Canada et des immigrants plus établis. De plus, une étude fondée sur l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC) a révélé que les réfugiés présentaient un risque plus élevé en matière de santé mentale que d’autres sous-groupes d’immigrants. Toutefois, l’ELIC n’a pas fourni de groupe de référence né au Canada permettant les comparaisonsNote 10. Coupler l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) et la Base de données longitudinales sur l’immigration (BDIM) permet d’étudier les résultats en matière de SMAD des immigrants pour toutes les catégories d’admission au niveau national, tout en comprenant une population de référence bien définie née au Canada. La présente étude, fondée sur la base de données ESCC-BDIM, comble une lacune en matière d’information en permettant d’examiner la SMAD des répondants à l’enquête immigrants et nés au Canada, en tenant compte de facteurs d’influence. De plus, la santé mentale des immigrants a été examinée selon trois dimensions liées à l’immigration : la catégorie d’admission, la région d’origine et le temps écoulé depuis l’établissement. Il est important d’étudier le temps écoulé depuis l’établissement, afin d’évaluer si l’avantage de santé mentale perçu varie au fil du temps. La région d’origine est importante, car des différences de langue, de culture, d’institutions et de politiques entre le Canada et le pays d’origine des immigrants influent sur les résultats en matière de santé mentale de ces derniers après la migrationNote 1Note 20Note 21Note 22.

La présente étude aborde trois questions de recherche. Premièrement, la SMAD diffère-t-elle entre les répondants nés au Canada et les répondants immigrants? Deuxièmement, la SMAD des immigrants diffère-t-elle selon les trois dimensions sélectionnées par rapport à celle des répondants nés au Canada? Troisièmement, la SMAD des immigrants varie-t-elle selon le temps écoulé depuis l’établissement au sein de chaque catégorie d’admission et région d’origine? Pour répondre à ces questions, on a examiné les données corrigées en fonction de facteurs socioéconomiques et du sentiment d’appartenance.

Données et méthodes

Sources de données

Le Fichier des immigrants reçus (FIR) est un recensement administratif des personnes ayant immigré au Canada depuis 1980 et présente des renseignements sur l’âge, le sexe et d’autres caractéristiques relatives à l’immigrant au moment de son établissement (p. ex. la catégorie d’admission). La BDIM est une base de données combinant le FIR et les fichiers canadiens de données fiscales des immigrants. Ni le FIR ni la BDIM ne comprend des renseignements relatifs à la santéNote 23Note 24. Menée pour la première fois en 2001 (cycle 1.1), l’ESCC comprend des renseignements transversaux sur la santé, les comportements et le recours aux soins de santé de la population à domicile, ne résidant pas dans un établissement institutionnel, âgée de 12 ans et plusNote 25. Globalement, environ 84 % des répondants à l’ESCC ont accepté de partager leurs données et qu’elles soient couplées à d’autres sources de données. Ce couplage ESCC-BDIM a été effectué dans l’Environnement de couplage des données sociales (ECDS) au sein de Statistique Canada, en utilisant une base de données relationnelle dynamique d’identificateurs personnels de base : le Dépôt d’enregistrements dérivés (DED)Note 26. Environ 6,7 millions des 6,9 millions d’enregistrements admissibles du FIR existant entre 1980 et 2013 (97 %) figuraient dans le DED sous la forme d’identificateurs communs ou y ont été ajoutés comme nouveaux facteursNote 27. De la même façon, les données d’environ 95 % des répondants à l’ESCC ayant accepté le partage et le couplage de leurs enregistrements entre 2001 et 2014 ont été couplées au DED. Au total, les données de 39 420 répondants à l’ESCC ont été couplées au FIR et à la BDIM par l’intermédiaire du DED. Sur les 46 905 répondants à l’ESCC s’étant autodéclarés comme immigrants reçus entre 1980 et 2013, 37 610 (80 %) ont été couplés à la BDIMNote 28. De plus amples détails sur les enquêtes et le couplage figurent dans d’autres documentsNote 29.

Du fait de la couverture de la BDIM, les immigrants arrivés au Canada avant 1980 ont été exclus de l’échantillon d’analyse. Des poids spéciaux d’échantillonnage de partage/couplage et des poids bootstrap ont été utilisés pour corriger le refus de couplage. La validation a indiqué que le fichier ESCCBDIM couplé est représentatif des cohortes d’immigrants par catégorie d’admissionNote 30. Plus particulièrement, la répartition des caractéristiques du fichier couplé a été comparée à celle obtenue pour les fichiers d’entrée du FIR, de la BDIM et de l’ESCC. Aucune divergence socioéconomique notable n’a été relevée entre le fichier couplé et l’ESCC ou la BDIM.

Création et définition de l’échantillon d’étude

La présente étude a eu recours à un échantillon regroupé de répondants à l’ESCC annuelle entre 2011 et 2014, inclusivement (n = 208 919), représentant des immigrants reçus entre 1980 et 2013. Pour simplifier, le terme « immigrants » sera utilisé pour désigner les répondants à l’ESCC couplés à la BDIM. Ont été exclus de l’échantillon d’analyse 7 % des répondants à l’ESCC de l’échantillon regroupé s’étant déclarés immigrants, mais étant arrivés au Canada avant 1980 et un autre 1 % autodéclarés comme immigrants après 1980, mais dont le couplage à la BDIM a échoué. L’échantillon final de l’étude a inclus 12 491 immigrants et 179 275 répondants nés au Canada, représentatifs d’une population totale de 26 millions de personnes.

Résultats et principales variables associées à l’immigration

Cette étude a utilisé la santé mentale autodéclarée (SMAD) comme principal résultat. La SMAD a été associée à des mesures à éléments multiples de la santé mentale, de la santé autoévaluée et des problèmes de santéNote 31. Il s’agit d’un élément unique pour lequel les répondants évaluent leur santé mentale générale sur une échelle de cinq points, allant d’excellente à mauvaise. Pour limiter la perte de données, la valeur centrale de « bonne » a été imputée aux réponses manquantes. La SMAD a été jugée élevée si les répondants l’ont déclarée comme étant très bonne ou excellente. Cette approche, contrastant avec de nombreuses études antérieures fondées sur une mauvaise santé mentale regroupant les valeurs « mauvaise » et « très mauvaise » comme bas niveaux de SMAD, a été adoptée pour accroître la taille de l’échantillon des résultats.

La catégorie d’admission des immigrants et le temps écoulé depuis leur établissement provenaient d’enregistrements de la BDIM. Le temps écoulé depuis l’établissement, défini comme la différence entre l’année d’établissement figurant dans la BDIM et l’année de l’ESCC, a été réparti dans les catégories « récents » (immigrants ayant répondu à l’enquête dans les 10 ans suivant leur établissement) et « établis » (10 ans et plus).

Les catégories d’admission des immigrants comprennent la catégorie des immigrants économiques, la catégorie du regroupement familial, les réfugiés et les autres immigrants. Puisque cette dernière catégorie est de petite taille (n = 500), les résultats pour cette catégorie ne seront pas présentés dans cette étude, même si ces personnes ont été incluses dans les résultats relatifs à l’ensemble des immigrants. Les pays de naissance des immigrants ont également été classés selon huit régions d’origine comme suit : (1) États-Unis+ (c.-à-d. États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande et Europe de l’Ouest), (2) Amérique latine et Caraïbes, (3) Europe de l’Est, (4) Afrique subsaharienne, (5) Moyen-Orient et Asie de l’Ouest, (6) Asie du Sud, (7) Asie du Sud-Est et (8) Asie de l’Est.

Caractéristiques démographiques, sociales et économiques sélectionnées dans l’ESCC

L’âge a été regroupé en quatre catégories : de 12 à 24 ans, de 25 à 39 ans, de 40 à 64 ans et 65 ans et plus. Le sexe déclaré était homme ou femme (un très faible nombre de réponses manquantes ont été exclues). Les caractéristiques sociales comprenaient les compétences autodéclarées en langues officielles (anglais et français, anglais seulement, français seulement, ni l’anglais ni le français), le niveau de scolarité (pas d’études postsecondaires, études postsecondaires ou plus) et l’état matrimonial (marié ou en union libre; veuf, séparé ou divorcé; célibataire ou jamais marié). Les caractéristiques économiques comprenaient le décile de revenus des ménages, mesuré au niveau de la région sociosanitaire et classé selon les catégories 20 % inférieurs, 60 % moyens et 20 % supérieurs. La situation d’emploi des répondants la semaine précédant l’ESCC a été classée selon les catégories : ayant un emploi, n’ayant pas d’emploi ou incapacité permanente. Enfin, le sentiment d’appartenance des répondants s’est basé sur une seule question : « Comment décririez-vous votre sentiment d’appartenance à votre communauté locale? Diriez-vous qu’il est : très fort, plutôt fort, plutôt faible ou très faible? » Les répondants ayant répondu « fort » et « très fort » ont été classés comme ayant un fort sentiment d’appartenance à leur collectivité. Même si la collectivité au sujet de laquelle les répondants éprouvent un fort sentiment d’appartenance n’a pas été indiquée explicitement (p. ex. leur groupe d’immigrants ou leur quartier), une étude indique que le sentiment d’appartenance à la collectivité est fortement corrélé à la santé mentale et physiqueNote 32Note 33.

Méthodologie

On a d’abord examiné de façon descriptive les caractéristiques de cohorte et la prévalence de SMAD élevée selon le statut d’immigrant (personnes nées au Canada par rapport aux immigrants en général) et selon les trois dimensions relatives à l’immigration sélectionnées (catégorie d’admission, temps écoulé depuis l’établissement et région d’origine). Les régressions logistiques ont permis d’examiner les cotes exprimant la possibilité de SMAD élevée selon les dimensions susmentionnées par rapport à la population de référence née au Canada. Pour examiner plus précisément l’incidence du temps écoulé depuis l’établissement sur la population d’immigrants, des régressions logistiques ont été effectuées afin d’examiner les écarts de SMAD selon les dimensions recoupées de catégorie d’admission (ou de région d’origine) en fonction du temps écoulé depuis l’établissement, en utilisant les immigrants économiques récents (ou les immigrants récents de la catégorie États-Unis+) comme groupe de référence. On a étudié les différences de SMAD en tenant hiérarchiquement compte, dans les modèles 2 à 5, de l’âge et du sexe, ainsi que d’éventuels facteurs d’influence, p. ex. des facteurs sociaux (langues officielles, niveau de scolarité et état matrimonial), de caractéristiques économiques (décile de revenu au niveau de la région sociosanitaire et situation d’emploi) et du sentiment d’appartenance, dans le contexte de la régression logistique. Ces éventuelles influences peuvent avoir des répercussions négatives sur la santé mentale d’une personne. On doit donc en tenir compte dans l’analyse. Les immigrants ayant un sentiment moins élevé d’appartenance à leur collectivité locale peuvent, par exemple, présenter un plus grand risque de problèmes de santé mentale. Toutes les analyses ont été effectuées dans le système d’analyse statistique SAS et SUDAAN à l’aide de poids de partage/couplage combinés de l’ESCC et de poids bootstrap pour l’estimation de la variance.

Résultats

Caractéristiques descriptives

Le tableau 1 présente les caractéristiques descriptives pour 191 800 répondants représentant une population estimée à 26 millions de personnes. Environ 16 % de l’échantillon de l’étude étaient des immigrants arrivés entre 1980 et 2013. La majorité de ces immigrants ont été admis dans la catégorie des émigrants économiques (53 %), suivie de la catégorie du regroupement familial (30 %), de celle des réfugiés (13 %) et autres (4 %; données non présentées). Seuls 7 % des immigrants étaient âgés de 65 ans et plus, par rapport à 16 % des répondants nés au Canada. La plupart des immigrants étaient des immigrants établis arrivés 10 ans ou plus avant l’enquête (63 %); cette proportion variait de 56 % d’immigrants économiques à un maximum de 68 % d’immigrants en regroupement familial. La majorité des immigrants provenaient d’Asie ou du Moyen-Orient (57 %).

Proportionnellement, un plus grand nombre d’immigrants que de personnes nées au Canada ont déclaré une compétence en anglais uniquement (respectivement 75 % et 64 %) et environ 6 % des immigrants n’ont indiqué aucune connaissance d’une langue officielle (tableau 1). Un plus grand nombre d’immigrants que de personnes nées au Canada ont déclaré être mariés ou en union libre, avoir un emploi et avoir suivi des études postsecondaires, mais nombre d’immigrants supérieur à celui de leurs homologues nés au Canada correspondaient à la catégorie de revenu du décile de 20 % inférieurs pour la région sociosanitaire. Les caractéristiques socioéconomiques diffèrent selon les catégories d’admission. Un pourcentage supérieur d’immigrants économiques possédaient, par exemple, un diplôme postsecondaire, avaient un emploi et correspondaient aux déciles de revenu 60 % moyens ou 20 % supérieur.

SMAD élevée selon les caractéristiques d’immigrants par rapport aux répondants nés au Canada

Des proportions similaires de répondants nés au Canada (72 %) et d’immigrants (71 %) ont déclaré une SMAD élevée (graphique 1). Une certaine hétérogénéité a été observée parmi les immigrants dans l’ensemble des catégories d’admission, par rapport aux répondants nés au Canada. Les immigrants économiques présentaient, en particulier, des niveaux élevés de SMAD (72 %) similaires à ceux de leurs homologues nés au Canada, mais les immigrants en regroupement familial et les réfugiés étaient significativement moins enclins à déclarer une SMAD élevée (respectivement 69 % et 68 %).

En fonction du temps écoulé depuis l’établissement, un pourcentage supérieur d’immigrants récents enregistraient une SMAD élevée (74 %), par rapport à une proportion significativement inférieure d’immigrants établis (68 %). Au niveau des régions d’origine, un nombre significativement inférieur d’immigrants provenant du Moyen-Orient et de l’Asie de l’Ouest (65 %) ainsi que de l’Asie de l’Est (62 %) déclaraient une SMAD élevée, alors qu’un pourcentage significativement supérieur d’immigrants de la région États-Unis+ (77 %) signalaient une SMAD élevée.

Comparaison multivariée entre répondants nés au Canada et répondants immigrants

Effets généraux et de la catégorie d’admission

Le tableau 2 présente les résultats de la régression logistique d’une SMAD élevée en utilisant la population née au Canada comme groupe de référence. Une fois la régression logistique corrigée en fonction de l’âge et du sexe (tableau 2, modèle 2), les immigrants étaient globalement statistiquement moins susceptibles que leurs homologues nés au Canada d’indiquer une SMAD élevée (rapport de cotes [RC] = 0,93, pour un intervalle de confiance [IC] à 95 % allant de 0,87 à 0,99). En fonction de la catégorie d’admission, seuls les réfugiés étaient moins portés que leurs répondants nés au Canada à enregistrer une SMAD élevée corrigée en fonction de l’âge et du sexe (RC = 0,80, IC à 95 % de 0,68 à 0,94). Une fois tous les facteurs socioéconomiques pris en compte ainsi que le sentiment d’appartenance à une collectivité locale dans le modèle 5, la différence de SMAD n’était plus statistiquement significative pour les immigrants en général, ni par catégorie d’admission (y compris pour les réfugiés), par rapport à la population née au Canada (tableau 2).

Effet de la région d’origine

Le tableau 2 fournit également des rapports de cotes estimés d’une SMAD élevée selon la région d’origine des immigrants. Les résultats corrigés en tenant compte de l’âge et du sexe montrent que les immigrants de la région États-Unis+ étaient statistiquement plus portés que les répondants nés au Canada à déclarer une SMAD élevée (tableau 2, modèle 2). Ce résultat a persisté jusqu’au modèle entièrement corrigé. Pour les immigrants provenant d’Amérique latine et des Caraïbes, les différences en matière de SMAD par rapport aux répondants nés au Canada sont devenues statistiquement significatives dans le modèle 3, après correction pour tenir compte de l’âge, du sexe et de facteurs sociaux (RC = 1,25, IC à 95 % allant de 1,03 à 1,52); les cotes augmentant avec la prise en compte des facteurs économiques et du sentiment d’appartenance dans le modèle 5 (RC = 1,40, IC à 95 % allant de 1,14 à 1,71). Les immigrants provenant du Moyen-Orient et de l’Asie de l’Ouest ainsi que de l’Asie de l’Est sont demeurés constamment moins enclins que les répondants nés au Canada à signaler une SMAD élevée dans tous les modèles utilisant différentes variables de contrôle (p. ex. RC = 0,79, IC à 95 % allant de 0,65 à 0,96 pour les immigrants d’Asie de l’Est après correction complète; RC = 0,79, IC à 95 % allant de 0,65 à 0,95 pour les immigrants du Moyen-Orient et de l’Asie de l’Ouest après correction complète, modèle 5, tableau 2).

Effet du temps écoulé depuis l’établissement

Comme le montre le tableau 2 dérivé des modèles 1 à 3 non corrigés (corrigés ensuite pour tenir compte des facteurs sociodémographiques), les immigrants établis étaient significativement moins enclins que les répondants nés au Canada à déclarer une SMAD élevée. Ce résultat devenait non significatif après prise en compte des facteurs économiques et demeurait non significatif dans le modèle complet. En revanche, l’écart de probabilité corrigée d’une SMAD élevée entre les immigrants et la population née au Canada devenait statistiquement significatif uniquement après correction pour tenir compte de l’âge, du sexe ainsi que des facteurs sociaux et économiques (modèle 4) et demeurait statistiquement significatif dans le modèle entièrement corrigé (modèle 5).

Comparaison multivariée de l’effet du temps écoulé depuis l’établissement au sein de la population immigrante

Le tableau 3 et 4présente les cotes exprimant la possibilité de SMAD élevée chez les immigrants récents et établis, selon leur catégorie d’admission et leur région d’origine, séparément. Tableau 3 fournit des comparaisons entre les catégories d’admission selon l’effet du temps écoulé depuis l’établissement en utilisant les immigrants économiques récents comme groupe de référence. Par rapport aux immigrants économiques récents (c.-à-d. le groupe de référence), les immigrants établis des trois catégories d’admission ont été significativement moins enclins à enregistrer une SMAD élevée dans la plupart des régressions, à l’exception des immigrants en regroupement familial établis après prise en compte des facteurs sociaux et économiques (modèles 3 et 4). Toutefois, ces cotes devenaient à nouveau significativement différentes de la catégorie de référence après correction complète dans le modèle 5 (RC = 0,80, IC à 95 % allant de 0,65 à 0,99). Une comparaison des immigrants économiques récents et des immigrants récents pour d’autres catégories d’admission n’a révélé aucune différence statistiquement significative. De faibles variations d’ampleur des cotes exprimant le risque ont été relevées lors des corrections complètes des modèles 2 à 5.

Lors de l’examen des effets du temps écoulé depuis l’établissement en fonction de la région d’origine (tableau 4), trois tendances distinctes ont été observées dans le modèle entièrement corrigé (modèle 5). Premièrement, les immigrants provenant du Moyen-Orient, de l’Asie de l’Ouest ainsi que de l’Asie de l’Est étaient moins susceptibles de signaler une SMAD élevée que les immigrants récents provenant de la région États-Unis+ (c.-à-d. le groupe de référence), quel que soit le temps écoulé depuis l’établissement. Deuxièmement, on n’a observé aucun écart significatif de SMAD élevée entre le groupe de référence et les immigrants provenant d’Amérique latine et des Caraïbes, d’Afrique subsaharienne et d’Europe de l’Est, quel que soit le temps écoulé depuis l’établissement. Troisièmement, parmi les immigrants provenant d’Asie du Sud-Est, seuls les immigrants établis étaient moins enclins à signaler une SMAD élevée.

Discussion

Il s’agit de la première étude menée en utilisant la base de données couplée ESCCBDIM en vue d’examiner des résultats en matière de santé mentale. La richesse des données relatives à la santé de l’ESCC est accentuée en la couplant à la BDIM, qui ajoute aux analyses des caractéristiques relatives aux immigrants. Cela fournit un tableau plus complet de la santé mentale selon la catégorie d’admission, la région d’origine et, dans une moindre mesure, le temps écoulé depuis l’établissement.

Cette étude présente de nouvelles informations sur la santé mentale des immigrants. Premièrement, il n’existe pas de différence significative dans la prévalence non corrigée d’une SMAD élevée entre les répondants canadiens et les immigrants en général. Lors d’un examen selon la catégorie d’admission, ce constat a persisté pour les immigrants économiques, alors que les immigrants en regroupement familial et les réfugiés étaient moins susceptibles que les répondants nés au Canada de déclarer une SMAD élevée. Cela correspond aux résultats d’études ayant relevé que les immigrants économiques tendaient à présenter de meilleurs résultats en matière de santé que les réfugiés et, dans une moindre mesure, que les immigrants en regroupement familialNote 13. Les écarts de SMAD devenaient statistiquement non significatifs pour les immigrants en regroupement familial après la prise en compte de l’âge et du sexe (tableau 2, modèle 2B); cela suggère que des différences démographiques pourraient être un facteur dans cette SMAD inférieure. D’autres corrections tenant compte de facteurs sociaux (tableau 2, modèle 3) ont éliminé toute différence de SMAD élevée statistiquement significative entre les répondants nés au Canada et les immigrants en général et entre les immigrants par catégorie d’admission (en particulier les réfugiés); ce qui suggère que les différences initiales pourraient également être liées aux différentes conditions socioéconomiques des immigrants. En bref, améliorer les conditions socioéconomiques des réfugiés pourrait avoir une incidence positive sur les résultats en matière de santé mentale.

Deuxièmement, l’écart de SMAD est significatif entre les immigrants provenant de différentes régions. Les immigrants de la région États-Unis+, d’Amérique latine et des Caraïbes étaient plus enclins que les répondants nés au Canada à déclarer une SMAD élevée, alors que les immigrants provenant d’Asie de l’Est, du Moyen-Orient et d’Asie de l’Ouest étaient moins portés que les répondants nés au Canada à signaler une SMAD élevée. Ce résultat corrobore d’autres études sur les variations ethniques des résultats en matière de santé mentaleNote 34, ainsi que des écarts de santé selon la région d’origineNote 35. Ce constat étaye également l’hypothèse que des différences de résultats en matière de santé entre les immigrants et les personnes nées au Canada proviennent d’une proximité culturelle et linguistique associée au stress et à la difficulté des défis rencontrés au cours du processus d’intégration (c.-à-d. la similarité entre la culture et les langues au Canada et celles des régions d’origines États-Unis+, Amérique latine et Caraïbes facilite peut-être l’intégration des immigrants)Note 20Note 22.

Troisièmement, la santé mentale des immigrants ne s’améliore pas au fil du temps passé au Canada. Les immigrants récents enregistrent une SMAD non corrigée supérieure à celle des répondants nés au Canada et des immigrants établis; ce qui reflète et corrobore la preuve d’une détérioration de l’EIBS en matière de santé autodéclaréeNote 1Note 2Note 3, ainsi que dans les résultats en matière de santé mentaleNote 36. De plus, une étude se concentrant sur les Sud-Asiatiques a montré que les Sud-Asiatiques nés au Canada présentaient une prévalence de SMAD mauvaise ou passable supérieure à celle de leurs homologues immigrantsNote 37. La présente étude révèle que la présence d’un EIBS en matière de SMAD pour les immigrants récents, et sa disparition ensuite chez les immigrants plus longuement établis, s’applique à toutes les catégories d’admission. Les services d’établissement existants ciblant principalement les immigrants reçus et les réfugiés à leur arrivée, investir davantage dans des services d’établissement et relatifs à la santé mentale pour les immigrants établis et les réfugiés pourrait contribuer à maintenir les niveaux élevés de SMAD initiaux.

D’un autre côté, les immigrants peuvent avoir différentes attentes après 10 ans passés au Canada ou l’euphorie initiale peut s’être estompée et avoir été remplacée par une comparaison croissante avec les personnes possédant davantage. Dans ce cas, un vaste ensemble d’interventions peut mieux répondre à cet enjeu.

Limites

La mesure de la SMAD utilisée dans la présente étude est subjective et possiblement biaisée par des facteurs socioculturels, comme le sentiment de tare, ainsi que par des erreurs de mesure non aléatoires (p. ex. biais de remémoration). Il peut être plus difficile, particulièrement pour des immigrants récents, de comprendre les concepts que l’on vise à capturer dans le cadre de questions liées à la santé, du fait d’obstacles linguistiques existants et de différences de contextes culturels. De futures études pourraient utiliser des données administratives, telles que des dossiers hospitaliers, comme source des données complémentaire aux données d’enquête subjectives utilisées dans la présente étudeNote 38.

Une autre limite est liée à l’échantillon d’immigrants utilisé dans la présente étude. Premièrement, les immigrants de la BDIM choisis dans la présente étude n’incluent pas ceux arrivés avant 1980. Les résultats ne peuvent donc pas être généralisés à tous les immigrants reçus avant 1980. Deuxièmement, le fichier analytique ESCCBDIM est fondé sur deux bases de données ayant des cibles de couverture un peu différentes. L’ESCC couvre seulement, par exemple, la population à domicile, alors que la BDIM inclut les immigrants résidants dans des établissements institutionnels. Par conséquent, coupler l’ESCC à la BDIM exclut les personnes résidant dans des établissements institutionnels. Les résultats de la présente étude ne peuvent donc pas être généralisés à ce segment de la population. Troisièmement, seuls 84 % de tous les répondants potentiels à l’ESCC ont accepté de partager leurs réponses et ont été couplés au DED; les poids de partage/couplage ESCCBDIM devraient donc idéalement prendre ces enregistrements non couplés en compte. Alors que cela n’a pas été le cas pour ce fichier analytique, pour les efforts plus récents, un nouvel ensemble de poids de l’ECDS était disponible pour le fichier couplé ESCCBDIM. Cela permettrait de le rendre représentatif du segment correspondant de la population canadienne. Enfin, la taille de l’échantillon de certains groupes d’immigrant (p. ex. les réfugiés) est relativement limitée. Le couplage ESCCBDIM était généralement statistiquement suffisant pour produire des résultats fiables dans la présente étude. Cependant, comme pour la plupart des études antérieures, cette taille d’échantillon relativement réduite diminue la puissance statistique de l’analyse des réfugiés. Elle risque également d’entraîner un biais, lors de l’examen de l’effet de région d’origine, de temps écoulé depuis l’établissement et d’autres caractéristiques de l’état de santé mentale des réfugiés.

Néanmoins, la force de la présente étude est la richesse des données relatives à la santé de l’ESCC grâce à son couplage avec la BDIM. Cela fournit un tableau plus complet de la santé mentale, selon la catégorie d’immigrants par rapport à la population née au CanadaNote 39.

Conclusion

À partir de l’analyse d’une base de données ESCCBDIM récemment couplée, la présente étude fournit de nouvelles informations sur les différences de santé mentale autodéclarée (SMAD) entre les répondants nés au Canada et les répondants immigrants, ainsi qu’en fonction d’importantes caractéristiques propres aux immigrants, comme la catégorie d’admission (en particulier dans le cas des réfugiés), le temps passé au Canada et la région d’origine. Les résultats montrent une détérioration de l’EIBS en matière de SMAD, ainsi que les effets de certaines régions d’origine, et suggèrent que des facteurs, comme le revenu du ménage, le niveau de scolarité et l’âge, étaient associés à la SMAD de façon statistiquement significative. De futures recherches pourraient examiner la relation entre la SMAD et des consultations en santé mentale pour mieux comprendre le rôle du recours aux soins de santé en matière de santé mentale. D’autres recherches pourraient également se concentrer sur des problèmes courants de santé mentale, comme la dépression, afin de corroborer les résultats généraux existant sur la SMAD. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la présente étude peut également servir de référence à de futures études se concentrant sur la santé mentale selon la catégorie d’immigrantsNote 40.

Remerciements

Nous tenons ​ à remercier Cédric de Chardon, le directeur de la Direction de la recherche et de l'évaluation d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Julie Bernier, la directrice de la Division de l'analyse de la santé, Statistique Canada pour le soutien dans cette collaboration de recherche.

Références
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