Rapports sur la santé
Canadiens vulnérables au bruit en milieu de travail

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par Pamela L. Ramage Morin et Marc Gosselin

Date de diffusion : le 15 août 2018

Un bruit excessif en milieu de travail peut entraîner une tension artérielle élevée, des troubles du sommeil, du stress, une perte auditive due au bruit, des acouphènes et d'autres problèmes de santéNote 1Note 2Note 3Note 4Note 5. On estime que 22,4 millions de travailleurs états-uniens (17 %) ont déclaré que, dans le cadre de leur emploi actuel, ils devaient élever la voix pour être entendusNote 6. Cela indique un niveau de bruit dangereux équivalant à au moins 85 décibels (dB)Note 7Note 8. Plus de 11 millions de Canadiens (42 %) ont travaillé dans des environnements bruyants en 2012 et 2013 ou par le passéNote 9.

Les lois relatives à la santé et à la sécurité au travail visent à aider à protéger les travailleurs des dangers en milieu de travail, y compris du bruit excessifNote 10. De nombreux travailleurs au Canada sont couverts par des lois provinciales, territoriales ou fédéralesNote 11, chaque secteur de compétence définissant ses propres limites d'exposition relativement à l'intensité et à la durée du bruit en milieu de travail. Par exemple, dans la plupart des provinces, la limite quotidienne est équivalente à 85 dB de bruit continu pendant une période de huit heures (annexe A). Les lois précisent une hiérarchie de responsabilités visant à gérer le bruitNote 4Note 10Note 11Note 12 qui incombent à l'employeur et à l'employé. Les employeurs doivent éviter la génération de niveaux de bruit inacceptables ou bien réduire l'exposition des travailleurs à ce bruit grâce à des mesures telles que des quarts de travail plus courts. Le dernier moyen de défense contre un bruit potentiellement excessif est de fournir un dispositif de protection de l'ouïe ainsi qu'une formation pour l'utiliserNote 4. Malgré ces mesures, le bruit en milieu de travail demeure un danger. Il a, par exemple, été à l'origine de près de 30 000 demandes d'indemnisations pour perte auditive acceptées par la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail de l'Ontario, entre 2006 et 2015Note 13.

Il existe une insuffisance d'informations relativement aux travailleurs canadiens exposés à un bruit dangereux en milieu de travail qui ne sont pas tenus d'utiliser un dispositif de protection de l'ouïeNote 9. À l'aide des données des cycles 3 (2012 à 2013) et 4 (2014 à 2015) de l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé, la présente étude décrit les Canadiens âgés de 19 à 79 ans qui n'étaient pas tenus d'utiliser, lorsqu'ils travaillaient dans un environnement bruyant, un dispositif de protection de l'ouïe et qui ne l'utilisaient que parfois, rarement ou jamais (appelés ci-après « travailleurs vulnérables »). Seront examinés les caractéristiques de ces travailleurs ainsi que les sources de bruit, le nombre d'années de travail dans des environnements bruyants et les répercussions néfastes, particulièrement les troubles auditifs autodéclarés et les acouphènes.

Méthodes

Source des données

L'Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) est une enquête transversale permanente qui échantillonne des ménages de cinq régions canadiennes (Atlantique, Québec, Ontario, Prairies et Colombie-Britannique). Les participants ont fourni des renseignements démographiques et socioéconomiques ainsi que des renseignements relatifs à la santé et au mode de vie dans le cadre d'interviews sur place à domicile assistées par ordinateur, suivies de mesures physiques directes recueillies à un centre d'examen mobile (CEM). Sont exclus du champ de l'ECMS les membres à temps plein des Forces armées canadiennes, les résidents des trois territoires, de réserves des Premières Nations, d'autres peuplements autochtones et de certaines régions éloignées, ainsi que les résidents d'établissements comme les maisons de soins infirmiers. En tout, ces exclusions représentaient environ 4 % de la population cible. Les interviews par personne interposée étaient admises dans les cas de déficience physique ou intellectuelle.

Dans le cadre de la présente étude, les données des cycles 3 (2012 à 2013) et 4 (2014 à 2015) ont été utilisées. Le taux de réponse combiné des cycles 3 et 4 pour les composantes de ménages et de CEM s'est établi à 52,7 %. De plus amples détails sont disponibles dans les guides de l'utilisateur de l'ECMS et dans les Instructions pour la combinaison de multiples cycles de l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS)Note 14Note 15Note 16. L'approbation déontologique pour l'ECMS a été obtenue auprès du Comité d'éthique de la recherche de Santé CanadaNote 17.

Échantillon de l'étude

La présente étude est fondée sur un échantillon de 6 571 répondants (3 250 hommes et 3 321 femmes) âgés de 19 à 79 ans. L'échantillon pondéré des cycles 3 (n = 3 288) et 4 (n = 3 283) représentait une population de 25,9 millions de Canadiens.

Définitions

Les situations « a déjà travaillé dans un environnement bruyant » et « travaille actuellement dans un environnement bruyant » ont été établies grâce à deux questions. La première question était la suivante : « À un moment de votre vie, avez-vous travaillé dans un environnement bruyant? Par bruyant, je veux dire un environnement où le bruit était si fort que vous et vos collègues deviez parler d'une voix élevée pour être compris par quelqu'un ou pour communiquer avec quelqu'un se trouvant à la distance d'un bras. » Les répondants devaient inclure le travail non rémunéré. La seconde question était posée aux personnes qui répondaient « oui » : « Actuellement, travaillez-vous dans un environnement bruyant? »

Les répondants ayant travaillé dans un environnement bruyant ont précisé la durée de l'emploi (moins de 5 ans, de 5 ans à moins de 10 ans, 10 ans ou plus), s'ils étaient tenus de porter un dispositif de protection de l'ouïe au travail (oui, non) et la fréquence à laquelle ils utilisaient un tel dispositif au travail dans une zone bruyante, répartie en deux catégories : « utilisé » (toujours, souvent) et « non utilisé » (parfois, rarement, jamais). Les deux dernières variables ont été combinées pour regrouper les répondants dans les catégories suivantes : obligatoire et utilisé; obligatoire, mais non utilisé; non obligatoire, mais utilisé; non obligatoire et non utilisé. Les travailleurs de la catégorie « non obligatoire et non utilisé » sont désignés comme « vulnérables » dans la présente étude.

Les sources de bruit intense en milieu de travail étaient choisies dans une liste prédéfinie. La catégorie des machines, telles que les bulldozers, les pelles rétrocaveuses et le matériel de scierie, et celle des moyens de transport, dont les trains, les avions, les automobiles et les camions, ont été regroupées. La catégorie de source de bruit intense produit par des personnes a été combinée à celle des concerts ou autres sources de musique amplifiée. La catégorie de source de bruit « Autre » a été combinée à celle des munitions, comme les armes à feu ou les canons, puisque la taille de l'échantillon de cette dernière catégorie était trop réduite pour être présentée séparément.

Les « troubles auditifs » autodéclarés sont basés sur l'attribut auditif de l'indice de l'état de santé Health Utilities Index Mark 3Note 18Note 19. On a demandé aux répondants la question suivante : « Habituellement, pouvez-vous suivre une conversation dans un groupe d'au moins trois personnes sans vous servir d'une prothèse auditive? » Des questions de suivi ont ensuite été posées aux personnes ayant répondu « non » : « Habituellement, pouvez-vous suivre une conversation dans un groupe d'au moins trois personnes avec l'aide d'une prothèse auditive? », « Pouvez-vous entendre quoi que ce soit? », « Habituellement, pouvez-vous tenir une conversation avec une autre personne dans une pièce silencieuse sans vous servir d'une prothèse auditive? » et « Habituellement, pouvez-vous tenir une conversation avec une autre personne dans une pièce silencieuse avec l'aide d'une prothèse auditive? » Les réponses ont été notées selon un algorithme établi et classées du niveau 1 (aucun trouble auditif) au niveau 6 (incapable d'entendre quoi que ce soit). Une variable dichotomique a permis d'identifier les personnes ayant des troubles auditifs (niveaux 2 à 6) par rapport à celles n'en ayant pas (niveau 1).

On a demandé aux répondants s'ils avaient déjà souffert d'acouphènes (oui, non), lesquels étaient décrits comme « la perception d'un sifflement, d'un bourdonnement, d'un tintement ou d'un son strident ou assourdissant dans les oreilles quand il n'y a pas d'autres sons autour de vous ».

En plus du regroupement selon le sexe et la tranche d'âge, les répondants âgés de 25 ans ou plus ont été regroupés par niveau de scolarité : aucun diplôme d'études postsecondaires et diplôme d'études postsecondaires ou plus. La situation professionnelle a été déterminée pour les personnes ayant occupé un emploi ou ayant travaillé dans une entreprise au cours des 12 mois précédents. Cette précision a été déterminée par la question suivante : « Étiez-vous employé ou travailliez-vous à votre compte? » Les personnes travaillant dans une entreprise familiale sans rémunération ont été regroupées avec les travailleurs autonomes. Les catégories d'emploi ont été tirées d'une variante de la Classification nationale des professions de 2011Note 20. Les catégories A à F (gestion; personnel professionnel; personnel technique et paraprofessionnel; administration et personnel de soutien administratif; vente; services personnels et services d'information à la clientèle) représentent les « cols blancs », et les catégories G à J (métiers des industries, de la construction et d'opération d'équipement; ouvriers et manœuvres en transport et en construction; ressources naturelles, agriculture et production connexe; fabrication et services d'utilité publique) représentent les « cols bleus ». Les termes « cols bleus » et « cols blancs » sont utilisés pour souligner des distinctions générales entre les environnements de travail de différents groupes professionnels. Il est admis que ces termes peuvent ne pas refléter la réalité actuelle de la main-d'œuvre canadienne. Ils sont utilisés en l'absence de meilleures options parce qu'ils permettent tout de même d'établir une distinction utile, quoique très générale, au sein des environnements de travail.

Techniques analytiques

Les données des cycles 3 et 4 ont été regroupées et pondérées avec des poids de sondage combinés qu'a générés Statistique CanadaNote 16. Pour tenir compte de l'estimation de la variance du plan de sondage complexe, le calcul des coefficients de variation et le test de signification (intervalle de confiance [IC] de 95 %) ont été effectués à l'aide de la méthode bootstrap avec 22 degrés de libertéNote 21. Les estimations représentent la population moyenne des ménages canadiens au cours de la période de l'enquête (de 2012 à 2015). Les analyses ont été effectuées au moyen de la version 9.3 de SAS et du logiciel SUDAAN 11.0 exécutable par SAS.

Les fréquences pondérées ont été calculées et des tableaux croisés ont été produits pour examiner le pourcentage de personnes ayant travaillé dans des environnements bruyants selon certaines caractéristiques; une attention particulière a été portée aux personnes jugées vulnérables (dispositif de protection de l'ouïe non obligatoire et non utilisé). Des estimations des troubles auditifs autodéclarés et des acouphènes sont présentées. Des modèles de régression logistique corrigés selon l'âge (continu) ont permis d'étudier si l'âge influait sur des résultats bivariés de troubles auditifs et d'acouphènes.

Résultats

On estime que 11,0 millions de Canadiens (43 %) âgés de 19 à 79 ans ont travaillé dans des environnements bruyants, lesquels sont définis comme des lieux où il est nécessaire d'élever la voix pour communiquer avec des collègues situés à la distance d'un bras. Plus d'hommes (7,7 millions) que de femmes (3,3 millions) avaient travaillé dans des environnements de travail bruyants (tableau 1). Les femmes plus jeunes (âgées de 19 à 39 ans) ayant un niveau de scolarité inférieur étaient associées à un historique de travail dans des environnements bruyants.

Chez les personnes ayant travaillé dans des environnements bruyants, 6,1 millions (56 %) ont été classées comme « vulnérables » au bruit; elles n'étaient pas obligées d'utiliser un dispositif de protection de l'ouïe et n'en ont utilisé un que parfois, rarement ou jamais. Même si le pourcentage de femmes vulnérables (72 %) était supérieur à celui des hommes (48 %) (figure 1), le nombre d'hommes dépassait celui des femmes dans ce contexte pour atteindre 3,7 millions (par rapport à 2,4 millions de femmes).

De 2012 à 2015, 3,6 millions de Canadiens (14 %) travaillaient dans des environnements bruyants (tableau 2). La moitié de ces travailleurs étaient vulnérables à un bruit intense. Des proportions similaires d'employés et de travailleurs autonomes travaillaient dans des milieux de travail bruyants, mais les travailleurs autonomes étaient significativement plus susceptibles d'être vulnérables que les employés (72 % par rapport à 47 %). Les cols bleus étaient proportionnellement plus nombreux que les cols blancs à travailler dans des environnements bruyants, mais ils étaient moins susceptibles d'être vulnérables à un bruit excessif (39 % par rapport à 66 %).

Sources et durée du bruit en milieu de travail

Parmi les travailleurs vulnérables, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes (81 % contre 51 %) d'indiquer des machines (comme des bulldozers et du matériel de scierie) et des moyens de transport (comme les trains, les avions, les automobiles et les camions) comme sources de bruit intense en milieu de travail (tableau 3). Les femmes étaient proportionnellement plus nombreuses que les hommes à subir du bruit intense en milieu de travail en raison de la musique amplifiée ou des autres personnes (43 % par rapport à 20 %). Aucune autre différence n'a été observée entre les hommes et les femmes quant aux autres sources de bruit. La plupart des femmes vulnérables (61 %) ont travaillé dans des environnements bruyants pendant moins de cinq ans, par rapport à 45 % des hommes. Les hommes vulnérables étaient plus susceptibles que les femmes d'avoir travaillé dans un environnement bruyant pendant 10 ans ou plus (38 % par rapport à 23 %).

Acouphènes et troubles auditifs autodéclarés

On estime que 54 % des hommes et 49 % des femmes vulnérables au bruit en milieu de travail ont souffert d'acouphènes; il s'agit d'un chiffre significativement supérieur à celui des hommes et des femmes n'ayant jamais travaillé dans un environnement bruyant, soit 39 % (figure 2). Les personnes vulnérables étaient également plus susceptibles de signaler des troubles auditifs que les personnes du groupe de référence. Des modèles de régression logistique prenant l'âge (continu) en compte ont révélé que les hommes vulnérables au bruit étaient plus susceptibles de souffrir d'acouphènes (rapport de cotes [RC] de 1,9; IC de 95 % : 1,4 à 2,5) et de troubles auditifs (RC de 2,0; IC de 95 % : 1,1 à 3,8) que les hommes n'ayant jamais travaillé dans un milieu de travail bruyant. Pour les femmes vulnérables, les cotes corrigées en fonction de l'âge relatives aux troubles auditifs étaient significatives (RC de 5,0; IC de 95 % : 2,7 à 9,5), alors que l'association avec les acouphènes devenait moins significative si l'on tenait compte de l'âge (RC de 1,5; IC de 95 % : 1,0 à 2,3).

Discussion

Les principaux résultats de la présente étude portent sur les différences entre les hommes et les femmes exposés à des milieux de travail bruyants. La probabilité d'avoir travaillé dans des environnements de travail bruyants ne variait pas selon l'âge des hommes, alors que les femmes plus jeunes étaient plus susceptibles que les femmes plus âgées d'avoir travaillé dans un milieu de travail bruyant, tout en ayant accumulé moins d'années potentielles d'exposition. La participation croissante des femmes à la population active au cours des dernières décennies contribue probablement à l'exposition supérieure des femmes plus jeunes à des environnements bruyantsNote 22. Cette tendance peut également refléter le fait que de jeunes femmes occupent de plus en plus de professions relatives aux métiers et à d'autres secteurs traditionnellement à prédominance masculine, comme la construction et la fabricationNote 23. Les milieux de travail peuvent en outre être en train de devenir plus bruyants, en particulier du fait de la prolifération d'appareils électroniquesNote 3. Même si un travail en lui-même est relativement peu bruyant, de nombreux bruits secondaires (du bruit que la personne entend, mais qu'elle ne produit pas) peuvent régner en milieu de travail. Le bruit constant des téléavertisseurs dans les hôpitaux a été signalé comme une source de bruit excessif pour les travailleurs d'hôpitalNote 3Note 5, tout comme le bruit des activités de restaurants pour le personnel, des cuisiniers jusqu'aux serveursNote 6Note 24.

Même si moins de femmes que d'hommes travaillaient dans des environnements bruyants, les femmes étaient proportionnellement plus nombreuses à être vulnérables au bruit. Dans une certaine mesure, cette différence pourrait être attribuée aux origines industrielles des lois sur la santé et la sécurité en milieu de travail, qui ont évolué pour répondre aux dangers associés aux activités des usines et aux activités de fabrication caractéristiques des professions à prédominance masculineNote 25. Les lois élaborées relativement à ces secteurs peuvent ne pas être aussi facilement appliquées aux environnements de travail non industriels à prédominance féminine, comme les secteurs de la santé, de l'éducation et des services, même si des bruits dangereux peuvent y être présentsNote 3Note 24Note 26Note 27. En outre, les postes de bénévoles et les professions au sein d'organismes à but non lucratif ne sont pas nécessairement couverts par les lois sur la santé et la sécurité dans tous les secteurs de compétence canadiens, et les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à occuper ces postes et à exercer ces professionsNote 25Note 28.

Les cols bleus sont exposés à davantage de bruit, mais sont moins vulnérables

Bien que les cols bleus soient proportionnellement plus nombreux que les cols blancs à travailler dans des environnements bruyants, les cols blancs sont plus susceptibles d'être vulnérables au bruit. Les milieux de travail de nombreux cols bleus exposent probablement les employés à du bruit dépassant les limites d'exposition au bruit en milieu de travail, et l'utilisation de dispositifs de protection de l'ouïe est donc obligatoire. Rabinowitz et coll.Note 29 ont relevé que, dans des environnements plus bruyants, les travailleurs étaient plus susceptibles d'avoir besoin d'un dispositif de protection de l'ouïe et d'en utiliser un. Ils étaient également moins susceptibles de souffrir d'une perte auditive que les travailleurs exposés à un bruit ambiant moins fort. Nombre d'usines et de milieux de travail industriels proposent des programmes de protection de l'ouïe dont le personnel formé examine et surveille l'acuité auditive des employés et éduque ces derniers sur les pertes auditives dues au bruit ainsi que sur les mesures de prévention, notamment l'utilisation de dispositifs de protection de l'ouïe. Du fait de la nature de leurs professions, les cols blancs peuvent être moins exposés au bruit (en intensité et en durée) et donc ne pas être tenus d'utiliser de dispositif de protection de l'ouïe. Ironiquement, ils peuvent ainsi courir un plus grand risque que les cols bleus d'être exposés à un bruit dangereux. Cela dit, bon nombre de cols bleus sont confrontés au danger supplémentaire d'une exposition à des substances ototoxiques, comme des métaux lourds et du monoxyde de carbone, qui peuvent avoir des répercussions négatives sur l'acuité auditiveNote 4Note 30.

Par le passé, la syndicalisation pouvait expliquer la meilleure protection et la vulnérabilité inférieure des cols bleus par rapport aux cols blancs. Cependant, la syndicalisation des travailleurs industriels a décliné au cours des dernières décennies, alors que plus de milieux de travail à prédominance féminine, comme les bureaux, les établissements scolaires et les hôpitaux, ont enregistré une hausse des effectifs des syndicatsNote 31. Une explication plus vraisemblable peut être celle de Tak, Davis et CalvertNote 6, qui ont relevé que, dans les secteurs où la proportion des travailleurs exposés à un bruit intense est élevée, l'utilisation d'un dispositif de protection de l'ouïe est également élevée. C'était le cas de l'industrie minière, alors que le contraire avait été observé dans le secteur des soins de santé et des services sociaux. Ces observations laissent à penser qu'une culture d'utilisation de dispositifs de protection de l'ouïe s'est développée dans les secteurs ayant généralement des environnements de travail bruyants. Il est également possible que l'exposition au bruit soit plus constante dans les professions de cols bleus et plus intermittente dans les professions de cols blancs. En cas de bruit intense de courte durée, le besoin d'un dispositif de protection de l'ouïe peut être moins évident (lors de changements de quart dans un milieu hospitalier, par exemple). Du bruit atteignant des niveaux excessifs a été enregistré dans ces situationsNote 32.

Les travailleurs autonomes sont plus vulnérables au bruit que les employés

Les employeurs ont la responsabilité d'assurer la sécurité de leurs employés conformément à la réglementation sur la santé et la sécurité, notamment la protection contre les bruits dangereux. Les comités de santé et de sécurité au travail ayant des politiques et des pratiques connexes profitent à bon nombre d'employés. En Ontario, par exemple, les milieux de travail où sont régulièrement employés 20 travailleurs ou plus doivent avoir un comité de santé et de sécuritéNote 33. Les milieux de travail moins importants, qui n'ont peut-être pas de comité ni même de représentant en matière de sécurité, ont été associés à une probabilité supérieure d'exposition à des risques en milieu de travail et à des politiques et des procédures inadéquates en la matièreNote 34. La réglementation sur la santé et la sécurité ne s'applique pas aux travailleurs autonomes; ces derniers ne sont donc pas tenus d'utiliser un dispositif de protection de l'ouïe. La catégorie des travailleurs autonomes comprend les agriculteurs, qui ont été identifiés comme étant un groupe à risque en matière de troubles et de perte auditifs du fait d'une exposition au bruit liée à leur travailNote 35Note 36.

Source du bruit en milieu de travail

Le bruit de machines et de moyens de transport (relevé comme source de bruit en milieu de travail par des hommes plus souvent que par des femmes) est une conséquence indésirable et involontaire du travail. Certains environnements de travail à prédominance féminine, comme les salles de classe et les hôpitaux, présentent également des niveaux de bruit involontaires et excessifsNote 5Note 26. Les travailleurs de ces secteurs font partie des moins susceptibles d'utiliser des dispositifs de protection de l'ouïeNote 6, peut-être du fait de la nécessité de communiquer de vive voix dans les environnements de soins de santé et d'enseignement, du manque de sensibilisation au bruit ou de cultures organisationnelles qui ne préconisent pas l'utilisation de dispositifs de protection de l'ouïe.

Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de mentionner la musique forte et les autres personnes comme sources de bruit en milieu de travail. Dans certains cas, ce bruit en milieu de travail est non seulement volontaire, mais également souhaitable. Les agents de marketing, les détaillants, les restaurateurs et d'autres prestataires de services sont conscients depuis longtemps qu'ils peuvent attirer ou repousser des types particuliers de clientèle et influencer leur comportement par le volume, le rythme et la sélection de la musiqueNote 37. De plus, les lieux qui souhaitent attirer une clientèle jeune espèrent sans doute embaucher des employés qui sont, eux aussi, jeunes. Ces derniers peuvent alors être exposés à du bruit dangereux sans tirer avantage d'un dispositif de protection de l'ouïe. Les serveurs, par exemple, n'utilisent souvent pas de dispositif de protection de l'ouïe dans des environnements de travail bruyantsNote 6.

Répercussions néfastes pour les travailleurs vulnérables au bruit

Les associations relevées dans la présente étude entre le bruit en milieu de travail et les troubles auditifs ainsi que les acouphènes reflètent les résultats de recherches ultérieuresNote 1Note 4Note 36Note 38Note 39. Les acouphènes, dont souffrent souvent les personnes qui subissent une perte auditive, sont un signe précurseur d'un éventuel dommage auditif et peuvent avoir une incidence négative sur la qualité de vie de la personne concernéeNote 2Note 40Note 41Note 42Note 43. L'Organisation mondiale de la Santé estime que les coûts annuels mondiaux relatifs à la perte de productivité, à un départ à la retraite prématuré et au chômage chez les personnes qui subissent une perte auditive s'élèvent à 105 milliards de dollarsNote 38. Ces coûts ne tiennent pas compte des coûts relatifs à d'autres effets néfastes, comme le stress et la fatigue. La sécurité en milieu de travail est une préoccupation pour les personnes souffrant de troubles auditifs et d'acouphènes, car ces problèmes d'audition peuvent accroître le risque d'accidentsNote 4Note 13Note 44. Limiter le bruit en milieu de travail devient encore plus pertinent lorsque l'exposition subie hors du travail est prise en compte. Le bruit des appareils électroniques, du navettage et des activités récréatives s'ajoute à l'exposition quotidienne, et la présence cumulée de ces bruits menace de dépasser les limites quotidiennes recommandéesNote 4Note 44Note 45Note 46.

Forces et limites

L'une des principales forces de la présente étude est l'importante taille de l'échantillon obtenue en combinant deux cycles de l'ECMS. Cela facilite l'analyse d'un sous-groupe de travailleurs qui n'étaient pas tenus d'utiliser de dispositif de protection de l'ouïe et qui n'en utilisaient généralement pas. De plus, la taille de l'échantillon a permis de stratifier la plupart des analyses selon le sexe, ce qui a révélé des différences clés entre les hommes et les femmes exposés à du bruit intense en milieu de travail. La présente étude est représentative de la population canadienne âgée de 19 à 79 ans pendant l'étude.

Néanmoins, la présente étude comporte certaines limites. Les niveaux de bruit en milieu de travail n'ont pas été mesurés ni vérifiés; ils sont fondés sur le besoin autodéclaré d'élever la voix pour communiquer avec des personnes se trouvant à la distance d'un bras. Les données relatives à la situation professionnelle (employé ou travailleur autonome) et à la catégorie d'emploi (col blanc ou col bleu) correspondent à la situation des répondants au moment de l'enquête. Les analyses fondées sur ces variables étaient limitées aux personnes travaillant actuellement dans un environnement bruyant et elles n'ont pas été stratifiées selon le sexe du fait de l'insuffisance de l'échantillon. L'utilisation de codes de professions ne tient pas compte des facteurs propres aux secteurs et aux milieux de travail associés à une exposition à du bruitNote 2. Les exigences de l'utilisation d'un dispositif de protection de l'ouïe n'ont pas pu être vérifiées; la classification des travailleurs peut être erronée si ceux-ci n'étaient pas au courant de la réglementation sur la santé et la sécurité. Des renseignements sont disponibles quant à la question de savoir si des personnes travaillaient dans des environnements bruyants et pendant combien de temps, mais il n'est pas possible d'établir si l'exposition au bruit respectait ou dépassait les seuils de santé et de sécurité acceptés. La présente étude ne tient pas compte de l'exposition à du bruit provenant d'activités récréatives ou non professionnelles, comme le navettageNote 45Note 46, ou d'autres facteurs contributifs éventuels, comme l'exposition à des substances ototoxiques ou un traumatisme crânienNote 4.

Conclusion

La présente étude comporte un aspect unique : elle est axée sur un grand sous-groupe de travailleurs vulnérables à du bruit intense en milieu de travail parce que l'utilisation d'un dispositif de protection de l'ouïe n'était pas obligatoire ni courante. Les hommes et les femmes de ce sous-groupe étaient alors plus susceptibles de souffrir de troubles auditifs et d'acouphènes que les personnes n'ayant jamais travaillé dans un environnement bruyant. Des travaux futurs visant à évaluer l'efficacité et les lacunes de la législation sur la santé et la sécurité en milieu de travail pourraient contribuer à améliorer la protection contre les effets néfastes d'un bruit excessif. Il pourrait être nécessaire d'accroître la sensibilisation, la formation et l'application des lois en la matière. Cela dit, les lois relatives au milieu de travail ne peuvent pas tenir compte de l'exposition au bruit cumulée lors d'activités récréatives, du navettage et d'activités non professionnelles. La protection contre un bruit excessif n'est pas seulement un problème en milieu de travail; elle présente également des préoccupations plus vastes en matière de santé publique.

Annexe A

Limites d'exposition au bruit en milieu de travail

Les limites d'exposition au bruit en milieu de travail précisent la durée et l'intensité maximales du bruit auquel les travailleurs peuvent être exposés pendant leur journée de travail sans utiliser de dispositifs de protection de l'ouïe.

Un niveau de référence indique une exposition maximale équivalant à x dB (décibels) de bruit continu pendant 8 heures.

Le coefficient d'équivalence indique la relation entre les niveaux sonores et la durée de l'exposition.

Par exemple, un niveau de référence de 85 dB(A) et un coefficient d'équivalence de 3 dB(A) indiquent qu'un travailleur peut être exposé quotidiennement à 85 dB(A) pendant 8 heures ou à 97 dB(A) pendant 30 minutes (tableau A). Contexte : une conversation normale représente environ 55 dB; une intensité croissante de bruit est générée par un aspirateur (70 dB), des camions diésel (85 dB, à 20 mètres, se déplaçant à 50 km/h) et des tondeuses à moteur (96 dB à 1 mètre de distance)Note 10Note 47.

Dans la plupart des provinces canadiennes, le niveau de référence est de 85 dB(A) et un coefficient d'équivalence de 3 dB(A). Ce niveau de référence est plus strict que celui des lieux de travail réglementés par le gouvernement fédéral, où le niveau de référence est de 87 dB(A) et le coefficient d'équivalence de 3 dB(A). Le Québec présente les normes les moins strictes, affichant un niveau de référence de 90 dB(A) et un coefficient d'équivalence de 5 dB(A).

Références
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