Trajectoires longitudinales de la durée du sommeil dans la population générale
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par Heather Gilmour, Saverio Stranges, Mark Kaplan, David Feeny, Bentson McFarland, Nathalie Huguet et Julie Bernier
Les troubles du sommeil sont relativement fréquents — ainsi, en 2002, environ 13 % des Canadiens de 15 ans et plus ont déclaré avoir de la difficulté à s’endormir ou à rester endormiNote1. À l’avenir, la prévalence des troubles du sommeil pourrait augmenter en raison de l’accroissement de la part de personnes âgées dans la population et de l’augmentation de la prévalence de l’obésité ainsi que d’autres comorbidités physiques et psychiatriques associées aux perturbations du sommeilNote2-5.
Un lien étroit existe entre la durée du sommeil et la qualité de ce dernier. En outre, les extrêmes de durée du sommeil ont été associés à une mortalité précoceNote6,7 et à des problèmes de santé tels que le diabète, l’hypertension, les maladies du cœur et les troubles psychiatriquesNote8,9.
Quelques études portant sur des populations très précises laissent entendre que les changements de durée du sommeil pourraient avoir une incidence sur l’état de santé Note10-12. Il n’est toutefois pas établi clairement si la relation entre un sommeil de courte ou de longue durée et un mauvais état de santé est de nature causale, ni si la modification de la durée du sommeil donnera lieu à une amélioration de la santéNote13. Le sommeil de courte ou de longue durée pourrait être un marqueur de risque plutôt qu’un facteur causal d’un moins bon état de santé et de la gravité des comorbiditésNote4,Note14. De manière plus générale, nous ne savons pas vraiment si le nombre habituel d’heures de sommeil a évolué ces dernières années, les résultats publiés à ce sujet étant contradictoiresNote15-17. Afin d’étudier ces questions, il est nécessaire de procéder à des études permettant de dégager des sous-groupes de population présentant des profils longitudinaux de sommeil différents.
La présente étude est la première analyse à l’échelle de la population à utiliser une approche de modélisation fondée sur le groupement pour dégager plusieurs trajectoires distinctes de durée du sommeil chez un grand échantillon de Canadiens adultes représentatif de la population nationale. Cinq mesures autodéclarées de la durée du sommeil provenant de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) et recueillies sur une période de huit années ont été utilisées. La qualité du sommeil déclarée à chaque cycle a été incluse dans le modèle en tant que facteur susceptible d’influer directement sur l’évolution des trajectoires de sommeilNote18. On a également examiné la mesure dans laquelle l’âge et le sexe prédisent la durée du sommeil et l’appartenance à un groupe de trajectoire particulier. Comme il est moins compliqué de traiter un petit nombre de groupes que d’analyser des centaines de trajectoires individuellesNote19, ces groupes de trajectoire modélisés faciliteront l’analyse plus approfondie des données longitudinales sur le sommeil.
Méthodes
Source des données
La présente étude porte sur un échantillon longitudinal tiré des cinq cycles les plus récents (2002-2003 à 2010-2011) de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) réalisée tous les deux ans. L’ENSP est une enquête longitudinale menée par Statistique Canada pour recueillir des renseignements sur l’état de santé, les comportements qui influent sur la santé et d’autres déterminants de la santé auprès d’un échantillon représentatif des Canadiens qui vivent dans les dix provinces. Étaient exclues les personnes résidant dans les réserves indiennes, les établissements, les bases des Forces canadiennes et certaines régions éloignées. Des 20 095 personnes sélectionnées pour faire partie du panel longitudinal en 1994-1995, 17 276 ont accepté de participer, ce qui représente un taux de réponse de 83,6 %. Sur la base de ces 17 276 répondants, les taux de réponse aux cycles subséquents étaient de 92,8 % en 1996-1997; 88,3 % en 1998-1999; 84,9 % en 2000-2001; 80,8 % en 2002-2003; 77,6 % en 2004-2005; 77,2 % en 2006-2007; 70,7 % en 2008-2009; 69,7 % en 2010-2011. Des descriptions détaillées du plan de sondage, de l’échantillon et des procédures d’interview de l’ENSP peuvent être consultées dans des rapports publiésNote20,21 et sur le site Web de Statistique Canada.
Des données sur la durée et sur la qualité du sommeil sont disponibles à partir de 2002-2003 (cycle 5); par conséquent, la présente analyse porte sur les données des cycles 5 à 9. L’échantillon initial (cycle 5) comptait 11 278 personnes de 18 ans et plus; 2 226 de ces personnes ont été omises de l’analyse parce que l’on ne disposait pas de trois observations sur cinq en raison de leur décès (621) ou de leur non-réponse (1 605); en outre, 64 ont été éliminées parce qu’elles n’avaient pas répondu aux questions sur le sommeil à la période de référence. Enfin, 315 autres personnes avaient fourni au moins trois observations sur le sommeil, mais étaient décédées au cycle 8 ou au cycle 9. Ces personnes décédées pourraient avoir souffert d’une maladie susceptible d’affecter leur profil de sommeil. Toutefois, elles ont été exclues afin d’éviter d’introduire un biais en incluant que certaines des personnes décédées durant la période de référence de l’étude. Donc, l’échantillon final pour l’analyse comprenait 8 673 adultes (3 769 hommes et 4 904 femmes) qui étaient représentatifs de 13,8 millions de personnes en 1994-1995. À la période de référence de 2002-2003, comparativement aux personnes retenues dans l’échantillon pour l’analyse, celles qui ont été exclues pour cause de non-réponse ou de décès étaient plus susceptibles d’être plus âgées (54,5 ans contre 44,3 ans, p < 0,01), d’être de sexe masculin (51,2 % contre 47,1 %, p < 0,01), d’appartenir au quintile inférieur de revenu (31,4 % contre 16,2 %, p < 0,01) et de déclarer un sommeil de mauvaise qualité (15,1 % contre 11,7 %, p < 0,01); elles étaient moins susceptibles d’avoir fait des études postsecondaires (26,2 % contre 42,1 %, p < 0,01), d’être de race blanche (87,0 % contre 91,4 %, p < 0,01) et d’autoévaluer leur santé comme étant bonne, très bonne ou excellente (75,5 % contre 91,3 %, p < 0,01). La durée moyenne du sommeil était la même pour les deux groupes (6,8 heures).
Définitions
On a demandé aux répondants : « Habituellement, combien d’heures dormez-vous chaque nuit? », et on leur a indiqué de ne pas inclure le temps consacré au repos. Les réponses ont été enregistrées par intervalle horaire (par exemple, de 5 heures à moins de 6 heures) et on a attribué à chacune une valeur horaire correspondant à l’extrémité inférieure de l’intervalle (par exemple, 5 heures). Aux personnes qui ont déclaré « moins de 2 heures », on a attribué une valeur de 1 heure et à celles qui ont déclaré « 12 heures et plus », une valeur de 12 heures. Des instructions précises n’ont pas été fournies aux personnes travaillant les quarts de nuit. Cependant, un examen des réponses des personnes qui ont indiqué que leur horaire de travail habituel correspondait à un quart de nuit a montré que les réponses de référence à la question sur la durée du sommeil variaient de 3 à 11 heures et que seulement deux réponses manquaient. Cela porte à croire que les personnes travaillant la nuit ont répondu en se basant sur leurs heures habituelles de sommeil, peu importe qu’elles dorment durant le jour ou la nuit.
Les personnes qui ont déclaré avoir de la difficulté à s’endormir ou à rester endormies « tout le temps » ou « la plupart du temps » par opposition à celles qui ont répondu « parfois », « rarement » ou « jamais » ont été considérées comme ayant un sommeil de mauvaise qualité. Comme la qualité du sommeil pourrait évoluer au fil du temps, elle a été incluse dans le modèle sous forme de covariable variant avec le temps et intervenait donc dans la détermination des groupes de trajectoire.
L’âge (variable continue) à la période de référence (2002-2003) et le sexe ont été inclus dans le modèle à titre de facteurs de risque.
Méthode
Il est peu probable que les profils longitudinaux de sommeil soient homogènes dans la population. Le nombre de trajectoires longitudinales différentes de durée du sommeil et la structure de ces trajectoires sont inconnus. Les trajectoires de durée du sommeil ont été examinées en faisant appel à une méthode de modélisation de classes latentes pour courbes de croissance (MCLCC), aussi appelée modélisation de trajectoires fondée sur le groupement à l’aide du programme PROC TRAJ de SASNote22. Cette méthode de modélisation est utile pour déterminer des groupes significatifs et distincts dans les données longitudinales.
La MCLCC a permis de déterminer des sous-groupes de personnes ayant des trajectoires de durée du sommeil semblables, chacune de ces trajectoires étant caractérisée par une ordonnée à l’origine et une pente particulières ainsi qu’une estimation du taux de prévalence. Les groupes de trajectoire ont été modélisés plutôt que fondés sur la classification manuelle des durées de sommeil déclarées par les répondants et, par conséquent, ne sont pas directement observables.
Pour estimer les trajectoires de durée du sommeil, on s’est servi du modèle normal censuré (CNORM), qui convient pour des données continuesNote19. On a comparé des modèles de trajectoire comptant de deux à six profils de sommeil et ayant diverses formes (par exemple, ordonnée à l’origine, linéaire ou pente quadratique). Pour choisir le nombre optimal de trajectoires et de formes donnant le meilleur ajustement, on s’est fondé sur la maximisation du critère d’information bayésien (BIC), la signification statistique des termes des modèles (par exemple, ordonnée à l’origine seulement, linéaire, quadratique, cubique), le chevauchement ou non des intervalles de confiance à 95 %, le pourcentage de la population dans chaque groupe de trajectoire et le peu de données publiéesNote2,4. Les procédures SAS élaborées par Jones et NaginNote23 ont été utilisées pour comparer les pentes et les ordonnées à l’origine des trajectoires de groupe et pour calculer les intervalles de confiance à 95 %.
Le modèle de trajectoires a été ajusté en utilisant des méthodes d’estimation du maximum de vraisemblance qui tiennent compte de la présence de données incomplètes et supposent que des données manquent au hasardNote19. Afin d’obtenir des estimations fiables des paramètres des trajectoires, il est nécessaire d’avoir, pour chaque personne, des mesures pour au moins trois périodesNote19. Par conséquent, l’analyse a été limitée aux personnes qui avaient autodéclaré trois durées du sommeil et plus au cours des cinq périodes de collecte des données, l’une de celles-ci devant être la collecte des données de référence (2002-2003). Des poids d’échantillonnage longitudinaux normalisés ont été appliqués à l’échantillon étudié afin qu’il soit représentatif de la population canadienne en 1994-1995.
En analyse des trajectoires, on attribue à chaque personne une probabilité (de 0 à 1) d’appartenir à chaque groupe de trajectoire latent en se basant sur les valeurs de durée du sommeil qu’elle a déclarées à chacune des cinq périodes de collecte. Chaque répondant a été associé au groupe de trajectoire auquel il avait la plus forte probabilité d’appartenir. Les diagnostics de l’exactitude du modèle (tableau 1), qui étaient fondés sur des critères normalisésNote19, indiquent un bon ajustement du modèle.
La probabilité a posteriori moyenne d’appartenance à un groupe est une approximation de la fiabilité interne de chaque trajectoire — des valeurs supérieures à 0,70 ou à 0,80 indiquent que la trajectoire englobe des personnes ayant des profils de changement similaires et qu’elle établit la distinction entre celles qui ont des profils de changements dissemblablesNote19. Chez les personnes assignées à une trajectoire particulière dans la présente analyse, les probabilités a posteriori moyennes étaient nettement supérieures au niveau minimal souhaitable de 0,70. La probabilité minimale d’appartenance n’était pas inférieure à 0,50 pour trois groupes, et n’était que légèrement inférieure (0,48) pour le groupe ayant un sommeil de durée normale-faible. Les chances d’une classification correcte étaient également supérieures à 5,0 pour chaque groupe.
Les trajectoires dérivées peuvent varier considérablement lorsque l’on inclut des covariables variant avec le temps (dans le présent cas, la qualité du sommeil) et ne sont pas directement comparables aux trajectoires identifiées sans ajustement pour tenir compte de ces covariablesNote19. Dans la présente analyse, les modèles avec et sans ajout de la qualité du sommeil comme covariable variant avec le temps ont donné des modèles à quatre groupes dont les ordonnées à l’origine et les pentes étaient similaires, mais dont les pourcentages de la population associés à chaque trajectoire différaient légèrement (données non présentées). Les trajectoires longitudinales de durée du sommeil avec ajout de la qualité du sommeil comme covariable variant avec le temps étaient le mieux caractérisées par un modèle à quatre groupes (figure 1, tableau 2).
Les tailles d’échantillon pour les quatre groupes de trajectoire modélisés étaient de 873 pour le sommeil de courte durée, de 4 372 pour le sommeil de durée normale-faible, de 3 249 pour le sommeil de durée normale-élevée et de 179 pour le sommeil de longue durée.
On s’est servi du test de Wald pour déterminer si les coefficients différaient les uns des autres de manière significativeNote19,Note23.
Résultats
La majorité des adultes ont été classés dans le groupe à trajectoire de sommeil de durée normale-faible (49,4 %) ou de durée normale-élevée (37,0 %) (tableau 1). Sur la période de référence de huit ans, la durée du sommeil moyenne prédite a diminué pour passer de 7,6 à 7,4 heures pour le groupe à durée du sommeil normale-élevée, et de 6,5 à 6,3 heures pour le groupe à durée normale-faible (figure 1, tableau 2). La trajectoire de sommeil de courte durée représentait 11,1 % de la population et suivait aussi une légère tendance linéaire à la baisse au fil du temps pour passer de 5,2 à 4,9 heures. La trajectoire de sommeil de longue durée représentait le pourcentage le plus faible de la population (2,4 %) et suivait une tendance quadratique.
Selon le test de Wald, les ordonnées à l’origine de chacune des quatre trajectoires de groupe différaient significativement (p < 0,01) l’une de l’autre. En outre, les termes linéaires des trajectoires du groupe à sommeil de courte durée et du groupe à sommeil de durée normale-élevée différaient significativement (p < 0,05), ce qui indique que les pentes globales de ces trajectoires n’étaient pas parallèles.
Le sommeil de mauvaise qualité était associé à la durée du sommeil au fil du temps. Il était lié de manière significative à une diminution de la durée du sommeil au cours de la période de suivi de huit ans chez les groupes à sommeil de courte durée, de durée normale-faible et de durée normale-élevée (p < 0,01), mais non chez le groupe à sommeil de longue durée (tableau 2). Les estimations des coefficients différaient significativement (p < 0,01) les unes des autres, indiquant que les effets du sommeil de mauvaise qualité variaient d’une trajectoire à l’autre.
L’âge et le sexe ont été inclus dans le modèle à titre d’indicateurs possibles de l’appartenance à un groupe de trajectoire. Être de sexe masculin était un prédicteur significatif de l’appartenance aux groupes à trajectoires de sommeil de courte durée et de durée normale-faible, comparativement au groupe à trajectoire de sommeil de durée normale-élevée, mais il ne prédisait pas l’appartenance au groupe à trajectoire de sommeil de longue durée. Selon les tests de Wald appliqués aux grandeurs des coefficients, le sexe n’était pas un prédicteur différentiel de l’appartenance aux groupes à sommeil de courte durée ou de durée normale-faible. L’augmentation de l’âge était associée positivement à l’appartenance aux groupes à sommeil de courte et de longue durée, comparativement au groupe à sommeil de durée normale-élevée, mais était négativement associée à l’appartenance au groupe à durée de sommeil normale-faible. Les tests de signification de la grandeur des estimations des coefficients indiquaient que l’âge (p < 0,01) était un prédicteur différentiel de l’appartenance aux groupes de trajectoire particuliers.
Durant l’année de référence (2002-2003), les âges moyens des groupes dont le sommeil était de courte durée et de longue durée étaient de 49,4 ans et de 50,7 ans, respectivement, âges significativement plus élevés que pour le groupe à sommeil de durée normale-élevée (44,4 ans) (tableau 3). L’âge moyen du groupe à sommeil de durée normale-faible était plus bas, soit 43,1 ans. Les hommes représentaient 51,7 % du groupe à sommeil de durée normale-faible et 45,0 % de celui à sommeil de courte durée, proportions significativement plus élevées que le pourcentage d’hommes appartenant au groupe à sommeil de durée normale-élevée (41,4 %). Les membres des groupes à sommeil de durées courte et normale-faible étaient plus susceptibles que ceux appartenant au groupe à sommeil de durée normale-élevée de déclarer un sommeil de mauvaise qualité. Le groupe à sommeil de longue durée ne différait pas de manière significative du groupe à sommeil de durée normale-élevée en ce qui a trait à la proportion d’hommes et à la prévalence du sommeil de mauvaise qualité.
Discussion
La présente étude a permis de dégager quatre trajectoires distinctes de durée du sommeil. La majorité de la population adulte (86,4 %) était classée dans le groupe à trajectoire de durée du sommeil normale-faible ou dans celui à trajectoire de durée du sommeil normale-élevée. Les trajectoires de ces deux groupes se sont maintenues dans l’intervalle souhaitable de 6 à 8 heures de sommeilNote7,Note16 pendant toute la période de suivi de huit ans.
Les pourcentages de la population se situant aux extrêmes de durée du sommeil (groupes à sommeil de courte et de longue durée), lesquels ont été associés à un risque de moins bon état de santé, ont une pertinence particulière sur le plan de la santé publiqueNote7,Note16. Comme l’ont indiqué des études transversalesNote4,Note24-27, la prévalence du sommeil de longue durée était la plus faible (2,4 %), tandis que 11,1 % de la population avait une trajectoire de sommeil de courte durée.
Les trajectoires de durée du sommeil dérivées de données longitudinales sont plus informatives qu’une observation transversale unique, car il n’est pas possible de déterminer si cette observation est indicatrice d’un profil au fil du temps ou si la valeur est susceptible de changer lorsque des mesures ultérieures seront faites. En fait, les études transversales ont donné des pourcentages variant de 7,5 % à 37,2 % pour la population adulte qui dort 6 heures ou moins et des pourcentages variant de 4,0 % à 13,9 % pour la population adulte qui dort 9 heures et plusNote4,Note24-26. Dans l’échantillon utilisé pour l’analyse, les pourcentages de personnes ayant déclaré dormir 6 heures ou moins et 9 heures et plus à la période de référence (2002-2003) sont compris dans ces grands intervalles, soit 36,1 % et 5,0 %, respectivement. Toutefois, sur la base des mesures répétées, les groupes à profil habituel de sommeil de courte et de longue durée représentaient des parts nettement plus petites de la population adulte, soit 11,1 % et 2,4 %, respectivement. Ces résultats laissent entendre que les pourcentages de personnes situées aux extrêmes de la durée du sommeil à un moment donné sont probablement plus élevés que les pourcentages de personnes qui sont habituellement de petits ou de grands dormeurs sur une période plus longue. La question de savoir si l’association des profils de sommeil de courte ou de longue durée habituels à l’état de santé diffère de celle des durées de sommeil périodiques devra être examinée dans le cadre d’autres études longitudinales portant sur des mesures répétées du sommeil.
Les preuves d’une diminution du nombre habituel d’heures de sommeil au cours des dernières décennies ne sont pas concluantesNote15,16. Les résultats de la présente étude révèlent une légère diminution au fil du temps pour trois des groupes de trajectoire, mais cette diminution pourrait ne pas être suffisamment importante pour avoir une pertinence clinique. De plus longues périodes de suivi pourraient être nécessaires pour déceler des variations significatives de la durée du sommeil.
Le modèle n’a identifié aucune trajectoire caractérisée par un accroissement global de la durée du sommeil ou par un profil de sommeil variable. Alors que les données peuvent inclure des répondants dont le nombre d’heures de sommeil varie, ce genre de profils ne constituaient pas un ou plusieurs groupes de trajectoire distincts.
Comme les classifications en groupes de trajectoire sont probabilistes, chaque personne assignée à une trajectoire particulière ne doit pas nécessairement suivre exactement ce profil de durée du sommeil. Cependant, les diagnostics du modèle étaient tous forts, ce qui indique que les groupes de trajectoire modélisée donnaient de bons résultats en ce qui concerne tant le classement des personnes ayant des profils de changement similaires dans le même groupe que l’établissement de la distinction entre les trajectoires ayant des profils de changement dissemblables.
La qualité du sommeil était un prédicteur significatif de la durée du sommeil au fil du temps et était associée de manière différentielle à l’appartenance à une trajectoire de groupe. Il semble donc que la durée ainsi que la qualité du sommeil doivent être prises en considération dans les études épidémiologiques des profils de sommeil.
L’association entre le sommeil de courte durée et le vieillissement corrobore des rapports précédemment publiés faisant état d’une plus forte prévalence des troubles du sommeil et de la consommation de sédatifs hypnotiques chez les adultes âgésNote2,Note28. L’évolution du sommeil liée à l’âge peut aussi être la conséquence de comorbidités physiques et psychologiques chroniques qui sont fréquentes chez les personnes âgéesNote3-5. D’autres études portent à croire que la relation entre la durée du sommeil autodéclarée et l’âge pourrait suivre une courbe en U, les adultes jeunes et âgés dormant plus longtemps que les adultes d’âge moyenNote29,30, quoique le sommeil de longue durée chez les personnes âgées est susceptible de représenter un épiphénomène de comorbidités chroniquesNote4.
Les hommes ont tendance à dormir un moins grand nombre d’heures que les femmesNote29-31, ce qui concorde avec leur représentation plus importante dans les groupes de trajectoire de sommeil de courte durée ou de durée normale-faible. Cependant, il existe certaines preuves que la prévalence autodéclarée des problèmes de sommeil est plus élevée chez les femmes, malgré leur sommeil de plus longue duréeNote5,Note32. Ces différences entre les sexes pourraient être, en partie, le résultat de différences d’autodéclaration des habitudes de sommeilNote33.
Points forts et limites
Les points forts de la présente étude comprennent l’utilisation d’un grand échantillon de la population ainsi que de données longitudinales sur la durée et la qualité du sommeil. En outre, l’ajout de la qualité du sommeil en tant que covariable variant avec le temps (au lieu de supposer qu’elle ne varie pas au fil du temps) reflète plus complètement l’association entre les changements de qualité et de durée du sommeil.
Plusieurs limites doivent être mentionnées. Premièrement, comparativement à des mesures objectives, la fiabilité test-retest de la question unique sur la durée du sommeil et l’exactitude de la durée du sommeil autodéclarée sont incertaines et posent un risque de classer incorrectement des profils de sommeil vraiNote34. Selon les résultats de la Sleep Heart Health Study menée auprès d’un échantillon de la population générale de 40 ans et plus, les autodéclarations ont tendance à causer la surestimation de la durée du sommeilNote35. Cependant, si le degré de surestimation est stable, les tendances seront estimées avec précision. En outre, les autodéclarations de problèmes liés à la qualité du sommeil pourraient être moins sujettes à une classification incorrecte que les autodéclarations de la durée du sommeilNote17.
Deuxièmement, les catégories de réponse à la question « Habituellement, combien d’heures dormez-vous chaque nuit? » sont exprimées en intervalles horaires et non en nombres précis. Par exemple, si la catégorie de réponse était « de 6 heures à moins de 7 heures », la durée du sommeil a été codée comme étant de 6 heures. Cette approche pourrait entraîner une sous-estimation de la durée prédite du sommeil à chaque période. Cependant, étant donné la tendance des autodéclarations à surestimer le nombre d’heures de sommeil, la classification incorrecte des trajectoires modélisées pourrait être minime.
Troisièmement, dans le cadre de l’ENSP, la durée et la qualité du sommeil ont été déclarées une fois tous les deux ans, de sorte que les fluctuations dans l’intervalle entre deux déclarations ne sont pas reflétées.
Quatrièmement, l’érosion non aléatoire de la participation à l’étude pourrait causer un biais si, par exemple, les personnes décédées ou qui ont cessé de participer à l’enquête étaient plus susceptibles que les autres de présenter certains problèmes ou profils de sommeil. Une comparaison entre les personnes exclues de l’échantillon pour l’analyse et celles qui ont été gardées a révélé des différences, à la période de référence, en ce qui concerne plusieurs caractéristiques sociodémographiques et de la santé ainsi que le pourcentage de personnes déclarant un sommeil de mauvaise qualité, mais pas en ce qui concerne la durée moyenne du sommeil. Donc, l’effet possible de l’érosion sur les trajectoires de sommeil modélisées n’est pas clair.
Conclusion
La durée et la qualité du sommeil sont des facteurs qui ont une incidence sur la santé publique. Il existe des données indiquant que le sommeil est susceptible d’affecter l’état de santé général et les comportements liés au mode de vie, et influe sur le risque associé à plusieurs problèmes de santé chroniques, dont les maladies du cœur et le diabète, ainsi que la mortalité globaleNote2.
L’analyse des trajectoires est un outil descriptif utile pour étudier l’évolution de la durée du sommeil au fil du temps. Aucune étude longitudinale représentative de la population nationale antérieure n’avait abordé la question des trajectoires des profils du sommeil. La présente étude fournit une estimation des membres de la population qui se classent continuellement dans des catégories de sommeil qui pourraient leur faire courir un risque de mauvaise santé. De futurs travaux de recherche pourraient prendre en considération des facteurs de risque autres que l’âge et le sexe (par exemple, des facteurs de santé physique ou mentale), ainsi que les résultats en matière de santé associés aux diverses trajectoires de groupe. L’interaction entre la qualité et la durée du sommeil est également un domaine important qui devrait être exploré plus en profondeur.
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