Regards sur la société canadienne
La religiosité au Canada et son évolution de 1985 à 2019

par Louis Cornelissen

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Introduction

Le Canada est caractérisé historiquement par sa diversité sur le plan religieux^Note . Cette diversité religieuse est intimement liée à la pluralité des origines des Canadiens ainsi qu’à la diversité des différences culturelles à travers le pays. Comprendre l’évolution du paysage religieux du Canada permet de mieux comprendre l’histoire culturelle et sociale du pays, ainsi que la diversité de la population actuelle. D’un point de vue sociologique, l’étude de l’évolution de la religion permet de mieux comprendre certaines transformations auxquelles font face les sociétés modernes^Note . De plus, la dimension religieuse s’avère importante en ce qui concerne l’évolution de la population, puisqu’elle peut influencer certains facteurs démographiques importants comme le mariage, le divorce et la fécondité^Note .

Le Recensement de la population comporte donc à tous les 10 ans, depuis 1871, une question sur l’affiliation religieuse des Canadiens. Au cours des dernières décennies, les recensements ont ainsi permis de suivre les changements dans la religiosité des Canadiens, dont une hausse de la proportion de personnes ne déclarant aucune affiliation religieuse, ou encore de celles déclarant une affiliation à une religion non chrétienne^Note . Les nouvelles informations statistiques du Recensement de 2021 permettront bientôt de mettre à jour le portrait de la diversité religieuse au Canada. Ces informations permettront entre autres de fournir un portrait plus détaillé des affiliations religieuses au Canada et des personnes y étant rattachées.

Cependant, la diversité religieuse ne se limite pas à l’affiliation religieuse : il existe aussi une grande diversité des façons de vivre la religion sur le plan individuel, c’est-à-dire une variété de pratiques, de croyances, de rôles joués par la religion ou la spiritualité dans la vie des individus^Note . Cette diversité en ce qui concerne les façons de vivre la religion est en bonne partie indépendante des affiliations religieuses. Ainsi, il est nécessaire de s’intéresser simultanément à plusieurs aspects du rapport des individus à la religion afin de dresser un portrait de la religion au Canada et de son évolution au cours des dernières décennies. Mieux connaître la pluralité et l’évolution des pratiques et des croyances religieuses au sein de la société canadienne peut permettre de favoriser l’inclusion et la cohésion sociale au pays.

La présente étude traite de différents aspects de la religiosité des Canadiens par l’analyse d’une série d’indicateurs issus de plusieurs cycles de l’Enquête sociale générale (ESG) de 1985 à 2019 (voir l’encadré « Sources de données, méthodes et définitions »). Plus particulièrement, l’étude se penche sur l’évolution des quatre indicateurs suivants :

1. l’affiliation à une religion (1985 à 2019);
2. la fréquence de participation à des activités religieuses en groupe, à l’exception d’occasions spéciales comme les mariages, les funérailles, etc. (1985 à 2019);
3. la fréquence de la pratique d’activités religieuses ou spirituelles sur une base individuelle (p. ex. la prière, la méditation ou d’autres formes de dévotion ayant lieu à la maison ou ailleurs) (2006 à 2019);
4. l’importance des convictions religieuses ou spirituelles quant à la façon de vivre sa vie (2003 à 2019).

L’étude porte sur la population de 15 ans et plus résidant dans les provinces canadiennes^Note . On y examine d’abord la situation récente, par l’utilisation de données combinées de 2017 à 2019, puis l’évolution des quatre indicateurs de religiosité au fil du temps et notamment aux différences qui existent en fonction de l’année de naissance. Enfin, on s’intéresse aux différences entre les cohortes de naissance en fonction du lieu de naissance et de la région de résidence.

Dans le cadre de la présente étude, le terme « religiosité » est utilisé pour désigner l’ensemble des différentes formes de rapports individuels à la religion identifiables par les questions posées dans le cadre de l’ESG. Dans cette étude, on ne cherchera pas à quantifier la notion de religiosité ou à hiérarchiser les différentes formes de religiosité. Par exemple, on évitera de dire que les personnes qui participent à des activités religieuses en groupe plus fréquemment seraient « plus religieuses » ou auraient une « plus forte religiosité». On parlera plutôt de religiosités différentes, c’est-à-dire de rapports individuels à la religion différents.

Environ les deux tiers des Canadiens déclaraient une affiliation à une religion

En 2019, un peu plus des deux tiers (68 %) de la population canadienne ont déclaré une affiliation à une religion^Note  et plus de la moitié (54 %) ont affirmé que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes quant à leur façon de vivre leur vie (tableau 1). De plus, environ le quart (23 %) des Canadiens avaient participé à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois au cours de l’année précédant l’enquête (incluant le fait d’assister à des réunions ou à des services religieux, mais à l’exception d’occasions spéciales tels les mariages ou les funérailles). Enfin, plus du tiers (37 %) avaient pratiqué des activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle au moins une fois par mois au cours de la même année (p. ex. la prière, la méditation ou d’autres formes de dévotion ayant lieu à la maison ou ailleurs).

Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de déclarer une affiliation à une religion (72 % par rapport à 64 %) ou de considérer que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes quant à leur façon de vivre leur vie (61 % par rapport à 47 %). En outre, elles s’adonnaient plus souvent que les hommes à des activités religieuses en groupe, et surtout, à des activités religieuses ou spirituelles individuelles (36 % des femmes pratiquaient une telle activité au moins une fois par semaine, par rapport à 24 % des hommes). On retrouve le même type de résultats en fonction du genre et de l’âge. En effet, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de déclarer une affiliation à une religion, de participer à des activités religieuses ou spirituelles de groupe ou individuelles et d’accorder une forte importance à leurs convictions religieuses ou spirituelles, et ce peu importe l’âge (données non présentées). Ces différences entre les femmes et les hommes en matière de religiosité ont déjà été étudiées ailleurs, sans toutefois qu’il y ait de consensus sur les raisons permettant de les expliquer^Note .

La combinaison des indicateurs permet de révéler des profils de religiosité différents

Les différents indicateurs de religiosité sont en partie indépendants les uns des autres. Ainsi, une personne peut déclarer une affiliation à une religion, mais n’accorder que peu ou pas d’importance à ses convictions religieuses ou spirituelles. À l’inverse, une personne peut accorder une grande importance à de telles croyances, tout en ne déclarant pas d’affiliation religieuse.

Au lieu de considérer chacun des indicateurs de manière isolée, on peut les combiner afin de faire ressortir plusieurs profils de religiosité. Cela permet de révéler la complexité et le caractère multidimensionnel des rapports individuels à la religion.

Le tableau 2 présente certaines combinaisons des quatre indicateurs de religiosité. Afin de disposer d’un échantillon plus grand et d’obtenir des estimations de meilleure qualité, les données pour la période de 2017 à 2019 ont été combinées (voir l’encadré « Sources de données, méthodes et définitions »). Ces croisements permettent de dégager un ensemble de profils de religiosité, certains regroupant un pourcentage de la population totale nettement plus élevé que d’autres.

La plupart des personnes qui participaient à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois déclaraient une affiliation à une religion et accordaient une grande importance à leurs convictions

De 2017 à 2019, près de 1 Canadien sur 4 (24 %) a participé à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois. La grande majorité de ces personnes déclaraient aussi une affiliation à une religion, pratiquaient fréquemment des activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle et considéraient que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes quant à leur façon de vivre leur vie. Les personnes présentant ce profil de religiosité représentaient presque 1 personne sur 5, soit 19 % de la population canadienne de 2017 à 2019 (tableau 2). Il s’agissait du plus grand contingent parmi l’ensemble des profils de religiosité.

En comparaison avec les personnes qui participaient à des activités religieuses de groupe au moins une fois par mois, celles qui y participaient moins souvent présentaient des profils de religiosité beaucoup plus diversifiés. Parmi ces personnes, le contingent le plus important regroupait les personnes qui étaient à la fois relativement peu actives religieusement (activités religieuses en groupe moins d’une fois par mois et aucune pratique religieuse individuelle), qui ne déclaraient pas d’affiliation religieuse et qui considéraient que leurs croyances religieuses ou spirituelles n’avaient que peu ou pas d’importance quant à leur façon de vivre leur vie. Ces personnes non affiliées, non pratiquantes et accordant peu d’importance aux croyances religieuses ou spirituelles représentaient presque 1 Canadien sur 5, soit 18 % de la population totale.

Toujours parmi les personnes qui participaient à des activités religieuses de groupe moins d’une fois par mois ou jamais, le troisième contingent le plus nombreux regroupait des personnes qui, bien qu’elles ne pratiquaient jamais d’activités religieuses individuelles et n’accordaient que peu ou pas d’importance aux convictions religieuses ou spirituelles dans leur vie, déclaraient tout de même une affiliation religieuse (18 % de la population totale). Ce groupe comprend probablement une grande part de ceux qui ont été qualifiés par certains d’« affiliés nominaux » — ou encore de religieux « flous » (fuzzy religious)^Note  —, c’est-à-dire les personnes pour qui la pratique et les croyances religieuses occupent une place marginale dans la vie quotidienne, mais qui maintiennent tout de même une identification à une religion.

Plusieurs autres profils de religiosité, présentés au tableau 2, méritent une attention particulière même s’ils regroupent proportionnellement moins de Canadiens. Ces profils sont mis en lumière par la prise en compte de l’importance accordée aux convictions ainsi que de la pratique religieuse ou spirituelle individuelle, en plus des indicateurs traditionnels que sont l’affiliation religieuse et la pratique religieuse en groupe.

C’est le cas notamment de 12 % des Canadiens qui, tout en ne prenant part que rarement ou jamais à des activités religieuses en groupe, entretenaient des rapports positifs avec la religion : ces personnes étaient affiliées à une religion, considéraient leurs convictions religieuses ou spirituelles comme assez importantes ou très importantes et pratiquaient des activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle au moins une fois par semaine.

En résumé, la combinaison de différents indicateurs permet de faire apparaître des nuances importantes, parfois absentes des recherches sur la religiosité au Canada.

Dans le reste de cet article, certains résultats seront présentés pour les personnes avec et sans affiliation religieuse en fonction de l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles dans le mode de vie (lignes du tableau 2). Le reste combine la fréquence de participation à des activités religieuses en groupe avec la fréquence de la pratique d’activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle (version simplifiée des colonnes du tableau 2).

Peu importe la religion d’affiliation, une majorité de personnes déclaraient que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient importantes dans leur vie

La prévalence de certaines formes de religiosité variait en fonction de la religion d’affiliation déclarée par les personnes (tableau 3). On note d’abord des différences importantes en ce qui a trait à la participation à des activités religieuses. Parmi l’ensemble des Canadiens ayant déclaré une affiliation religieuse, un peu moins du tiers (32 %) participait à des activités religieuses en groupe au moins une fois par mois. Cependant, certains regroupements d’affiliations étaient caractérisés par des proportions nettement au-dessus de cette moyenne — Témoins de Jéhovah (86 %), Saints des derniers jours (80 %), anabaptistes (75 %), ou encore pentecôtistes ou autres charismatiques (72 %) — et d’autres par des proportions en dessous de la moyenne — bouddhistes (15 %), anglicans (19 %), Église unie (19 %) ou encore juifs (24 %).

Ces écarts peuvent découler de différences dans la composition des populations déclarant diverses affiliations, ou encore de différences confessionnelles concernant les formes de pratiques religieuses. En outre, la question sur la fréquence de participation à des activités religieuses en groupe demande aux répondants d’exclure les événements spéciaux (tels les mariages, funérailles, baptêmes, bar/bat-mitsva, etc.). Ces rites de passage, non comptabilisés, peuvent prendre une importance variable d’une affiliation à l’autre.

On observe également certaines variations en ce qui concerne l’importance des convictions religieuses en fonction de l’affiliation. Toutefois, une majorité de personnes de chacune des affiliations religieuses déclaraient que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes quant à leur façon de vivre leur vie (de 62 % pour les catholiques à 98 % pour les Témoins de Jéhovah).

L’affiliation à une religion, la pratique d’activités religieuses et l’importance accordée aux convictions religieuses sont toutes en déclin depuis des décennies

Sur la période couverte par chacun des indicateurs, l’affiliation à une religion, la fréquence de participation à des activités religieuses en groupe, la fréquence de la pratique d’activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle et l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles dans le mode de vie ont toutes eu tendance à diminuer (graphique 1).

Ainsi, en 1985, 90 % des personnes de 15 ans et plus ont déclaré une affiliation religieuse, comparativement à la proportion de 68 % enregistrée en 2019. La proportion de personnes qui assistaient à des activités religieuses en groupe au moins une fois par mois a quant à elle pratiquement diminué de moitié, passant de 43 % en 1985 à 23 % en 2019. Par ailleurs, 71 % des personnes ont déclaré, en 2003, que leurs convictions religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes, comparativement à 54 % en 2019. Enfin, la proportion de personnes ayant pratiqué des activités religieuses ou spirituelles de façon individuelle au moins une fois par semaine a également diminué, passant de 46 % en 2006 à 30 % en 2019.

L’évolution des indicateurs de religiosité est en partie attribuable aux différences de religiosité entre les générations plus jeunes et plus âgées

Comment interpréter l’évolution dans le temps des indicateurs de religiosité? Est-ce que le rapport que les individus entretiennent avec la religion évolue au fil de leur vie adulte, ou est-ce qu’on assiste plutôt à la succession de générations caractérisées par des formes de religiosité différentes?

Les graphiques 2 à 5 présentent l’évolution des différents indicateurs de religiosité, selon la cohorte de l’année de naissance, pour les personnes nées au Canada^Note . En général, plus une cohorte est jeune, moins la proportion de personnes déclarant une affiliation religieuse est élevée (graphique 2), moins la participation à des activités religieuses en groupe est fréquente (graphique 3), moins les activités religieuses ou spirituelles individuelles sont fréquentes (voir le graphique 4 en annexe) et moins l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles quant à la façon de vivre sa vie est grande (voir le graphique 5 en annexe).

Dans chacun des cas, la situation a tendance à être relativement stable au sein d’une même cohorte, même si l’on constate des changements au fur et à mesure que les personnes vieillissent. Le remplacement de cohortes plus anciennes par des cohortes plus récentes apparaît donc comme le principal moteur de l’évolution de la religiosité dans le temps. Autrement dit, la diminution de l’affiliation religieuse, de la participation à des activités religieuses et de l’importance accordée aux convictions religieuses ou spirituelles s’explique d’abord par le fait que les générations récentes (plus jeunes) ont un rapport différent à la religion que les plus anciennes, et non par un changement au fil du temps de ce rapport au sein de chacune des générations.

L’importance des effets de cohorte dans l’évolution de la religiosité a déjà été constatée par d’autres études, au Canada comme ailleurs dans le monde^Note . Ces études donnent à penser que la socialisation des enfants et des jeunes a une incidence relativement durable sur leurs identités, pratiques et croyances religieuses, et que les changements observés dans la population au chapitre de la religiosité pourraient refléter des modifications à ce niveau^Note . Thiessen et Wilkins-Laflamme ont ainsi observé que, parmi un ensemble de pays occidentaux, les membres des cohortes plus récentes avaient tendance à avoir été élevés sans religion et que, indépendamment du fait d’avoir été élevés avec ou sans religion, ils étaient de plus en plus susceptibles de ne pas déclarer d’affiliation religieuse^Note .

Cela dit, la religiosité des personnes peut aussi changer au cours de leur vie, ce que reflète l’évolution au fil du temps des indicateurs de religiosité au sein même de chacune des cohortes. Dans pratiquement toutes les cohortes, la fréquence de la pratique d’activités religieuses en groupe et de façon individuelle ainsi que l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles dans le mode de vie ont eu tendance à diminuer avec l’âge.

En revanche, la situation au sein d’une même cohorte a été plus stable en ce qui a trait à l’affiliation à une religion, malgré certaines fluctuations. Au sein de la plupart des cohortes, la proportion de personnes déclarant une affiliation religieuse a eu tendance à diminuer légèrement au fil du temps jusqu’en 2010, puis la tendance s’est inversée par la suite. Ainsi, bien qu’il y ait une diminution claire de la pratique et de l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles au fil du temps au sein de chacune des cohortes, ces changements ne se traduisent pas forcément par une désaffiliation religieuse complète, en particulier à des âges plus avancés. La désaffiliation religieuse au cours de la vie semblait être un peu plus fréquente parmi les plus jeunes (15 à 30 ans). Pour les personnes qui ne déclarent pas d’affiliation religieuse, mais qui proviennent d’un milieu familial où la religion est présente, c’est en effet souvent au moment de la fin de l’adolescence et du début de l’âge adulte que cette transition dans la façon de s’identifier ou non à une religion a lieu^Note .

Les différences entre les personnes nées au Canada et à l’extérieur du Canada sont plus marquées parmi les cohortes plus jeunes

Les personnes nées à l’extérieur du Canada constituent une population diversifiée sur le plan religieux, reflet notamment de la grande diversité des contextes religieux desquels elles sont issues et des trajectoires de vie qu’elles ont connues.

Au cours de la période de 2017 à 2019, les personnes nées hors du Canada (77 %) étaient plus susceptibles de déclarer avoir une affiliation à une religion que celles nées au Canada (72 %) (données non présentées). Tout comme la population née au Canada, la majorité des personnes nées hors du Canada déclaraient une affiliation chrétienne (51 %) ou aucune affiliation religieuse (23 %). Toutefois, les personnes nées hors du Canada étaient nettement plus susceptibles de déclarer être affiliées à une religion musulmane (12 % contre 1 % chez celles nées au Canada), hindoue (6% contre 0,3 %), sikhe (4 % contre 0,6 %) et bouddhiste (4 % contre 0,6 %) que celles nées au Canada. Elles étaient également plus susceptibles de participer à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois (36 % contre 19 %) et de pratiquer une activité religieuse ou spirituelle individuelle au moins une fois par semaine (42 % contre 28 %).

Parmi les personnes nées au Canada, les membres des cohortes plus jeunes étaient nettement moins susceptibles que les cohortes plus âgées de déclarer une affiliation religieuse et, lorsqu’ils le faisaient, ils étaient moins susceptibles de considérer que leurs convictions étaient importantes quant à leur façon de vivre leur vie (32 % des personnes nées entre 1980 et 1999 par rapport à 48 % et à 62 % de celles nées entre 1960 et 1979 et 1940 et 1959, respectivement) (graphique 6). Ces tendances, bien que présentes, étaient moins marquées chez les personnes nées à l’extérieur du Canada, les cohortes plus âgées et plus jeunes se distinguant moins les unes des autres.

Ainsi, dans l’ensemble, les différences entre les personnes nées au Canada et les personnes nées à l’extérieur du Canada étaient plus marquées parmi les cohortes plus jeunes. Par exemple, parmi les personnes plus jeunes, nées entre 1980 et 1999, celles nées à l’extérieur du Canada étaient plus susceptibles de déclarer une affiliation religieuse que celles nées au Canada (71 % et 59 %, respectivement). En comparaison, parmi les personnes nées entre 1940 et 1959, celles nées à l’extérieur du Canada étaient à peu près aussi susceptibles que celles nées au Canada de déclarer une affiliation à une religion (85 % et 87 %, respectivement).

On remarque également que, parmi les plus jeunes nés entre 1980 et 1999, les personnes nées à l’extérieur du Canada étaient nettement plus susceptibles que celles nées au Canada de considérer que leurs convictions religieuses étaient assez importantes ou très importantes (62 % et 39 %, respectivement). Cet écart était moins prononcé parmi les cohortes plus âgées.

En ce qui a trait à la pratique d’activités religieuses ou spirituelles (graphique 7), la différence la plus marquée entre les personnes nées au Canada et celles nées à l’extérieur du Canada concerne la participation à des activités religieuses en groupe. Ainsi, de 2017 à 2019, 36 % des personnes nées à l’extérieur du Canada participaient à des activités religieuses en groupe au moins une fois par mois, comparativement à 19 % de celles nées au Canada. La plus forte tendance parmi les immigrants à fréquenter des services religieux est souvent attribuée à l’importance des communautés religieuses comme lieu d’intégration sociale, en particulier dans les premières années suivant l’arrivée au pays^Note .

On constate, encore une fois, que les différences entre les personnes nées à l’extérieur du Canada et celles nées au Canada étaient plus marquées parmi les cohortes plus jeunes. Ainsi, les personnes nées à l’extérieur du Canada entre 1980 et 1999 étaient nettement plus susceptibles de participer mensuellement à des activités religieuses en groupe que leurs homologues nés au Canada (30 % et 13 %, respectivement).

Cependant, des différences marquées selon le fait d’être né au Canada ou à l’extérieur du Canada étaient aussi observées parmi les cohortes plus âgées. Ainsi, parmi les personnes nées à l’extérieur du Canada entre 1940 et 1959, 38 % participaient mensuellement à des activités religieuses en groupe, comparativement à 23 % de leurs homologues nés au Canada.

La religiosité varie d’une région à l’autre au Canada

Les mesures de religiosité varient également d’une région à l’autre au Canada. De fait, la diversité des dynamiques régionales est depuis longtemps une caractéristique fondamentale du Canada sur le plan religieux^Note .

L’Ontario et les provinces des Prairies présentent des tendances similaires à celles examinées jusqu’à maintenant (graphiques 8 et 9). On s’attardera donc aux trois autres régions, soit la Colombie-Britannique, le Québec et les provinces de l’Atlantique.

En Colombie-Britannique, une forte tendance à la désaffiliation et une participation stable mais faible à des activités religieuses

De 2017 à 2019, la Colombie-Britannique se caractérisait par d’importantes proportions de personnes déclarant aucune affiliation religieuse (40 %) et n’ayant jamais pratiqué d’activités religieuses ou spirituelles en groupe ou de façon individuelle au cours de la dernière année (47 %).

De fortes proportions de non-affiliation distinguent la Colombie-Britannique depuis plusieurs décennies. Par exemple, en 1985, 25 % des personnes de 15 ans et plus vivant en Colombie-Britannique ne déclaraient pas d’affiliation religieuse, comparativement à 9 % dans le reste du Canada. Les données du Recensement de 1901 montrent que les résidents de cette province étaient déjà à l’époque proportionnellement plus nombreux à déclarer ne pas être affiliés à une religion (1,5 % par rapport à 0,16 % ailleurs au Canada). À confession égale, ils fréquentaient aussi moins souvent les églises et lieux de culte que leurs homologues dans les provinces de l’Est^Note . Différentes études ont cherché à lier cette particularité régionale à certaines circonstances historiques. Il a ainsi été avancé que l’implantation des organisations religieuses en Colombie-Britannique, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, se serait faite de façon plus inégale qu’ailleurs au Canada, laissant ainsi plus de place à la non-affiliation religieuse^Note .

Certains ont suggéré que la situation particulière de la Colombie-Britannique en matière de non-affiliation pourrait être attribuable à l’importance de l’immigration depuis l’Asie de l’Est (en particulier la Chine), ces immigrants étant nombreux à ne pas déclarer d’affiliation religieuse^Note . Cependant, dans l’ensemble, les immigrants et les enfants d’immigrants en Colombie-Britannique étaient moins susceptibles de ne pas déclarer d’affiliation religieuse (36 %) que les personnes de 3^e génération et plus (45 %)^Note . La situation particulière de la province ne relève ainsi pas simplement de l’immigration, ou à tout le moins pas de l’immigration récente.

Cette tendance à la non-affiliation était encore plus marquée parmi les cohortes plus jeunes (graphique 8). Ainsi, de 2017 à 2019, parmi les personnes nées entre 1980 et 1999, plus de la moitié (53 %) ne déclaraient pas d’affiliation religieuse, comparativement à 38 % de celles nées entre 1960 et 1979 et à 27 % de celles nées entre 1940 et 1959. C’est surtout la proportion de personnes déclarant simultanément ne pas avoir de religion et n’accorder que peu d’importance ou aucune importance à leurs convictions qui était plus grande parmi les générations plus jeunes.

Ces différences intergénérationnelles relatives à l’affiliation et à l’importance accordée aux convictions ne se transposent toutefois pas en différences significatives en ce qui a trait à la pratique d’activités religieuses ou spirituelles en groupe ou de façon individuelle (graphique 9). En effet, les proportions de personnes participant à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois (entre 18 % et 22 %) et de celles n’ayant pas pratiqué d’activités religieuses en groupe ou de façon individuelle au cours de la dernière année (entre 47 % et 49 %) étaient similaires d’une cohorte à l’autre.

Au Québec, une forte affiliation à une religion mais une faible participation à des activités religieuses

De 2017 à 2019, le Québec se distinguait des autres provinces par la plus forte proportion de personnes déclarant simultanément avoir une affiliation religieuse et considérer leurs convictions religieuses ou spirituelles comme n’étant pas très ou pas du tout importantes quant à leur façon de vivre leur vie (40 % par rapport à des proportions allant de 15 % à 25 % dans les autres provinces). Le Québec se démarquait aussi par la plus faible proportion de personnes participant à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois (14 % par rapport à des proportions allant de 21 % à 32 % dans les autres provinces).

Ce taux relativement faible de participation à des activités religieuses en groupe met en évidence des changements importants observés au cours des dernières décennies dans la province, en particulier parmi les catholiques. En 1985^Note , environ la moitié (48 %) des personnes de 15 ans et plus au Québec participaient à des activités religieuses au moins une fois par mois. Parmi les catholiques, ce taux s’élevait à 51 %, alors que parmi les personnes ayant déclaré une affiliation religieuse autre que catholique, il était de 42 %. De 2017 à 2019, les taux de participation mensuelle à des activités religieuses en groupe étaient de 14 % pour les catholiques et de 26 % pour les personnes ayant déclaré une affiliation religieuse autre que catholique. Il convient de souligner que, de 1985 à la période de 2017 à 2019 au Québec, la part de catholiques parmi la population âgée de 15 ans et plus a diminué, passant de 87 % à 62 %; parallèlement, la proportion de personnes d’affiliation religieuse autre que catholique a doublé, passant de 9 % en 1985 à 18 % pour la période de 2017 à 2019.

Certaines différences notables entre les différentes cohortes de naissance au Québec ont contribué à ces changements dans la participation à des activités religieuses au fil du temps (graphique 9). Par exemple, les personnes nées entre 1980 et 1999 étaient deux fois moins susceptibles (19 %) de participer à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois ou à une activité religieuse individuelle au moins une fois par semaine que celles nées entre 1940 et 1959 (39 %).

Il existait aussi des contrastes importants entre les cohortes par rapport à l’affiliation religieuse et à l’importance accordée aux convictions religieuses ou spirituelles, mais dans tous les cas, la situation au Québec se distinguait de celle des autres régions du pays (graphique 8). De 2017 à 2019, les cohortes plus jeunes étaient plus susceptibles de ne pas déclarer d’affiliation religieuse (30 % des personnes nées entre 1980 et 1999, par rapport à 13 % de celles nées entre 1960 et 1979 et à 7 % de celles nées entre 1940 et 1959). Ces proportions étaient chaque fois inférieures à celles observées parmi les mêmes cohortes ailleurs au Canada^Note .

Toutefois, d’une cohorte de naissance à l’autre, une part grandissante et toujours plus importante qu’ailleurs au pays des personnes déclarant une affiliation religieuse indiquaient aussi que leurs convictions religieuses n’étaient pas très importantes ou pas du tout importantes dans leur vie. C’était le cas de 42 % des résidents du Québec nés entre 1940 et 1959, de 50 % de ceux nés entre 1960 et 1979 et de 62 % de ceux nés entre 1980 et 1999.

En somme, la combinaison d’une affiliation à une religion spécifique, d’une faible importance accordée aux convictions et d’une faible participation à des activités religieuses est nettement plus présente au Québec qu’ailleurs au Canada. Certains auteurs ont utilisé le terme de « catholicisme culturel » pour décrire cette tendance, qui serait particulièrement présente parmi les catholiques québécois, à maintenir une identification au catholicisme tout en n’accordant qu’une place limitée à la religion dans la vie quotidienne^Note .

Dans les provinces de l’Atlantique, des contrastes particulièrement marqués entre les générations

Au cours des dernières décennies, les provinces de l’Atlantique ont eu tendance à être considérées comme les plus stables en matière de religion, en particulier en ce qui concerne l’affiliation religieuse^Note . Ce constat de relative stabilité sur le plan religieux tend à s’étendre à l’ensemble du XX^e siècle^Note .

Cependant, les données de 2017 à 2019 révèlent des contrastes particulièrement marqués entre les cohortes les plus âgées et les plus jeunes dans cette région (graphiques 8 et 9). Ainsi, de 2017 à 2019, 36 % des personnes nées entre 1940 et 1959 participaient à une activité religieuse en groupe au moins une fois par mois, comparativement à 15 % de celles nées entre 1980 et 1999. Par ailleurs, parmi les personnes de la plus jeune des cohortes, environ la moitié (48 %) n’avait jamais pratiqué une activité religieuse en groupe ou individuelle au cours de la dernière année, une proportion similaire à celle observée chez les personnes du même âge vivant en Colombie-Britannique.

On constate les mêmes différences entre les cohortes en ce qui concerne l’affiliation religieuse et l’importance accordée aux croyances. En effet, les personnes nées entre 1940 et 1959 étaient deux fois plus susceptibles de déclarer avoir une affiliation religieuse et de considérer leurs convictions religieuses ou spirituelles comme étant assez importantes ou très importantes (74 %) que celles nées entre 1980 et 1999 (37 %).

Conclusion

Plusieurs explications, souvent divergentes, ont été avancées pour décrire les changements en cours en matière de religion au Canada et dans d’autres pays. La présente étude ne vise pas à se prononcer sur ces considérations théoriques, mais plutôt à mettre en valeur les données de plusieurs cycles de l’Enquête sociale générale qui permettent d’alimenter la réflexion sur la religion au Canada et son évolution.

L’affiliation à une religion, la fréquence de la pratique d’activités religieuses en groupe et sur une base individuelle, de même que l’importance accordée aux convictions religieuses ou spirituelles quant à la façon de vivre sa vie ont eu tendance à diminuer au cours des dernières décennies. Ces changements découlent d’abord de la succession de cohortes présentant progressivement de moins en moins souvent ces formes de religiosité, puis dans une moindre mesure, de changements au sein de chaque cohorte au fil du temps. Ces résultats concernant l’importance primordiale des cohortes dans l’explication des changements religieux sont cohérents avec ceux d’autres études portant sur les dynamiques religieuses au Canada comme ailleurs dans le monde^Note .

Au-delà des différences entre cohortes, on observe aussi certains changements au sein de chacune d’entre elles. Ainsi, au sein de pratiquement toutes les cohortes, la fréquence de la pratique d’activités religieuses en groupe ou de façon individuelle ainsi que l’importance accordée aux convictions religieuses et spirituelles ont eu tendance à diminuer avec le temps. En ce qui concerne l’affiliation à une religion, la situation est plus stable au sein des cohortes, bien que l’on constate certaines fluctuations.

Différentes régions du Canada sont caractérisées par des dynamiques qui leur sont propres. Par exemple, en Colombie-Britannique, la proportion de personnes ne déclarant pas d’affiliation religieuse est la plus élevée au Canada et tend à augmenter d’une cohorte à l’autre. Ces cohortes se distinguent cependant peu quant à leur pratique d’activités religieuses en groupe ou sur une base individuelle.

Au Québec, la non-affiliation est faible, mais l’affiliation à une religion se conjugue plus souvent à une faible importance accordée aux convictions religieuses ou spirituelles. La participation à des activités religieuses, en particulier en groupe, y est aussi moins fréquente qu’ailleurs.

Dans les provinces de l’Atlantique, les contrastes sont plus marqués entre les générations, suggérant que des changements importants du paysage religieux s’y sont amorcés.

Bien que seuls quelques facteurs aient été explorés dans le cadre de cette étude, la diversité des dynamiques religieuses régionales au Canada est importante et pourrait être approfondie davantage. Au-delà des variations géographiques, les variations en fonction de la confession religieuse, du pays de naissance ou de diverses caractéristiques ethnoculturelles mériteraient aussi d’être approfondies. Et il est tout à fait possible que les différences régionales continuent de s’amplifier dans l’avenir, notamment sous l’effet des niveaux d’immigration et de composition de l’immigration très différente d’une région à l’autre du Canada.

Les quelques indicateurs analysés dans la présente étude ne permettent pas de résumer l’ensemble du rapport des individus à la religion, et plusieurs autres mesures de la religiosité sont possibles. Dans tous les cas, la prise en compte simultanée de plusieurs formes de religiosité, au-delà de la simple identification à une religion, permet de peindre un portrait plus complexe de la diversité religieuse au Canada et de ses tendances. Ce portrait permettra de mieux contextualiser et interpréter les résultats à venir du Recensement de 2021. Ces résultats permettront de fournir une description d’un grand niveau de détail, notamment géographique, en ce qui concerne les affiliations religieuses de la population canadienne. Les résultats du Recensement de 2021 ne permettront toutefois pas de rendre compte d’autres aspects importants du rapport des individus à la religion, tels que ceux couverts par la présente étude.

Louis Cornelissen est un analyste au Centre de démographie à Statistique Canada.

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