Regards sur la société canadienne
La contribution de l’immigration à la taille et à la diversité ethnoculturelle des futures cohortes de personnes âgées Regards sur la société canadienne
La contribution de l’immigration à la taille et à la diversité ethnoculturelle des futures cohortes de personnes âgées

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par Yves Carrière, Laurent Martel, Jacques Légaré et Jean-François Picard

Début de l'encadré

Fin de l'encadré

Introduction

Au Canada, le vieillissement de la population s’est récemment accéléré. Depuis 2011, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus s’est accru au rythme annuel moyen de 4,0 %, alors que cette croissance annuelle était de 2,2 % en moyenne au cours des vingt années précédentes. Selon tous les scénarios élaborés dans le cadre des plus récentes projections démographiques de Statistique Canada^{Note 1}, ce nombre devrait continuer de croître à un rythme de 3,5 % en moyenne au cours des vingt prochaines années.

Le vieillissement rapide de la population canadienne qui se produira d’ici 2031 est essentiellement lié à l’atteinte de l’âge de 65 ans des personnes faisant partie des cohortes de la période du baby-boom (personnes nées entre 1946 et 1965). Cette période du baby-boom a été suivie par une chute importante de la natalité (« baby-bust »), le nombre de naissances étant passé d’un sommet de 479 000 en 1959 à un peu plus de 343 000 en 1973. Ces variations dans la taille des cohortes à la naissance pourraient laisser croire que le vieillissement de la population prévu au cours des prochaines décennies est essentiellement lié au passage des baby-boomers à l’âge mûr.

L’immigration contribue cependant à atténuer les différences dans la taille des diverses cohortes entre l’âge de 0 à 65 ans. Dans des pays connaissant une immigration soutenue comme le Canada, cet effet peut être important sur la taille de certaines cohortes en particulier.

Outre son effet sur la taille des cohortes, l’immigration contribue également à accroitre la diversité ethnoculturelle de la population si les caractéristiques des immigrants sont différentes de celles de la population d’accueil.

Le but de cet article est d’abord de mesurer l’effet de l’immigration sur la taille des diverses cohortes entre l’âge de 0 à 65 ans, et ensuite de projeter la diversité ethnoculturelle de la population des personnes âgées du Canada dans l’avenir. La présente étude pourrait donc aider à mieux soutenir la planification et l’élaboration de programmes, politiques et services relatifs au vieillissement démographique et aux futures personnes âgées, par exemple concernant des enjeux liés à la retraite ou aux services de soins de santé et de maintien à domicile.

Les résultats proviennent des données de la Statistique de l’état civil, des statistiques provenant d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et des données du Programme des estimations démographiques et du Programme des projections démographiques – incluant le modèle de microsimulation Demosim (voir Sources de données, méthodes et définitions). Les résultats présentés dans cette étude découlent du scénario de croissance moyenne (ou de référence). Cependant, les résultats des scénarios fort et faible sont indiqués dans les notes de bas de page pour chaque résultat de projection, reflétant ainsi l’incertitude inhérente aux exercices de projection.

Variation dans la taille des cohortes à la naissance

Le nombre de naissances, et donc la taille des cohortes à la naissance, a considérablement fluctué depuis 1926 au Canada, en particulier dans les années 1940, 1950 et 1960 (graphique 1).

Ainsi, la taille de la cohorte de Canadiens nés entre 1937 et 1941 à la naissance était d’environ 1,2 million de personnes et elle a augmenté à plus de 1,8 million pour la cohorte de personnes nées entre 1947 et 1951, puis à près de 2,4 millions pour la cohorte de personnes nées entre 1957 et 1961 (la plus nombreuse observée au cours de la période). En comparaison, la taille de la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971, pendant une période de chute de la natalité au Canada, était significativement plus petite, puisqu’elle comptait environ 1,8 million de personnes. La taille de la cohorte de personnes nées entre 1997 et 2001 (la plus récente à l’étude) était encore moins importante, se chiffrant à 1,7 million de personnes, notamment en raison d’une fécondité plus faible au tournant de l’an 2000^{Note 2}.

Les variations observées dans la taille des diverses cohortes de personnes nées durant les années 1940, 1950 et 1960 sont particulièrement importantes puisque le Canada a connu l’un des plus forts baby-booms de l’après-guerre de tous les pays industrialisés. En effet, l’indice synthétique de fécondité (nombre d’enfants par femme) était parmi les plus élevés à cette époque parmi les pays du G8.

La chute de la natalité qui a suivi a également été très importante, la fécondité passant d’un niveau record de 3,94 enfants par femme en 1959 à 1,83 en 1974, soit seulement 15 ans plus tard.

La baisse de la mortalité atténue légèrement les différences entre les cohortes

Par définition, la mortalité influe sur la taille des cohortes entre la naissance et l’âge de 65 ans, moment où les personnes de ces diverses cohortes contribuent, par convention, au vieillissement démographique. Fait remarquable, durant le XX^e siècle au Canada, la mortalité a eu moins d’incidence sur les cohortes les plus récentes (de plus petites tailles); leur taille étant moins touchée entre l’âge de 0 à 65 ans par le nombre de décès que les cohortes antérieures.

Pour illustrer ce phénomène, les courbes de survie de diverses cohortes ont été estimées dans un contexte de population fermée, c’est-à-dire au sein de laquelle seule la mortalité a une incidence sur leur taille (graphique 2)^{Note 3}.

Les résultats montrent qu’au moment d’atteindre 65 ans, 19 % de la cohorte de personnes nées entre 1937 et 1941 avait disparu par l’effet de la mortalité seulement, alors qu’on peut projeter que cette proportion sera de 13 %^{Note 4} parmi la cohorte de personnes nées entre 1957 et 1961, et pourrait ne pas dépasser 6 %^{Note 5} pour la cohorte la plus récente, soit celle de personnes nées entre 1997 et 2001.

Il est également intéressant de noter la taille de la cohorte de personnes nées entre 1997 et 2001 pourrait être la même que celle de la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971 à l’âge d’environ 60 ans, même si cette dernière était plus nombreuse à la naissance^{Note 6}. C’est parce que celle-ci pourrait être touchée davantage par la mortalité entre 0 et 60 ans.

L’incidence de l’immigration varie d’une cohorte à l’autre

À l’effet de la mortalité sur la taille des cohortes s’ajoute celui de l’immigration, particulièrement pour le Canada, pays où les niveaux d’immigration ont été souvent soutenus au cours des 70 dernières années^{Note 7}. Même si le nombre d’immigrants et le taux d’immigration ont beaucoup fluctué depuis 1852, ils demeurent assez élevés depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale (graphique 3). Entre 1946 et 2014, le Canada a admis annuellement en moyenne 172 000 immigrants par année, ce qui correspond à un taux d’immigration de 7,2 pour mille habitants.

Depuis la fin des années 1980, l’immigration est cependant caractérisée par des tailles de cohorte plus grandes (avec une moyenne de plus de 235,000 immigrants par année) et qui fluctuent moins d’une année à l’autre. Ainsi, La contribution de l’immigration à la taille des cohortes pourrait être différente selon que les cohortes ont traversé les âges de forte immigration (autour de 30 ans au Canada) à une période plutôt qu’à une autre.^{Note 8}

Par exemple, les premiers enfants du baby-boom, nés entre 1946 et 1956, ont eu 30 ans entre 1976 et 1986, période où le nombre d’immigrants annuellement admis au Canada a été parmi les plus faibles depuis 1946.

Il est donc attendu que l’incidence de l’immigration sur la taille de cette cohorte, entre l’âge de 0 à 65 ans, sera moindre que pour les cohortes plus récentes. En d’autres termes, alors que les cohortes de baby-boomers étaient plus nombreuses à la naissance que celles qui ont suivi, les cohortes plus récentes pourraient les rattraper en nombre en raison de l’accueil d’un nombre d’immigrants plus important.

Il est possible d’examiner l’effet de la mortalité et de l’immigration sur l’évolution de la taille de quatre cohortes du XX^e siècle, soit celles de personnes nées entre 1937 et 1941 (avant la période du baby-boom), entre 1957 et 1961 (sommet de la période du baby-boom), entre 1967 et 1971 (durant la période de chute de la natalité) et entre 1997 et 2001 (la plus récente à l’étude).

Par exemple, dans le cas de la cohorte des personnes nées entre 1937 et 1941, la taille à l’âge de 65 ans surpassait de 36 % celle à laquelle il aurait fallu s’attendre dans le cas de la seule mortalité (graphiques 4.1 à 4.4).

D’une cohorte à l’autre, il apparait clairement que l’incidence de l’immigration sur leur taille respective est différente, c’est-à-dire qu’elle est moindre pour les cohortes les plus anciennes et plus importante pour les cohortes les plus récentes.

Ainsi, la taille à l’âge de 65 ans de la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971 est projetée être 48 %^{Note 9} plus élevée que celle prévue lorsqu’on tient compte seulement de la mortalité, comparativement à seulement 28 %^{Note 10} pour la cohorte la plus nombreuse, soit celle de personnes nées entre 1957 et 1961. Pour la cohorte la plus récente, soit celle de personnes nées entre 1997 et 2001, la taille pourrait être 73 %^{Note 11} plus élevée si les tendances actuelles en matière d’immigration devaient se poursuivre au cours des prochaines années.

Les tailles observées et projetées des différentes cohortes mentionnées ci-dessus peuvent être exprimées sous forme de graphique (graphique 5), ce qui permet d’entrevoir l’évolution du renouvellement de la population âgée au cours des prochaines décennies.

On peut voir que si la cohorte de personnes nées entre 1997 et 2001 présentait à la naissance une taille nettement plus petite que celle de la cohorte de personnes nées entre 1957 et 1961 (période du baby-boom), la taille de la première devrait correspondre à celle de la seconde avant l’âge de 35 ans (selon tous les scénarios de croissance de la population).

De plus, lorsque les personnes de la cohorte la plus récente (1997 à 2001) atteindront la soixantaine, leur nombre devrait même dépasser le nombre prévu de sexagénaires nés entre 1957 et 1961 (selon tous les scénarios). Ces résultats donnent à penser que la croissance de la population âgée pourrait se poursuivre bien au-delà de la période associée à l’atteinte de l’âge de 65 ans des baby-boomers. Les personnes nées entre 1997 et 2001 atteindront l’âge de 65 ans au milieu des années 2060.

Croissance de la diversité ethnoculturelle de la population âgée au Canada

L’incidence variable de l’immigration sur la taille des diverses cohortes à l’âge de 0 à 65 ans pourrait aussi signifier que les cohortes successives de personnes âgées ne seront pas semblables sur le plan de leurs caractéristiques.

La proportion de personnes nées à l’étranger devrait demeurer assez semblable entre la cohorte de personnes nées entre 1947 et 1951 (présentement âgées dans le milieu de la soixantaine) et la suivante, soit de personnes nées entre 1957 et 1961 (selon tous les scénarios). Dans les deux cas, les personnes nées à l’étranger devraient former un peu plus du quart de la population de leurs cohortes respectives à l’âge de 65 ans (graphique 6)^{Note 12}. Autrement dit, les cohortes de personnes nées durant la période du baby-boom (plus nombreuses) seront moins diversifiées.

Toutefois, si les tendances actuelles quant au niveau et à la composition de l’immigration au Canada devaient se maintenir au cours des prochaines décennies, près de 47 %^{Note 13} de la population de la cohorte de personnes nées entre 1997 et 2001 pourrait être née à l’étranger lorsque celle-ci atteindra le début de la soixantaine.

Dès la génération représentée par la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971, période caractérisée par une chute de la natalité, cette proportion pourrait s’élever à au moins 36 %, soit un peu plus d’une personne sur trois^{Note 14}. L’atteinte de l’âge de 65 ans des personnes de cette génération dans les années 2030 devrait alors contribuer à augmenter la diversité ethnoculturelle de la population âgée du Canada. De plus, des changements importants pourraient se produire d’une cohorte à l’autre dans le lieu de naissance des personnes nées à l’étranger (graphique 7).

La proportion de personnes de 65 ans nées en Europe devrait diminuer rapidement, à partir des cohortes plus anciennes jusqu’à la cohorte de personnes nées entre 1957 et 1961, tandis que la proportion des personnes de 65 ans qui sont nées en Asie devrait augmenter significativement à partir de la cohorte de personnes nées entre 1957 et 1961 (selon tous les scénarios).

Ainsi, la cohorte de personnes nées entre 1947 et 1951 pourrait être la dernière, à l’âge de 65 ans, à avoir une proportion de personnes nées en Europe supérieure à celles nées en Asie. En contrepartie, à partir de la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971, l’Asie représenterait le continent de naissance le plus commun chez les personnes de 65 ans nées à l’étranger (selon tous les scénarios).

Enfin, ce passage d’une immigration à majorité d’origine européenne vers une majorité d’origine asiatique contribuera à une autre transformation des caractéristiques sociodémographiques de la population âgée dans l’avenir, soit l’appartenance à un groupe de minorité visible.

La proportion de personnes appartenant à un groupe de minorité visible pourrait croitre faiblement au sein des cohortes de personnes nées entre 1947 et 1951, et entre 1957 et 1961, lorsqu’elles atteindront l’âge de 65 ans (soit de 13 % à 17 %)^{Note 15}, deux cohortes de personnes nées durant la période du baby-boom et moins touchées par l’immigration (graphique 8).

En comparaison, dès que la cohorte de personnes nées entre 1967 et 1971 aura atteint l’âge de 65 ans, cette proportion pourrait augmenter rapidement, pouvant s’établir à plus d’une personne sur quatre au sein de cette cohorte (26 %)^{Note 16} et jusqu’à près d’une personne sur deux pour la cohorte la plus récente (44 %)^{Note 17}, soit de personnes nées entre 1997 et 2001.

Conclusion

À la lumière des résultats présentés dans cet article, il apparait clairement que dans un pays connaissant un niveau d’immigration soutenue, la taille de diverses cohortes peut varier considérablement entre l’âge de 0 à 65 ans.

Si, d’ici 2031, l’atteinte de l’âge de 65 ans des cohortes de baby-boomers, dont la taille est plus grande, accélèrera le vieillissement de la population canadienne , l’atteinte de l’âge de 65 ans par la suite de cohortes dont la taille est plus petite à la naissance, mais davantage augmentée par l’immigration et une mortalité plus faible, contribuera aussi au vieillissement démographique.

Avec davantage de personnes nées à l’étranger, les cohortes plus récentes pourraient atteindre l’âge de 65 ans avec des caractéristiques ethnoculturelles fort différentes des cohortes précédentes, contribuant à une hausse significative de la diversité ethnoculturelle au sein de la population âgée du Canada au cours des années 2030, 2040 et 2050.

Toutefois, d’ici 2030, on projette que la diversité ethnoculturelle de la population âgée canadienne ne changera pas beaucoup; la proportion de personnes nées à l’étranger pourrait diminuer un peu, alors que celle déclarant appartenir à un groupe de minorité visible pourrait croitre modestement, car une proportion importante de baby-boomers (les prochains à atteindre l’âge de 65 ans) est en fait née au Canada. De surcroit, ces cohortes ont moins bénéficié des niveaux d’immigration soutenus observés au Canada depuis la fin des années 1980.

Ces changements dans le profil de la population âgée du Canada pourraient avoir de nombreuses répercussions sur le plan des programmes et politiques publiques visant les personnes âgées. Il est possible que les besoins ainsi que les habitudes de vie et de consommation des futures cohortes de personnes âgées soient fort différents de ceux d’aujourd’hui. Par exemple, des changements pourraient survenir au niveau de la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie par la famille ou le réseau formel. Comparativement aux Canadiens de naissance, certaines personnes appartenant à divers groupes ethnoculturels pourraient avoir, une fois qu’elles auront atteint l’âge mûr, des habitudes et des attentes différentes face au réseau familial lorsque survient une situation de perte d’autonomie. Ces tendances pourraient également avoir des effets, entre autres, sur le passage de la vie active à la retraite, sur les niveaux de revenus à la retraite, sur la transmission du patrimoine familial, sur la cohabitation des générations, sur l’aide par les personnes âgées aux petits-enfants et sur les habitudes de loisirs et de voyage.

Laurent Martel est chef de l’analyse et des projections démographiques par composantes à la Division de la démographie de Statistique Canada. Yves Carrière et Jacques Légaré sont professeurs au département de démographie à l’Université de Montréal, et Jean-François Picard est étudiant à la maîtrise de l’Université de Montréal. Une version préliminaire de cet article a été présentée au colloque de l’Association internationale des démographes de langue française en 2014.

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