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    La participation sociale des travailleurs à temps plein

    La participation sociale des travailleurs à temps plein

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    par Martin Turcotte et Stéphanie Gaudet

    Les bénéfices individuels et collectifs associés à la participation sociale, que celle-ci se fasse sous forme de bénévolat ou d'entraide auprès de proches, sont considérables. À titre d'exemple, en 2010, les bénévoles canadiens ont donné près de 2,07 milliards d'heures à des groupes ou à des organismes de toutes sortes, soit un volume de travail équivalant à un peu moins de 1,1 million de postes à temps plein (Crompton et Vézina, 2011). Cela est sans compter les nombreux bénéfices plus difficiles à mesurer en raison de leur nature qualitative, comme la cohésion sociale, la solidarité, le renforcement de la citoyenneté, etc. (Bénévolat Canada, 2010).

    Les gouvernements reconnaissent l'importance de l'action bénévole pour le bien-être des collectivités et le développement social. En plus d'offrir des mesures fiscales encourageant les dons de charité, ils mettent en place diverses mesures pour promouvoir ce type d'aide et accroître le recrutement de bénévoles. Par leurs programmes publics, ils soutiennent et reconnaissent aussi l'entraide ou la participation sociale informelle, en particulier pour des soins apportés à un parent malade. Les employeurs, en offrant des avantages sociaux, contribuent aussi à la participation sociale.

    Pour donner de son temps en faisant du bénévolat ou en aidant les autres, il faut en avoir un minimum à sa disposition. Cependant, les personnes qui disposent de plus de temps libre ne sont pas nécessairement celles dont la participation est la plus grande. Les études ont en effet montré que d'autres facteurs, comme la scolarité, la parentalité, l'étendue et la diversité des réseaux sociaux, de même que la pratique religieuse, avaient tous une incidence nettement plus importante sur la participation sociale que le nombre d'heures travaillées (Musick et Wilson, 2008).

    Le facteur de temps est tout de même très important, puisqu' avoir plus de temps libre signifie que les bénévoles ou les aidants peuvent en disposer plus aisément. Par exemple, parmi les personnes ayant effectué du bénévolat en 2010, ce sont celles de 65 ans et plus, soit souvent des retraités ayant beaucoup de temps pour eux, qui ont contribué en moyenne le plus d'heures annuellement (Crompton et Vézina, 2011). De plus, certaines études ont montré que chez les bénévoles, les travailleurs à temps plein donnaient en moyenne moins d'heures que les travailleurs à temps partiel (Musick et Wilson, 2008).

    Parmi les personnes appartenant au principal groupe d'âge actif, soit les 25 à 54 ans, les couples avec enfants dont les deux conjoints travaillent constituent aujourd'hui la norme plutôt que l'exception. Pour les travailleurs à temps plein de ce groupe d'âge, faire du bénévolat ou fournir de l'aide à des parents ou à des amis est certes possible et plusieurs le font à l'occasion. Cependant, être un bénévole ou un aidant régulier peut être plus difficile.

    Pour plusieurs organismes qui sollicitent l'engagement de bénévoles, cette situation constitue un défi, la contribution en temps des travailleurs étant souvent d'une très grande valeur pour eux. En effet, la plupart des travailleurs à temps plein de ce groupe d'âge ont une excellente santé physique et possèdent de multiples talents et connaissances. Ils possèdent aussi souvent une grande expérience dans un domaine en particulier. Il s'agit d'un attrait considérable pour les organismes, car le type de bénévolat effectué par les personnes qui occupent un emploi est souvent relié à leurs habiletés et expériences professionnelles (Selby et Reed, 2006). Dans le contexte socioéconomique actuel, où les ressources de l'État pour financer les programmes sociaux sont limitées, encourager la participation bénévole des citoyens est un objectif que partagent les divers organismes et divers ordres de gouvernement.

    Dans cet article, on s'intéresse à la participation sociale formelle (bénévolat pour des organismes) et informelle (entraide à des amis, voisins ou membres de la parenté) des travailleurs à temps plein âgés de 25 à 54 ans. Quels facteurs peuvent les amener à s'engager régulièrement auprès de proches, de groupes ou d'organismes divers et éventuellement à fournir plus d'heures qu'ils ne le font actuellement? Quelles sont les barrières à leur participation active?

    On présente d'abord brièvement des renseignements descriptifs, qui permettent de comparer la participation sociale des adultes de 25 à 54 ans à ce qu'elle était il y a une vingtaine d'années. On examine si l'augmentation du travail à temps plein chez les femmes de ce groupe d'âge, ainsi que de la durée de la semaine de travail des familles (Marshall, 2009) a été accompagnée d'une diminution des taux quotidiens de participation sociale. On compare aussi les taux de participation sociale des travailleurs à temps plein à ceux des travailleurs à temps partiel et à ceux des personnes qui n'occupent pas d'emploi rémunéré.

    Bon nombre de caractéristiques socioéconomiques et démographiques associées à la participation sociale ont été  identifiées dans les recherches antérieures (Musick et Wilson, 2008; Crompton et Vézina, 2010; Reed et Selby, 2003; Putnam, 2000). Dans cette étude, on s'intéresse principalement à des facteurs moins explorés auparavant et pertinents pour les travailleurs, tels la flexibilité des horaires de travail, le travail à domicile, le temps de déplacement vers le travail, le statut d'employé ou de travailleur autonome et ainsi de suite. En effet, certaines mesures des employeurs pour favoriser le bien-être de leurs employés pourraient encourager, même si ce n'est pas leur but premier, la participation bénévole.

    Les données utilisées proviennent principalement de l'Enquête sociale générale (ESG) sur l'emploi du temps de 2010 (voir Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude pour plus de détails). Les données de l'Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation (ECDBP) de 2010 complètent certaines analyses.

    Tendance à la baisse de la participation sociale formelle

    Des études antérieures ont mis en lumière un déclin des taux quotidiens de participation sociale des Canadiens au cours des dernières décennies (Gaudet, 2010). Les données les plus récentes de l'ESG sur l'emploi du temps démontrent que malgré une légère hausse de la participation bénévole par rapport à 2005, les taux de participation quotidiens des 25 à 54 ans demeuraient moins élevés en 2010 qu'ils ne l'étaient il y a une vingtaine d'années (tableau 1). Ainsi, le taux quotidien de bénévolat, pour les personnes appartenant à ce groupe d'âge, était de 6,1 % en 2010. En comparaison, il était de 8,3 % en 1992 (pour plus de détails à propos de la définition des taux quotidiens de participation, voir Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude). Cette diminution a été sentie autant chez ceux dont l'activité principale était d'occuper un emploi à temps plein que chez les travailleurs à temps partiel ou les sans-emploi.

    Le déclin du bénévolat a été le plus marqué chez les femmes. Cependant, le fait qu'elles travaillent davantage à temps plein ne semble pas être à l'origine de cette diminution de la participation. En effet, le déclin des taux quotidiens de bénévolat était tout aussi observable chez celles qui ne travaillaient pas à temps plein ou qui étaient sans emploi (tableau 1).

    La participation sociale informelle, soit l'aide apportée à des personnes ne faisant pas partie du ménage, a quant à elle surtout diminué chez les hommes. Entre 1992 et 2010, le taux quotidien de participation informelle des hommes de 25 à 54 ans est passé de 7,3 % à 5,3 %, tandis que chez les femmes, la proportion est demeurée pratiquement inchangée. En bref, les taux de participation sociale, formelle comme informelle, sont plus bas en 2010 qu'ils ne l'étaient en 1998 et en 1992.

    Environ un travailleur à temps plein sur cinq faisaient du bénévolat sur une base régulière

    En 2010, chez les personnes de 25 à 54 ans, 72 % travaillaient à temps pleinNote 1. Cette proportion était plus élevée chez les hommes que chez les femmes (respectivement 81 % et 63 %). Parmi les personnes de ce groupe d'âge, 8 % travaillaient à temps partiel  et 20 % ne travaillaient pas.

    Diverses études ont montré que les taux de bénévolat des travailleurs étaient aussi élevés, et parfois plus élevés, que les taux enregistrés chez ceux qui n'occupaient pas un emploi rémunéré (Musick et Wilson, 2008). La période de référence utilisée pour mesurer la participation (formelle ou informelle), que ce soit durant la dernière année, la dernière semaine ou la journée précédente, peut néanmoins avoir une incidence déterminante sur ces conclusions. En général, plus la période de référence est étendue (durant la dernière année), plus les taux de participation seront élevés.

    Comme on le constate au graphique 1, les travailleurs à temps partiel enregistraient les taux de bénévolat annuels les plus élevés, suivis des travailleurs à temps plein et enfin des personnes qui n'occupaient pas d'emploi. Plusieurs de ces personnes peuvent n'avoir fait du bénévolat que de façon très occasionnelle au cours de la dernière année, parfois même, une seule fois.

    Du point de vue de la participation bénévole régulière, la situation était différente. On peut considérer comme bénévoles réguliers ceux ayant effectué en moyenne 5 heures ou plus de bénévolat par mois au cours de la dernière année. En 2010, 34 % des travailleurs à temps partiel de 25 à 54 ans pouvaient être considérés comme des bénévoles réguliers, comparativement à 24 % des sans-emploiNote 2 et à seulement 19 % des travailleurs à temps plein. Ces résultats appuient l'idée selon laquelle le fait de travailler à temps plein ne limite pas le bénévolat occasionnel (ou sur une base annuelle), mais est associé à une baisse de la probabilité d'être un bénévole régulier.

    Un portrait similaire se dessine lorsqu'on s'intéresse aux taux de bénévolat quotidiens (tableau 1). Autant en 1992 qu'en 1998, en 2005 ou en 2010, les personnes dont l'activité principale était de travailler à temps plein avaient des taux de participation quotidiens moins élevés que les autres (sans-emploi ou travailleurs à temps partiel). Par exemple, en 2010, le taux quotidien de bénévolat des travailleurs à temps plein était de 5,5 %, comparativement à 7,9 % pour les autres.

    En ce qui a trait à l'entraide entre amis, parents ou voisin, les travailleurs à temps plein se montraient un peu moins portés que les sans-emploi à avoir aidé, lors de la semaine précédente, à s'occuper d'enfants n'appartenant pas à leur ménage (graphique 1). Les taux quotidiens de participation informelle étaient aussi plus faibles pour ceux dont l'activité principale était d'occuper un emploi à temps plein que pour les autres (tableau 1).

    Le reste de l'article porte principalement sur les facteurs associés au bénévolat régulier et à la participation sociale informelle chez les travailleurs à temps complet.

    Flexibilité des conditions de travail et bénévolat

    Reconnaissant qu'un horaire chargé et rigide peut rendre difficile la participation sociale, bon nombre d'employeurs mettent en place des politiques et programmes visant à faciliter et à encourager le bénévolat chez leurs employés. Par exemple, une étude récente de Statistique Canada a montré que, parmi les employés, les bénévoles qui pouvaient compter sur le soutien de leur employeur donnaient plus d'heures en moyenne que les bénévoles qui n'obtenaient pas ce genre de soutien de leur employeur (Hurst, 2012).

    Divers avantages non salariaux offerts par les employeurs à leurs employés, comme la possibilité d'effectuer du travail à domicile ou de choisir leurs heures de début et de fin, visent surtout à conserver les meilleurs effectifs et à attirer des employés de qualité (en améliorant leur conciliation vie-travail et leur satisfaction en emploi de manière générale). Il est néanmoins possible que ces avantages encouragent, indirectement, les activités bénévoles des employés. Les données soutiennent en partie cette idée.

    En 2010, 26 % des travailleurs à temps plein qui effectuaient du travail à domicile au moins de façon occasionnelle étaient des bénévoles réguliers, comparativement à 18 % de ceux qui n'en faisaient jamais (tableau 2). Aussi, les travailleurs qui pouvaient choisir leurs heures de début et de fin, c'est-à-dire, qui avaient un horaire flexible, se montraient plus susceptibles d'être des bénévoles réguliers que ceux qui devaient respecter un horaire établi par l'employeur (respectivement 22 % et 18 %). Bénéficier de ces deux options semblait encore plus favorable : 27 % de ceux qui pouvaient choisir leur horaire et effectuer du travail à domicile étaient des bénévoles réguliers, comparativement à 17 % de ceux qui avaient des horaires fixes et n'effectuaient jamais de travail à domicile.

    Bien qu'il semble y avoir un lien entre le bénévolat et la flexibilité des conditions de travail, on doit souligner que les travailleurs qui bénéficient de telles mesures sont différents à plusieurs égards de ceux qui doivent respecter des horaires fixés par l'employeur et qui ne peuvent pas travailler à domicile. Par exemple, ils sont généralement plus scolarisés, un facteur déterminant de la participation bénévole. Afin de vérifier la robustesse du résultat, on a réalisé un modèle de régression logistique tenant compte de l'âge, du sexe, de la scolarité, du fait d'être parent d'enfants d'âge scolaire, de la religiosité, ainsi que d'autres facteurs identifiés dans les recherches antérieures comme étant fortement corrélés avec la participation bénévole.

    Selon cette analyse, les travailleurs qui bénéficient d'un horaire flexible et qui effectuaient du travail à domicile au moins occasionnellement demeuraient, tous les autres facteurs pris en compte, plus susceptibles d'être des bénévoles réguliers (augmentation de 6 points de pourcentage de la probabilité par rapport aux travailleurs avec des horaires fixes et ne travaillant jamais à domicile) (tableau 3).

    Les travailleuses avec des conditions flexibles plus susceptibles d'aider des aînés

    Divers besoins des aînés, comme obtenir de l'assistance pour les transports, requièrent la disponibilité de l'aidant au cours de la journée. Chez les travailleuses, il existait d'ailleurs un lien positif entre le fait de bénéficier d'au moins une mesure de flexibilité et la probabilité d'avoir offert des soins ou de l'aide à un aîné ne vivant pas dans le même ménage. Plus précisément, parmi les travailleuses à temps plein qui avaient des horaires de travail flexibles et qui effectuaient du travail à domicile au moins à l'occasion, 23 % avaient fourni des soins à un aîné au cours de la semaine précédente (par rapport à 15 % de celles qui ne profitaient ni de l'une ni de l'autre de ces mesures). Les hommes qui avaient des conditions flexibles n'étaient cependant pas plus portés à aider des aînés.

    Les hommes se montraient en général plus portés que les femmes à aider aux travaux ménagers, à l'entretien de la maison ou du jardin pour des personnes n'appartenant pas au ménage. Comme précédemment, le fait d'avoir un horaire de travail flexible et d'effectuer du travail à domicile occasionnellement augmentait la probabilité d'avoir fait ce genre de travaux pour des proches ou des connaissances, mais seulement chez les femmes.

    Le nombre d'heures travaillées n'est pas associé à la participation sociale

    On sait que les travailleurs à temps plein sont moins susceptibles d'être des bénévoles réguliers que les travailleurs à temps partiel (graphique 1). Néanmoins, chez les travailleurs à temps plein, le nombre d'heures travaillées n'est pas directement associé à la participation sociale formelle ou informelle. En effet, en maintenant constants les autres facteurs, ceux qui travaillaient 50 heures ou plus par semaine étaient tout aussi susceptibles d'être des bénévoles réguliers ou de pratiquer l'entraide que ceux qui travaillaient entre 30 et 39 heures. Selon certains auteurs, le fait d'effectuer de longues heures de travail ne serait pas nécessairement un obstacle au bénévolat. En effet, la liberté des travailleurs de choisir, dans une certaine limite, leur période de travail aurait un impact beaucoup plus significatif (Musick et Wilson, 2008, p. 167).

    On pourrait penser que les travailleurs à temps plein dont le conjoint travaille aussi sont moins portés à participer bénévolement, ayant plus de contraintes de temps reliées au travail non rémunéré. Ce n'est cependant pas le cas, le fait d'avoir un conjoint qui travaille ou non n'étant pas lié à la participation sociale formelle ou informelle. On constate même au contraire que les travailleurs ayant un conjoint (que ce dernier travaille ou non) avaient plus tendance à avoir aidé un voisin au cours du dernier mois (tableau 3). Les personnes avec un conjoint peuvent être plus susceptibles que les personnes seules d'apprendre qu'un voisin a besoin d'aide. Finalement, avoir un horaire ou un quart normal de jour plutôt qu'un autre type d'horaire n'avait pas d'incidence sur la participation sociale (résultats non présentés).

    Le temps pour se rendre au travail négativement associé à la participation

    Les travailleurs qui consacrent plus de temps à se rendre au travail sont, en moyenne, plus susceptibles de décrire la plupart de leurs journées comme étant stressantes et se disent moins satisfaits de l'équilibre entre leur travail et leur vie familiale (Turcotte, 2010). Cette relation est aussi observable pour un ensemble de mesures du niveau de stress relié au manque de temps. Par exemple, plus la durée du trajet en direction du travail est longue, plus les travailleurs sont portés à réduire leurs heures de sommeil lorsqu'ils manquent de temps, plus ils sont susceptibles de se sentir coincés dans une routine quotidienne, plus ils sont inquiets de ne pas consacrer assez de temps à leur famille et à leurs amis, et ainsi de suite. Y a-t-il aussi un lien avec la participation sociale?

    Dans son étude classique sur l'engagement civique aux États-Unis, Robert Putnam (2000) a identifié l'étalement urbain et son incidence sur l'augmentation des distances de navettage et des temps de déplacements en automobile comme étant des facteurs ayant contribué au déclin du capital social enregistré depuis les années 1950. Les résultats de la présente analyse abondent dans le même sens : 21 % des travailleurs qui mettaient moins de 30 minutes à se rendre au travail étaient des bénévoles réguliers comparativement à 15 % de ceux dont la navette exigeait 45 minutes ou plus (tableau 2). En maintenant constants tous les autres facteurs, les conclusions demeuraient les mêmes :les travailleurs qui consacraient plus de temps au navettage étaient moins susceptibles d'être des bénévoles réguliers (tableau 3).

    La participation informelle des travailleuses (mais pas des travailleurs) peut aussi être liée aux temps de déplacement. En effet, chez les travailleuses à temps plein dont les déplacements étaient de moins de 30 minutes, 22 % s'étaient occupées d'enfants ne résidant pas dans leur ménage lors de la semaine précédente. Cette proportion n'était que de 12 % chez celles qui mettaient 45 minutes ou plus à se rendre au travail. Cette différence demeurait statistiquement significative lorsqu'on maintenait les autres facteurs constants.

    Les travailleuses autonomes plus susceptibles d'être des bénévoles régulières

    Parmi les travailleurs à temps plein de 25 à 54 ans, environ 85 % sont des employés et 15 % sont des travailleurs autonomes. Sans tenir compte des autres facteurs, les travailleurs autonomes se montraient plus portés à être des bénévoles réguliers que les employés (respectivement 25 % et 19 % d'entre eux) (tableau 2). Cependant la différence disparaissait complètement dans l'analyse tenant compte de tous les facteurs (tableau 3)Note 3.

    Ce résultat masque des différences beaucoup plus importantes chez les femmes que chez les hommes selon la catégorie de travailleurs. En effet, alors que 35 % des travailleuses autonomes étaient des bénévoles régulières, c'était le cas de seulement 19 % des employées. Chez les hommes, les proportions respectives étaient de 21 % et 19 %. En maintenant constantes les autres variables, la différence entre les deux catégories de travailleurs demeurait statistiquement significative chez les femmesNote 4.

    Il est possible que les travailleuses autonomes soient plus fréquemment sollicitées que les travailleuses salariées pour effectuer du bénévolat. Il est aussi possible qu'elles aient des motivations différentes à faire du bénévolat que les femmes employées et que les travailleurs masculins en général. Plusieurs résultats tirés de l'Enquête nationale sur le don, le bénévolat et la participation de 2010 (ENDBP) laissent croire que ce pourrait être le cas. Tout d'abord, les travailleuses autonomes étaient plus susceptibles que les employés féminins et masculins, ainsi que les travailleurs autonomes, d'avoir déclaré qu'elles avaient proposé elles-mêmes leurs services (graphique 2). Cela semble démontrer une plus grande motivation intrinsèque à effectuer du bénévolat. En effet, nombre d'études ont montré que la majorité des personnes faisaient du bénévolat parce qu'on les avait invitées à le faire (Musick et Wilson, 2008).

    Les travailleuses autonomes avaient par ailleurs plus tendance à établir un lien entre leurs activités professionnelles et leurs activités bénévoles. Par exemple, elles étaient plus portées 1) à dire qu'une des raisons importantes pour lesquelles elles avaient fait du bénévolat était d'améliorer leurs perspectives d'emploi; 2) à déclarer que leurs activités bénévoles les avaient aidées à obtenir un emploi ou à créer une entreprise; 3) à croire que leur travail bénévole les avaient favorisées dans leur emploi ou leur entreprise.

    Taux de participation bénévole similaires selon l'industrie

    Il est possible que le fait d'occuper un emploi dans certains secteurs d'activité facilite le bénévolat régulier plus que dans certains autres. Par exemple, selon l' Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation (ECDBP de 2010), les taux de bénévolat des travailleurs étaient plus élevés que la moyenne dans les secteurs 1) des services d'enseignement; 2) de l'industrie de l'information et de l'industrie culturelle, des arts, des spectacles et des loisirs; et 3) des administrations et des services publics (Hurst, 2012).

    Les résultats de la présente étude confirment que les travailleurs du groupe de secteurs des services d'enseignement; soins de santé et assistance sociale; information, culture et loisirs étaient plus susceptibles d'être des bénévoles actifs que ceux des industries de la construction, de la fabrication et du commerce (taux plus élevé de 5 points de pourcentage en maintenant les autres facteurs constants (tableau 3). De façon générale, il y avait cependant peu de différences entre les industries, une fois tous les facteurs pris en compte.

    En ce qui a trait à la participation informelle (aide pour les travaux ménagers, aide aux aînés, aide aux voisins), on remarquait des taux d'entraide plus faibles pour les travailleurs du secteur des finances, des assurances, de l'immobilier et de la location, ainsi que celui des services professionnels, scientifiques et techniques.

    Autres facteurs associés à la participation sociale formelle

    En 2010, 13 % des travailleurs à temps plein assistaient à un service religieux de façon hebdomadaire. Ces pratiquants se distinguent grandement de tous les autres en ce qui a trait à la participation sociale formelle et même informelle. De tous les facteurs considérés, il s'agit de loin de celui qui est le plus fortement associé au bénévolat (probabilité d'être un bénévole régulier de 26 points de pourcentage supplémentaires par rapport à ceux qui n'assistent jamais aux services, tous les autres facteurs pris en compte).

    Les travailleurs à temps plein qui sont parents de deux enfants ou plus d'âge scolaire étaient aussi plus susceptibles d'être des bénévoles réguliers que les travailleurs sans enfants (10 points de pourcentage supplémentaires) (tableau 3). Ils étaient aussi plus portés à avoir donné de leur temps pour s'occuper d'enfants n'appartenant pas à leur ménage. Ces résultats pourraient être importants en ce qui a trait à la participation sociale à plus long terme. En effet, un des facteurs qui influe fortement sur la participation bénévole est le fait d'avoir été témoin de la participation de ses parents durant l'enfance et l'adolescence (Hall et coll., 2009; Hart et coll., 1998).

    Parmi les autres facteurs associés positivement au bénévolat régulier, on peut mentionner le fait de détenir un diplôme d'études universitaires, de connaître un bon nombre ou la plupart de ses voisinsNote 5 et d'être âgé de 35 à 44 ans. Les facteurs négativement associés au bénévolat régulier étaient : résider au Québec, être né à l'étranger et résider au Canada depuis moins de 15 ans. Du point de vue de la participation sociale informelle, l'effet des différents facteurs variait en fonction du type d'aide.

    Conclusion

    La participation sociale des Canadiens de 25 à 54 ans, qu'elle soit de type formel (bénévolat) ou informel (entraide) est moins élevée qu'elle ne l'était au début des années 1990. Chez les femmes appartenant à ce groupe d'âge, les taux de participation sociale formelle ont diminué, tandis que les taux de participation sociale informelle sont demeurés relativement stables. Pour les hommes, au contraire, c'est uniquement l'entraide auprès de parents, amis ou voisins qui a diminué au cours de la période.

    Chez les 25 à 54 ans, les travailleurs à temps plein sont moins susceptibles d'être des bénévoles réguliers que les travailleurs à temps partiel et les sans-emploi. En 2010, 34 % des travailleurs à temps partiel de 25 à 54 ans pouvaient être considérés comme des bénévoles réguliers, comparativement à 24 % des personnes sans emploi et à seulement 19 % des travailleurs à temps plein. En ce qui a trait à la participation sociale informelle, les travailleurs à temps plein de 25 à 54 ans étaient un peu moins susceptibles d'avoir donné des soins ou de l'aide à des personnes âgées n'appartenant pas à leur ménage. Ils ne différaient cependant pas en ce qui a trait aux soins aux enfants ou à l'aide aux travaux ménagers.

    Divers facteurs peuvent faciliter la participation bénévole des travailleurs à temps plein. Les travailleurs qui avaient un horaire flexible et qui effectuaient au moins occasionnellement du travail à domicile étaient plus susceptibles d'être des bénévoles réguliers (26 %) que ceux qui avaient un horaire fixe et ne travaillaient jamais à domicile (18 %). La différence entre ces deux groupes était réduite, mais demeurait significative, lorsqu'on neutralisait l'incidence de nombreux facteurs typiquement associés au bénévolat tels que la scolarité, la parentalité, la pratique religieuse et les réseaux sociaux.

    La flexibilité des conditions de travail (horaire et travail à domicile) était associée à l'aide apportée à des aînés, mais seulement chez les femmes. Plus spécifiquement, 23 % des travailleuses à temps plein qui avaient des horaires flexibles et qui effectuaient du travail à domicile avaient offert des soins ou de l'aide à une personne âgée, par rapport à 15 % de celles ayant un horaire fixe et ne travaillant jamais à domicile.

    Chez les travailleurs à temps plein de 25 à 54 ans, le fait de travailler de longues heures hebdomadairement n'était pas associé à une diminution du taux de bénévolat régulier. Cependant, les travailleurs qui consacraient plus de temps au navettage étaient moins susceptibles d'être des bénévoles réguliers. Les temps de déplacements avaient peu d'effet sur la participation sociale informelle. Il existait une exception : les travailleuses qui consacraient le plus de temps pour se rendre au travail étaient moins susceptibles de s'être occupées d'un ou de plusieurs enfants n'appartenant pas à leur ménage.

    Les travailleuses autonomes se montraient sensiblement plus portées à faire du bénévolat régulièrement que les travailleurs autonomes et que les employés de sexe masculin ou féminin. Ces travailleuses semblaient plus motivées que les autres catégories de travailleurs et de travailleuses à se porter volontaires pour effectuer du bénévolat : elles étaient plus susceptibles d'avoir proposé leurs services (plutôt que d'avoir répondu positivement à une demande de participation). Le secteur d'activité était quant à lui peu associé au bénévolat régulier, tout comme le fait d'avoir un conjoint qui travaille ou non.

    Des études futures sur la participation bénévole des travailleurs à temps plein pourraient permettre d'approfondir certains résultats présentés dans cet article. Il serait par exemple intéressant de déterminer si les mesures des employeurs visant à faciliter le bénévolat ont une incidence sur la probabilité d'être un bénévole régulier, une fois les autres facteurs mesurés ici pris en compteNote 6. Il serait aussi intéressant de vérifier si les facteurs de participation identifiés dans la présente étude sont plus fortement corrélés avec certains types d'activités bénévoles que d'autres (collecte de fonds plutôt que participation à un conseil à titre de membre, organisation d'événements, etc.). Il serait finalement pertinent d'examiner si la flexibilité des conditions de travail influe davantage sur la participation dans certains types d'organisations que d'autres (caritatif, politique, professionnel, récréatif, religieux, etc.).

    Martin Turcotte était, au moment de la rédaction de cette étude, analyste principal à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada. Stéphanie Gaudet est professeure agrégée au département de sociologie et d'anthropologie de l'Université d'Ottawa.

    Raisons pour ne pas faire de bénévolat ou pour ne pas en faire plus

    Dans le cadre de l'Enquête nationale sur les dons, le bénévolat et la participation (ENDBP de 2010, on demandait aux non-bénévoles d'indiquer les raisons pour lesquelles ils n'avaient pas donné de leur temps au cours de l'année (ou pas donné plus d'heures, dans le cas des bénévoles). Les résultats permettent d'illustrer de quelle façon les contraintes de temps peuvent rendre difficile le bénévolat régulier chez les travailleurs à temps plein de 25 à 54 ans.

    Par exemple, 84 % des non-bénévoles qui travaillaient à temps plein ont dit n'avoir pas fait de bénévolat au cours de l'année précédente par manque de temps. En comparaison, c'était le cas de 71 % des travailleurs à temps partiel et de 53 % des sans-emploi.

    Chez les bénévoles à qui l'on a demandé pourquoi ils n'avaient pas donné plus d'heures qu'ils ne l'avaient fait au cours de l'année précédente, les différences entre travailleurs à temps plein et ceux à temps partiel ou les sans-emploi étaient marquées. Les travailleurs à temps plein étaient très peu portés à mentionner que des problèmes de santé les empêchaient de faire plus de bénévolat (10 % des cas, comparativement à 31 % des sans-emploi) ou à mentionner des motifs financiers ou le fait de ne pas savoir comment participer. Le manque de temps semblait en revanche être un élément plus important. En effet, comme pour les non-bénévoles, les travailleurs à temps plein bénévoles étaient plus portés à dire qu'ils n'avaient pas eu le temps de donner plus d'heures qu'ils ne l'avaient fait (84 % d'entre eux, comparativement à 66 % des sans-emploi).

     

    Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

    La présente étude est basée sur les données de l'Enquête sociale générale sur l'emploi du temps de 2010. Dans la première section, on fait appel aux données des cycles antérieurs de la même enquête, soit ceux de 1992, 1998 et 2005. L'enquête de 2010 a été réalisée auprès d'un échantillon de personnes de 15 ans et plus, totalisant 15 390 répondants. De ceux-ci, 7 345 répondants âgés de 25 à 54 ans ont été retenus.

    L'analyse des facteurs associés à la participation sociale se limite aux 4 495 répondants âgés de 25 à 54 ans qui avaient comme activité principale le travail salarié ou autonome et qui, lors de la semaine précédente, avaient consacré au minimum 30 heures à cette activité.

    Définitions

    Dans cette étude, on fait appel à diverses mesures de la participation sociale. La participation sociale formelle fait référence à des activités bénévoles réalisées pour le compte d'un organisme quelconque (charité, école, etc.). La participation sociale informelle fait référence à diverses formes d'entraide à des personnes ne faisant pas partie du même ménage que celui du répondant.

    Taux quotidien de participation sociale

    Les taux quotidiens de participation sont mesurés à l'aide des données sur l'emploi du temps.
    Dans ce type d'enquête, on demande aux répondants d'énumérer toutes les activités auxquelles ils se sont adonnés lors de la journée de référence (celle ayant précédé l'entrevue). À partir de la liste de toutes les activités quotidiennes, nous avons créé deux variables correspondant aux distinctions théoriques faites entre 1) le bénévolat, soit la participation formelle au sein d'une organisation;  et 2) l'entraide, soit la participation informelle au sein des réseaux primaires et secondaires, mais en dehors de chez soi. Les taux de participation sociale formelle et informelle correspondent à la proportion des répondants qui ont consacré du temps, lors de leur journée de référence, à des activités bénévoles ou d'entraide. Cette méthode permet de mesure l'évolution des tendances dans le temps.

    Taux de bénévolat

    Proportion de personnes ayant fait du bénévolat pour un organisme quelconque au cours des 12 derniers mois.

    Taux de bénévolat régulier

    Proportion des personnes qui, au cours de la dernière année, ont fait du bénévolat en moyenne 5 heures ou plus par mois. Cette mesure est préférée aux taux quotidiens puisqu'elle permet de mieux identifier certaines personnes faisant beaucoup de bénévolat mais n'en ayant pas fait lors de l'unique journée pour laquelle ils ont dû déclarer leur emploi du temps (méthode des taux quotidiens de participation sociale).

    Régressions logistiques

    Les résultats des modèles de régression logistique en annexe sont présentés sous forme d'effets marginaux. Ils indiquent l'augmentation ou la diminution de la probabilité d'être un bénévole régulier pour un individu possédant une caractéristique donnée, lorsque tous les autres facteurs sont maintenus à leur valeur moyenne.


    Notes

    1. Plus précisément, 72 % de ces adultes on rapporté avoir travaillé à 30 heures ou plus lors de la semaine ayant précédé l'entrevue (tous les emplois inclus).
    2. Notons que chez les personnes qui n'occupaient pas d'emploi, les femmes se montraient plus susceptibles d'être des bénévoles régulières (26 %) que les hommes (19 %). Une étude antérieure de Ravanera et coll. (2002) avait aussi montré une participation plus élevée chez les femmes sans emploi que chez les hommes dans la même situation. Voir aussi : US Bureau of Labor Statistics, 2003.
    3. Au moins une autre étude a montré que les travailleurs autonomes, qui dépendent beaucoup du développement et du maintien de bons réseaux professionnels, avaient plus tendance à faire du bénévolat que les employés (Lamb, 2011). Cette étude ne contrôlait cependant pas pour la flexibilité des conditions de travail comme c'est le cas dans la présente étude. En général, les travailleurs autonomes ont plus de contrôle sur l'organisation de leur travail que les employés.
    4. L'ajout au modèle de base d'un terme d'interaction entre la catégorie de travailleur et le sexe a permis de constater que les travailleuses autonomes étaient plus susceptibles que les employées d'être des bénévoles régulières (écart de 9 points de pourcentage) (résultats non montrés).
    5. Cet indicateur est utilisé comme une mesure indirecte de la taille des réseaux sociaux. En effet, les personnes qui ont des réseaux plus développés sont plus susceptibles d'être sollicitées pour faire du bénévolat ou simplement pour aider un parent, un ami ou une connaissance.
    6. Ces renseignements n'étaient pas disponibles dans l'Enquête sociale générale sur l'emploi du temps de 2010.
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