Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Les gains au cours de la dernière décennie

par René Morissette

Texte intégral en PDF

La dernière décennie a connu de nombreux changements qui pourraient avoir causé des répercussions sur les gains des travailleurs canadiens. La prolifération des technologies de l'information et des communications et la croissance rapide de l'offre de travailleurs relativement qualifiés dans les pays à bas salaire ont permis aux entreprises canadiennes de délocaliser des emplois hautement qualifiés de certains secteurs des services, tels que le génie et l'informatique, accroissant ainsi les échanges internationaux de services commerciaux relativement haut de gamme. De même, le commerce des biens fabriqués par les pays non membres de l'OCDE a connu un essor rapide. Par conséquent, les travailleurs canadiens ont dû faire face à une concurrence internationale de plus en plus vive, non seulement de la part des travailleurs relativement qualifiés des industries de services, mais aussi de ceux moins qualifiés des industries productrices de biens. Cette expansion des échanges internationaux avec les pays non membres de l'OCDE a ouvert de nouveaux marchés aux entreprises canadiennes et a créé des perspectives de croissance de l'emploi et des gains dans certains secteurs de l'économie.

Parallèlement à cette évolution de la structure des échanges et de l'utilisation de la technologie, les tendances démographiques ont, elles aussi, eu une influence sur la conjoncture du marché du travail et sur les gains, comme en témoigne la prévalence croissante des départs à la retraite, alors même que commençait à grimper le taux d'activité des travailleurs plus âgés à la fin des années 1990. Plus récemment, l'appréciation du dollar canadien et les pertes d'emplois dans le secteur de la fabrication pourraient avoir fait baisser les gains dans ce secteur. En revanche, l'essor économique dont jouit l'Alberta et la tendance à la baisse du chômage dans plusieurs autres provinces pourraient avoir exercé des pressions à la hausse.

Les dernières années ont aussi été caractérisées par une forte croissance au niveau le plus élevé de la répartition des gains au Canada (Saez et Veall, 2005), phénomène qui a aussi été observé aux États-Unis. Les facteurs à l'origine de cette tendance demeurent en grande partie inconnus (Lemieux, 2007), mais selon certains, la forte augmentation des gains des travailleurs à haut salaire pourrait être une stratégie mise en œuvre en vue de dissuader les cadres supérieurs et les professionnels très talentueux d'émigrer aux États-Unis.

L'article s'appuie sur les données de l'Enquête sur la population active pour étudier l'évolution des gains au Canada de 1997 à 2007 (voir Source des données et définitions). Les gains ont-ils augmenté au même rythme dans toutes les provinces? Ont-ils chuté dans le secteur de la fabrication et grimpé chez les travailleurs hautement qualifiés? Le pourcentage d'emplois faiblement rémunérés a-t-il diminué? La prévalence des emplois hautement rémunérés a-t-elle augmenté?

Tendances générales

Au cours de la dernière décennie, les gains horaires moyens ont augmenté de 6 % en termes réels, étant passés de 17,68 $ (en $ de 2002) en 1997 à 18,80 $ en 2007 (tableau 1). Dans le secteur privé, leur croissance a été d'environ 7 %. Ils ont suivi une tendance à la hausse de 1997 à 2001, sont demeurés presque constants de 2001 à 2004, puis ont de nouveau augmenté (graphique A).

Les taux de croissance observés dans le secteur privé diffèrent considérablement selon la province. Bien que l'Alberta ait connu l'essor de loin le plus important (15 %), Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan ont vu leur taux osciller autour de 11 %. En revanche, les gains moyens n'ont progressé que de 3 % en Colombie-Britannique. Dans plusieurs provinces, le gros de la croissance a eu lieu entre 2004 et 2007. Les tendances sont comparables si l'on examine l'ensemble des industries.

Alors que les gains moyens des employés du secteur privé ont augmenté d'environ 7 % au niveau national, les gains médians ont progressé d'environ 5 %. La médiane a varié très peu en Ontario et en Colombie-Britannique, mais a fait un bond d'au moins 10 % en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan et en Alberta.

La forte croissance constatée en Alberta au cours de la dernière décennie a eu un effet évident sur la répartition des gains dans la province. La proportion d'emplois dont le salaire est inférieur à 10 $ de l'heure (en $ de 2002) a baissé d'au moins dix points de pourcentage, pour atteindre 12 % en 2007 (tableau 2). À l'opposé, les emplois à haut salaire sont devenus plus fréquents, comme en témoigne la hausse de sept points de la proportion d'emplois offrant au moins 25 $ de l'heure.

Ce déplacement vers le haut de la courbe de répartition des salaires s'est manifesté dans la plupart des provinces, Terre-Neuve-et-Labrador, l'Ontario et la Colombie-britannique étant les exceptions. Alors que ces provinces ont accru leur part d'emplois offrant un salaire d'au moins 25 $ de l'heure, elles n'ont pas réduit sensiblement la prévalence des emplois faiblement rémunérés (prévalence calculée par approximation de la proportion d'emplois payants moins de 10 $ de l'heure). Ainsi, à Terre-Neuve-et-Labrador, la rémunération de près du tiers des emplois était inférieure à 10 $ de l'heure en 1997 de même qu'en 2007, alors que l'importance relative des emplois hautement rémunérés a augmenté de sept points de pourcentage1. En Ontario, 17 % des emplois étaient rémunérés à moins de 10 $ de l'heure en 2007 comparativement à 16 % en 1997.

Le rythme de croissance des gains moyens varie non seulement selon la province, mais aussi selon la position dans la répartition globale. Dans le secteur privé ainsi que dans l'ensemble de l'économie, les gains ont connu une croissance variant de 1 % à 6 % dans la moitié inférieure de la courbe de répartition comparativement à près de 12 % dans la tranche des 5 % la plus élevée de cette répartition (graphique B). Dans la moitié supérieure de la répartition, la croissance des gains des hommes et des femmes s'est également accélérée aux échelons les plus élevés, ce qui donne à penser que l'inégalité des gains s'est accentuée dans la moitié supérieure de chaque répartition2.

Pourtant, la mesure dans laquelle les gains moyens ont augmenté au haut et au bas de la répartition diffère appréciablement selon la province. En Ontario, les gains ont progressé d'environ 10 % dans le dixième supérieur de la répartition, mais ont subi un recul allant jusqu'à 5 % dans le dixième inférieur (graphique C). En revanche, en Alberta, les taux de rémunération ont connu une hausse de l'ordre de 12 % à 15 % dans le dixième supérieur, mais ont fait un bond encore plus important (jusqu'à 17 %) dans le dixième inférieur. En fait, la croissance le long de la répartition des gains a été caractérisée par une courbe en U partout au Canada sauf en Ontario, ce qui, à tout le moins, porte à croire que l'inégalité des gains n'a pas évolué uniformément dans toutes les provinces au cours de la dernière décennie. Néanmoins, dans la moitié supérieure de chaque courbe de répartition régionale, les salaires ont eu tendance à croître plus rapidement à mesure que l'on s'élevait sur l'échelle de rémunération, ce qui pourrait témoigner d'une dispersion accrue de cette partie de la répartition.

Tendances selon l'industrie

La croissance relativement forte aux niveaux les plus élevés de la moitié supérieure de la répartition des gains s'observe dans la plupart des industries3. Les gains ont augmenté de 9 à 12 points de pourcentage de plus dans la tranche de 5 % la plus élevée de la répartition qu'au milieu de celle-ci dans les industries primaires et la construction, la fabrication, les services peu spécialisés et les services hautement spécialisés (graphique D). Quels que soient les facteurs sous-jacents, ce profil donne à penser que, dans plusieurs secteurs, les taux de rémunération de certains travailleurs hautement qualifiés ont grimpé considérablement durant la dernière décennie4.

Alors que la croissance diffère grandement le long de la répartition des gains dans une industrie donnée, elle varie modérément d'une industrie à l'autre. La hausse des gains moyens a été de l'ordre de 8 % à 10 % dans les industries primaires et la construction, les services hautement spécialisés, le commerce de gros et les autres services (tableau 3). Ce taux est environ le double de celui relevé pour la fabrication, les services peu spécialisés et les services publics.

Des variations un peu plus importantes se dégagent pour le secteur de la fabrication. En Alberta, les employés de ce secteur ont vu leurs gains moyens faire un bond de 9 % de 1997-1998 à 2006- 2007 (tableau 4). Par contre, leurs homologues de la Colombie-Britannique ont souffert une baisse de 3 %5. Dans le reste du Canada, la croissance de la rémunération des travailleurs du secteur de la fabrication a été modeste. Dans la plupart des régions, on a assisté à une légère hausse de la rémunération moyenne ou à une variation relativement faible de la rémunération médiane dans ce secteur.

Ces variations (moyennes et médianes) assez faibles méritent d'être soulignées, compte tenu des importantes pertes d'emplois qui ont eu lieu dans le secteur de la fabrication depuis 2004. Tant au Québec qu'en Ontario, l'emploi dans ce secteur a diminué d'au moins 14 % entre 2004 et 2007 (graphique E), alors que les gains ont fort peu varié. Il semble que, dans ces deux provinces, les entreprises manufacturières qui ont vu baisser la demande de leurs produits ont réagi principalement par des mises à pied plutôt que des changements de rémunération.

Un scénario comparable émerge dans le secteur de l'informatique et des télécommunications6. Alors que l'emploi y a fait un bond énorme de 39 % de 1997 à 2001, les gains moyens ont augmenté de 10 %. Puis, l'emploi a chuté de 15 % de 2001 à 2005 avant de croître de nouveau. Dans l'intervalle, les gains ont peu varié. Par conséquent, dans l'ensemble, ils ont augmenté de 12 % de 1997 à 2007, soit presque deux fois le taux relevé pour le secteur privé7.

Autrement dit, en 2007, les employés du secteur de l'informatique et des télécommunications gagnaient, en moyenne, 24,37 $ de l'heure pour leurs services, c'est-à-dire environ deux fois le taux de rémunération de leurs homologues employés dans les services peu spécialisés et environ 7 $ de plus que la rémunération moyenne dans le secteur privé.

Faible rémunération dans les secteurs de la fabrication et des services peu spécialisés

Entre 1997-1998 et 2006-2007, la proportion d'emplois dans le secteur de la fabrication qui étaient rémunérés à moins de 10 $ de l'heure a fléchi d'environ trois points de pourcentage. Toutefois, les tendances différentes des gains selon la région ont clairement influencé l'évolution de l'emploi faiblement rémunéré dans ce secteur. Plus précisément, la part des emplois en fabrication offrant moins de 10 $ de l'heure a baissé de cinq points de pourcentage ou plus dans toutes les provinces, sauf l'Ontario et la Colombie-Britannique, où au moins 10 % des emplois en fabrication étaient rémunérés à moins de 10 $ de l'heure en 2006-2007, tout comme en 1997-1998.

La prévalence des emplois faiblement rémunérés n'a guère varié dans le secteur des services peu spécialisés. Au niveau national, la proportion d'employés payés moins de 10 $ de l'heure s'établissait à 49 % en 2006-2007, soit un léger recul comparativement au 51 % relevé en 1997-1998. Alors que les variations de la prévalence de l'emploi faiblement rémunéré dans ce secteur de l'économie ont été peu importantes dans la plupart des régions, l'Alberta a réduit sa proportion d'au moins 12 points de pourcentage.

En résumé, que l'on analyse les tendances pour l'ensemble des industries ou pour des secteurs particuliers, tels que la fabrication et les services peu spécialisés, la mesure dans laquelle l'emploi faiblement rémunéré a diminué au cours de la dernière décennie diffère considérablement selon la province.

Hausses prononcées des gains des gestionnaires au cours de la dernière décennie

La progression plus importante des gains chez les employés hautement rémunérés que chez ceux se trouvant au milieu de la répartition des gains donne à penser que les gestionnaires et les professionnels pourraient avoir bénéficié d'une croissance plus forte de la rémunération que les membres d'autres professions (tableau 5). En outre, les résultats relativement vigoureux du secteur de l'informatique et des télécommunications (en ce qui concerne les gains) indiquent que les professionnels en informatique pourraient avoir mieux réussi que d'autres travailleurs hautement spécialisés, tels que les ingénieurs.

Entre 1997-1998 et 2006-2007, les gains moyens des gestionnaires ont fait un bond ferme de 20 %, soit quatre fois le taux de croissance relevé pour les autres employés. La rémunération des gestionnaires spécialistes a augmenté de 23 %, tandis que les autres gestionnaires et professionnels en gestion des affaires et en finance ont vu augmenter leur chèque de paye de 18 %8. Les gains moyens des professionnels en informatique ont progressé de 14 % comparativement à 9 % pour les ingénieurs. Les gains médians des gestionnaires spécialistes, des autres gestionnaires, du personnel professionnel en gestion des affaires et en finance et des professionnels en informatique, qui représentent 13 % de l'emploi dans le secteur privé, ont augmenté de 16 % à 26 %9.

En revanche, en 2006-2007, les gains d'environ 26 % des employés du secteur privé ont stagné. Le personnel de bureau et les employés du secteur de la fabrication affectés à des travaux de cols bleus ou à des tâches de supervision n'ont bénéficié de presque aucune croissance. Le chèque de paye des caissiers, du personnel de vente au détail et des vendeurs n'a pas augmenté non plus.

La forte croissance de la rémunération des gestionnaires n'a pas été dictée uniquement par l'essor économique qu'a connu l'Alberta. Les gains moyens des gestionnaires ont augmenté de 18 % dans les provinces atlantiques, de 19 % au Québec et en Ontario, de 21 % au Manitoba et en Saskatchewan, de 27 % en Alberta et de 15 % en Colombie-Britannique. Par contre, ceux des autres employés ont progressé de 5 % dans les provinces atlantiques et au Québec, de 3 % en Ontario, de 9 % en Saskatchewan et au Manitoba et de 12 % en Alberta, mais leur croissance a été pour ainsi dire nulle en Colombie-Britannique. En outre, la hausse plus rapide de la rémunération des gestionnaires a eu lieu dans toutes les industries et dans les entreprises de toutes tailles (graphique F)10.

Puisque la proportion de travailleurs titulaires d'un diplôme universitaire a augmenté davantage parmi le personnel de gestion (de 29 % en 1997-1998 à 38 % en 2006-2007) que chez les autres employés (de 12 % à 17 %), la forte hausse des gains des gestionnaires pourrait avoir été principalement le résultat de différences d'accroissement des niveaux d'études. Toutefois, les analyses multivariables ne confirment pas cette hypothèse. Si l'on neutralise l'effet de l'âge, du niveau d'études et de l'ancienneté au sein de l'entreprise, 80 % des différences persistent11. De surcroît, 75 % de la différence entre les taux de croissance demeure inexpliquée après l'ajout de variables de contrôle pour l'industrie (niveau à quatre chiffres) et la région. Ensemble, ces résultats indiquent que la croissance prononcée des gains des gestionnaires au cours de la dernière décennie était généralisée et n'était pas dictée principalement par des effets de composition12.

La forte croissance des gains des gestionnaires a eu d'importantes répercussions sur la tranche la plus élevée de la répartition des gains. Entre 1997-1998 et 2006-2007, les salaires horaires parmi les 5 % des employés du secteur privé gagnant le plus ont augmenté de 11,5 % comparé à 3,6 % pour leurs homologues dans le milieu de la répartition (vingtiles 9 à 11).

Si le taux de rémunération moyen des gestionnaires avait augmenté de 12,5 % (c.-à-d. la moitié entre le 20,3 % observé et le 4,6 % des autres employés), les revenus parmi la tranche de 5 % la plus élevée des employés du secteur privé auraient augmenté de 8,6 % seulement (graphique G), alors que les gains dans le milieu de la répartition auraient à peine changé, en augmentant de 3,3 %. La différence dans le taux de croissance entre la tranche de 5 % la plus élevée et ceux du milieu aurait diminué de 7,9 à 5,3 points de pourcentage (c.-à-d. un tiers pourrait être expliqué).

De plus, si la rémunération moyenne des gestionnaires avait augmenté au taux de 4,6 % des autres employés du secteur privé, les salaires horaires parmi la tranche de 5 % la plus élevée auraient augmenté de seulement 6,1 % alors que ceux du milieu auraient augmenté de 2,9 %. La différence entre la tranche de 5 % la plus élevée et le milieu aurait diminué de 3,2 points avec environ 60 % pouvant être expliqué par la croissance plus rapide de la rémunération des gestionnaires. En d'autres mots, la croissance rapide de la rémunération des gestionnaires explique entre 33 % et 60 % de la différence du taux de croissance entre la tranche de 5 % la plus élevée et le milieu de la répartition.

Faible variation de la croissance des gains selon les études

Puisque les gains des gestionnaires et des professionnels en gestion des affaires et en finance ont augmenté fortement, mais que ceux des cols bleus du secteur de la fabrication et du personnel de bureau ont stagné, il est permis de penser que la hausse a été plus importante chez les travailleurs hautement qualifiés que chez ceux ayant fait moins d'études. Cependant, aussi bien chez les hommes que chez les femmes de moins de 35 ans ou de 35 à 64 ans, la croissance des gains a peu varié selon le niveau d'études (tableau 6). Les hommes de moins de 35 ans titulaires d'un diplôme d'études secondaires ou ayant fait des études secondaires partielles ont vu leurs gains (moyens ou médians) augmenter de 3 % au plus, tandis que ceux possédant un baccalauréat ou un diplôme de niveau plus élevé se sont vu accorder des augmentations variant de 1 % à 5 %. Chez les hommes de 35 à 64 ans, les gains moyens sont demeurés virtuellement constants à tous les niveaux d'études, tandis que les gains médians ont accusé un recul de l'ordre de 2 % à 5 %.

Des tendances fort semblables se dégagent chez les femmes. Celles de moins de 35 ans titulaires d'un diplôme d'études secondaires ou n'ayant pas terminé ces dernières ont vu leurs gains moyens plafonner ou leurs gains médians baisser légèrement. Par contre, celles qui possédaient un baccalauréat ont bénéficié d'une légère augmentation, de l'ordre de 4 % à 5 %. Dans ce groupe d'âge, les femmes possédant un certificat d'une école de métiers ont bien réussi, car leurs gains ont fait un bond allant de 6 % à 10 %. Comme dans le cas des hommes de 35 à 64 ans, la croissance des gains des femmes de ce groupe d'âge a fort peu varié selon le niveau d'études. Il semble, par conséquent, que la hausse relativement forte relevée dans de nombreuses industries pour les segments supérieurs de la répartition des gains a affecté principalement la structure interprofessions de la rémunération plutôt que le rendement des études.

Croissance des gains selon l'âge et l'ancienneté

Au Canada, le taux de chômage est passé de 9,1 % en 1997 à moins de 6 % au dernier trimestre de 2007 — et à moins de 4 % en Alberta. Dans pareilles circonstances, il se peut que les nouveaux entrants sur le marché du travail voient augmenter plus fortement leurs gains que les autres employés, car des pénuries de main-d'œuvre pourraient survenir dans certains secteurs. Le cas échéant, les gains des jeunes employés devraient croître plus rapidement que ceux de leurs homologues plus âgés.

Or, c'est précisément ce qui est arrivé. De 1997-1998 à 2006-2007, les gains (moyens ou médians) des hommes de moins de 35 ans ont augmenté d'au moins 7 %, tandis que ceux de leurs homologues de 35 à 54 ans ont diminué ou ont progressé de 4 % tout au plus. Les gains médians des femmes de moins de 35 ans ont également connu une croissance plus rapide que ceux de leurs homologues de 35 à 54 ans. La plus forte progression des gains des hommes de moins de 35 ans a été observée non seulement en Alberta, mais aussi dans la plupart des autres régions. Les seules exceptions sont l'Ontario et la Colombie-Britannique, où la hausse des gains moyens a été pour ainsi dire la même dans les deux groupes d'âge. Chez les femmes, les différences en fonction de l'âge au sein des régions étaient généralement moins prononcées.

La conjoncture favorable récente du marché du travail a également profité à certains employés nouvellement recrutés. Parmi le groupe des 35 à 44 ans, les gains des employés ayant deux années d'ancienneté ou moins ont augmenté d'au moins cinq points de pourcentage de plus que ceux de leurs homologues ayant plus d'ancienneté (graphique H). Néanmoins, en dernière analyse, depuis le début des années 1980, les gains des employés fraîchement recrutés ont augmenté moins rapidement que ceux des autres employés13.

Les raisons de cette tendance restent à préciser, mais une explication éventuelle serait que, depuis les années 1980, les employeurs canadiens ont peut-être réagi aux progrès techniques et à la concurrence plus intense au sein des industries et en provenance de l'étranger en réduisant la rémunération des travailleurs nouvellement recrutés tout en maintenant celle des travailleurs ayant plus d'ancienneté. Cette stratégie pourrait avoir été dictée par le souci de soutenir le moral et la productivité de leurs principaux travailleurs.

Résumé

Les nombreuses transformations de l'économie au cours de la dernière décennie ont contribué à l'évolution de la structure de la rémunération au Canada. Comme il fallait s'y attendre, les taux de rémunération ont augmenté en Alberta, surtout depuis 2004. En Ontario et au Québec, les gains n'ont pas chuté dans le secteur de la fabrication, malgré une contraction prononcée de l'emploi ces dernières années. Dans le secteur de l'informatique et des télécommunications, en dernière analyse, les gains moyens ont augmenté de 12 % en termes réels, après les turbulences des années 2001 à 2004.

Dans presque toutes les industries et les régions, l'accroissement des taux de rémunération dans la moitié supérieure de la répartition des gains est de plus en plus important à mesure que l'on se rapproche du haut de l'échelle. Il est donc vraisemblable que la dispersion des gains a augmenté dans cette partie de la répartition au cours de la dernière décennie.

Les provinces n'ont pas toutes réussi à réduire la prévalence des emplois à bas salaire dans la même mesure. De 1997 à 2007, la proportion d'emplois payés moins de 10 $ de l'heure a baissé sensiblement dans toutes les provinces, sauf à Terre-Neuve-et-Labrador, en Ontario et en Colombie-Britannique. Dans le secteur de la fabrication, la proportion d'emplois à bas salaire a diminué partout sauf en Ontario et en Colombie-Britannique.

De tous les travailleurs, les gestionnaires sont ceux dont le taux de rémunération s'est amélioré le plus depuis la fin des années 1990. Leurs gains ont augmenté fortement dans la plupart des groupes d'industries et dans les entreprises de toutes tailles. En revanche, les cols bleus du secteur de la fabrication, le personnel de bureau et le personnel des ventes du secteur du commerce de détail n'ont pour ainsi dire pas vu croître leurs gains.

Curieusement, la croissance prononcée des gains des gestionnaires et de certains professionnels en gestion des affaires et en finance ne s'est pas traduite par une forte hausse chez les travailleurs ayant un niveau d'études élevé. Aussi bien chez les hommes que chez les femmes, le rendement des études a peu varié au cours de la dernière décennie.

Cependant, les jeunes travailleurs et certains employés recrutés récemment ont assez bien réussi au cours des dix dernières années. Dans la plupart des régions, la croissance des gains des hommes de moins de 35 ans a été supérieure à celle de leurs homologues de 35 à 54 ans. Pourtant, au sein des groupes d'âge, de 1981 à 2007, les gains des employés fraîchement recrutés ont, en dernière analyse, augmenté plus lentement que ceux des autres employés.

Source des données et définitions

Depuis 1997, l'Enquête sur la population active (EPA) recueille des renseignements sur le salaire ou le traitement habituel des employés pour leur emploi principal. Il est demandé aux participants à l'enquête de déclarer leurs gains, y compris les pourboires et les commissions, avant impôts et autres déductions. Les gains hebdomadaires et horaires moyens sont calculés en se basant sur le nombre habituel d'heures rémunérées par semaine. Des totalisations croisées des gains moyens fondés sur les répartitions peuvent ensuite être calculées en fonction des gains et de caractéristiques telles que l'âge, le sexe, le niveau d'études, la profession et la syndicalisation.

L'échantillon de l'EPA est représentatif de la population civile de 15 ans et plus ne résidant pas en établissement. Sont exclus du champ d'observation de l'enquête les habitants des réserves et d'autres établissements autochtones dans les provinces, les membres à temps plein des Forces armées canadiennes et les personnes vivant en établissement. Ensemble, ces groupes représentent environ 2 % de la population de 15 ans et plus.

Sauf avis contraire, l'échantillon utilisé comprend les personnes de 15 à 64 ans occupées dans leur emploi principal (c.-à-d. celui auquel elles consacrent le plus grand nombre d'heures habituellement rémunérées par semaine) et qui vivent dans l'une des dix provinces. Les étudiants à temps plein sont exclus. Un autre échantillon, constitué uniquement des employés du secteur privé âgés de 15 à 64 ans, est utilisé dans certains cas. Sauf indication contraire, l'analyse porte sur les moyennes pour la période de janvier à novembre.

Le secteur public comprend les employés des administrations publiques de tous les niveaux, des sociétés de la Couronne, des régies des alcools et d'autres institutions gouvernementales, telles que les écoles (y compris les universités), les hôpitaux et les bibliothèques publiques. Le secteur privé comprend tous les autres employés et les propriétaires d'entreprises travaillant pour leur propre compte (y compris les travailleurs familiaux non rémunérés de ces entreprises) et les travailleurs autonomes ne possédant pas d'entreprise.

Les gains horaires sont exprimés en dollars de 2002 en utilisant les indices (d'ensemble) des prix à la consommation provinciaux.

Notes

  1. Tout au long de l'étude, les gains horaires ont été exprimés en dollars de 2002 à l'aide des indices des prix à la consommation (IPC) provinciaux. Puisque l'IPC est une mesure de la variation des prix d'une période à l'autre, plutôt qu'une mesure des niveaux des prix pour l'ensemble des provinces, il est impossible de l'utiliser pour dégager les différences de niveau de prix entre les provinces. Par conséquent, les écarts interprovinciaux entre les gains réels (ou les proportions d'emplois rémunérés à, disons, moins de 10 $ de l'heure) pendant une année particulière ne mesurent pas forcément les différences interprovinciales du pouvoir d'achat associé à un gain d'un dollar cette année-là.
  2. La courbe établie pour les hommes concorde avec la figure 4 de Lemieux (2007), qui révèle que les variations des gains réels des hommes selon le centile suivaient une courbe en U entre 1989 et 2004 aux États-Unis. Il convient de souligner que la proportion des employés du secteur privé qui sont membres d'un syndicat ou qui sont couverts par une convention collective est passée de 22 % en 1997 à 19 % en 2007 au Canada. Pour l'ensemble de l'économie, les chiffres correspondants sont 35 % et 33 %, respectivement.
  3. Les six principaux groupes d'industries sont les industries primaires et la construction, le secteur de la fabrication, les services hautement spécialisés, les services peu spécialisés, le commerce de gros et autres services, ainsi que les services publics. Les services hautement spécialisés [fondés sur le Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN) de 2002] englobent le transport et l'entreposage, l'industrie de l'information et l'industrie culturelle, la finance et les assurances, les services immobiliers et services de location et de location à bail, les services professionnels, scientifiques et techniques, la gestion de sociétés et d'entreprises, et les services de soutien administratif, services de gestion des déchets et services d'assainissement. Les services peu spécialisés comprennent le commerce de détail, l'hébergement et les services de restauration. En 2007, la répartition de l'emploi était la suivante : industries primaires et construction (4 %); fabrication (15 %); services hautement spécialisés (24 %); services peu spécialisés (17 %); commerce de gros et autres services (17 %); services publics (24 %).
  4. La question de savoir si cette forte croissance de la rémunération est observée pour les travailleurs hautement spécialisés ou pour ceux titulaires d'un emploi de gestionnaire ou de professionnel est examinée plus loin dans l'article.
  5. L'écart était encore plus important pour la croissance des gains médians dans le secteur de la fabrication, l'Alberta jouissant d'une hausse de 9 % tandis que la Colombie-Britannique souffre d'un recul de 10 %.
  6. Le secteur de l'informatique et des télécommunications comprend les industries du SCIAN suivantes : fabrication de machines pour le commerce et les industries de services, fabrication de matériel informatique et périphérique, fabrication de matériel de communications, fabrication de matériel audio et vidéo, fabrication de semi-conducteurs et d'autres composants électroniques, fabrication d'instruments de navigation, de mesure et de commande et d'instruments médicaux, grossistes-distributeurs d'ordinateurs et de matériel de communication, éditeurs de logiciels, télécommunications par fil, télécommunications sans fil (sauf par satellite), revendeurs de services de télécommunications, télécommunications par satellite, câblodistribution et autres activités de distribution d'émissions de télévision, autres services de télécommunications, fournisseurs de services Internet, sites portails de recherche et services de traitement de données, hébergement de données et services connexes, conception de systèmes informatiques et services connexes, et réparation et entretien de matériel électronique et de matériel de précision. En 2007, ce secteur représentait 4 % de l'emploi total.
  7. Plus de la moitié de la croissance des gains dans le secteur de l'informatique et des télécommunications semble être associée à une évolution des caractéristiques de la main-d'œuvre. Après neutralisation des effets de l'âge, de l'ancienneté (à l'aide de termes quadratiques en âge et en ancienneté) et du niveau d'études, ainsi que de l'interaction de ces variables avec le sexe, les régressions du logarithme des gains sur ces variables explicatives et un effet d'année (un indicateur binaire fixé à 1 pour 2007 et à 0 pour 1997) donnent à penser que les gains moyens ont augmenté de 5 % entre 1997 et 2007.
  8. Les gestionnaires spécialistes comprennent les gestionnaires des services administratifs, les gestionnaires des services de génie, d'architecture, de sciences naturelles et des systèmes informatiques, les gestionnaires des ventes, du marketing et de la publicité, et les gestionnaires de l'exploitation et de l'entretien d'immeubles. Le personnel professionnel en gestion des affaires et en finance comprend les vérificateurs, les comptables et les spécialistes en placements, ainsi que les professionnels en gestion des ressources humaines et en services aux entreprises.
  9. Des résultats comparables sont obtenus en utilisant les gains hebdomadaires.
  10. Les gains moyens des autres employés ont augmenté de 6 % dans les industries primaires et la construction et de 1 % dans les services publics. Les chiffres correspondants pour le personnel de gestion de ces deux secteurs étaient de 26 % et de 12 %, respectivement. Le graphique F montre la croissance selon la taille des entreprises pour 1998-1999 puisque la dimension des entreprises n'était pas disponible en 1997 à partir de l'EPA.
  11. L'ajout de variables de contrôle pour l'âge, l'ancienneté (à l'aide de termes quadratiques en âge et en ancienneté) et le niveau d'études (et les interactions de ces variables avec le sexe) dans les régressions qui comprennent au départ un indicateur binaire pour les emplois en gestion, un effet de période (un indicateur binaire égal à 1 en 2006-2007 et à 0 pour 1997-1998), ainsi qu'un terme d'interaction entre les deux réduit la valeur de ce terme d'interaction de 0,143 à 0,116.
  12. Entre 1998-1999 et 2006-2007, le logarithme des gains des gestionnaires a augmenté de 11 points de plus que chez les autres employés. Les trois quarts de cette différence persistent après que l'on tienne compte de la taille de l'entreprise (4 catégories), de l'industrie (niveau à 4 chiffres), de la région, de l'âge, du niveau d'études et de l'ancienneté.
  13. Puisque les enquêtes utilisées dans le graphique H diffèrent dans une certaine mesure en ce qui concerne le contenu et les méthodes utilisées pour imputer les gains et déceler les valeurs aberrantes, il est difficile de faire des inférences catégoriques quant à l'importance de la croissance des gains réels depuis 1981. Néanmoins, les comparaisons de l'évolution des salaires relatifs entre groupes (p. ex. entre les employés nouvellement recrutés et les autres employés) demeurent significatives. Comme l'ont montré Morissette et Johnson (2005), au cours des années 1990, à l'intérieur des groupes d'âge, les gains des employés masculins et féminins nouvellement recrutés ont beaucoup baissé comparativement à ceux des autres employés.

Documents consultés

  • LEMIEUX, Thomas. 2007. The Changing Nature of Wage Inequality. Document de travail du National Bureau of Economic Research No 13523. Octobre. National Bureau of Economic Research. Cambridge, MA.
  • MORISSETTE, René et Anick JOHNSON. 2005. « Are Good Jobs Disappearing in Canada? » Examen des politiques économiques, août. vol. 11, no 1, p. 23-56. Federal Reserve Bank of New York. New York, NY. No 11F0019MIE au catalogue de Statistique Canada – No 239. Document de recherche de la série des études analytiques, no 239. 52 p. également publié en français à (site consulté le 29 janvier 2008).
  • SAEZ, Emmanuel et Michael R. Veall. 2005. « The Evolution of High Incomes in Northern America: Lessons from Canadian Evidence. » The American Economic Review. Juin, vol. 95, no 3, p. 831-849.

Auteur

René Morissette est au service de la Division de l'analyse des entreprises et du marché du travail. Il peut être rejoint au 613-951-3608 ou à perspective@statcan.gc.ca.


Pour visualiser les documents PDF, vous devez utiliser le lecteur Adobe gratuit. Pour visualiser (ouvrir) ces documents, cliquez simplement sur le lien. Pour les télécharger (sauvegarder), mettez le curseur sur le lien et cliquez le bouton droit de votre souris. Notez que si vous employez Internet Explorer ou AOL, les documents PDF ne s'ouvrent pas toujours correctement. Veuillez consulter Dépannage pour documents PDF. Il se peut que les documents PDF ne soient pas accessibles au moyen de certains appareils. Pour de plus amples renseignements, visitez le site Adobe ou contactez-nous pour obtenir de l'aide.