La transformation des dépenses de consommation Tarek M. Harchaoui et Faouzi Tarkhani
La montée en flèche des dépenses de consommation, actuellement dans sa 12e année, a survécu à bien des chocs subis par l’économie, dont les attentats terroristes, la baisse marquée du cours des actions, le syndrome respiratoire aigu sévère et la fermeture de la frontière américaine aux produits de bœuf canadien. Pendant tout ce temps, la demande tenace des ménages, qui représente près de 60 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, a non seulement connu une croissance soutenue mais a également joué un rôle clé dans le soutien de l’économie. Au cours des 20 dernières années, cependant, les dépenses de consommation et les avoirs des ménages ont varié énormément, suivant l’évolution des goûts, du mode de vie et de l’économie. Ces changements sont dus à de nombreux facteurs, dont l’évolution démographique, l’innovation technologique et financière, la mondialisation des marchés financiers, la croissance du patrimoine des ménages et la participation accrue des femmes au marché du travail.
Il y a vingt ans, les familles canadiennes plaçaient généralement leur épargne dans des dépôts personnels et des placements à échéance déterminée. Aujourd’hui, elles investissent dans des fonds communs de placement et dans d’autres instruments financiers. La population vieillissante recherche de plus en plus la protection des produits de retraite et d’une assurance-maladie complémentaire, si bien que l’importance accordée aux produits d’épargne à plus long terme a fait grimper la demande de planification financière et de gestion du patrimoine.
Une population mieux nantie et plus active consomme plus de repas à l’extérieur et achète des véhicules tels que des mini-fourgonnettes et des véhicules utilitaires sport qui sont plus polyvalents que la voiture familiale traditionnelle. L’accroissement plus rapide de la population et de l’emploi dans les zones suburbaines a également entraîné plus de dépenses en déplacements personnels et diminué les dépenses de transport en commun.
Au cours des dernières années, les Canadiens ont été de plus en plus touchés par les progrès rapides de la technologie de l’information et des télécommunications. Les ordinateurs personnels et l’Internet modifient de plus en plus les façons de communiquer, d’obtenir de l’information et d’acheter des biens et des services.
Une perspective à long terme
Les dépenses personnelles de consommation sont des dépenses visant à acquérir des biens et services pour la satisfaction directe de besoins individuels ou collectifs. Atteindre, immédiatement ou ultérieurement, un niveau de consommation supérieur est de première importance pour la plupart des gens et un indicateur généralement accepté de l’activité économique nationale. Représentant 56,3 % du PIB en 2003 et ayant constitué plus de la moitié de la croissance annuelle moyenne de 2,8 % du PIB entre 1981 et 2003, les dépenses de consommation ont un lien direct avec l’évaluation du progrès à long terme du Canada (graphique A).
De 1981 à 2000, dernière année avant le ralentissement de l’économie, les dépenses réelles de consommation ont augmenté de 2,6 % par année, soit légèrement moins que le PIB. De 2000 à 2003, les dépenses de consommation représentaient les trois quarts de la croissance annuelle de 2,3 % du PIB, malgré plusieurs événements qui se sont répercutés sur le transport aérien, sur le matériel de haute technologie et sur l’achat de camionnettes et de fourgonnettes neuves.
L’effet du patrimoine
L’augmentation du revenu réel, l’accumulation de biens ménagers et la volonté de s’endetter davantage ont eu pour effet d’inciter les consommateurs à dépenser plus pour des articles facultatifs que pour des objets de première nécessité. Entre 1981 et 2000, la valeur nette des ménages a augmenté à un taux annuel de presque 7 %, environ le double de l’augmentation des dépenses de consommation (3 %). En 2000, l’assurance-vie, les rentes et les actions représentaient 68 % des avoirs financiers des ménages, contre 47 % en 1981 (graphique B). Toutefois, cette augmentation s’est produite au détriment des avoirs portant intérêt (qui sont passés de 11 % à 6 %), des dépôts (de 36 % à 26 %) et des autres avoirs financiers (de 6 % à moins de 1 %). Le changement le plus important dans la composition des actifs s’est produit dans les REER. Le montant en REER à la fin des années 1990 était 6 fois plus important qu’au début des années 1980, ce qui est de loin la plus forte augmentation d’un élément d’actif. Il y a un contraste marqué avec l’actif total, qui est devenu deux fois plus important au cours de la même période. La proportion de familles adhérentes à un REER a doublé, passant de 28 % à 55 %.
L’accession à la propriété est aussi devenue plus importante. En 2000, l’habitation représentait 47 % de l’avoir non financier des ménages, contre 41 % en 1981. Une conjoncture économique généralement robuste et des hypothèques relativement abordables ont stimulé le marché de l’habitation, en particulier dans la seconde moitié des années 1990, quand les avoirs résidentiels ont augmenté à un taux annuel moyen de 4 %.
La hausse du prix des maisons au cours des dernières années a contribué à accroître le patrimoine des ménages et à assurer la vigueur continue des dépenses de consommation. La hausse du prix des maisons, conjuguée à des taux d’intérêt plus faibles et à l’innovation financière, a accru la capacité d’emprunt des ménages. Au cours des dernières années, les emprunts garantis par la propriété ont augmenté au point de dépasser les dépenses nettes pour l’acquisition de nouveaux avoirs résidentiels. Ceci signifie que, dans l’ensemble, les ménages ont alloué une partie de la valeur nette de leur maison à d’autres fins. Le même phénomène a été observé aux États-Unis et au Royaume-Uni et a été cité comme facteur de croissance des dépenses de consommation dans ces pays.
Les services financiers
La plus grande partie de l’augmentation des dépenses discrétionnaires a eu lieu dans les services financiers, ce qui traduit principalement la croissance de l’avoir financier des ménages. Les services financiers comprennent les frais de courtage, les services de conseils en placement, les services comptables et les frais bancaires.
La part des services financiers dans les dépenses personnelles est passée de 0,6 % à 2,4 % entre 1981 et 2000, ce qui reflète en grande partie l’augmentation de la valeur nette des ménages et la part croissante des biens ménagers représentée par des avoirs financiers tels que les fonds de pension, les actions, les fonds communs de placement et les fonds du marché monétaire (tableau). Au cours de cette période, les fonds communs de placement ont augmenté à un taux annuel moyen de 23,5 %, ce qui en fait le produit à la croissance la plus rapide dans le panier du ménage.
Plus rapides, meilleurs et bon marché
Au cours de la période allant de 1981 à 2000, les innovations technologiques ont donné lieu à une prolifération de nouveaux biens et services, notamment la télévision par câble, les ordinateurs, les jouets et les jeux électroniques, les téléphones cellulaires, le matériel vidéo et les services Internet. L’innovation a également permis de baisser les prix de bon nombre de ces articles, de même que ceux de biens et de services implantés depuis plus longtemps comme le matériel audio et les services téléphoniques interurbains. La part de ces nouveaux produits a augmenté pour passer de 1,5 % à 3,6 %, ce qui est l’un des taux de croissance les plus rapides dans le panier du consommateur (tableau). Au cours de cette période, les achats d’ordinateurs ont connu la croissance la plus rapide après les fonds communs de placement (21,8 % et 23,5 %, respectivement).
Les dépenses en matière de produits et services de télécommunications ont augmenté de 6,2 % par an pendant les deux dernières décennies, contre 8,8 % pour les postes de télévision et 5,4 % pour la câblodiffusion. Ceci reflète en grande partie l’augmentation du nombre moyen de lignes téléphoniques par ménage, de téléphones cellulaires, de services interurbains et de nouveaux services complémentaires tels que l’identification du correspondant, le renvoi automatique et l’appel en attente. L’utilisation accrue du téléphone cellulaire s’explique à la fois par l’offre accrue de services de téléphonie cellulaire et la forte baisse des tarifs. L’utilisation accrue des services interurbains est due en partie à une forte baisse des tarifs par suite de progrès technologiques et à la restructuration des entreprises de services interurbains au milieu des années 1990.
Les Canadiens ont souvent adopté rapidement les nouvelles technologies de consommation. Entre 1997 et 2002, la proportion de ménages reliés à Internet a bondi, passant de 16 % à 51 %. Au cours de la même période, la proportion de ménages possédant un ordinateur a également augmenté, mais pas aussi fortement que celle des utilisateurs d’Internet (graphique C).
Santé et éducation
Un autre aspect important des dépenses de consommation au cours des 20 dernières années a été l’augmentation rapide des dépenses de santé (5 % par année). Cette augmentation, qui résulte principalement des paiements accrus des tiers payeurs de l’assurance-maladie privée et des programmes publics, est due au vieillissement de la population et au nombre accru de personnes âgées.
Malgré l’universalité du régime de soins de santé canadien, les dépenses ne sont pas toutes couvertes par les divers régimes provinciaux. La plupart des ménages doivent assumer les frais, par exemple, d’une assurance-maladie, des soins des yeux, des médicaments prescrits et non prescrits et des produits pharmaceutiques. Par conséquent, la part des dépenses de consommation consacrée aux soins de santé est passée de 3,3 % à 4,9 % entre 1981 et 2000 (tableau).
Même si les dépenses de santé représentaient une part relativement restreinte du budget moyen des ménages, presque tous les ménages canadiens (98,2 %) ont déclaré de telles dépenses en 2000. La moyenne s’élevait à près de 1 400 $, la plus grande part de cette somme allant aux primes d’assurance-maladie et aux soins dentaires. À titre de comparaison, 20 ans plus tôt, cette somme était d’environ 900 $ (en dollars de 1997).
La part consacrée aux services d’enseignement est passée de 0,8 % à 1,4 %, ce qui reflète à la fois la valeur accrue accordée aux études collégiales et la hausse des frais de scolarité. L’effectif collégial a augmenté à un taux annuel de 3,7 % entre 1981 et 2000, soit plus de trois fois le taux de croissance démographique (1,1 %).
Les dépenses des ménages au chapitre des écoles privées ont affiché une hausse annuelle de 6,5 % au cours de cette période. À la fin des années 1990, environ 5,6 % des enfants fréquentaient une école privée primaire ou secondaire, comparativement à 4,6 % dix ans plus tôt. Par contre, malgré la forte augmentation des frais de scolarité universitaire au cours des deux dernières décennies, les dépenses des ménages à ce chapitre n’ont augmenté que de 2,6 %. Ceci pourrait s’expliquer par la contribution accrue des étudiants au paiement des dépenses liées à leurs études postsecondaires.
Transport
Les déplacements du domicile au travail sont tributaires de l’accès à un transport public efficace et abordable ainsi qu’à un réseau routier dans le cas des véhicules personnels.
En 2000, les dépenses des ménages au chapitre du transport s’élevaient à un montant estimé de 7 000 $ (en dollars de 1997), soit une hausse de 7 % par rapport à 1981. Cette augmentation tient largement à une progression annuelle de 10 % des achats de voitures et de camionnettes (ce qui comprend les fourgonnettes et les véhicules utilitaires sport). En 2000, la proportion de ménages ayant acheté des camionnettes et des fourgonnettes a atteint 8 %, en hausse par rapport à 7 % en 1997. Par contre, la proportion de ménages ayant acheté des voitures est demeurée à 14 %. Le nombre de ménages possédant une voiture dépend de plusieurs facteurs, dont le revenu, les taux d’intérêt, le prix des voitures et les tendances démographiques. Comme l’usage d’une voiture est souvent partagé au sein des ménages, c’est plutôt le nombre croissant de ménages à une personne qui est susceptible d’entraîner une augmentation du nombre de voitures.
En 2000, les ménages ont dépensé en moyenne 350 $ en transport aérien, la plus importante composante du transport public. Cette somme représente une hausse de 3 % par rapport à 1997, après ajustement en fonction de l’inflation. Cette augmentation est due en grande partie aux achats accrus de services de transport aérien, car les consommateurs ont profité de tarifs réduits après la restructuration du secteur du transport aérien et ont utilisé davantage les services des agences de voyage.
Au cours des dernières années
Le ralentissement de l’économie en 2001 a été marqué par un important rajustement de la demande d’investissement des entreprises, tandis que les dépenses des ménages (consommation et investissement dans l’habitation) sont demeurées exceptionnellement élevées. L’effervescence du marché des années 1990 s’étant atténuée au début des années 2000, les ménages ont réaffecté leurs actifs.
Bien que les dépenses de consommation aient largement contribué à la croissance du PIB pendant la période 2000-2003, cette croissance a été plus lente que celle de la période 1995-2000 (3,1 % par an, contre 3,6 %). Ce ralentissement survenu au cours des dernières années tient principalement à un repli dans un certain nombre de branches d’activité : transport aérien (-5,3 %), camions et fourgonnettes neufs (3,6 %, contre 10,4 % pendant la période 1981-2000), services financiers (1,7 % pour les fonds communs de placement, contre 23,5 %; -2,4 % pour les commissions sur actions et obligations, contre 4,2 %) et machines de bureau et matériel informatique (0,4 %, contre 21,8 %).
En outre, les dépenses de consommation ont été soutenues par la baisse de l’impôt des particuliers (de 21,7 % des dépenses totales à 20,0 %) entre 1999 et 2000 et par les faibles taux d’escompte de la banque centrale au cours des trois dernières années. Le fait que la Banque du Canada ait abaissé le taux préférentiel de 5,74 % en 2000 à 3,18 % en 2003 — une baisse de 45 % en trois ans — a entraîné des vagues successives de refinancements d’hypothèques et d’emprunts fondés sur la valeur nette de la maison, libérant ainsi des ressources financières considérables pour financer les dépenses de consommation. De plus, les ménages ont augmenté leurs emprunts par le biais des cartes de crédit et des prêts personnels à court terme, en particulier des lignes de crédit. Depuis le milieu des années 1990, l’augmentation constante de la dette des ménages, conjuguée à une baisse sensible du revenu disponible, a fait en sorte qu’en 2003, les ménages avaient 103 $ de dette (crédit à la consommation et hypothèques) par 100 $ de revenu disponible (graphique D). Cependant, les faibles taux d’intérêt depuis 2000 auront sans doute atténué l’augmentation du fardeau de la dette.
Compte tenu du marché à la baisse depuis quelques années, les ménages ont brusquement renversé la tendance qu’ils avaient — pendant plus de dix ans — à augmenter leurs avoirs financiers. En effet, au cours de la période de 2000 à 2003, la part des avoirs financiers a baissé, pour la première fois depuis la fin des années 1970. Tout compte fait, les ménages ont décidé d’abandonner les actions et autres moyens de placement et de réorienter leurs avoirs vers des actifs corporels tels que l’habitation et les biens durables (graphique E).
Conclusion
L’évolution des habitudes de consommation des ménages traduit une évolution des goûts, des préférences, des progrès technologiques et de la structure de l’économie. Au Canada, comme dans beaucoup de pays industrialisés, la consommation représente environ 60 % du PIB. Il est donc essentiel de connaître le comportement des consommateurs pour analyser les déterminants de la demande globale.
La vigueur des dépenses de consommation est étroitement liée à l’augmentation du revenu personnel et du patrimoine. Au cours de la dernière décennie, les ménages ont profité de la hausse dont ont bénéficié les marchés boursier et de l’habitation, la valeur des maisons et des actions ayant augmenté de 307 milliards de dollars et de 330 milliards de dollars respectivement entre la fin de 1995 et 2003. Ces deux éléments d’actif ont constitué, rien qu’à eux seuls, un peu plus de 20 % de l’accroissement du patrimoine des ménages au cours de cette période.
Certains observateurs considèrent, toutefois, l’essor des dépenses de consommation avec appréhension. Le taux d’épargne des particuliers est tombé à un niveau jamais vu auparavant, la dette à la consommation a augmenté et le ratio de la valeur nette du logement est descendu à un niveau sans précédent. Cela fait craindre que la hausse de la consommation privée ne soit pas durable et qu’un affaiblissement fasse déraper la relance. L’on craint surtout que les consommateurs soient exposés à un effondrement de ce que beaucoup considèrent comme un état d’ébullition de l’immobilier résidentiel, étant donné la hausse spectaculaire des cours de l’immobilier enregistrée dans certains marchés.
La révision, de mai 2004, des données du Système de comptabilité nationale n’a pas été incorporée dans le présent article. |
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Auteurs
Les auteurs sont au service de la Division des études et de l’analyse microéconomiques. On peut joindre Tarek Harchaoui au (613) 951-9856 et Faouzi Tarkhani au (613) 951-5314, ou l’un ou l’autre à perspective@statcan.gc.ca.
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