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Mars 2004
Vol. 5, no. 3

L'emploi et le revenu en perspective

Taux de mises à pied permanentes
René Morissette

En 1996, le New York Times a publié une série d’articles intitulée « Downsizing of America » affirmant que la concurrence accrue et les changements technologiques attribuables à l’informatique poussaient de nombreuses entreprises à réduire leurs coûts et à mettre à pied des employés, même parmi les plus anciens. Il n’est donc pas étonnant qu’une étude menée récemment à partir de la U.S. General Social Survey de 1977 à 1996 montre que les travailleurs américains des années 1990 craignaient davantage que leurs prédécesseurs des années 1980 de perdre leur emploi (Schmidt, 1999).

Depuis le milieu des années 1990, les médias font couramment état de licenciements massifs par de grandes sociétés souvent rentables. Sans doute la mondialisation a-t-elle ouvert de nouveaux débouchés à certaines entreprises et en a-t-elle placé d’autres devant une concurrence étrangère plus féroce. De nombreux Canadiens se demanderont alors peut-être s’ils risquent davantage de perdre leur emploi aujourd’hui qu’il y a deux décennies.

Les mises à pied provoquent un sentiment général d’incertitude. Par exemple, les familles à revenu instable pourraient avoir besoin de modifier leurs habitudes de consommation et d’épargne. Le revenu de retraite des travailleurs incapables de transférer leurs régimes à prestations déterminées dans d’autres régimes pourrait s’en trouver affecté. Et les travailleurs déplacés devront souvent se recycler.

La sécurité d’emploi peut être considérée comme fonction de deux composantes : le risque de mise à pied et les coûts y afférents, qui correspondent à la perte de revenu des travailleurs déplacés (OCDE, 1997). Le présent article s’attarde à la première composante, utilisant le Fichier longitudinal des travailleurs (FLT) pour déterminer si les taux de mises à pied permanentes ont augmenté entre les années 1980 et les années 1990 (voir Source des données et concepts). Mais quelles étaient les chances de se trouver un nouvel emploi en cas de mise à pied? On étudie cette question à la lumière des taux d’embauche et des taux de démissions permanentes durant la même période.

Stabilité d’emploi et perte d’emploi

La stabilité d’emploi a diminué entre 1977 et 1993, en particulier pour les emplois à durée initiale de moins d’un an. Mais entre 1993 et 2001, la tendance s’est renversée, si bien que la stabilité d’emploi n’a suivi aucune tendance à la baisse à long terme, quel que soit l’âge, le sexe ou le niveau de scolarité, durant la période tout entière (Heisz, 2002).

Aucune tendance à la hausse des taux de mises à pied permanentes ne se dégage de la période allant de 1978 à 1994 lorsque l’on considère des années comparables au point de vue du cycle économique. Mais la probabilité d’une mise à pied permanente s’est accrue chez les travailleurs plus âgés et hautement rémunérés (Picot et Lin, 1997).

D’après une analyse de l’incidence des pertes d’emploi aux États-Unis entre 1981 et 2001, bien que l’on n’ait observé aucune hausse à long terme des taux globaux de perte d’emploi, on a enregistré chez les personnes plus âgées et plus instruites une augmentation à long terme du taux de perte d’emploi, qu’il faut surtout attribuer à la suppression de postes et de quarts plutôt qu’à un accroissement des fermetures d’usines, à un ralentissement du marché de l’emploi ou à d’autres raisons — une tendance concordant avec la notion de « rationalisation » (Farber, 2003, p. 13).

La stabilité d’emploi et la perte d’emploi sont deux concepts distincts. La stabilité d’emploi intègre implicitement les taux de mise à pied (taux de perte d’emploi) et de démissions. La stabilité d’emploi, qui correspond à la durée moyenne d’un emploi ou au taux de conservation des effectifs, peut rester inchangée si une augmentation des taux de mises à pied s’accompagne d’une baisse des taux de démissions3; par exemple, une hausse des taux de perte d’emploi, conjuguée à une baisse des taux d’embauche ou à un sentiment d’insécurité croissant chez les travailleurs, pourrait en inciter bon nombre à conserver leur emploi. Ainsi, l’absence d’un déclin à long terme de la stabilité d’emploi n’est pas nécessairement incompatible avec une augmentation des taux de mises à pied permanentes.

Mises à pied permanentes, 1983-1999

La notion de mise à pied permanente ne s’applique qu’aux employés. Les mises à pied permanentes augmentent en période de récession et chutent en période d’expansion. On peut déterminer les changements structurels des taux de mises à pied permanentes en comparant des années correspondant à peu près aux mêmes étapes du cycle économique. Entre 1983 et 1999, l’économie a franchi deux pleins cycles économiques, ce qui s’est traduit par des taux de chômage très voisins chez les hommes de 25 à 54 ans en 1989 et en 1999 (6,3 % et 6,5 %, respectivement), à l’instar des taux de chômage globaux, très semblables eux aussi en 1989 et en 1999 (7,5 % et 7,6 %). Ce qu’il faut alors se demander, c’est si les taux de mises à pied permanentes étaient plus élevés en 1999 qu’en 1989.

Pour assurer la cohérence de la série chronologique des taux de mises à pied permanentes, les emplois pour lesquels les employeurs émettent un relevé T4 et ceux pour lesquels ils doivent émettre un relevé d’emploi (RE) doivent être assez semblables. Cependant, les deux types d’emploi ont légèrement changé de 1983 à 1999. Mais le choix d’emplois assortis d’un salaire annuel d’au moins 500 $ en dollars de 1989 (621 $ en dollars de 1999) permet de calculer les taux de mises à pied permanentes de façon cohérente4. Au sortir de la récession de 1981-1982, les taux de mises à pied permanentes ont chuté, pour atteindre un creux de 5,9 % en 1989 (graphique A). Ils ont remonté durant la récession de 1990-1992, mais ils ont terminé les années 1990 à 5,7 %.

Lorsqu’on a considéré des seuils plus élevés (de 1 000 $ à 5 000 $ en dollars de 1989), les taux de mises à pied permanentes n’ont affiché aucune tendance à la hausse, bien que les valeurs de ces taux aient diminué avec l’utilisation de seuils plus élevés.

Tout comme les taux de mises à pied permanentes, les taux de mises à pied temporaires se ressemblaient beaucoup en 1989 et en 1999 (tableau 1). Cependant, les taux d’embauche ont été généralement plus bas durant la seconde moitié des années 1990 que durant la seconde moitié des années 1980. Et en 1999, le taux de démissions permanentes n’était que de 7,3 %, en baisse de près de 2 points de pourcentage par rapport à 1989.

En 1999, le taux de mises à pied permanentes était supérieur d’au moins un demi-point de pourcentage à celui de 1989 chez les hommes de 55 à 64 ans et chez les femmes de 35 à 44 ans (tableau 2). Aucune hausse appréciable n’a été relevée dans les autres groupes d’âge des deux sexes.

De 1989 à 1999, le taux de mises à pied permanentes a généralement augmenté d’au moins un demi-point de pourcentage dans les services aux entreprises et les services de distribution. Il n’a cependant pas augmenté dans la fabrication ou dans le secteur primaire et de la construction. Ces tendances ont été observées tant chez les hommes que chez les femmes.

Dans les grandes entreprises privées (500 employés ou plus), le taux de mises à pied permanentes s’est accru de 1989 à 1999, passant de 3,3 % à 4,0 % chez les hommes et de 1,9 % à 2,5 % chez les femmes. En revanche, celui des entreprises comptant moins de 20 employés — qui était au moins le triple de celui des grandes entreprises (sauf en 1999) — n’a pas augmenté.

Si le taux de mises à pied permanentes des hommes hautement rémunérés (50 000 $ ou plus durant l’année précédant la mise à pied) n’a pas augmenté, il apparaît, selon les données brutes, que celui des femmes à revenu élevé s’est accru.

Les seules hausses marquées des pertes d’emploi ont été observées à Terre-Neuve-et-Labrador et à l’Île-du-Prince-Édouard, qui ont vu leurs taux de mises à pied permanentes augmenter d’environ 2 points de pourcentage entre 1989 et 19995. Ces taux se sont légèrement accrus en Nouvelle-Écosse, alors qu’ils n’ont guère varié ou ont légèrement fléchi dans les autres provinces. Il s’ensuit que, pour la plupart des travailleurs et des provinces, les taux de mises à pied permanentes n’étaient pas plus élevés à la fin des années 1990 qu’à la fin des années 1980.

Analyse multivariée

Pour savoir si les tendances sont les mêmes pour les travailleurs d’âge semblable occupant des emplois similaires, on a utilisé des modèles logit pour estimer la probabilité de mise à pied durant une année donnée (tableau 3). Des régressions distinctes ont été effectuées pour les 10 groupes d’âge des deux sexes. La variable dépendante est égale à 1 lorsqu’un emploi se termine par une mise à pied permanente, sinon elle est égale à 0.

Deux modèles ont été définis pour chaque groupe. Dans le premier, on a utilisé les variables explicatives que sont l’âge, l’âge au carré, la province et un vecteur des effets d’années couvrant la période 1983-1999 (1989 étant l’année de référence). Dans le second modèle on a ajouté des variables de contrôle pour l’industrie (six catégories) et la taille de l’entreprise (quatre catégories)6.

Le modèle 1 montre que la probabilité d’une mise à pied permanente s’est accrue de 1989 à 1999 d’une manière significative (au niveau de 5 %) — pour les hommes de 35 à 44 ans et de 55 à 64 ans. Il s’agissait toutefois de hausses modestes de l’ordre de 0,3 et 0,6 point de pourcentage, respectivement7. Des hausses ont aussi été observées chez les femmes de 25 à 34 ans et de 35 à 44 ans, dont la probabilité d’être mises à pied de façon permanente s’est accrue de 0,3 et de 0,5 point de pourcentage, respectivement. Bien que modérée en chiffres absolus, l’augmentation touchant les femmes de 35 à 44 ans n’est pas négligeable en chiffres relatifs, équivalant à 16 % (étant donné que leur taux de mises à pied permanentes n’était que de 3,2 % en 1989). Par contre, les hommes de 15 à 24 ans ont vu leur risque de perte d’emploi fléchir d’un point de pourcentage. Ainsi, entre 1989 et 1999, seuls les hommes de 55 à 64 ans et les femmes de 35 à 44 ans ont vu leur risque de perte d’emploi augmenter d’un demi-point de pourcentage ou plus.

Puisque les taux de mises à pied varient d’une industrie à l’autre et qu’ils sont plus élevés dans les petites entreprises, la variation de la répartition de l’emploi par industrie et taille d’entreprise peut influer sur le risque de perte d’emploi couru par les travailleurs canadiens. L’ampleur de cet effet est examinée dans le modèle 2.

Les changements intervenus dans la répartition de l’emploi par industrie et taille d’entreprise ne représentaient qu’une infime partie de l’augmentation du risque de perte d’emploi que courent les hommes de 55 à 64 ans et les femmes de 35 à 44 ans. En effet, la majeure partie de l’augmentation de la perte d’emploi observée dans ces deux groupes persistait malgré l’ajout de variables de contrôle pour l’industrie et la taille d’entreprise (modèle 2). Il en va de même pour les femmes de 25 à 34 ans.

Par contre, les effets de composition expliquent la totalité de l’accroissement du risque de perte d’emploi couru par les hommes de 35 à 44 ans, dont la probabilité de subir une mise à pied permanente n’augmentait plus lorsqu’on tenait compte de l’effet de l’industrie et de la taille de l’entreprise.

Le risque de perte d’emploi augmentait d’environ 0,5 point de pourcentage chez les travailleurs et travailleuses de 45 à 54 ans après avoir tenu compte de l’effet de l’industrie et de la taille de l’entreprise. Comme la probabilité de perte d’emploi n’augmentait pas pour ces travailleurs dans le modèle 1, cela donne à penser que les changements qui sont intervenus dans la distribution de l’emploi par industrie et taille d’entreprise entre 1989 et 1999 ont eu tendance à réduire le taux de mises à pied de ces travailleurs.

Les données descriptives et les modèles statistiques ne permettent guère de conclure à une hausse significative du risque de perte d’emploi entre les années 1980 et 1990.

Les hommes de 55 à 64 ans et les femmes de 35 à 44 ans sont les seuls dont le risque de perte d’emploi a progressé d’un demi-point de pourcentage ou plus entre 1989 et 1999. Toutefois, le risque de mise à pied s’est peut-être accru davantage dans certains segments de l’économie que dans d’autres.

Trois questions pourraient se poser. Premièrement, est-ce que les hommes et les femmes d’un âge donné travaillant dans une industrie donnée étaient plus susceptibles en 1999 qu’en 1989 d’être mis à pied pour de bon? Le risque de perte d’emploi s’est bel et bien accentué dans certaines branches d’activité (tableau 4). S’il a généralement diminué dans les industries productrices de biens et très peu varié dans les services aux consommateurs, ce risque s’est accru d’au moins un demi-point de pourcentage dans les services de distribution, les services aux entreprises et les services publics8.

Deuxièmement, la taille de l’entreprise influait-elle sur les taux de mise à pied? Les grandes entreprises privées ont procédé à plus de mises à pied en 1999 qu’en 1989. Le risque de mise à pied permanente s’y est accru de 0,7 point de pourcentage chez les hommes et de 0,6 point chez les femmes. Cette hausse n’est pas négligeable puisqu’elle représente une augmentation relative d’au moins 20 % (le taux de mises à pieds permanentes des grandes entreprises ayant été de 3,3 % chez les hommes et de 1,9 % chez les femmes en 1989)9. En 1999, les grandes entreprises étaient responsables du tiers de l’emploi dans le secteur privé10.

Troisièmement, la probabilité d’être mis à pied s’est-elle accrue chez les travailleurs à revenu élevé? Les travailleuses hautement rémunérées du secteur privé ont vu le risque de perdre leur emploi s’accroître d’au moins un demi-point de pourcentage. Étant donné que leur taux de mises à pied permanentes n’était que de 1 % en 1989, elles couraient encore très peu de risques d’être mises à pied à la fin des années 1990. Par contre, rien n’indique que les risques de perte d’emploi ont augmenté chez les hommes à revenu élevé.

Ainsi, bien que les taux de mises à pied permanentes aient peu augmenté entre les années 1980 et les années 1990, les travailleurs de certains secteurs ont tout de même vu les risques de perdre leur emploi grandir.

Taux d’embauche, taux de démissions permanentes et stabilité d’emploi

Dans la première moitié des années 1990, les taux d’embauche étaient relativement bas par rapport à ceux enregistrés après la récession de 1981-1982 (graphique B). Entre 1995 et 1999, ces taux étaient de 21 % en moyenne, ce qui est nettement inférieur aux 25 % enregistrés de 1985 à 1989.

Dans la plupart des provinces, les taux d’embauche étaient beaucoup plus bas durant la seconde moitié des années 1990 que durant la seconde moitié des années 1980. En Ontario, par exemple, le taux d’environ 21 % observé en 1997 était inférieur de 4 bons points de pourcentage à celui de 1987. En Colombie-Britannique, il était de 20 % en 1999, en baisse de presque 10 points par rapport à 1989. Cela donne à penser qu’en dépit du fait que les risques de mise à pied permanente ont peu augmenté des années 1980 aux années 1990, les chances de se trouver un nouvel emploi en cas de mise à pied étaient nettement moins bonnes (tableau 5).

Dans le secteur privé, le taux d’embauche a reculé beaucoup plus fortement dans les petites que dans les grandes entreprises. Dans les entreprises de moins de 20 employés, le taux d’embauche moyen a chuté de 23 % entre la période 1985-1989 et la période 1995-1999 (graphique C). Il n’a toutefois fléchi que de 4 % dans les grandes entreprises.

Le recul du taux d’embauche n’était pas uniforme d’un groupe d’âge à l’autre. Les travailleurs de 25 à 34 ans (tant les hommes que les femmes) ont vu leur taux d’embauche moyen diminuer d’au moins 15 % entre la période 1985-1989 et la période 1995-1999 (graphique D). Celui des hommes de 45 à 54 ans, en revanche, s’est accru de 10 %.

Si les perspectives d’emploi, mesurées par les taux d’embauche, étaient moins reluisantes dans les années 1990, on aurait pu s’attendre à ce que les travailleurs aient démissionné moins souvent que dans les années 1980. De fait, entre 1989 et 1999, les taux de démissions sont passés de 9,2 % à 7,3 % (tableau 6). Des baisses ont été observées dans l’ensemble des groupes d’âge, grands groupes industriels, tranches de taille d’entreprise et provinces à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. En chiffres absolus, c’est en Ontario et en Colombie-Britannique que les taux de démissions permanentes ont le plus régressé, de 3,1 et 2,5 points de pourcentage, respectivement. En chiffres relatifs, ils ont diminué d’au moins 25 % dans ces deux provinces ainsi qu’à Terre-Neuve-et-Labrador.

La baisse des taux de démissions ne résultait pas simplement du vieillissement de la main-d’œuvre. Pour tous les groupes d’âge, les modèles logit des démissions permanentes révèlent une baisse importante de la probabilité de démissionner même en tenant compte de l’effet d’âge (âge carré et province de travail). Entre 1989 et 1999, la probabilité de démissionner a diminué d’entre 0,7 et 2,2 points de pourcentage chez les femmes et d’entre 0,4 et 1,9 point chez les hommes (tableau 7). Dans la plupart des groupes d’âge, l’ajout de variables de contrôle pour l’industrie et la taille d’entreprise n’a aucunement amoindri ces baisses. En fait, la probabilité de démissionner a chuté d’entre 16 % et 21 % — en chiffres relatifs — chez les travailleurs de 35 à 54 ans lorsqu’on ajoute ces variables de contrôle11.

Comme les travailleurs ayant plus d’ancienneté ont moins tendance à démissionner — en raison sans doute de la bonne adéquation entre les exigences de leurs postes et leurs compétences —, d’aucuns pourraient affirmer que la baisse des taux de démissions tenait simplement à l’augmentation de l’ancienneté au sein de ces groupes d’âge. Cet argument ne tient pas pour les hommes puisque leurs niveaux moyens d’ancienneté, dans tous les groupes d’âge, n’étaient pas plus élevés en 1999 qu’en 1989 (tableau 8). Par contre, les femmes de 35 ans et plus avaient plus d’ancienneté en 1999 qu’en 1989, si bien que le fléchissement du taux de démissions des femmes pourrait s’expliquer en partie par l’accroissement du nombre d’années de service.

La baisse du taux de démissions chez les hommes de 45 à 54 ans et l’augmentation de leur taux d’embauche donnent à penser que d’autres facteurs pourraient avoir contribué au recul des taux de démissions. Par exemple, les modifications législatives qui ont été apportées en 1993 à la Loi sur l’assurance-emploi, supprimant l’admissibilité des travailleurs quittant leur emploi sans justification, ont réduit la propension des jeunes travailleurs (ceux de 15 à 24 ans) et des femmes de 25 à 54 ans à démissionner (Kuhn et Sweetman, 1998)12.

Ainsi, bien que les taux de mises à pied permanentes aient peu augmenté entre les années 1980 et 1990, les taux de démissions ont accusé de brusques reculs. Comme les autres types de cessations d’emploi permanentes ont légèrement baissé, les cessations d’emploi permanentes (mises à pied permanentes, démissions et autres départs permanents) ont globalement diminué dans les années 1990. Cela explique pourquoi la stabilité d’emploi, mesurée par la durée moyenne complète de l’emploi, s’est accrue dans les années 199013.

Il n’est pas nécessairement bon que la stabilité d’emploi ait augmenté si le recul des taux de démissions découle en partie d’une baisse des taux d’embauche, c’est-à-dire d’une détérioration des perspectives d’emploi. Les conséquences d’une telle hausse de la stabilité d’emploi pour le bien-être des travailleurs sont très différentes de celles d’une hausse consécutive à une augmentation de l’offre d’emplois permanents bien rémunérés.

Conclusion

Les données descriptives et les modèles statistiques ne permettent guère de conclure à une hausse significative des taux de mises à pied permanentes entre les années 1980 et 1990. Si le risque de perte d’emploi s’est accru de manière non négligeable dans certaines branches d’activité et dans les grandes entreprises privées, les risques de mise à pied permanente ont généralement peu augmenté chez les hommes et les femmes des différents groupes d’âge. Les risques de perdre son emploi n’ont augmenté d’un demi-point de pourcentage ou plus que chez les hommes de 55 à 64 ans et les femmes de 35 à 44 ans.

Ces moyennes témoignent de tendances globales au sein de l’économie et ne s’appliquent pas nécessairement à l’ensemble des secteurs du marché du travail. Ainsi, deux provinces, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard, ont enregistré une hausse marquée de leurs taux de mises à pied entre 1989 et 1999. De plus, peu d’indices permettent de penser que les taux de mises à pied permanentes ont diminué malgré l’augmentation du niveau de scolarité entre les années 1980 et 1990. Étant donné que les travailleurs plus instruits risquent en général moins d’être mis à pied de façon permanente (Galarneau et Stratychuk, 2001), il est permis de croire que les taux de mises à pied permanentes de certains groupes — par exemple, les travailleurs sans diplôme d’études secondaires — pourraient avoir augmenté durant cette période.

Le plus étonnant, c’est la baisse généralisée des taux de démissions permanentes observée durant cette période. Il semble raisonnable de penser que la diminution des taux de démissions résulte en partie de la baisse des taux d’embauche des années 1990. Si les risques de perdre son emploi ont peu augmenté au cours des années 1980 et 1990, les chances d’en trouver un en cas de mise à pied ont nettement diminué.

Source des données et concepts

Le Fichier longitudinal des travailleurs (FLT) est un échantillon aléatoire de 10 % de l’ensemble des travailleurs construit à partir de quatre sources : le relevé d’emploi (RE) de Développement des ressources humaines Canada (cessations d’emploi), le T1 (déclarations de revenu des particuliers) et le T4 (traitements et salaires déclarés) de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) et le Programme d’analyse longitudinale de l’emploi (données longitudinales sur les entreprises) de Statistique Canada.

La Loi sur l’assurance-emploi exige de tout employeur qu’il émette un RE à tout titulaire d’un emploi assurable qui subit une interruption de gains. Le RE détermine l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi (AE), le taux et la durée des prestations. Un RE doit être émis même si l’employé n’a pas l’intention de faire une demande de prestations d’AE1. Comme il indique le motif d’interruption ou de cessation de l’emploi, le RE peut servir à dénombrer les départs selon les raisons invoquées.

Tous les employeurs doivent s’inscrire auprès de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et remettre un relevé T4 à chaque employé. Les dossiers T4 couvrent pratiquement tous les travailleurs canadiens. Ainsi on sait qui risque de perdre son emploi à partir des dossiers T4 et qui a perdu le sien grâce aux dossiers du RE.

Les cessations d’emploi sont classées en trois catégories : les démissions, les mises à pied et les autres formes de départs. Les mises à pied sont la conséquence d’une pénurie de travail. Il y a mise à pied permanente lorsqu’un employé ne retourne pas chez le même employeur durant la même année ou l’année suivante2. Les autres formes de départs résultent d’une grève ou d’un lock-out, d’un retour à l’école, d’une maladie ou blessure, d’une grossesse ou adoption, d’une retraite, d’un partage d’emploi, d’une formation d’apprenti, d’un congédiement ou d’autres raisons. Les taux de cessations permanentes sont les cessations d’emploi permanentes divisées par le nombre total d’emplois-personnes durant l’année.

Le taux d’embauche est égal au nombre d’embauches divisé par le nombre d’emplois-personnes. Les embauches correspondent au nombre de cessations d’emploi permanentes d’une année donnée plus la variation nette de l’emploi entre cette année et la suivante. Cela signifie que l’on obtient le nombre d’embauches en additionnant la demande de remplacement (cessations d’emploi permanentes) et la demande d’expansion (l’accroissement net de l’emploi).

Vu la taille de son échantillon, le FLT permet une analyse très détaillée des cessations d’emploi (par groupe d’âge, taille d’entreprise, province ou industrie, par exemple).

Notes

  1. Les employeurs qui n’émettent pas de relevé d’emploi sont passibles de pénalités pour inobservation.

  2. Le fichier du Programme d’analyse longitudinale de l’emploi sert à différencier les cessations d’emploi permanentes des cessations temporaires. Les dossiers T1 indiquent l’âge et le sexe.

  3. Le taux de conservation désigne la probabilité qu’un emploi, quelle qu’en soit la période, durera un an de plus.

  4. Pour en savoir plus, voir Morissette (2004).

  5. Dans les deux provinces, l’augmentation des taux de mises à pied permanentes est significative au niveau de 1 % (test bilatéral).

  6. Les termes d’interaction entre les covariables et les effets des années ont été exclus afin de saisir toute augmentation de la probabilité d’être mis à pied par les déplacements de la coordonnée à l’origine, permettant ainsi de mesurer un accroissement « moyen » de la probabilité au fil des ans. Le nombre d’observations utilisées dans ces modèles logit allait de 711 562 pour les femmes âgées de 55 à 64 ans à 4 323 671 pour les hommes de 25 à 34 ans.

  7. L’augmentation de 0,2 point de pourcentage observée chez les hommes de 45 à 54 ans est statistiquement significative au niveau de 6 % (test bilatéral).

  8. Le lecteur attentif pourrait se demander pourquoi le risque de mise à pied permanente s’est accru d’entre 0,7 et 0,8 point de pourcentage dans les services publics chez les travailleurs d’un âge donné, tandis que les taux de mises à pied permanentes n’y ont augmenté que de 0,3 point de pourcentage entre 1989 et 1999 (tableau 2). Cela pourrait notamment tenir au fait que l’âge moyen des employés a fortement augmenté dans les services publics, passant de 36,1 à 39,6 ans, alors qu’il est passé de 32,2 à 35,0 ans dans le secteur privé (version 1 % du Fichier longitudinal des travailleurs). Les taux de mises à pied sont généralement moindres chez les travailleurs plus âgés, ce qui a eu tendance à faire baisser les taux de mises à pied permanentes dans les services publics. Cet effet a été largement compensé par l’augmentation du risque de mise à pied chez les travailleurs d’un âge donné, générant du coup la modeste hausse des taux de mises à pied permanentes montrée au tableau 2.

  9. En revanche, les hommes travaillant dans des entreprises de moins de 500 employés et les femmes au service de petites entreprises ont vu les risques de perdre leur emploi chuter entre 1989 et 1999.

  10. Calcul fait à partir de la version 1 % du FLT.

  11. Cette probabilité a diminué encore plus chez les personnes de 55 à 64 ans : de 24 % chez les hommes et de 33 % chez les femmes.

  12. Kuhn et Sweetman (1998, p. 570) concluent que les réductions sont très prononcées chez les femmes : par rapport à la période de référence, le taux de démissions chute de 12 % à 18 % à court terme et d’environ 30 % à long terme. Contraste marqué, la législation ne semble pas avoir d’influence sur les habitudes de cessation d’emploi des hommes dans la force de l’âge.

  13. Suivant Picot, Heisz et Nakamura (2001, p. 9-10), la durée moyenne complète de l’emploi se calcule comme suit : en supposant une fonction de survie exponentielle, l’on peut estimer la durée de l’emploi comme 1/l, où l = -ln(R)/t, R étant le taux moyen de conservation des effectifs et t, l’intervalle de temps utilisé ici, soit 1 an. Le taux de conservation moyen R est simplement 1 moins la probabilité d’une cessation d’emploi permanente.

Documents consultés

  • FARBER, H. S. Job loss in the United States, 1981-2001, National Bureau of Economic Research (NBER), document de travail no 9707, 2003, Cambridge (Massachussetts).

  • GALARNEAU, D. et L. Stratychuk. « Après la mise à pied », L’emploi et le revenu en perspective, no 75-001-XIF au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, numéro en ligne d’octobre 2001, vol. 2, no 10.

  • HEISZ, A. Évolution de la stabilité d’emploi au Canada : tendances et comparaisons avec les résultats américains, Direction des études analytiques, no 11F0019MIF au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, 2002, document de recherche no 162.

  • KUHN, P. et A. Sweetman, « Unemployment insurance and quits in Canada », Canadian Journal of Economics, août 1998, vol. 31, no 3, p. 549 à 572.

  • MORISSETTE, R. Les taux de mises à pied permanentes ont-ils augmenté au Canada? Direction des études analytiques, no 11F0019MIF au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, 2004, document de recherche no 218.

  • ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (OCDE). La précarité de l’emploi progresse-t-elle dans les pays de l’OCDE? chapitre 5 des Perspectives de l’emploi de l’OCDE, 1997.

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Auteur
René Morissette est au service de la Division de l’analyse des entreprises et du marché du travail. On peut le joindre au (613) 951-3608 ou à perspective@statcan.gc.ca.


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Date de modification : 2014-05-14 Avis importants