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Contre vents et maréesKatherine Marshall et Harold Wynne Au cours de la dernière décennie, le secteur des jeux de hasard a été florissant. Le montant des paris des Canadiens s’est constamment accru — passant de quelque 2,7 milliards de dollars en 1992 à environ 11,3 milliards de dollars en 2002 (Marshall, 1996, 1998, 2003). Si les jeux de hasard contribuent à la croissance du PIB, de l’emploi et des recettes publiques1, le jeu compulsif se traduit, quant à lui, par une hausse des incidences négatives sur le plan social et sur celui de la santé. Bien que la plupart des joueurs de la loterie 6/49 ou des visiteurs des casinos s’adonnent au jeu simplement pour le plaisir et la détente (et le rêve de décrocher le gros lot), le comportement d’un petit segment de la population restera problématique.Dans son ouvrage intitulé Diagnostic and Statistical Manual IV, l’American Psychological Association définit le jeu pathologique comme un trouble du contrôle des impulsions. Dans le contexte de l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE), qui sert à détecter les joueurs à problèmes dans l’ensemble de la population, on définit le jeu excessif comme « un comportement lié au jeu qui entraîne des conséquences négatives tant pour le joueur lui-même que pour les personnes de son réseau social ou pour la collectivité » (Ferris et Wynne, 2001, p. 2). Ces conséquences peuvent aller jusqu’à la faillite, la perte d’emploi, la rupture du mariage ou le suicide. Le cycle 1.2 de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes — Santé mentale et bien-être (ESCC 1.2) fournit des renseignements inédits sur le jeu excessif ou pathologique au Canada. Il est maintenant possible d’examiner le comportement en matière de jeu et les caractéristiques socioéconomiques des joueurs sans problème, des joueurs à risque et des joueurs excessifs. Les questions liées au jeu excessif, comme le revenu, la santé et les relations sociales, peuvent également être explorées (voir Source des données et définitions). Une majorité joue, mais seule une minorité est à risqueLes jeux de hasard s’accompagnent inévitablement d’un problème de jeu excessif2. Parmi les quelque 18,9 millions de Canadiens qui se sont adonnés aux jeux de hasard en 2002, 17,7 millions n’éprouvaient pas de problème à ce chapitre, tandis que 1,2 million (5 % de la population adulte) étaient des joueurs excessifs ou risquaient de le devenir (graphique A). Par définition, les joueurs excessifs subissent les effets négatifs de leur comportement en matière de jeu. Selon l’Indice de gravité du jeu compulsif (IGJC), qui fait partie de l’ICJE, 700 000 joueurs étaient à faible risque, 370 000, à risque modéré et 120 000 étaient des joueurs excessifs. Les joueurs à faible risque avaient une cote variant de 1 à 2 sur l’échelle de l’IGJC, les joueurs à risque modéré, une cote allant de 3 à 7, et les joueurs excessifs, une cote de 8 ou plus. Les cotes étaient déterminées en fonction d’une combinaison de facteurs, soit la participation au jeu, le comportement lié au jeu excessif et les conséquences négatives. On ne dispose pas de données de tendance sur les taux de jeu excessif, mais les recherches démontrent qu’un accès accru aux jeux de hasard contribue à hausser la prévalence des problèmes liés au jeu (Volberg, 1994). On associe le jeu excessif à l’accessibilité accrue, à la pauvreté, à un niveau socioéconomique peu élevé et à la consommation abusive d’alcool et de drogues. Les jeux de hasard poursuivent leur essor; les trois quarts (76 %) des personnes de 15 ans et plus ont fait des dépenses au chapitre des jeux de hasard sous une forme ou une autre en 2002 — et 38 %, au moins une fois par semaine (tableau 1)3. Le jeu sous ses diverses formes
La participation au jeu était élevée tant chez les hommes (78 %) que chez les femmes (73 %), et s’établissait à 70 % ou plus dans tous les groupes d’âge supérieurs à 24 ans. Malgré les limites imposées par la loi pour restreindre le jeu aux personnes de 18 ans et plus dans la plupart des provinces, la moitié des jeunes hommes et le tiers des jeunes femmes (de 15 à 17 ans) se sont adonnés à des jeux de hasard en 2002. En fait, un nombre considérable de ces adolescents y ont participé par l’entremise des loteries et des loteries instantanées approuvées par les gouvernements provinciaux. Les taux les plus élevés de participation des jeunes se retrouvaient dans la catégorie des « autres » jeux de hasard — principalement les paris sur les jeux de cartes ou de table à l’extérieur des casinos ou sur les jeux d’adresse (comme le billard ou le jeu de fléchettes). Les écarts entre les taux provinciaux de participation s’expliquent à la fois par l’accessibilité à certains types de jeux de hasard et par les préférences culturelles provinciales. Par exemple, les appareils de loterie vidéo (ALV) dans les lieux faisant l’objet de restrictions quant à l’âge, comme les pistes de courses et les bars, sont permis au Manitoba mais non en Ontario, ce qui donne lieu à des taux de participation extrêmement différents, soit 21 % et 2 % respectivement. Bien que le bingo soit permis dans toutes les provinces, ce jeu est généralement plus populaire dans la région de l’Atlantique. Les paris sur les courses de chevaux, également permis partout au pays, sont associés à des taux de participation relativement faibles. Cependant, 11 % des résidents de l’Île-du-Prince-Édouard ont parié sur les chevaux en 2002, soit un taux nettement supérieur à la moyenne nationale de 4 %, peut-être parce que les courses attelées sont étroitement liées à la culture de cette province (Jepson et Patton, 1999)5. Les joueurs les plus à risque
Les joueurs à risque et excessifs étaient aussi, en moyenne, plus jeunes que les joueurs sans problème (40 ans contre 45 ans). Les joueurs n’ayant pas fait d’études postsecondaires étaient nettement plus susceptibles que ceux plus scolarisés d’être des joueurs à risque ou excessifs (8 % et 5 % respectivement). Toutefois, il n’existait pas de différence significative entre les joueurs à faible revenu (moins de 20 000 $) et ceux ayant un revenu plus élevé (20 000 $ ou plus)6. Les joueurs autochtones hors réserve étaient bien plus susceptibles d’être des joueurs à risque que les joueurs non autochtones — 18 % comparativement à 6 %7. Les facteurs liés au jeu excessif soulève des inquiétudes dans le cas de la population autochtone. « Les collectivités des Premières Nations au Canada seront soumises à un risque plus important, bon nombre d’entre elles affichant des taux élevés de consommation abusive d’alcool et de drogues et des niveaux de revenu et de scolarité inférieurs à la moyenne » (Kelley, 2001, p. 6 [traduction libre]). Le Manitoba et la Saskatchewan enregistraient des proportions considérablement plus fortes de joueurs à risque (9,4 % et 9,3 % respectivement) que les autres provinces. Parmi les facteurs à l’origine de ce phénomène pourraient figurer les taux les plus élevés de jeu sur les ALV au pays, les taux de fréquentation de casinos les plus importants avec l’Ontario (tableau 1), et des populations autochtones plus nombreuses que la moyenne8. Près d’un joueur quotidien sur trois était à risque (30 %) ou éprouvait déjà des problèmes de jeu excessif (6 %). Les personnes qui jouaient de deux à six fois par semaine étaient aussi nettement plus susceptibles d’être à risque ou d’éprouver des problèmes à ce chapitre (14 %). Enfin, les taux de joueurs à risque et excessifs variaient considérablement selon le type de jeu, ce qui tend à indiquer que certains jeux sont plus attrayants que d’autres (graphique B). Par exemple, un adepte des ALV sur quatre était à risque ou éprouvait déjà des problèmes de jeu excessif, ce qui confirme l’observation fréquente selon laquelle les ALV sont la « cocaïne » de l’univers du jeu. En revanche, les acheteurs de billets de loterie, le jeu de hasard auquel s’adonnaient 16 millions de personnes, comptaient la proportion la plus faible de joueurs à risque et excessifs (7 %)9. Il faut de l’argent pour jouer
Dans l’ensemble, 6 % des joueurs dépensaient plus de 1 000 $, soit la proportion observée pour les ménages d’une personne dans le contexte de l’Enquête sur les dépenses des ménages (EDM). Bien qu’elle ne permette pas de repérer les joueurs excessifs, l’EDM fournit des données sur les dépenses exactes de jeu. La valeur médiane des dépenses des personnes qui consacraient plus de 1 000 $ au jeu s’établissait à 2 280 $ pour les hommes et à 1 900 $ pour les femmes en 200110. Le jeu constant et les dépenses excessives peuvent sérieusement ébranler plusieurs facettes de la vie — notamment les dépenses personnelles et familiales. La majorité des joueurs excessifs (62 %) ont déclaré dépenser, toujours ou la plupart du temps, plus d’argent au jeu qu’ils en avaient l’intention (tableau 3). Seulement 3 % des joueurs sans problème ont déclaré qu’ils dépensaient parfois plus d’argent que prévu (données non présentées). En outre, 85 % des joueurs excessifs ont déclaré qu’il leur arrivait, parfois ou la plupart du temps, de parier plus d’argent qu’ils pouvaient se permettre de perdre, comparativement à 47 % des joueurs à risque modéré et à 14 % des joueurs à faible risque. De toute évidence, les dépenses constantes et incontrôlées qu’on ne peut se permettre peuvent se traduire par un endettement et des factures impayées, qui viennent alourdir encore davantage le fardeau émotif et financier. En effet, 53 % des joueurs excessifs ont déclaré que leurs habitudes de jeu leur causaient parfois des problèmes financiers, et 17 % ont indiqué se trouver toujours ou presque toujours dans cette situation. Enfin, 39 % des joueurs excessifs ont déclaré qu’il leur arrivait parfois d’emprunter de l’argent ou de vendre des biens pour continuer à jouer; il s’agit là d’une mesure désespérée qui peut présager des difficultés financières encore plus aiguës. Les joueurs excessifs souffrent de stress et de problèmes de santé
L’obsession du jeu peut aussi entraîner des problèmes sociaux. La moitié des joueurs excessifs ont déclaré que le jeu leur causait des problèmes sur le plan des relations avec leur famille ou leurs amis. De tels problèmes étaient également rapportés par 16 % des joueurs à risque modéré, alors qu’on ne comptait pratiquement pas de joueurs sans problème dans cette situation. Par ailleurs, plus de la moitié des joueurs à risque modéré et des joueurs excessifs occupant un emploi ont indiqué que le jeu a déjà nui à leur capacité d’exercer leurs fonctions. Le stress est une conséquence inévitable des tensions financières et sociales découlant du jeu excessif. Bien que le jeu n’en soit peut-être pas la seule cause, 42 % des joueurs excessifs ont déclaré un niveau élevé ou extrême de stress dans leur vie, comparativement à 23 % des joueurs sans problème. De plus, compte tenu des réponses fournies à diverses questions sur la détresse psychologique, on considère que 29 % des joueurs excessifs étaient en situation de détresse intense, comparativement à 9 % seulement des joueurs sans problème. La persistance du stress peut être liée à la dépression. Les risques d’avoir souffert d’un épisode de dépression clinique majeure étaient nettement plus élevés chez les joueurs excessifs. Seulement 11 % des joueurs sans problème avaient déjà souffert de dépression clinique au cours de leur vie, comparativement à 24 % des joueurs excessifs. La dépression majeure constitue un important facteur de risque de suicide (Newman et Thompson, 2003). Selon les résultats de l’ESCC 1.2, une proportion nettement plus forte de joueurs excessifs que de joueurs sans problème avaient envisagé le suicide au cours de la dernière année (18 % contre 3 %) (graphique D). « Compte tenu des taux élevés d’angoisse et de dépression, il n’est pas étonnant que les joueurs pathologiques affichent des taux extrêmement élevés d’idées suicidaires » (Lesieur, 1998, p. 158 [traduction libre]). Certaines études indiquent toutefois que, bien que les troubles mentaux, le jeu pathologique et les tentatives de suicide soient associés, les données transversales ne permettent pas d’examiner des relations de cause à effet (Newman et Thompson, 2003). Cependant, abstraction faite de tels liens de causalité, le constat qu’un joueur excessif sur cinq ait envisagé le suicide en 2002 est tout aussi saisissant qu’alarmant11. Les joueurs excessifs sont conscients de leurs difficultés
Les données révèlent la nature insidieuse du jeu excessif : 27 % des joueurs à risque modéré et 64 % des joueurs excessifs avaient voulu arrêter de jouer au cours de la dernière année, mais estimaient qu’ils n’en étaient pas capables. Par ailleurs, une proportion remarquablement élevée de joueurs à risque modéré (26 %) et de joueurs excessifs (56 %) ont tenté de se libérer de leur dépendance, mais sans y parvenir. On ne dispose pas d’information sur les moyens employés par ces joueurs ni sur les raisons de leur échec. Conclusion
L’ESCC 1.2 vient enrichir l’information sur les coûts sanitaires et sociaux associés aux jeux de hasard. Elle a permis de repérer 700 000 joueurs à faible risque, 370 000 joueurs à risque modéré et 120 000 joueurs excessifs, soit 5 % de l’ensemble de la population et 6 % de tous les joueurs. Les hommes, les Autochtones, les personnes moins scolarisées, les adeptes des ALV et les personnes s’adonnant au jeu très fréquemment formaient de manière significative les groupes les plus susceptibles de se retrouver dans les catégories des joueurs à risque ou excessifs. Parmi les conséquences auxquelles faisaient face les joueurs à risque ou excessifs figuraient des taux plus élevés de difficultés financières et relationnelles. Les joueurs excessifs, tout particulièrement, enregistraient des niveaux élevés de dépendance à l’alcool, de stress, de troubles émotifs et avaient connu des épisodes de dépression. Cependant, la grande majorité des joueurs excessifs reconnaissaient avoir des problèmes, et la plupart (56 %) avaient tenté d’abandonner le jeu au cours de la dernière année sans y parvenir. Les nombreux problèmes liés aux jeux de hasard et cette incapacité à vaincre la dépendance à ceux-ci pourraient expliquer en partie le fait que 18 % des joueurs excessifs aient envisagé le suicide au cours de l’année précédant
l’enquête. En fin de compte, le suicide s’impose comme une conséquence irréversible s’accompagnant de coûts incommensurables, et les idées suicidaires constituent, sans aucun doute, un appel au secours.
Notes
Documents consultés
AuteursKatherine Marshall est au service de la Division de l’analyse des enquêtes auprès des ménages et sur le travail. On peut communiquer avec elle au (613) 951-6890. Harold Wynne est professeur auxiliaire à l’Université McGill et à l’Université de l’Alberta. On peut communiquer avec lui au (780) 488-5566. On peut joindre les deux auteurs à perspective@statcan.gc.ca.
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