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en-tête principal pour « L'emploi et le revenu en perspective »
sous-titre « L'édition en ligne »

Octobre 2003     Vol. 4, no. 10

Le travail précaire : une nouvelle typologie de l'emploi

Leah F. Vosko, Nancy Zukewich et Cynthia Cranford

Bon nombre de Canadiens occupent des emplois atypiques, c'est-à-dire que leur situation d'emploi diffère du modèle traditionnel de travail stable à temps plein. Selon le modèle d'emploi typique, un travailleur relève d'un employeur, travaille à longueur d'année et à temps plein dans les locaux de son employeur, jouit d'avantages et de droits importants et s'attend à être employé indéfiniment (CEC, 1990; Schellenberg et Clark, 1996; Vosko, 1997). Le travail qui diffère de la norme est décrit de plusieurs façons, les termes « atypique » et « non conventionnel » étant ceux le plus couramment utilisés. Le terme « non-standard » en anglais (atypique) est largement utilisé au Canada (Krahn, 1991 et 1995), et le terme « contingent » en anglais (non conventionnel), aux États-Unis (Polivka et Nardone, 1989; Polivka, 1996). Une autre façon de décrire le travail atypique consiste à considérer les aspects de « l'emploi précaire » en relation avec une typologie de l'emploi total (Rodgers, 1989; Fudge, 1997;Vosko, 2000).

De nombreux emplois atypiques peuvent correspondre aux différents besoins d'un employé au cours de sa vie, par exemple, la combinaison du travail à temps partiel et des études à temps plein, ou un plus grand nombre d'heures consacrées à des activités à l'extérieur du lieu de travail. En effet, les raisons différentes qu'ont les hommes et les femmes de travailler à temps partiel ou de façon autonome illustrent l'importance de l'analyse par sexe note 1  des tendances du travail atypique. En 2002, par exemple, 42 % des hommes et 25 % des femmes ont travaillé à temps partiel parce qu'ils suivaient des études, tandis que 15 % des femmes et tout juste 1 % des hommes ont déclaré qu'ils devaient s'occuper des enfants. Ces résultats traduisent les différents compromis que les hommes et les femmes doivent faire (voir aussi Vosko, 2002). Parallèlement, un peu plus d'un quart des employés à temps partiel (27 %) travaillaient à temps partiel en raison de mauvaises conditions économiques ou de leur incapacité à trouver du travail à temps plein.

L'Enquête 2000 sur l'emploi autonome a aussi mis en évidence des écarts dans les tendances de l'emploi autonome chez les hommes et les femmes. Les données indiquent en effet que 13 % des travailleuses autonomes à compte propre ont cité l'équilibre entre travail et famille comme la principale raison pour laquelle elles sont devenues autonomes, tandis que trop peu d'hommes ont cité cette raison pour que l'on puisse produire une estimation fiable statistiquement. Tout comme les employés travaillant « à temps partiel involontairement », un quart des employés autonomes à compte propre (26 %) sont devenus autonomes parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver un emploi rémunéré convenable.

La variation à long terme de la proportion d'emplois atypiques peut être le signe de changements dans les conditions économiques et sociales en général. On a aussi qualifié cette tendance vers le travail atypique comme un début de « précarisation » (casualisation en anglais), étant donné l'utilisation de main-d'oelig;uvre occasionnelle pour remplacer les travailleurs à temps plein. Ce terme s'applique maintenant à tous les emplois susceptibles d'offrir moins de sécurité que le travail typique pour ce qui est des heures, des gains et des avantages sociaux. Un des effets de cette précarisation est que certains groupes d'hommes—âgés de moins de 25 ans, immigrants récents ou minorités visibles—font face à des conditions de travail et de rémunération médiocres puisqu'ils occupent de plus en plus des emplois qui sont d'habitude réservés aux femmes. Cela souligne davantage la pertinence d'une analyse par sexe du travail atypique.

Le travail atypique a considérablement augmenté au début des années 90 (Krahn, 1991 et 1995). C'est-à-dire que l'on a assisté à une hausse sensible du pourcentage de personnes occupant des emplois à temps partiel ou temporaires, travaillant de façon autonome à compte propre dans leur emploi principal, ou cumulant des emplois. Les relations de travail courantes ont néanmoins continué de servir de modèle pour l'élaboration des lois et des politiques du travail.

À partir de l'Enquête sociale générale et de l'Enquête sur la population active, le présent article examine les tendances récentes touchant le travail atypique. Il comporte tout d'abord une comparaison des concepts de travail atypique, non conventionnel et précaire, puis une typologie de formes mutuellement exclusives, qui met en relief certains aspects de l'emploi précaire. Il en résulte que certaines formes d'emploi précaire ainsi définies se sont développées de façon marginale au cours de la dernière décennie.

Définir l'emploi atypique et non conventionnel

L'insécurité d'emploi est un aspect essentiel de la définition du travail atypique (Krahn, 1991). La mesure la plus large de l'emploi atypique utilisée au Canada englobe quatre situations qui diffèrent de l'emploi rémunéré permanent, à temps plein et à longueur d'année : l'emploi à temps partiel note 2 ; l'emploi temporaire, y compris pour une durée déterminée ou à contrat, saisonnier, occasionnel et emploi trouvé par l'intermédiaire d'une agence, ainsi que tous les autres emplois dont la date de cessation est déterminée note 3 ; le travail autonome à compte propre (travailleur autonome sans employés); et le cumul d'emplois (deux emplois ou plus en même temps), (Krahn, 1995).

Pour mettre l'accent sur des formes plus particulières d'emploi atypique, on utilise une définition plus restrictive qui ne comprend que le travail à temps partiel et les emplois temporaires. L'exclusion du cumul d'emplois se justifie par le fait que les travailleurs à temps plein occupant un deuxième emploi ne sont pas nécessairement dans une situation précaire, ni d'ailleurs les travailleurs autonomes à compte propre, étant donné qu'ils ont une relation de travail permanente avec eux-mêmes (Krahn, 1991). Certains chercheurs ont aussi inclus le travail par roulement dans leur définition de l'emploi atypique, en vue de mesurer la baisse qu'a connue la semaine de travail « typique », qui va du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h (Sunter, 1993; Siroonian, 1993; Galarneau, 1994).

Aux États-Unis, on utilise trois définitions différentes de l'emploi non conventionnel, qui reposent toutes sur la permanence. Ces définitions comprennent uniquement les personnes travaillant de façon temporaire. La première englobe tous les travailleurs rémunérés note 4  qui ne s'attendent pas à ce que leur emploi dure et correspond à la définition de Statistique Canada du travail temporaire. La deuxième définition se limite aux emplois d'une durée très limitée et n'inclut que les travailleurs rémunérés qui s'attendent à occuper leur emploi actuel pendant un an ou moins note 5  ou qui travaillent pour leur employeur actuel depuis moins d'un an. La troisième définition est plus large que la deuxième, du fait qu'elle inclut les travailleurs autonomes qui s'attendent à ce que la situation d'emploi dans laquelle ils se trouvent dure un an ou moins note 6 .

La portée du concept de travail atypique contraste avec la spécificité des définitions américaines du travail non conventionnel (figure 1). La définition large de l'emploi atypique englobe la première définition de l'emploi non conventionnel, ce qui fait du travail temporaire le seul élément commun aux deux cadres. La distinction entre temps plein et temps partiel n'est pas prise en compte dans le concept du travail non conventionnel. Mais la définition plus restrictive de Krahn concernant le travail atypique tient compte à la fois du travail temporaire et du travail à temps partiel.

Les tendances récentes quant à la prévalence de l'emploi atypique peuvent être mesurées à partir de l'Enquête sur la population active et l'Enquête sociale générale (voir Sources des données) note 7 .

Au Canada, la proportion de l'emploi atypique largement défini a augmenté au début des années 90 mais elle s'est stabilisée depuis. Entre 1989 et 1994, la proportion de la main-d'oelig;uvre âgée de 15 ans et plus qui travaillait à temps partiel note 8 , avait un emploi temporaire, un emploi autonome à compte propre ou cumulait des emplois a augmenté, passant de 28 % à 34 %. Depuis, elle se maintient à ce niveau (graphique A) note 9 . L'emploi atypique strictement défini comme emploi à temps partiel ou travail rémunéré temporaire a suivi la même tendance. Celle-ci a été similaire pour l'emploi non conventionnel ou temporaire. En 2001, la proportion des personnes occupées qui avaient un emploi dont la date de cessation était déjà déterminée a atteint 11 %, contre 7 % en 1989 (graphique B) note 10 . Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d'occuper un emploi atypique ou non conventionnel au cours de cette période.

Ces données illustrent la baisse de l'emploi permanent à temps plein, principalement au début des années 90. Cependant, d'autres études se sont penchées sur les expériences des travailleurs en matière d'insécurité accrue sur le marché du travail (Broad, 2000; Vosko, 2000; Luxton et Corman, 2001).

Même si la proportion d'emplois temporaires n'a augmenté que d'un point de pourcentage depuis 1997, le travail temporaire s'est accru plus rapidement que le travail permanent. En outre, la croissance de la rémunération du travail temporaire n'a pas suivi celle du travail permanent (Tabi et Langlois, 2003). Cela indique des différences qualitatives importantes dans la myriade de situations d'emploi atypiques, ainsi que la diversité croissante des situations d'emploi. Par exemple, le profil d'emploi et de revenu des travailleurs temporaires diffère beaucoup de celui des travailleurs autonomes (Hughes, 1999; Vosko, 2000). Par ailleurs, au sein de la catégorie des travailleurs autonomes, il existe des différences considérables entre ceux qui ont des employés et ceux qui n'en ont pas (Fudge, Tucker et Vosko, 2002).

Pour mieux comprendre la nature et l'ampleur de l'emploi précaire, il faut s'éloigner des regroupements dont le seul élément commun est la différence par rapport aux relations de travail conventionnelles. Étant donné que les catégories atypiques ne s'excluent pas mutuellement, il est difficile de déterminer si certaines formes d'emploi se sont développées et, le cas échéant, dans quelle mesure ce développement a contribué à l'insécurité d'emploi. Par exemple, l'emploi à temps partiel concerne à la fois les employés et les travailleurs autonomes (à compte propre et avec employés), et toute personne occupée peut cumuler des emplois. Toutefois, seuls les employés peuvent avoir un emploi temporaire.

Des chercheurs européens ont proposé « l'emploi précaire » comme concept de rechange par rapport à l'emploi atypique. L'une des approches (Rodgers, 1989) repose sur quatre aspects pour déterminer si un emploi est précaire. Le premier correspond au degré de stabilité de l'emploi permanent et met l'accent à la fois sur des limites de temps et le risque de perdre l'emploi. La deuxième notion est celle de contrôle du processus du travail, et elle est liée à la présence ou à l'absence de syndicat et, de ce fait, au contrôle des conditions de travail, de la rémunération et du rythme de travail. Le troisième aspect correspond au degré de protection réglementaire, c'est-à-dire l'accès pour le travailleur à un niveau équivalent de protection réglementaire par l'entremise de sa représentation syndicale ou de la loi. En quatrième lieu, le niveau de revenu constitue un élément essentiel, un emploi donné pouvant être sûr parce qu'il est stable et à long terme, mais précaire, parce que sa rémunération peut être insuffisante pour assurer le soutien du travailleur et de ses personnes à charge.

Vers une analyse de l'emploi précaire

La ventilation de la main-d'oelig;uvre en une typologie de formes d'emploi mutuellement exclusives constitue une façon de mieux comprendre l'hétérogénéité inhérente à la définition large de l'emploi atypique (figure 2). La première étape consiste à différencier entre les employés et les travailleurs autonomes. Cette distinction se rapporte à un aspect clé de l'emploi précaire, à savoir le degré de protection réglementaire, étant donné que de nombreux travailleurs autonomes ne sont pas assujettis aux dispositions législatives concernant la négociation collective, ni à celles sur les normes d'emploi (Fudge, Tucker et Vosko, 2002). Les travailleurs autonomes se distinguent, en outre, selon qu'ils ont ou non des employés, étant donné que ceux qui n'ont pas d'employés, c'est-à-dire les travailleurs autonomes à compte propre, se trouvent dans une situation plus précaire que ceux qui en ont (Hughes, 1999; Fudge, Tucker et Vosko, 2002). La décomposition porte ensuite sur le degré de stabilité d'un emploi rémunéré permanent, à partir de la catégorisation des employés selon la permanence de leur emploi. La dernière étape consiste à répartir chaque forme d'emploi selon qu'il est à temps partiel ou à temps plein.

Le fait d'inclure le caractère « temps partiel » ou « temps plein » est aussi éclairant, étant donné que l'admissibilité à certaines politiques (par exemple, celle de l'assurance-emploi) est fondée sur le nombre d'heures de travail, et que le nombre d'heures de travail est lié au revenu et à la capacité d'atteindre un niveau de vie convenable (Vosko, 2003) note 11 . Entre 2001 et 2002, l'emploi à temps partiel a augmenté de 7,7 %, soit près de trois fois la croissance annuelle de l'emploi à temps plein, tandis que la rémunération horaire du travail à temps partiel n'a augmenté que de moitié par rapport à celle du travail à temps plein (Tabi et Langlois, 2003). Si le travail à temps partiel est devenu plus courant chez les hommes et les femmes, les femmes ont généralement été beaucoup plus susceptibles que les hommes de travailler à temps partiel au cours des 25 dernières années (Statistique Canada, 2002). Le cumul d'emplois est exclu de cette typologie de catégories mutuellement exclusives note 12 .

Selon cette typologie, la hausse de l'emploi atypique au début des années 90 a été alimentée par l'augmentation du travail autonome à compte propre et du travail temporaire rémunéré à temps plein. Même si les employés qui occupent un poste permanent à temps plein représentent encore la majorité des travailleurs, ce type de travail est moins répandu, étant passé de 67 % en 1989 à 64 % en 1994 et à 63 % en 2002 (tableau 1). Le travail autonome a augmenté dans les années 1990, atteignant un sommet au cours de la dernière moitié de la décennie et diminuant après 1998. La baisse tient largement au recul de la proportion des travailleurs autonomes avec employés (par rapport à la population active occupée), celle-ci étant passée de 7 % en 1989 à 5 % en 2002. Par contre, la proportion des travailleurs autonomes à compte propre est passée de 7 % à 10 % de la population active occupée.

La proportion des employés occupant des postes temporaires a légèrement augmenté dans les années 1990. Cette croissance a été alimentée par les emplois temporaires à temps plein, qui sont passés de 4 % de l'ensemble des emplois en 1989 à 7 % en 2002.

La baisse générale de l'emploi permanent à temps plein a touché les femmes et les hommes différemment, même si des augmentations du travail temporaire rémunéré à temps plein et du travail autonome à compte propre ont été observées pour les deux sexes. Dans l'ensemble, la baisse absolue des emplois permanents à temps plein a été légèrement plus marquée pour les hommes, mais ceux-ci étaient toujours plus susceptibles que les femmes d'occuper cette forme d'emploi typique en 2002 (66 % des hommes occupés, contre 59 % des femmes).

La proportion d'hommes occupés travaillant de façon autonome à compte propre a augmenté, tandis que la proportion d'hommes travaillant de façon autonome avec employés a diminué, ce qui laisse supposer qu'un plus grand nombre d'hommes occupaient des emplois autonomes précaires. Toutefois, dans le cas des hommes, la majorité des emplois autonomes sont à temps plein et, par conséquent, moins précaires selon ce critère.

La surreprésentation bien documentée des femmes dans les emplois à temps partiel se vérifie tant chez les employées que chez les travailleuses autonomes. En 2002, 44 % des travailleuses autonomes à compte propre travaillaient à temps partiel, contre seulement 18 % de leurs homologues masculins (tableau 2). Le travail des femmes employées à temps partiel est aussi devenu plus précaire, du fait de la hausse légère de la proportion de celles faisant du travail temporaire.

Les jeunes sont plus susceptibles d'avoir un emploi précaire que ceux qui sont au sommet de leur carrière (tableau 3). Parmi les jeunes gens occupés, la probabilité du travail temporaire a augmenté entre 1989 et 2002, tandis que le pourcentage d'emplois permanents à temps plein a diminué note 13 . La proportion de femmes occupées âgées de 15 à 24 ans qui avaient un emploi permanent à temps plein est passée de 53 % en 1989 à 35 % en 2002; dans le cas des jeunes hommes, elle est passée de 58 % à 45 %. Au cours de cette période, la participation aux études postsecondaires a considérablement augmenté chez les personnes âgées de 15 à 24 ans.

La majorité des travailleurs occupant des formes d'emploi rémunéré à temps partiel sont des femmes. En 2002, les femmes représentaient plus de six travailleurs sur dix ayant un emploi temporaire à temps partiel et près des trois quarts des employés permanents à temps partiel (graphique C). Par contre, les hommes représentaient la majorité des travailleurs ayant un emploi à temps plein, temporaire ou permanent, ou travaillant de façon autonome à compte propre ou avec employés. Les femmes constituaient la majorité des employés temporaires occasionnels, dont la plupart travaillent à temps partiel, tandis que les hommes prédominaient dans les formes saisonnières de travail rémunéré temporaire, dont la plupart sont à temps plein (graphique D).

Cependant, la situation d'emploi de nombreux jeunes hommes, tout comme celle des femmes de tous âges, n'est ni à temps plein ni permanente (graphique E). Par exemple, 16 % des employés permanents à temps partiel étaient des hommes âgés de 15 à 24 ans, tandis que 22 % étaient des jeunes femmes. Toutefois, de tous les travailleurs permanents à temps partiel, 43 % étaient des femmes âgées de 25 à 54 ans, contre 8 % chez les hommes du même groupe d'âges. Toujours est-il que les hommes âgés de 25 à 54 ans continuaient de prédominer dans les emplois permanents à temps plein et le travail autonome à temps plein avec employés, situations qui sont relativement plus stables. En 2002, ces hommes représentaient près de la moitié des employés permanents à temps plein, et 60 % des travailleurs autonomes à temps plein avec employés. Très peu d'hommes de 25 à 54 ans occupaient une forme d'emploi à temps partiel.

La distribution des différentes formes d'emploi entre branches d'activité est très polarisée selon le sexe (tableau 4). En général, les hommes ont plus tendance que les femmes à trouver du travail à temps plein dans le secteur producteur de biens. En 2002, 40 % des hommes, contre 16 % des femmes occupant un emploi permanent à temps plein, travaillaient dans le secteur des biens. Ces chiffres étaient similaires pour les emplois temporaires à temps plein, ainsi que pour les deux formes de travail autonome à temps plein. La plus forte proportion d'hommes occupant un emploi permanent à temps plein se trouvait dans le secteur de la fabrication (27 %) et la proportion la plus importante occupant un emploi temporaire à temps plein, dans le secteur de la construction (21 %). Toutefois, le secteur d'emploi favori des hommes travailleurs autonomes était celui des services aux entreprises.

Par contre, le secteur des services sociaux était le secteur d'emploi favori des femmes—34 % d'entre elles y occupaient un emploi temporaire à temps partiel, 30 %, un emploi permanent à temps partiel ou temporaire à temps plein, et 28 %, un emploi permanent. Comme les hommes, bon nombre de travailleuses autonomes à compte propre travaillaient dans les services aux entreprises, tandis que la plus forte proportion d'employées autonomes avec employés travaillait dans les « autres services aux consommateurs », une catégorie qui comprend les organisations municipales, les services d'entretien et de réparation, et d'autres services personnels tels que la blanchisserie, la coiffure et les soins esthétiques.

Conclusion

Le travail atypique, défini comme étant le travail à temps partiel, le travail temporaire, le travail autonome à compte propre ou le cumul d'emplois, s'est accru au début des années 90, mais s'est stabilisé depuis. Cela ne correspond pas aux études faites sur les travailleurs qui font l'expérience d'une insécurité croissante, ce qui donne à penser que la définition large de l'emploi atypique est trop hétérogène pour traduire les aspects de la précarité. Une typologie de formes d'emploi mutuellement exclusives montre que l'augmentation de l'emploi atypique au début des années 90 a été alimentée par des hausses du travail autonome à compte propre et du travail rémunéré temporaire à temps plein. Même si les employés occupant des postes permanents à temps plein représentent encore la majorité, ce type de travail devient moins la norme. La baisse générale de l'emploi permanent à temps plein a touché les femmes et les hommes différemment, comme le montre la surreprésentation continue des femmes dans le travail à temps partiel et la prédominance accrue du travail autonome à compte propre chez les hommes. Les jeunes hommes, tout comme les femmes de tous âges, ont aussi tendance à occuper des emplois qui ne sont ni à temps plein ni permanents. La distribution des différentes formes d'emploi entre grands groupes de branches d'activité diffère aussi selon le sexe. Les hommes ont plus tendance que les femmes à travailler à temps plein dans le secteur des biens, tandis que les services sociaux sont le secteur d'emploi favori des femmes de toutes les catégories.

La présente étude illustre les façons différentes dont les hommes et les femmes interagissent avec le marché du travail et comment ces interactions évoluent. Des recherches plus poussées, portant aussi sur les immigrants et les minorités visibles, aideraient à mieux comprendre l'emploi précaire en facilitant l'étude des hommes qui subissent des pressions et en explorant les inégalités parmi des groupes de femmes et d'hommes (Das Gupta, 1996; Cranford, 1998; Morissette, 1997; Commission de la fonction publique, 1999; Vosko, 2000; Statistique Canada, 2003). Les variations de l'emploi autonome pourraient aussi faire l'objet d'un examen plus approfondi. Le travail autonome est souvent cité comme représentatif du sens de l'entreprenariat et de l'innovation dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel, privatisé et mondial, et comme un moyen de bénéficier de modalités de travail différentes ou « souples », particulièrement pour les femmes qui tentent de concilier les exigences d'un emploi rémunéré et les responsabilités familiales (Hughes, 1999; Arai, 2000; Fudge, Tucker et Vosko, 2002; Vosko, 2002). Toutefois, une analyse par sexe permettrait de mieux comprendre la précarité que connaissent beaucoup de travailleurs autonomes. Une analyse multivariée pourrait aussi jeter la lumière sur l'importance relative des divers aspects de l'emploi précaire et sur les effets de leur interaction.

 

Sources des données

L'Enquête sur la population active (EPA) est une enquête mensuelle menée auprès d'un échantillon d'environ 53 000 ménages. Elle fournit des estimations sur la situation de la population active et les caractéristiques démographiques de la population civile âgée de 15 ans et plus qui ne vit pas en établissement. L'EPA recueille des données sur le statut temporaire ou permanent des emplois depuis 1997.

L'Enquête sociale générale (ESG), qui est une enquête annuelle menée auprès des ménages, permet de recueillir des données sur les tendances sociales et de suivre l'évolution des conditions de vie et du bien-être des Canadiens au fil du temps. Elle fournit aussi des données immédiates sur des questions sociales à dimensions politiques. Les cycles 4 et 9 de l'ESG, dont la collecte a été effectuée en 1989 et 1994, étaient axés sur l'éducation, le travail et la retraite. Ces cycles comprenaient des questions—essentiellement les mêmes que celles de l'actuelle EPA—sur la nature temporaire des emplois, ce qui a permis un examen des changements dans la distribution des indicateurs non chevauchants de l'emploi précaire sur une période de 13 ans.

La présente recherche est le produit d'une alliance de recherche universités-communautés sur l'emploi non conventionnel. Elle a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du canada. Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude au Conseil pour son soutien financier généreux et veulent remercier John Anderson, Pat Armstrong, Judy Fudge, Kate Laxer et d'autres membres de l'alliance de recherche pour leur contribution aux versions antérieures du présent article.

 

Parlant de stabilité d'emploi...

L'approche présentée dans Le travail précaire : une nouvelle typologie de l'emploi pour la mesure de la stabilité ou de la précarité de l'emploi peut être qualifiée de structurelle. On définit un certain nombre de catégories qui semblent liées à des caractéristiques d'emplois moins stables, puis on explore les tendances au sein de ces catégories.

Toutefois, les caractéristiques d'un emploi peuvent changer au fil du temps. Les emplois temporaires peuvent servir d'outils de sélection pour trouver des employés permanents qualifiés. Les emplois à temps partiel peuvent se transformer en emplois à temps plein. Les entrepreneurs autonomes peuvent devenir des employés de leurs clients. Ainsi, une mesure de rechange qui ne porte que sur la durée actuelle (ancienneté) des emplois peut jeter un éclairage différent sur la stabilité d'emploi.

L'ancienneté, toutefois, est fortement sujette aux variations cycliques et démographiques, étant donné que les emplois nouvellement créés et les nouveaux venus sur le marché du travail ont toujours des répercussions sur le nombre d'emplois à court terme. Mais les données transversales successives sur l'ancienneté, telles qu'elles proviennent de l'Enquête sur la population active, permettent de calculer la probabilité que des emplois de diverses durées se poursuivent pendant une autre période (un mois ou un an, par exemple). Les taux de maintien en poste qui en résultent permettent de contrôler la variation cyclique et démographique inhérente à la distribution de l'ancienneté.

Un examen des taux de maintien en poste de 1977 à 2001 montre peu de variations dans la stabilité d'emploi entre le début et la fin de la période. Toutefois, un examen plus poussé des données fait ressortir deux périodes. La période de 1977 à 1993 a été caractérisée par une baisse de la stabilité d'emploi, particulièrement pour les emplois dont la durée initiale était inférieure à un an. La deuxième période, soit de 1993 à 2001, a vu cette tendance s'inverser, de sorte qu'à la fin, quelle que soit leur durée, les emplois étaient aussi stables qu'à la fin des années 1970. En général, il n'y a pas eu de tendance à long terme vers une baisse de la stabilité d'emploi selon l'âge, le sexe ou le niveau de scolarité.

Pour en savoir plus, voir Andrew Heisz, L'évolution de la stabilité d'emploi au Canada : tendances et comparaisons avec les résultats américains, Statistique Canada, Direction des études analytiques, document de recherche no F0019MIF162, 2002.

Notes

  1. La variable sexe identifie les différences biologiques entre hommes et femmes. Cette variable est recueillie dans la plupart des enquêtes de Statistique Canada, et les données sont toujours ventilées par sexe. Le terme gender, en anglais, désigne l'ensemble spécifique de caractéristiques culturelles qui déterminent le comportement social des femmes et des hommes et les rapports entre eux. Ce terme ne renvoie donc pas simplement aux femmes et aux hommes, mais aux rapports entre eux et à la façon dont ces rapports sont socialement établis. Parce qu'il s'agit d'un terme relationnel, gender doit inclure les femmes et les hommes. Comme les concepts de classe, de race et d'ethnie, le terme gender est un outil analytique qui sert à comprendre les processus sociaux. Pour en savoir plus, voir Condition féminine Canada, 1998.
  2. Avant 1997, l'emploi à temps partiel s'entendait d'une semaine de travail de moins de 30 heures pour tous les emplois occupés. Depuis 1997, il a trait aux heures effectuées par une personne dans son emploi principal.
  3. À partir de l'ESG de 1989, Krahn a pu mesurer le travail effectué une partie de l'année, défini comme un emploi principal qui dure généralement neuf mois ou moins par année. L'ESG de 1994 ne comprenait pas de question de ce genre. Toutefois, la plupart des employés dont l'emploi dure moins de neuf mois par année, tels que les travailleurs saisonniers, sont inclus dans la définition d'employés temporaires. Une personne qui travaille généralement moins de neuf mois par an de façon autonome serait exclue de la catégorie d'emploi temporaire.
  4. Comme pour la mesure canadienne de la permanence de l'emploi, cette définition exclut les travailleurs autonomes.
  5. Même si l'on dispose de données sur la durée d'emploi au Canada, aucun renseignement n'est recueilli sur la durée prévue, outre l'indicateur général de travail permanent ou temporaire.
  6. Il est impossible de produire des estimations pour le Canada dans le cas de cette dernière mesure, étant donné que les enquêtes de Statistique Canada ne comportent pas de questions sur la permanence de l'emploi à l'intention des travailleurs autonomes.
  7. En 1999, une question sur la permanence de l'emploi a été ajoutée dans l'Enquête sur la dynamique du travail et du revenu, ce qui en fait une éventuelle source de données sur les quatre situations d'emploi au sein de la définition générale du travail atypique.
  8. Les estimations de l'ESG de 1989 et de 1994 du travail à temps partiel ont été révisées pour qu'elles correspondent aux nouvelles définitions de l'EPA.
  9. Les différences indiquées sont significatives au niveau de 0,05. Des écarts-types peuvent être obtenus auprès des auteurs.
  10. La plupart des travailleurs temporaires au Canada ont une ancienneté d'emploi d'un an ou moins et appartiennent donc à la définition plus restrictive du travail non conventionnel de Polivka. Voir aussi Grenon et Chun (1997).
  11. Statistique Canada définit l'emploi à temps partiel comme comportant moins de 30 heures par semaine. L'accès aux avantages sociaux et aux autres avantages payés par l'employeur ne correspond pas nécessairement à ce seuil.
  12. Une typologie de catégories mutuellement exclusives a trait aux caractéristiques de l'emploi principal ou du seul emploi d'une personne. Le cumul d'emplois se rapporte aux caractéristiques de la situation d'emploi d'une personne.
  13. La proportion des employés jeunes occupant un emploi temporaire a doublé entre 1989 et 2001. Toutefois, les estimations pour 1989 comportent une variabilité d'échantillonnage élevée et devraient être utilisées avec circonspection.

Documents consultés

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  • BROAD, D. Hollow work, hollow society? Globalization and the casual labour problem in Canada. Fernwood, Halifax, 2000.
  • COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE. L'avenir du travail : l'emploi atypique dans la fonction publique du Canada, Direction générale des politiques, de la recherche et des communications, Ottawa, 1999.
  • CONDITION FÉMININE CANADA. Analyse comparative entre les sexes : guide d'élaboration de politiques, édition révisée, publication no 96-L-001, Ottawa, 1998.
  • CONSEIL ÉCONOMIQUE DU CANADA (CEC). L'emploi au futur : tertiarisation et polarisation, Ottawa, 1990.
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Auteurs

Leah F. Vosko est de l'Université York, Nancy Zukewich, de Statistique Canada, et Cynthia Cranford, de l'Université de Toronto. On peut joindre les auteurs au (416) 736-2100, poste 33157 ou perspective@statcan.gc.ca.

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