1. Introduction

Dimitris Pavlopoulos et Jeroen K. Vermunt

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La question de l’emploi temporaire occupe une place de plus en plus importante dans le débat économique et politique. Les contrats d’emploi temporaire permettent aux employeurs de contourner les règlements stricts en matière d’embauche et de licenciement (Bentolila et Bertola 1990; Booth 1997; Cahuc et Postel-Vinay 2002) et parfois même les règlements concernant la rigidité des salaires (OECD 2002). Surtout durant les récessions économiques, les employeurs recourent aux contrats d’emploi temporaire pour ajuster leur effectif en fonction des fluctuations de la demande de produits.

Les Pays-Bas font figure de pionniers en matière de souplesse d’emploi depuis le début des années 1990. La souplesse contractuelle est une caractéristique importante du marché du travail néerlandais. L’emploi temporaire a augmenté fortement, pour passer de 5,9 % en 1991 à 17,1 % en 2010 (OECD 2012), tandis que la contribution de la croissance de l’emploi temporaire à la croissance de l’emploi total a été de 9,9 points de pourcentage de 1990 à 2000 (OECD 2002). Les employeurs adoptent habituellement une stratégie d’effectif à « capacité minimale » (Sels et Van Hootegem 2001), qui consiste à offrir des contrats permanents à leurs travailleurs « de base » et des contrats temporaires aux autres travailleurs afin de pouvoir ajuster leur effectif en période de ralentissement économique.

Jusque récemment, les statistiques sur les contrats d’emploi temporaire aux Pays-Bas reposaient exclusivement sur des données d’enquêtes auprès des ménages et d’enquêtes sur la population active, mais il existe aujourd’hui des données de registre de haute qualité qui peuvent compléter les données d’enquête, voire les remplacer. La première comparaison des deux sources de données a révélé certains chiffres gravement divergents quant à la taille de l’emploi temporaire. En 2009, la part de tous les types de contrats d’emploi temporaire était de 15,4 % selon l’Enquête sur la population active (EPA), tandis qu’elle était de 23,6 % selon les données du « Polisadministratie » (PA), qui sont des données de registre fournies par l’organisme de gestion des assurances sociales pour salariés (UWV) (Hilbers, Houwing et Kösters 2011). Comme la taille de l’emploi temporaire est un élément très important à prendre en considération dans l’élaboration des politiques relatives au marché du travail, Statistics Netherlands a entrepris de résoudre les divergences entre les deux sources de données. Une analyse plus approfondie des données ne s’est pas avérée très prometteuse. Les résultats préliminaires indiquent que 15,6 % des personnes titulaires d’un contrat d’emploi permanent selon l’EPA semblent posséder un contrat d’emploi temporaire selon le PA, tandis que 18,3 % des personnes titulaires d’un contrat d’emploi temporaire d’une durée inférieure à un an selon l’EPA semblent posséder un contrat d’emploi permanent selon le PA (Mars 2011). Bien qu’une part des incohérences puisse être expliquée par les définitions un peu différentes de l’emploi temporaire dans les deux sources de données, de grands écarts persistent même quand on utilise un échantillon apparié et que l’on sélectionne les cas pour lesquels il n’existe pas de différence de définition.

Comme le laissent entendre des études antérieures, l’erreur de mesure peut expliquer les incohérences constatées entre les données d’enquête et les données de registre. Dans le cas des données d’enquête, l’erreur de mesure est reconnue comme étant une source importante de biais (Rodgers, Brown et Duncan 1993; Pischke 1995; Bollinger 1996; Rendtel, Langeheine et Berntsen 1998; Bound, Brown et Mathiowetz 2001; Biemer 2011). L’erreur de mesure relative au type de contrat d’emploi n’a fait l’objet d’aucune étude jusqu’à présent, mais des travaux de recherche sur d’autres caractéristiques du marché du travail, dont l’activité, les salaires, le nombre d’heures de travail, l’industrie et la profession, montrent que les données d’enquête peuvent contenir de grandes quantités d’erreurs de mesure, susceptibles de biaiser sévèrement les résultats des analyses statistiques. Ainsi, Biemer (2004) soutient que dans les éditions de 1992 à 1994 de la Current Population Survey, 20,9 % des enquêtés en chômage ont été classés incorrectement dans d’autres catégories. Gottschalk (2005) indique que les deux tiers des réductions de salaire nominal sans changement d’emploi étaient dues à des erreurs de mesure. En particulier, 17 % des travailleurs déclarent une réduction de salaire nominal d’une année à l’autre tout en restant au service du même employeur. Cependant, si l’on neutralise l’effet de l’erreur de mesure, la proportion de travailleurs qui demeurent avec le même employeur et font face à des réductions de salaire nominal annuelles ne dépasse pas 4 % à 5 %. En s’appuyant sur l’étude de validation de la Panel Study of Income Dynamics (PSID), Mathiowetz (1992) constate que la concordance entre les registres des entreprises et les réponses aux enquêtes pour ce qui est de la catégorie professionnelle est de 87,3 %. Brown et Medoff (1996) observent une corrélation de 0,82 entre les registres des entreprises et les réponses aux enquêtes en ce qui a trait à la taille de l’établissement, et une corrélation de 0,86 en ce qui concerne la taille de l’entreprise.

La recherche sur l’erreur de mesure est nettement moins riche dans le cas des données de registre que dans celui des données d’enquête. Les données de registre sont habituellement traitées comme étant exemptes d’erreur et utilisées comme « norme de référence » quand elles sont comparées aux données d’enquête. Ainsi, la plupart de la recherche fondée sur l’étude de validation de la PSID fait appel à cette hypothèse (Duncan et Hill 1985; Rodgers et coll. 1993; Bound, Brown, Duncan et Rodgers 1994; Pischke 1995). Toutefois, certains travaux montrent aussi que l’hypothèse de la « norme de référence » n’est pas toujours plausible. Kapteyn et Ypma (2007) étudient l’erreur de mesure dans la rémunération et, quoiqu’ils retiennent l’hypothèse que les données de registre sont exemptes d’erreur, ils tiennent compte de l’erreur dans l’appariement des données d’enquête aux données de registre. En particulier, ils supposent qu’un enregistrement dans le registre est identique à un enregistrement dans l’enquête avec une certaine probabilité. Ils concluent que l’introduction de cette source supplémentaire d’erreur modifie le profil de l’erreur de mesure dans l’enquête. Abowd et Stinson (2005) comparent la rémunération déclarée dans le cadre de la Survey of Income and Program Participation (SIPP) et les données des Detailed Earnings Records (DER). Ils constatent que l’erreur de mesure est plus importante dans les données administratives des DER (20 % à 27 %) que dans les données de la SIPP (13 % à 15 %). En comparant les mêmes ensembles de données, Gottschalk et Huynh (2010) soutiennent que l’erreur de mesure peut biaiser fortement les mesures de l’inégalité des revenus.

L’objectif du présent article consiste à estimer la grandeur de l’erreur de mesure concernant le type de contrat d’emploi dans l’EPA des Pays-Bas. À cette fin, nous apparions les données de l’enquête à des données provenant du registre PA. Les données de registre sont traitées comme n’étant pas exemptes d’erreur, car nous modélisons simultanément l’erreur de mesure dans les deux sources. Nous utilisons un modèle de Markov caché étendu au moyen de deux indicateurs du type de contrat (temporaire ou permanent), chacun provenant de l’une de nos sources de données.

Le restant de l’article est présenté comme il suit. À la section 2, nous nous étendons davantage sur le problème de la mesure de l’emploi temporaire au Pays-Bas en présentant les renseignements pertinents sur les deux sources de données, ainsi que certaines statistiques descriptives. À la section 3, nous décrivons le modèle de Markov caché utilisé pour l’étude. À la section 4, nous discutons des résultats de l’analyse. Enfin, à la section 5, nous présentons les conclusions de notre étude.

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