Direction des études analytiques : documents de recherche
Pourquoi les parents à faible revenu sont-ils moins susceptibles d’ouvrir un compte de REEE? Les rôles de la littératie, de l’éducation et du patrimoine financier

Résumé

Le gouvernement du Canada offre divers incitatifs financiers pour permettre aux parents d’épargner en prévision des études postsecondaires de leurs enfants en cotisant à un régime enregistré d’épargne-études (REEE). Cependant, les taux de participation au REEE ont tendance à augmenter considérablement avec le revenu familial, et les recherches antérieures ont démontré que le patrimoine financier de la famille était la raison la plus importante pour expliquer cette tendance (parmi les facteurs qui pouvaient être examinés). Dans la présente étude, on tente de déterminer si les différences dans la littératie, la numératie et la littératie financière des parents peuvent aussi être à l’origine d’une partie de l’écart dans la participation au REEE selon le niveau de revenu familial. Les résultats laissent supposer que les différences dans le patrimoine financier (qui pourraient aussi refléter les différences de caractéristiques non observées liées au patrimoine financier) demeurent le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le revenu familial, même après avoir tenu compte des différences dans le niveau de scolarité et de littératie, de numératie et de littératie financière des parents. En fait, les différences dans le patrimoine financier représentaient de 50 % à 79 % de l’écart total dans la participation au REEE entre les familles du quartile supérieur et du quartile inférieur de revenu, selon la méthode et l’ensemble de données utilisées. Les différences dans la littératie financière représentaient une part modeste de l’écart dans la participation au REEE (de 13 % à 19 %), tandis que les différences dans la littératie et la numératie jouaient de plus petits rôles, non significatifs sur le plan statistique.

Sommaire

L’obtention d’un diplôme d’études postsecondaires est une importante stratégie d’investissement dans la carrière pour de nombreux jeunes. Cependant, le nombre d’étudiants inscrits n’est pas réparti équitablement parmi les niveaux de revenu familial. Un facteur qui pourrait aider les jeunes à payer les coûts requis pour fréquenter un établissement d’enseignement postsecondaire est l’accumulation d’épargne dès les premières années. En effet, des recherches antérieures ont démontré que les jeunes ayant accès à des fonds d’un régime enregistré d’épargne-études (REEE) sont plus susceptibles de fréquenter un établissement d’enseignement postsecondaire que ceux qui n’ont pas cet accès. Alors que la proportion de parents qui ouvrent des comptes de REEE pour leurs enfants a augmenté graduellement avec le temps, elle demeure plus de deux fois plus élevée chez les parents ayant un revenu élevé que chez les parents à faible revenu.

Des recherches antérieures ont révélé que le patrimoine financier est le facteur le plus important (parmi ceux qui pouvaient être examinés) à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le niveau de revenu familial. Le niveau de scolarité des parents avait aussi une importance, mais dans une moindre mesure que le patrimoine financier.

Dans la présente étude, on tente de déterminer si l’écart dans la participation au REEE est influencé non seulement par le patrimoine financier et l’éducation, mais aussi par les différences dans les niveaux de littératie, de numératie et de littératie financière entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu.

Les données utilisées dans le cadre de l’étude sont tirées de deux sources : l’Enquête canadienne sur les capacités financières de 2014 pour étudier le rôle de la littératie financière, et la troisième vague (2016) de l’Étude longitudinale et internationale des adultes pour les résultats en matière de littératie et de numératie recueillis dans le cadre du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes de 2012. L’étude fait appel aux décompositions de Gelbach et Oaxaca–Blinder pour étudier l’importance relative des différences dans la littératie, la numératie, la littératie financière, l’éducation et le patrimoine financier entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu pour tenir compte de l’écart dans la participation au REEE.

Les résultats laissent supposer que les différences dans le patrimoine financier demeurent le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le revenu familial, même après avoir tenu compte des différences dans la scolarité et la littératie, la numératie et la littératie financière des parents. En fait, les différences dans le patrimoine financier représentaient de 50 % à 79 % de l’écart total dans la participation au REEE entre les familles du quartile supérieur et du quartile inférieur de revenu, selon la méthode et l’ensemble de données utilisées. Il se pourrait que cet effet estimé du patrimoine financier ne soit pas causal. Il est possible qu’il soit attribuable au moins en partie aux différences entre les quartiles de revenu inférieur et supérieur dans les caractéristiques non observées qui sont aussi liées directement au patrimoine financier (p. ex. comportement d’épargne).

Les différences dans la littératie financière représentaient une part modeste de l’écart dans la participation au REEE (de 13 % à 19 %), tandis que les différences dans la littératie et la numératie jouaient de plus petits rôles, non significatifs sur le plan statistique. Les résultats ne fournissent donc aucune preuve évidente selon laquelle le fait d’augmenter les taux de littératie chez les parents à faible revenu augmenterait leurs taux de participation au REEE. Cependant, il pourrait y avoir un rôle pour la littératie financière.

1 Introduction

Il est bien établi que les diplômés d’études postsecondaires gagnent habituellement beaucoup plus que les diplômés d’études secondaires, tant à court qu’à long terme (Frenette, 2019). Il n’est donc pas surprenant que bon nombre de personnes croient que les études supérieures représentent la meilleure possibilité pour le Canada de réduire l’inégalité des revenus (p. ex. Parkin, 2016). Toutefois, il existe encore un vaste écart sur le plan de l’inscription aux études postsecondaires selon le revenu parental. En effet, Frenette (2017a) a découvert qu’en 2014, 78,7 % des jeunes issus des familles dans la tranche supérieure de 20 % de la répartition du revenu étaient inscrits aux études postsecondaires à 19 ans, tandis que seulement 47,1 % de leurs homologues de la tranche inférieure de 20 % de la répartition du revenu étaient inscrits.

Même si les recherches antérieures laissent supposer que seulement 12 % de l’écart dans la fréquentation d’une université entre les jeunes issus de familles des tranches supérieure et inférieure de la répartition du revenu était attribuable à des contraintes financières (Frenette, 2007), les frais de scolarité réels (en dollars constants) ont augmenté de 25,8 % de 2006 à 2017^Note  . Commencer à épargner tôt pour des études postsecondaires pourrait réduire l’incidence des frais de scolarité croissants sur les budgets des familles. Pour ce faire, le gouvernement fédéral offre des incitatifs financiers pour épargner en prévision des études postsecondaires par le biais d’un régime enregistré d’épargne-études (REEE). Les incitatifs se présentent sous trois formes. Premièrement, le gouvernement versera un montant équivalent aux cotisations à un REEE existant à un taux de 20 % sur les premiers 2 500 $ de cotisations, quel que soit le revenu, pour tous les enfants au moyen de la Subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE), et un taux supplémentaire de 10 % ou 20 % sur les premiers 500 $ pour les enfants dont le revenu parental se situe sous des seuils déterminés (au moyen du montant « supplémentaire » de la SCEE, ou SCEE-S). La subvention (y compris le montant supplémentaire) est disponible jusqu’à la fin de l’année civile au cours de laquelle le bénéficiaire atteint 17 ans, jusqu’à concurrence de 7 200 $ à vie. Deuxièmement, le gouvernement investira dans les REEE au nom des enfants par le biais du Bon d’études canadien (BEC), pourvu que leur revenu parental se situe en dessous d’un seuil déterminé, qu’un compte de REEE ait été ouvert en leur nom et qu’une demande ait été remplie et présentée pour l’incitatif ou les incitatifs. Le gouvernement fournira un paiement initial de 500 $ en BEC, ainsi que des paiements supplémentaires de 100 $ annuellement pour chaque année d’admissibilité, jusqu’à l’âge de 15 ans, et jusqu’à concurrence de 2 000 $ à vie, même si aucune cotisation n’a été versée par tout souscripteur. Troisièmement, tous les gains d’investissement découlant du REEE seront imposés aux bénéficiaires (s’ils fréquentent un établissement d’enseignement postsecondaire), plutôt qu’aux souscripteurs (qui versent les cotisations). Étant donné que de nombreux étudiants reçoivent peu de revenus ou n’en reçoivent pas du tout, ils peuvent souvent retirer de l’argent libre d’impôts, donnant ainsi lieu à un mécanisme d’épargne rentable pour les études postsecondaires. Ces incitatifs pourraient encourager les parents à ouvrir un compte de REEE, qui peut demeurer ouvert jusqu’à 36 ans moins un jour.

Les recherches antérieures ont montré que les jeunes de 15 ans qui avaient accès à des fonds du REEE étaient significativement plus susceptibles de fréquenter, par la suite, un établissement d’enseignement postsecondaire, même après avoir tenu compte des différences de revenu et d’éducation des parents, ainsi que du rendement de l’enfant à un test de compréhension de l’écrit normalisé et des résultats généraux à l’école secondaire (Frenette, 2017b)^Note  . Malgré cela, seulement environ la moitié des familles ayant des enfants de moins de 18 ans ont ouvert un compte de REEE. L’incidence de la participation au REEE augmente considérablement en fonction du revenu des parents : environ un quart des familles admissibles de la tranche inférieure de 20 % de la répartition du revenu ont ouvert un REEE, comparativement à environ deux tiers des familles de la tranche supérieure de la répartition du revenu. Qui plus est, 23 % des détenteurs de REEE qui étaient admissibles au BEC en 2012 n’ont pas reçu de cotisation du BEC du gouvernement, car ils n’en ont pas fait la demande (EDSC, 2015).

Milligan (2005) et Frenette (2017b) ont découvert que les différences dans le patrimoine financier étaient le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le niveau de revenu, suivi de l’éducation (parmi les facteurs qui pouvaient être examinés). Cependant, aucune étude ne pouvait tenir compte des rôles de la littératie parentale, y compris la littératie en général, la numératie et la littératie financière.

Effectivement, le taux de participation relativement bas au REEE chez les familles à faible revenu pourrait être attribuable aux nombreuses étapes requises pour profiter des incitatifs à l’épargne. Premièrement, les familles doivent être au courant des REEE et des détails des incitatifs (la SCEE, la SCEE-S, le BEC et les incidences fiscales liées au retrait du REEE). Il se pourrait que les parents à faible revenu qui n’ont aucun patrimoine financier ou aucun revenu disponible pour cotiser à un REEE ne soient pas au courant qu’ils peuvent être admissibles au BEC sans avoir à faire de cotisations eux-mêmes. Ils doivent aussi obtenir un numéro d’assurance sociale pour chaque enfant admissible. Ensuite, ils doivent ouvrir un compte de REEE et faire des demandes pour profiter des incitatifs. Finalement, l’admissibilité aux incitatifs liés au revenu exige une vérification du revenu, qui nécessite de produire une déclaration de revenus tous les ans. Alors que l’évaluation de tous les avantages des incitatifs à l’épargne exige un certain degré de connaissances financières et de compétences mathématiques de base, les demandeurs doivent aussi être en mesure de lire et de remplir les formulaires. En fait, les définitions tant internationale (RIEF de l’OCDE, 2011; OCDE, 2016a) que canadienne (Groupe de travail sur la littératie financière, 2010) de la littératie financière insistent non seulement sur la nécessité de posséder les connaissances, mais aussi d’avoir les compétences nécessaires pour prendre des décisions financières éclairées ou raisonnables. Alors que les définitions ne décrivent pas les compétences particulières qui sont requises, Robson (2016) résume de nombreuses études qui décrivent les défis liés à la promotion de l’épargne (y compris l’épargne-études) auprès des familles à faible revenu et conclut que la capacité financière, la littératie et la numératie des parents pourraient effectivement constituer des obstacles. C’est pourquoi il est concevable que les faibles taux de participation au REEE des parents à faible revenu soient attribuables à une faible littératie financière, ainsi qu’à de faibles niveaux de littératie et de numératie en général. Le fait de comprendre les rôles de chacun pourrait aider les décideurs politiques à concevoir des interventions destinées à réduire l’écart dans la participation au REEE.

Jusqu’à maintenant, une seule étude canadienne a examiné le lien entre la littératie financière et l’épargne-études (Audet et Bele, 2011). Au moyen de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) de 2009, l’étude a permis de découvrir que les parents qui épargnent pour les études postsecondaires ont habituellement des niveaux de littératie financière supérieurs dans de nombreux sous-domaines à ceux des parents qui n’épargnent pas. Cependant, le rôle de la littératie financière pour comprendre les différences dans la proportion de familles à revenu élevé et à faible revenu ayant des comptes de REEE n’a pas été examiné. En outre, aucune étude canadienne n’a examiné le lien entre l’épargne-études, la littératie et la numératie.

La présente étude a pour but de combler ces lacunes dans la littérature. Elle vise à déterminer la portion de l’écart dans la participation au REEE parmi les niveaux de revenu des parents qui peut être expliquée par les différences dans la littératie, la numératie et la littératie financière, comparativement aux différences dans le patrimoine financier, l’éducation et les données démographiques. Les données ayant servi à cette étude proviennent de deux enquêtes, soit l’ECCF de 2014 et la troisième vague de l’Étude longitudinale et internationale des adultes (ELIA), réalisée en 2016. L’ECCF de 2014 comprend une évaluation objective des connaissances financières au moyen de 14 questions. Un sous-ensemble de répondants à l’ELIA a participé au Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes de 2012, qui comporte des évaluations détaillées de la littératie et de la numératie. L’ECCF de 2014 et l’ELIA de 2016 comportent toutes deux des indicateurs pour la participation au REEE.

La section suivante décrit les méthodes analytiques et les données en détail; elle est suivie d’une présentation des résultats. L’étude et les principaux résultats sont résumés dans la conclusion.

2 Méthodologie

Les études antérieures ont montré que malgré une hausse de participation au régime enregistré d’épargne-études (REEE) avec le temps parmi tous les groupes de revenu, elle demeure beaucoup plus élevée dans le groupe à revenu élevé (Milligan, 2005; Frenette, 2017b). Les deux études ont mené à la conclusion que parmi les facteurs qui pouvaient être examinés, le patrimoine financier est le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE. La présente étude s’appuie sur ces travaux pour déterminer si les différences de niveaux de littératie, de numératie et de littératie financière peuvent aussi être à l’origine d’une partie de la différence dans la participation au REEE entre les familles à revenu élevé et les familles à faible revenu à partir du modèle suivant :

où la variable dépendante, REEE, est une variable indicatrice qui équivaut à 1 si les parents épargnent pour les études postsecondaires de leurs enfants d’âge mineur dans un compte de REEE, et 0 s’ils n’épargnent pas du tout, ou s’ils épargnent par d’autres moyens^Note  . Dans la présente étude, les familles à revenu élevé sont celles qui se situent dans le quatrième quartile (supérieur), et les familles à faible revenu sont celles qui se situent dans le premier quartile (inférieur) de la répartition du revenu, définie en détail ci-dessous. La différence dans la participation au REEE entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu sera saisie par le coefficient $\delta 3$  sur la variable indicatrice $Q4$ , qui détermine les répondants qui appartiennent au quartile de revenu supérieur.

Puisqu’aucun ensemble de données ne comprend de mesures de la littératie, de la numératie et de la littératie financière, il est impossible de comparer directement l’ampleur de leurs répercussions respectives sur la participation au REEE. En outre, les notes individuelles en littératie et en numératie sont très fortement corrélées, tellement que leurs répercussions respectives ne peuvent être directement comparées (même si elles sont toutes deux disponibles dans l’ELIA de 2016). C’est plutôt la mesure dans laquelle la littératie, la numératie et la littératie financière ont une incidence sur l’écart dans la participation au REEE entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu qui est explorée.

Le choix d’inclure l’éducation et le patrimoine financier dans un modèle qui comprend aussi les mesures de la littératie, de la numératie et de la littératie financière mérite d’être discuté. Puisque la présente étude vise en premier lieu à expliquer la faible participation au REEE parmi les familles à faible revenu par rapport à la plus forte participation des familles à revenu élevé, il est important de tenir compte des différences dans la composition de l’éducation et du patrimoine financier apparentée, deux corrélats de la participation au REEE. L’éducation pourrait avoir une incidence sur la participation au REEE par l’entremise de nombreux canaux différents, par exemple, en générant des niveaux supérieurs de littératie et de numératie (Green et Riddell, 2007), et éventuellement, de littératie financière. D’autres canaux pourraient inclure le fait de dicter les attitudes vis-à-vis de l’éducation et les effets de réseau. Par exemple, des études supérieures chez les parents pourraient être corrélées à une plus forte croyance en son importance, à des attentes selon lesquelles les enfants poursuivront des études postsecondaires et à un désir d’aider les enfants à obtenir des diplômes d’études postsecondaires par des moyens qui pourraient inclure l’épargne dans un compte de REEE. Des études supérieures pourraient aussi entraîner des effets de réseau, où les parents plus scolarisés ont plus de pairs dans leurs cercles sociaux et professionnels qui pourraient partager de l’information à propos des REEE et de leurs avantages avec eux. La pression à l’uniformité que les parents pourraient ressentir d’autres personnes qui investissent dans des REEE pourrait être un autre canal. La condition imposée sur l’éducation dans le modèle permet de séparer l’incidence de la littératie, de la numératie et de la littératie financière des autres canaux au moyen desquels l’éducation pourrait favoriser la participation au REEE. Si l’éducation était exclue du modèle, l’incidence de la littératie, de la numératie et de la littératie financière serait susceptible d’être surestimée, car ces variables sont corrélées avec les variables d’éducation maintenant omises qui ont une incidence sur la participation au REEE^Note  .

Le patrimoine financier pourrait avoir une incidence sur la participation au REEE par le biais de nombreux canaux aussi. Les parents pourraient tout simplement déplacer des ressources financières d’un compte d’épargne à un REEE. L’accumulation de patrimoine financier pourrait aussi inciter une personne à accroître sa littératie financière dans le but de mieux gérer ses économies, ce qui pourrait accroître sa probabilité d’ouvrir un compte de REEE. De plus, le patrimoine financier pourrait agir comme mesure indirecte des caractéristiques individuelles qui ne sont pas directement observables dans les données, mais qui pourraient influencer la participation au REEE, y compris les connaissances financières (une aptitude à détecter les occasions financières et à y donner suite), des traits personnels comme la parcimonie et une propension à la planification financière pour l’avenir.

La décision d’inclure ou d’exclure les REEE dans la définition du patrimoine financier a d’importantes répercussions sur l’interprétation du modèle. En effet, la variable du patrimoine financier pourrait être endogène, qu’elle comporte ou non les REEE. Si les REEE sont inclus dans le patrimoine financier, une augmentation des avoirs en REEE donnerait alors lieu à une augmentation du patrimoine financier si les parents versent des cotisations au REEE en augmentant leur taux d’épargne. Cependant, une augmentation des avoirs en REEE n’aurait aucune incidence sur le patrimoine financier si les parents déplacent une partie de leur patrimoine financier autre que les REEE dans des REEE. Si le patrimoine financier ne comprend pas les REEE, une augmentation des avoirs en REEE donnerait alors lieu à une baisse du patrimoine financier si les parents ne font que déplacer une partie de leur patrimoine financier autre que des REEE dans des REEE. En revanche, si les parents versent des cotisations dans un REEE en augmentant leurs taux d’épargne, une augmentation des avoirs en REEE n’entraînerait alors aucun changement dans une mesure du patrimoine financier qui exclut les REEE^Note  .

Compte tenu de la nature des données, le patrimoine financier entre dans le modèle sous forme de série de variables indicatrices pour les différents types d’actifs ou de passifs et leur valeur (plus de détails à ce sujet dans la section suivante). À ce titre, le fait d’inclure des variables indicatrices pour le total des avoirs en REEE dans la famille en tant que variables indépendantes signifierait presque de régresser la variable dépendante sur elle-même. Le fait d’inclure les avoirs en REEE pour les membres de la famille autres que les enfants mineurs dans la famille serait une solution de rechange; cependant, seule l’ELIA recueille des renseignements sur la valeur du REEE pour les enfants et la valeur totale de tous les comptes de REEE dans la famille, alors que dans le cadre de l’ECCF, on demande seulement la valeur totale. Par conséquent, les avoirs en REEE de tout type sont exclus de l’ensemble des variables indépendantes qui mesurent le patrimoine financier familial aux fins de cohérence.

Il convient de noter que bien que le patrimoine financier et le revenu soient corrélés, le patrimoine financier pourrait varier d’une personne à une autre ayant un niveau de revenu similaire (et au sein du même quartile de revenu) pour une foule de raisons, comme les héritages, les changements d’état matrimonial (p. ex. divorce), des caractéristiques non observées ou la chance. En fait, le revenu, l’éducation, le patrimoine financier, la littératie, la numératie et la littératie financière sont tous corrélés dans une certaine mesure. La question pertinente est de déterminer s’il y a suffisamment de variation dans l’ensemble de données pour cerner les effets désirés, et selon les données utilisées dans la présente étude (décrites ci-dessous), la réponse est oui^Note  . Compte tenu du fait que les caractéristiques individuelles sont habituellement corrélées dans des ensembles de données non expérimentales, une analyse de régression multivariée est utilisée pour analyser les effets indépendants d’autres corrélats que les variables comprises dans le modèle pourraient avoir sur la participation au REEE.

Les modèles ont été estimés à partir d’un modèle de probabilité linéaire. Puisque la majorité des probabilités estimées d’épargner dans un compte de REEE se situent entre 30 % et 70 %, les modèles linéaire et non linéaire (logarithmique et probit) produisent des effets marginaux similaires. Un millier de poids bootstrap ont été utilisés dans l’estimation par régression pour tenir compte du plan d’enquête.

L’étape suivante consiste à faire la lumière sur la contribution relative des différences dans les corrélats de participation au REEE sur l’écart dans la participation entre les familles à revenu élevé et les familles à faible revenu. Pour ce faire, deux types de décompositions ont été effectuées.

Dans la première décomposition, proposée par Gelbach (2016), on utilise les coefficients de deux modèles : le premier comprend uniquement les indicateurs pour le quartile de revenu, et le second comprend la gamme complète de covariables. La méthode répartit la différence entre les coefficients estimés sur le quartile de revenu supérieur dans les deux modèles parmi les différents groupes de covariables (la portion « expliquée » de l’écart général). Un des avantages de cette approche est qu’elle permet d’estimer les coefficients sur toutes les variables de contrôle en fonction de l’échantillon des quatre quartiles de revenu, ce qui permet de tirer le meilleur parti d’un échantillon relativement petit.

La deuxième approche (et la plus couramment utilisée) est la méthode de décomposition d’Oaxaca–Blinder. Cette méthode décompose aussi l’écart dans la participation au REEE entre les familles à revenu élevé et à faible revenu en une part « expliquée », découlant des différences dans la composition entre deux groupes en caractéristiques observables, et la part résiduelle « inexpliquée ». Elle est uniquement fondée sur les données sur les deux groupes d’intérêt direct, c’est-à-dire les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu. Les différences dans les caractéristiques sont pondérées par coefficients à partir d’un modèle mis en commun (comprenant les familles à revenu élevé et les familles à faible revenu).

Il convient de noter que dans les deux approches, la différence entre l’écart global et la portion expliquée est liée à la portion inexpliquée de l’écart. La portion inexpliquée découle des différences dans les facteurs non observés et des différences relatives aux caractéristiques, tant observées que non observées, entre les deux groupes comparés.

3 Données et sélection de l’échantillon

3.1 Définition des variables

Les mesures de la littératie et de la numératie de l’Étude longitudinale et internationale des adultes (ELIA) proviennent du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) de 2012. La littératie et la numératie ont toutes deux été mesurées au moyen d’une évaluation objective sur une échelle de 0 à 500^Note  . Les notes en littératie et en numératie étaient ensuite divisées en six niveaux de compétence : niveaux 1 à 5, 5 étant le niveau le plus élevé, et niveau inférieur à 1. Ces niveaux définissent un ensemble de tâches qu’une personne serait en mesure d’accomplir avec succès avec une certaine probabilité^Note  .

La littératie et la numératie sont très fortement corrélées; elles présentent une corrélation de Pearson de 0,88. À ce titre, il est impossible d’estimer toute répercussion indépendante que les deux pourraient avoir sur la participation au REEE. Alors que la discussion sur les résultats portera principalement sur la littératie, les principaux résultats ont aussi été reproduits en utilisant la note sur la numératie.

La littératie financière a été évaluée dans l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) au moyen de 14 questions à choix multiples qui évaluaient les connaissances et la compréhension qu’avaient les répondants des concepts tels que les taux d’intérêt et l’inflation, et leurs incidences sur l’épargne, ainsi que leur connaissance des produits financiers tels que les obligations de sociétés, les fonds communs de placement, les hypothèques et les comptes d’épargne^Note  . Une des 14 questions porte davantage sur le comportement financier que sur les connaissances. L’ECCF et son évaluation de la littératie financière précèdent les travaux menés dans ce domaine à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au cours d’un récent rapport, la littératie financière a été définie comme un « phénomène complexe, fait d’une combinaison de connaissances, d’attitudes et de comportements » (OCDE, 2016a, 52). Pour une note maximale totale en littératie financière de 21 points, l’évaluation de la littératie financière élaborée par l’OCDE consiste en trois séries de questions : sept à propos des connaissances financières, neuf à propos des comportements en matière de finances et cinq à propos des attitudes à l’égard des finances. Il convient de noter que la composante du comportement en matière de finances a la plus grande incidence sur la note totale; les auteurs du rapport notent que «[c]ela reflète la compréhension générale que le bien-être financier résulte principalement de comportements positifs » (OCDE, 2016a, 52). Lors de l’interprétation des résultats de la présente étude, il est important de tenir compte du fait que l’évaluation de l’ECCF porte principalement sur les connaissances financières.

Dans la présente étude, les résultats de l’évaluation de l’ECCF sont utilisés de deux manières :  1) en tant que note en littératie financière, ou le nombre total de questions auxquelles le répondant a répondu correctement, sur une échelle de 0 à 14 et 2) en tant que série de 14 variables indicatrices, chacune prenant la valeur de 1 si le répondant a répondu correctement à la question d’évaluation correspondante, et 0 autrement^Note  . La deuxième approche donne la possibilité que les questions de l’ECCF ne soient pas toutes des variables explicatives des avoirs en REEE aussi fortes les unes que les autres, et deux personnes ayant la même note totale pourraient avoir répondu correctement à une différente combinaison de questions. Par exemple, il pourrait être plus important de comprendre le principe de l’intérêt composé dans ce contexte que de savoir ce qu’est une obligation de sociétés.

Dans la présente analyse, les familles étaient classées selon le revenu parental total avant impôts corrigé pour tenir compte de la taille du ménage (c.-à-d. divisé par la racine carrée de la taille du ménage)^Note  . Dans l’ELIA, le revenu individuel a été tiré des dossiers fiscaux plutôt que des réponses à l’enquête. Environ 12 % des observations sur le revenu individuel ont été imputées, car un jumelage à un dossier fiscal n’a pu être fait. Dans l’ECCF, on a questionné les répondants sur leur revenu individuel et le revenu du ménage, ce qui a fait en sorte de devoir imputer le revenu pour environ la moitié de l’échantillon. La présente étude est plutôt fondée sur un couplage d’enregistrements entre l’ECCF de 2014 et le Fichier des familles T1 (FFT1) de 2013 pour obtenir une mesure plus exacte du revenu. Le FFT1 identifie aussi les conjoints des répondants à l’ECCF, permettant ainsi de calculer le revenu des deux parents (lorsque présents), à l’instar de l’ELIA. Environ 10 % des répondants à l’ECCF n’ont pu être couplés au FFT1. Pour ces observations, c’est le revenu du ménage déclaré (ou imputé) dans l’ECCF qui a été utilisé.

Tant dans l’échantillon de l’ELIA que dans celui de l’ECCF, l’éducation est mesurée avec des variables indicatrices pour le niveau de scolarité le plus élevé du parent qui répond aux questions à propos des enfants au sein du ménage : niveau inférieur aux études secondaires, études secondaires, études postsecondaires sans grade universitaire, baccalauréat et certificats et diplômes d’études supérieurs au baccalauréat.

Le patrimoine financier a été mesuré de la même façon dans les deux enquêtes. Dans chaque cas, on demandait aux répondants d’indiquer quels types d’avoirs la famille possédait parmi cinq vastes catégories d’avoirs : actifs corporels, comme une maison, des véhicules ou des bijoux; régime enregistré d’épargne-retraite (REER); REEE; autres éléments d’actif, comme de l’épargne en argent, des investissements ou des régimes de retraite autres que les REER; des actifs commerciaux, comme une propriété d’entreprise ou des brevets. On leur demandait aussi quels types de dettes ou de passifs ils avaient, le cas échéant. Lorsque les répondants indiquaient qu’ils avaient un type particulier d’actif ou de dette, on les questionnait à propos de la valeur totale de cet actif ou de cette dette. Environ la moitié des répondants de l’échantillon de l’ECCF n’ont pas fourni de valeur pour une certaine composante d’actifs ou de dettes. Il a donc été impossible de calculer leur valeur nette en un chiffre unique. Compte tenu de la proportion élevée d’observations ayant des données manquantes et de la taille relativement petite de l’échantillon total, le patrimoine financier a été saisi en modèles de régression au moyen d’une série de variables indicatrices. Ces dernières ont été utilisées pour les intervalles de valeur pour chacune des quatre catégories d’actifs utilisées (sauf les REEE) et pour les dettes, assorties d’un indicateur distinct pour les répondants ayant des données manquantes pour un actif ou une dette en particulier. Cela a permis d’utiliser toute information disponible sur les actifs ou les dettes dans l’analyse. Cette approche pourrait aussi tenir compte de caractéristiques courantes partagées par les répondants qui n’ont pas fourni d’information précise sur la valeur des actifs ou des dettes^Note  .

L’ensemble de renseignements sociodémographiques utilisé dans l’analyse pour le parent qui a répondu aux questions à propos d’un enfant comprenait l’âge, le sexe, l’état matrimonial (marié, en union libre, séparé, divorcé ou veuf; et célibataire), le statut d’immigrant et la province de résidence. Finalement, les régressions comportaient des contrôles comparables pour le nombre et l’âge des enfants tant dans l’ELIA que dans l’ECCF : nombre d’enfants dans le ménage âgés de moins de 12 ans, âgés de 12 à 14 ans et âgés de 15 à 17 ans.

4 Sélection de l’échantillon

L’échantillon de l’ECCF est formé des répondants qui ont dit qu’ils étaient financièrement responsables d’un enfant ou de plusieurs enfants de moins de 18 ans, qu’ils avaient un enfant ou des enfants qui vivaient dans le ménage, qui ont donné une réponse valide (oui ou non) à la question visant à déterminer s’ils économisaient ou avaient économisé en prévision des études postsecondaires d’un enfant, et qui étaient en mesure d’expliquer les types de comptes dans lesquels ils versaient des cotisations, le cas échéant. Un très petit nombre de répondants ayant des renseignements manquants sur l’état matrimonial, le statut d’immigrant et l’éducation ont été exclus de l’échantillon. Idéalement, il serait important de mesurer l’incidence de la littératie financière d’une personne sur sa probabilité de décider d’ouvrir un compte de REEE pour un enfant. Lorsque les renseignements sur la littératie financière sont disponibles pour un seul parent (comme c’est le cas dans l’ECCF), mais l’autre parent (ou toute autre personne) prend les décisions financières pour le ménage, cette asymétrie dans l’information introduit une erreur de mesure dans la variable de littératie financière. Une erreur de mesure aléatoire dans une variable indépendante peut faire en sorte que la corrélation estimée entre cette variable et la variable de résultat (avoirs en REEE) soit biaisée vers zéro (biais d’atténuation). En raison de cette préoccupation, l’échantillon a été davantage restreint aux répondants qui ont indiqué être principalement responsables de la planification financière dans leur famille, et à ceux qui partageaient cette responsabilité avec leur conjoint ou conjointe. La sensibilité des résultats à la dernière restriction a été testée et est décrite dans la section des résultats. La taille de l’échantillon final pour les données de l’ECCF est de 1 183 observations.

L’échantillon de l’ELIA est formé de répondants ayant un enfant ou des enfants de moins de 18 ans au sein du ménage, qui ont un résultat en matière de littératie et de numératie^Note  , qui ont donné une réponse valide aux questions visant à déterminer s’ils économisaient en prévision des études postsecondaires d’un enfant et comment ils épargnent, et qui ont répondu aux questions à propos de la valeur nette de la famille (en tant que mesure indirecte de la personne qui prend les décisions financières dans le ménage)^Note  . Les observations ayant des renseignements manquants sur l’éducation et l’état matrimonial ont été exclues de l’échantillon. La taille de l’échantillon final pour les données de l’ELIA est de 827 observations.

5 Statistiques descriptives

Selon l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) de 2014, près de 52 % des ménages épargnaient dans un compte de REEE en prévision des études postsecondaires de leurs enfants (graphique 1). Cette part était de 32,7 % chez les ménages du quintile de revenu inférieur et de 71,2 % chez les ménages du quintile de revenu supérieur. Les notes en littératie financière (ou le nombre de bonnes réponses données dans une évaluation de 14 questions) augmentaient aussi avec le revenu, passant d’une moyenne de 6,9 bonnes réponses dans le quartile inférieur à 10,0 dans le quartile supérieur. En présumant que le fait de répondre correctement à au moins 70 % des questions (ou à 10 questions sur 14) est la note cible pour les connaissances financières (comme le propose l’OCDE [2016a] pour la composante sur les connaissances financières de sa mesure de la littératie financière), environ 27 % des répondants du quartile de revenu inférieur ont donc atteint cette cible, comparativement à environ 68 % des répondants du quartile de revenu supérieur, soit environ 2,5 fois plus.

Selon les résultats de l’ELIA de 2016, près de 58 % des familles épargnaient dans un compte de REEE en prévision des études de leurs enfants (graphique 2). Cette proportion était de 36,1 % chez les familles du quartile de revenu inférieur et de 81,1 % chez les familles du quartile de revenu supérieur. La littératie et la numératie augmentaient aussi avec le revenu. Sur une échelle de 0 à 500, la différence entre les notes moyennes des quartiles de revenu supérieur et inférieur était de 52,5 points pour la littératie et de 57,2 points pour la numératie, soit un peu plus d’un écart-type. La note moyenne en littératie (257) et la note moyenne en numératie (248) dans le quartile de revenu inférieur correspondent plus ou moins au point médian du niveau de compétence 2 (226 à 275 points), alors que la note moyenne en littératie (310) et la note moyenne en numératie (305) dans le quartile de revenu supérieur se situe environ au milieu du niveau de compétence 3 (276 à 325 points).

Les tableaux 1 et 2 montrent des statistiques descriptives pour l’ensemble complet de variables utilisées dans l’analyse pour les données de l’ECCF et de l’ELIA, respectivement. En plus des différences marquées en littératie financière et en littératie et numératie parmi les quartiles de revenu montrées dans les graphiques 1 et 2, les répondants se situant dans le quartile de revenu supérieur étaient plus susceptibles que ceux du quartile de revenu inférieur :

• d’avoir un diplôme d’études postsecondaires;
• d’être mariés;
• d’être nés au Canada;
• de vivre en Alberta ou en Colombie-Britannique;
• d’être riches.

Les échantillons généraux de l’ECCF et de l’ELIA diffèrent, en ce sens que les répondants dans l’échantillon de l’ELIA sont plus susceptibles d’avoir un diplôme supérieur au baccalauréat, moins susceptibles d’être mariés et plus susceptibles de donner une réponse valide aux questions à propos des avoirs et des dettes. Les immigrants sont aussi répartis plus équitablement parmi la répartition du revenu dans l’ELIA que dans l’ECCF. Le fait de tenir compte de toutes ces caractéristiques dans l’analyse de régression facilite la comparaison des résultats dans l’ensemble des deux échantillons.

6 Résultats de la régression et de la décomposition

On a observé un écart dans la participation au régime enregistré d’épargne-études (REEE) de 38,5 points de pourcentage entre les quartiles de revenu supérieur et inférieur dans les données de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) de 2014 (tableau 3, modèle 1). Après conditionnement sur les quatre ensembles de covariables montrés dans l’équation (1), l’écart a été réduit à 9,5 points de pourcentage (modèle 2) et n’était plus significatif sur le plan statistique. Le coefficient estimé sur la note en littératie financière est significatif sur le plan statistique au niveau de 10 %. Cela laisse supposer que, selon l’éducation, le patrimoine financier et les caractéristiques démographiques, une bonne réponse supplémentaire à une question est associée à une augmentation de 1,5 point de pourcentage de la probabilité de cotiser à un REEE.

Le modèle 3 comprend une spécification différente pour la littératie financière : 14 variables indicatrices prennent la valeur 1 si la question correspondante sur l’évaluation objective de la littératie financière dans l’ECCF a obtenu une bonne réponse, et 0 autrement. Pris ensemble, le groupe des 14 variables indicatrices n’est pas significatif sur le plan statistique. Lorsque précisée ainsi, la littératie financière représente une plus grande part de l’écart dans la participation au REEE que dans le modèle 2, alors qu’il reste un écart de 6,1 points de pourcentage entre les familles à revenu élevé et les familles à faible revenu.

Il ne semble pas y avoir de gradient lié à l’éducation dans la participation au REEE, subordonnée à tous les autres facteurs inclus dans le modèle. Les immigrants sont plus susceptibles d’ouvrir un compte de REEE que leurs homologues nés au Canada d’environ 14 points de pourcentage. Les parents ayant des enfants plus âgés sont moins susceptibles d’ouvrir un compte, tandis que les parents ayant de jeunes enfants sont plus susceptibles de le faire. Finalement, certains types et certaines quantités d’avoirs sont positivement liés à la participation au REEE. Les parents ayant des avoirs en REER d’au moins 25 000 $ sont beaucoup plus susceptibles d’avoir des REEE pour leurs enfants. Il semble peu probable que les personnes transféreraient de l’argent d’un REER à un REEE, compte tenu des exigences fiscales. La corrélation positive pourrait refléter, par exemple, une tendance des conseillers financiers à promouvoir une variété de produits aux clients ou des personnes ayant tendance à planifier financièrement pour l’avenir d’être plus susceptibles de le faire tant pour elles-mêmes que pour leurs enfants. En fait, une complémentarité a été prouvée entre l’éducation et les régimes d’épargne-retraite tant au Canada qu’aux États-Unis; Messacar et Frenette (2019) ont montré que, parmi les épargnants positifs en études et en retraite, l’épargne-études (par le biais des REEE) se rassemble dans les régimes de retraite (REER). De la même façon, Gelber (2011) a montré qu’aux États-Unis, l’admissibilité à 401(k), une forme de compte d’épargne-études, se dirige en masse vers l’utilisation de compte de retraite individuel.

Même si les coefficients estimés en littératie financière ne sont pas très significatifs sur le plan statistique, la décomposition de Gelbach laisse supposer que les différences d’aptitudes en littératie financière entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu représentent 7,2 points de pourcentage sur l’écart de 38,5 points de pourcentage dans la participation au REEE (ou 18,7 %), ce qui est significatif sur le plan statistique à 1 % (tableau 4)^Note  . La littératie financière n’est pas très fortement associée à l’ouverture d’un compte de REEE. Autrement dit, elle n’est pas significative sur le plan statistique dans les régressions, et les coefficients estimés sur la littératie financière ne laissent supposer qu’une légère augmentation de la probabilité d’avoir un REEE par augmentation d’une unité de la littératie financière. Cependant, le niveau de littératie financière est beaucoup plus faible chez les parents du quartile de revenu inférieur que chez ceux du quartile de revenu supérieur que les différences globales de littératie financière représentent une part non négligeable de l’écart dans la participation au REEE parmi la répartition du revenu. Dans la décomposition d’Oaxaca–Blinder, la littératie financière explique une portion légèrement plus faible de l’écart global (13,0 %). Dans les deux décompositions, les différences dans la littératie financière représentent une part plus importante de l’écart que les différences dans l’éducation. Cependant, dans les deux cas, le patrimoine financier est le facteur explicatif principal et il représente plus de 70 % de l’écart^Note  .

Dans l’ELIA de 2016, un écart de 45,1 points de pourcentage dans la participation au REEE séparait les familles à revenu élevé et les familles à faible revenu (tableau 5). Ni la note en littératie (modèle 2), ni la note en numératie (modèle 3) n’étaient significatives sur le plan statistique. La grandeur des coefficients estimés était aussi plutôt faible; une augmentation de 100 points de la note en littératie était associée à une augmentation de 4,9 points de pourcentage de la probabilité de cotiser à un REEE. Il convient de noter que la différence de note moyenne en littératie entre les décrocheurs de l’école secondaire et les répondants ayant un diplôme supérieur au baccalauréat était inférieure à 100 points.

Après avoir pris en compte la littératie, la valeur nette et les caractéristiques démographiques, un gradient lié à l’éducation significatif sur le plan statistique a tout de même été observé dans la participation au REEE. Les parents dont le niveau de scolarité était supérieur au baccalauréat avaient une probabilité supérieure de 14 points de pourcentage de cotiser à un REEE à celle des parents ayant seulement un diplôme d’études secondaires. Il convient aussi de noter que le coefficient estimé sur la littératie est devenu beaucoup plus faible et n’était plus significatif sur le plan statistique après avoir ajouté les témoins sur l’éducation au modèle (résultats non déclarés). Prises ensemble, ces deux conclusions laissent supposer que l’éducation contribue à une probabilité plus élevée de cotiser à un REEE par des canaux autres que la littératie. La même conclusion s’applique à la numératie.

À l’instar des données de l’ECCF, on observe une corrélation positive entre la participation au REEE et des économies dans un REER. On note aussi une corrélation positive avec le fait d’avoir certains avoirs financiers. Un lien significatif entre la participation au REEE et l’âge et le nombre d’enfants est similaire au lien observé dans les données de l’ECCF. Fait à noter, la grandeur du coefficient lié à l’immigrant est faible et non significative sur le plan statistique, contrairement à l’ECCF.

Les résultats ci-dessus se reflètent aussi dans la décomposition de Gelbach, montrant que les différences par rapport à la littératie représentent environ 5,5 % de l’écart global dans la participation au REEE. Cela est inférieur aux différences par rapport à l’éducation, mais aucune estimation n’est significative sur le plan statistique (tableau 6). Même si la décomposition d’Oaxaca–Blinder laisse supposer le contraire (une part quelque peu supérieure de l’écart est prise en compte par les différences dans la littératie plutôt que l’éducation), les deux estimations sont plutôt faibles et ne sont pas significatives sur le plan statistique^Note  . Les différences par rapport à la valeur nette représentaient environ la moitié de l’écart global dans la participation au REEE dans l’ELIA. Malgré le fait que cela est moins que dans les données de l’ECCF, la valeur nette demeure le facteur explicatif principal. Des résultats similaires ont été observés lorsque la numératie était incluse dans le modèle au lieu de la littératie (tableau 7).

7 Vérifications de la robustesse

Les modèles dans les tableaux 3 et 5 ont été repris sans les immigrants (tableaux 8 et 9). Les immigrants gagnent en général moins que les travailleurs équivalents nés au Canada sur le plan des caractéristiques d’observation (c.-à-d. les travailleurs ayant des caractéristiques observables similaires, comme le niveau de scolarité, l’état matrimonial et l’âge), mais leurs enfants affichent un niveau de scolarité supérieur (en moyenne). Milligan (2005) a constaté un taux de participation au régime enregistré d’épargne-études (REEE) plus élevé chez les immigrants que chez les personnes nées au Canada. Les échantillons d’immigrants dans l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) et l’Étude longitudinale et internationale des adultes (ELIA) sont trop petits pour tirer des inférences fiables à propos de la participation au REEE chez les immigrants, mais leur inclusion dans l’échantillon d’analyse pourrait tout de même avoir une incidence sur les estimations.

Lorsque les immigrants ont été retirés de l’échantillon de l’ECCF (tableau 8), l’écart dans la participation au REEE entre les quartiles de revenu inférieur et supérieur a augmenté pour passer de 38,5 points de pourcentage à 45,9 points de pourcentage. Cela est attribuable au fait qu’un plus grand nombre d’immigrants étaient présents dans le quartile de revenu inférieur, et au fait que les immigrants du quartile inférieur affichaient des taux plus élevés de participation au REEE que leurs homologues nés au Canada. Les deux méthodes de décomposition ont montré une part relativement plus importante de l’écart dans la participation au REEE étant constituée par les différences dans l’éducation, et une part plus petite étant constituée par les différences dans la littératie financière (tableau 4). Les immigrants étaient répartis plus équitablement parmi la répartition du revenu dans l’échantillon de l’ELIA que dans l’échantillon de l’ECCF. Dans l’ELIA, l’écart dans la participation au REEE a peu varié, passant de 45,1 points de pourcentage à 46,7 points de pourcentage (tableau 9), lorsque les immigrants étaient retirés de l’échantillon. Cela n’a pas non plus changé de façon substantielle les résultats de la décomposition pour la littératie (tableaux 6 et 7).

Les spécifications du modèle empêchent jusqu’ici la relation estimée entre la participation au REEE et la littératie, la numératie et la littératie financière d’être la même dans l’ensemble les quartiles de revenu. Pour mettre cette hypothèse à l’essai, les interactions entre la littératie, la numératie et la littératie financière avec les quartiles de revenu ont été ajoutées aux modèles (résultats non montrés). Les paramètres d’interaction étaient généralement plutôt petits et non significatifs sur le plan statistique lorsque regroupés. Par conséquent, rien ne prouve que les niveaux plus élevés de littératie, de numératie et de littératie financière sont associés à des hausses plus prononcées de participation au REEE dans certaines parties de la répartition du revenu parental que dans d’autres.

Pour mener une autre vérification de robustesse, le modèle avec la littératie financière a été repris, en retirant les contrôles pour 1) l’éducation, 2) le patrimoine financier et 3) tant l’éducation que le patrimoine financier (en conservant uniquement les contrôles pour les caractéristiques démographiques et la littératie financière dans le modèle). L’objectif était de voir quelle part de l’écart dans la participation au REEE serait constituée par les différences dans la littératie financière avec l’hypothèse selon laquelle l’éducation et le patrimoine financier n’ont aucun effet indépendant de la littératie financière sur la participation au REEE. Dans un modèle qui tient compte de la littératie financière avec une série de variables indicatrices, la part de l’écart dans la participation au REEE étant constituée par la littératie financière selon la décomposition de Gelbach a augmenté pour passer de 18,7 % à 20,0 % lorsque l’éducation était exclue, à 24,9 % lorsque le patrimoine financier était exclu, et à 27,3 % lorsque tant l’éducation que le patrimoine financier étaient exclus. Dans un modèle qui incluait la note en littératie financière (au lieu des 14 variables indicatrices), la part maximale de l’écart dans la participation au REEE étant constituée par la littératie financière était de 20,5 %. Même si un modèle qui exclut l’éducation et le patrimoine financier avait été préférable selon des motifs théoriques, la littératie financière ne constituerait pas beaucoup plus que le quart de l’écart dans la participation au REEE entre les familles du quartile de revenu supérieur et les familles du quartile de revenu inférieur.

Les modèles ont aussi été repris après avoir supprimé la restriction de l’échantillon qui exigeait que le parent répondant à l’enquête soit aussi responsable de la planification financière dans la famille (dans l’échantillon de l’ECCF) ou le membre du ménage le mieux informé à propos des avoirs et des dettes du ménage (dans l’échantillon de l’ELIA). Dans les données de l’ECCF, cela a fait en sorte d’augmenter la taille de l’échantillon, passant de 1 183 à 1 411 observations, et l’écart dans la participation au REEE entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu a baissé pour passer de 38,5 points de pourcentage à 35,2 points de pourcentage. Comme on pouvait s’y attendre, le coefficient sur la note en littératie financière est passé de 0,015 (significatif sur le plan statistique au niveau de 10 %) à 0,008 (et donc, il n’est plus significatif sur le plan statistique). Dans l’échantillon de l’ELIA, la taille de l’échantillon a augmenté pour passer de 827 à 1 008 observations, l’écart dans la participation au REEE a légèrement rétréci, passant de 45,1 points de pourcentage à 44,1 points de pourcentage, et les coefficients sur les notes en littératie et en numératie ont encore diminué et sont restés non significatifs sur le plan statistique.

8 Conclusion

Des études postsecondaires sont souvent l’investissement professionnel le plus important que font les jeunes. Cependant, le nombre d’inscriptions n’est pas réparti équitablement parmi les niveaux de revenu, et le fait de disposer d’épargnes pour payer les études pourrait être un facteur important lié à l’inscription. Pour inciter les parents à économiser en prévision des études de leurs enfants, le gouvernement du Canada offre divers incitatifs financiers pour cotiser à un régime enregistré d’épargne-études (REEE).

Selon les recherches antérieures, les taux d’inscription aux études postsecondaires sont en général plus élevés chez les jeunes ayant accès à des fonds du REEE. Alors que la proportion de parents qui ouvrent des comptes de REEE pour leurs enfants a augmenté graduellement avec le temps, elle demeure plus de deux fois plus élevée chez les parents ayant un revenu élevé que chez les parents à faible revenu. Les recherches antérieures ont aussi révélé que le patrimoine financier est le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le niveau de revenu de la famille (parmi les facteurs qui pouvaient être examinés). Le niveau de scolarité des parents avait aussi une importance, mais moindre que le patrimoine financier.

La présente étude vise à déterminer si l’écart dans la participation au REEE est touché non seulement par le patrimoine financier et l’éducation, mais aussi par les différences dans les niveaux de littératie et de numératie et de littératie financière entre les parents à revenu élevé et les parents à faible revenu.

Les résultats laissent supposer que les différences dans le patrimoine financier demeurent le facteur le plus important à l’origine de l’écart dans la participation au REEE selon le revenu familial, même après avoir tenu compte des différences de scolarité et de littératie, de numératie et de littératie financière des parents. En fait, les différences dans le patrimoine financier représentaient de 50 % à 79 % de l’écart total dans la participation au REEE entre les familles du quartile supérieur et du quartile inférieur de revenu, selon la méthode et l’ensemble de données utilisées. Les différences dans la littératie financière représentaient une part modeste de l’écart dans la participation au REEE (entre 13 % et 19 %), tandis que les différences dans la littératie et la numératie jouaient de plus petits rôles, non significatifs sur le plan statistique.

Il est important de noter que la mesure de la littératie financière utilisée dans la présente étude est principalement fondée sur les connaissances financières. Cependant, une définition plus complète de la littératie financière comprendrait aussi les attitudes et le comportement (p. ex. OCDE, 2016a). Dans la mesure où ces composantes supplémentaires pourraient être fortement corrélées avec le patrimoine financier, il est aussi possible que leur incidence sur la participation au REEE soit saisie par le patrimoine financier. La présente étude montre qu’il existe peu de preuves selon lesquelles les différences dans le taux de participation au REEE parmi la répartition du revenu sont principalement liées aux différences dans les connaissances financières, ou aux différences dans la littératie et la numératie.

La présente étude permet d’éclairer une question très précise : « Dans quelle mesure l’écart dans la participation au REEE entre les parents ayant un revenu élevé et les parents ayant un faible revenu pourrait-il être comblé si les parents à faible revenu avaient des niveaux de littératie, de numératie et de littératie financière plus élevés, toutes autres choses étant égales?» À ce titre, elle prend l’éducation, le patrimoine financier et effectivement, la situation de faible revenu des parents tels qu’ils sont indiqués. Si des données adéquates étaient disponibles, une autre question d’intérêt pourrait être la suivante : « Dans quelle mesure l’augmentation de la littératie, de la numératie et de la littératie financière tôt dans la vie d’une personne peut-elle mener à une probabilité accrue d’ouvrir un compte de REEE dans l’avenir, tant directement qu’indirectement (par le biais de meilleurs résultats scolaires, d’un revenu plus élevé et d’une plus grande accumulation de patrimoine financier)?» Une avenue utile pour les futures recherches serait d’aborder cette question.

La pandémie de COVID-19 soulève d’autres questions. De quelle façon la participation au REEE et le niveau de cotisation au REEE changeront-ils au cours des mois et des années à venir? L’écart de participation au REEE entre les familles à revenu élevé et à revenu faible pourrait-il s’élargir? À court terme, le solde du REEE des étudiants actuels et potentiels pourrait diminuer en raison de l’affaiblissement du marché boursier, en fonction du type d’investissement détenu dans le compte. Les étudiants de familles à revenu élevé ont, en termes absolus, plus à perdre, leurs soldes de REEE étant en moyenne plus élevés que ceux des étudiants de familles à faible revenu (Frenette, 2017b). Les étudiants du niveau postsecondaire actuels et potentiels provenant de familles à faible revenu pourraient se trouver dans une situation financière particulièrement difficile dans les temps qui viendront. La majorité d’entre eux n’ont pas d’avoirs en REEE. Un grand nombre d’entre eux pourraient aussi avoir moins de perspectives d’emploi pour financer leurs études au cours des prochains mois (Frenette, Messacar et Handler, 2020). Ils pourraient aussi recevoir moins de soutien financier de leurs parents ou d’autres membres de leur famille si ces derniers ont eux aussi subi une perte de revenu en raison de la pandémie de COVID-19 et ont peu d’économies sur lesquelles se rabattre. Des jeunes pourraient donc décider de reporter leurs études postsecondaires ou d’y renoncer entièrement.

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