Aperçus économiques
Sélection des immigrants en deux étapes : examen des avantages et des défis potentiels

Eden Crossman, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
Feng Hou, Statistique Canada
Garnett Picot,
Réfugiés et Citoyenneté Canada
11-626-X no 111

Dans le cadre d’un processus de sélection des immigrants en deux étapes, les travailleurs étrangers temporaires sont d’abord sélectionnés par les employeurs pour pourvoir des emplois temporaires, puis certains travailleurs étrangers temporaires qualifiés deviennent ensuite des immigrants économiques. Les détails de ce processus de sélection varient selon les pays. Aux États-Unis, par exemple, les travailleurs temporaires sont généralement parrainés par les employeurs dans leur demande de résidence permanente. Au Canada, le gouvernement sélectionne les résidents temporaires pour la résidence permanente selon un ensemble de critères en grande partie relatifs au capital humain; même si les employeurs peuvent jouer un rôle dans certaines voies de sélection. Vu de façon générique, ce processus en deux étapes présente à la fois des avantages et des risques. Le présent article offre un aperçu de ces avantages et risques potentiels.

Il s’agit du premier de cinq articles sur le processus de sélection en deux étapes.

Introduction

Au Canada, comme dans de nombreux autres pays occidentaux, les travailleurs étrangers temporaires sont devenus un bassin important au sein duquel sont sélectionnés les immigrants permanents. En 2018, près de la moitié des immigrants économiques provenaient de cette source. La sélection d’immigrants économiques parmi d’anciens travailleurs étrangers temporaires constitue essentiellement un processus de « migration en deux étapes ». Dans le cadre de ce processus, les migrants qualifiés obtiennent d’abord leur statut de résident temporaire en vue de travailler ou d’étudier. Leurs compétences et leur formation sont évaluées par les employeurs canadiens lors de cette recherche d’emploi, puis vérifiées au cours de l’emploi. Les résidents temporaires demandent ensuite leur résidence permanente et sont sélectionnés selon des critères définis dans les programmes provinciaux ou fédéraux relatifs aux immigrants économiques. L’expérience d’emploi et/ou d’étude dans le pays de destination en tant que résident temporaire renforce souvent les qualités requises pour obtenir la résidence permanente en tant qu’immigrant économique et est considérée comme un signe de compétences pertinentes et demandées sur le marché de l’emploi.

Un rôle accru des employeurs dans le processus de sélection est une caractéristique clé de la tendance vers une immigration en deux étapes. Le rôle que jouent les employeurs peut cependant varier considérablement selon le système. Il existe une différence notable entre la sélection par l’employeur aux États-Unis et la sélection en deux étapes au Canada. Dans les deux pays, les employeurs effectuent la sélection en recrutant et conservant en poste des travailleurs étrangers temporaires. Cependant, alors que les employeurs états-uniens parrainent en outre les travailleurs étrangers temporaires dans leur demande de résidence permanente (au moyen d’une offre d’emploi), les employeurs canadiens ne jouent généralement pas de rôle direct dans la deuxième étape. L’immigration fondée sur l’emploi aux États-Unis fonctionne principalement par le parrainage offert par les employeurs. Le mécanisme de sélection comprend généralement deux étapes. Tout d’abord, les employeurs états-uniens recrutent les travailleurs étrangers qualifiés au moyen de visas de travail temporaires (p. ex., visa H-1B); ensuite, ces travailleurs peuvent obtenir leur résidence permanente par parrainage de l’employeur. Au Canada, les travailleurs temporaires souhaitant cette transition doivent tout de même passer par le système de points, même si les employeurs jouent tout de même un grand rôle dans la sélection de certains travailleurs qualifiés, comme ceux admis dans les Programmes des candidats des provincesNote .

Étant donnée la tendance vers l’immigration en deux étapes, il est impératif de surveiller et de mieux comprendre les conséquences en matière de situation des immigrants sur le marché du travail labour et de répercussions au Canada. Le présent article est le premier d’une série en cinq parties fournissant un vaste aperçu de l’importance croissante des travailleurs étrangers temporaires dans la sélection et la situation sur le marché du travail des nouveaux immigrants au Canada. Le présent article examine par conséquent la documentation existante relative aux avantages et aux risques potentiels d’une sélection d’immigrants en deux étapes, comme elle a lieu dans plusieurs pays, notamment le Canada. Les quatre autres articles porteront sur les sujets suivants :

Avantages de la sélection des immigrants en deux étapes

Il a été argumenté que le processus de migration en deux étapes combinait les caractéristiques bénéfiques des systèmes de sélection axés sur la demande (fondés sur les employeurs) et de ceux axés sur les points (fondés sur le capital humain), dans le but d’améliorer la situation des immigrants, des employeurs, de la société et de l’économie (p. ex., Papademetriou et Hooper 2019; Hawthorne 2010). Selon cette approche de la migration, le pays de destination a ainsi l’occasion de « mettre à l’essai » les migrants potentiels avant de leur permettre de rester de façon permanente, alors que les migrants ont l’occasion similaire de faire l’expérience de la vie dans le pays de destination avant de prendre la décision de s’y installer de façon permanente (Spinks 2016). L’évolution du processus de migration jusqu’à ce stade dans plusieurs pays, notamment le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, a été jugée comme étant un progrès du système de migration (p. ex., Papademetriou et Hooper 2019; Spinks 2016; Hawthorne 2010).

Les principales raisons citées comme des améliorations sont la meilleure intégration au marché du travail des immigrants ayant une expérience temporaire antérieure dans le pays de destination. Des recherches empiriques concluent généralement que les immigrants ayant une expérience temporaire antérieure dans le pays de destination enregistrent un taux d’emploi et des gains initiaux supérieurs à ceux d’immigrants sans une telle expérience (p. ex., Boucher et Davidson 2019; Gregory 2014; Hawthorne 2015; Hou et Picot 2016; Papademetriou et Hooper 2019; Sweetman et Warman 2014). Certaines études suggèrent que ces avantages relatifs au marché du travail peuvent persister à long terme (Hou et Bonikowska 2018).

Les immigrants ayant eu une expérience de travail antérieure pendant leur résidence temporaire ne rencontrent probablement pas les mêmes difficultés de transférabilité de leur capital humain que les migrants sans expérience locale antérieure, car leurs compétences ont déjà été reconnues dans le pays de destination par au moins un employeur (Ferrer, Picot, et Riddell 2014). Des liens antérieurs avec des employeurs et des établissements d’enseignement du pays accroissent la probabilité de la reconnaissance de l’expérience professionnelle à l’étranger et des titres scolaires des immigrants. De plus, un immigrant ayant une expérience temporaire antérieure aura vraisemblablement travaillé et/ou étudié dans la langue officielle du pays et, par conséquent, n’aura pas à surmonter d’obstacles linguistiques significatifs (Papademetriou et Hooper 2019).

Sans doute l’un des aspects les plus importants d’un système au moins partiellement axé sur la demande est qu’il facilite une meilleure correspondance entre les emplois et les compétences qu’un processus de migration en une étape (Mares 2017). La capacité des employeurs de pouvoir recruter en fonction de leurs besoins particuliers (et de façon rapide) est un aspect essentiel de productivité. Lorsque les employeurs peuvent trouver des ressources de travail adéquates et lorsque les compétences des employés correspondent à leur emploi, les ressources sont alors utilisées de façon plus efficace (les effets sur la productivité de l’inadéquation des compétences sont une perte de potentiel de travail du fait d’une réattribution inefficace des ressources). Une correspondance étroite entre les emplois et les compétences est avantageuse, car la productivité et les rémunérations sont supérieures lorsque les travailleurs peuvent réellement appliquer leur expérience et leurs compétences acquises par l’enseignement. De plus, dans le cadre du processus de migration en deux étapes, non seulement les compétences se sont déjà avérées pertinentes sur le marché de l’emploi hôte, mais le risque d’atrophie des compétences est également moindre si un migrant temporaire travaille dans le pays pendant sa demande de résidence permanente.

Les immigrants ayant une expérience précédente réussie dans des milieux de travail et des établissements d’enseignement du pays hôte peuvent s’être constitué un réseau social et des compétences interpersonnelles pertinents, telles que l’aptitude à bien communiquer avec d’autres personnes et à travailler en équipe. Toute familiarité avec des milieux de travail et des établissements d’enseignement dans le pays hôte peut être un avantage pour la situation future, par rapport aux immigrants n’ayant pas une telle expérience. Les aptitudes interpersonnelles des immigrants jouent souvent un rôle important dans la décision d’embauche des employeurs (Boucher et Davidson 2019). Papademetriou, Benton et Hooper (2019) suggèrent que les voies parrainées par un employeur, en particulier des voies menant d’un statut de travailleur temporaire à celui de résident permanent qui permettent aux employeurs de mettre les travailleurs à l’essai et aux travailleurs de démontrer leur adaptabilité au marché de l’emploi local, sont bien placées pour mesurer ces caractéristiques.

L’un des attraits du processus de migration en deux étapes est son potentiel intrinsèque de faciliter le recrutement et la rétention de travailleurs immigrants, en vue d’accroître la population et de développer la main-d’œuvre dans des régions en dehors des grandes villes métropolitaines. Les voies temporaires proposent davantage de possibilités de stipuler certaines conditions, comme le lieu où les travailleurs étrangers temporaires peuvent s’établir et pour combien de temps. Les programmes d’immigration régionaux sont souvent axés sur les voies menant d’un statut de travailleur temporaire à celui de résident permanent, en définissant initialement des paramètres relatifs à l’endroit où un migrant peut s’installer et travailler, et en les encourageant à s’établir plutôt que de déménager vers des villes plus cosmopolites (même si, une fois la période expirée, ils sont libres de s’installer ailleurs) (Papademetriou, Benton et Hooper 2019). L’aspect de parrainage par l’employeur des visas temporaires signifie de plus que de nombreux migrants comblent ainsi un besoin particulier du marché du travail régional. Cela peut contribuer à la stabilité et à la croissance économiques de ces collectivités. Le processus de migration en deux étapes offre ainsi l’occasion de contribuer à la satisfaction des besoins régionaux en matière de population et de marché de l’emploi.

Le secteur des entreprises plaide souvent que le processus de migration en deux étapes peut améliorer la compétitivité mondiale d’une entreprise en attirant les meilleurs talents. Les entreprises aiment disposer d’une voie claire menant du statut de résident temporaire à celui de résident permanent lorsqu’elles cherchent à engager des talents étrangers et peuvent ainsi encourager ces derniers à s’établir (et à demeurer) dans le pays hôte. L’accès à la résidence permanente et, au cours du temps, à la citoyenneté et aux droits associés à ces statuts (comme le regroupement familial et l’accès aux services de santé, à l’enseignement et à la formation) font tous partie des calculs déterminant où les immigrants décident de se rendre et de s’établir (Papademetriou, Benton et Hooper 2019).

Plus généralement, le processus de migration en deux étapes est souvent présenté comme promouvant un processus d’intégration des migrants facilité et, donc, contribuant à la cohésion sociale. Les résidents temporaires ont démontré leur capacité à s’établir, en particulier ceux ayant une offre d’emploi qualifié; ce qui donne lieu à une transition plus facile en tant au statut de résident permanent. En fournissant une voie claire menant à la résidence permanente, le processus de migration en deux étapes peut réduire l’incertitude des employeurs et des immigrants, en encourageant les immigrants à investir dans leur intégration, en associant l’admissibilité à la résidence permanente et au maintien de l’emploi, par exemple, en développant leurs aptitudes linguistiques, en s’intégrant sur le plan social ou en vue d’autres priorités (comme payer des impôts) (Papademetriou, Benton et Hooper 2019).

Il est important de noter que les résidents temporaires forment généralement un groupe hétérogène en termes de compétences. La situation économique initiale varie de façon significative entre différents groupes de travailleurs étrangers temporaires. Des études de Hou et Bonikowska (2018) fondées sur des données canadiennes révèlent que d’anciens résidents temporaires ayant eu des permis de travail pour des emplois spécialisés enregistraient des revenus initiaux bien supérieurs à ceux d’immigrants sans expérience canadienne antérieure. En revanche, d’anciens résidents temporaires ayant eu des permis de travail pour des emplois non spécialisés enregistraient des revenus initiaux significativement inférieurs à ceux d’immigrants sans expérience canadienne antérieure.

Risques potentiels de la sélection des immigrants en deux étapes

Des risques sont cependant également associés au processus d’immigration en deux étapes. Un aspect important est lié au potentiel d’exploitation des travailleurs. Les travailleurs temporaires peuvent être placés dans une situation vulnérable, lorsqu’ils sont liés à un employeur et en sont dépendants pour conserver l’emploi pouvant les rendre admissibles à la résidence permanente ou leur fournir les moyens de devenir résidents permanents (selon la façon dont le système de sélection est établi). Des travailleurs temporaires pourraient tolérer d’être sous-payés, de travailler un nombre d’heures excessif et dans des conditions dangereuses par peur de mécontenter un employeur jouant un rôle majeur dans leur parcours vers la résidence permanente (Mares 2017). Aux États-Unis, Lowell et Avato (2014) argumentent que des dispositions légales stipulant que les employeurs doivent offrir une rémunération courante ne garantissent pas qu’ils le fassent; révélant que des travailleurs temporaires (détenant des visas H-1B) gagnent significativement moins en moyenne que des travailleurs nés dans le pays. De plus, dans un système à l’initiative de l’employeur, les migrants peuvent être sélectionnés moins pour leur capacité à contribuer aux secteurs clés connaissant une pénurie de compétences ou les besoins en capital humain à long terme, qu’en fonction de caractéristiques comportementales, comme leur conformité potentielle, accroissant encore le risque d’exploitation (Boucher et Davidson 2019).

Plusieurs études ont relevé une « tension » associée au processus de migration en deux étapes relativement à la nature non plafonnée de la source de migration temporaire par rapport à celle plafonnée de la source de migration permanente. En faisant référence au contexte australien, Gregory (2014) décrit le système d’attribution de visas s’accompagnant d’un droit de travail pour les migrants temporaires comme étant « privatisé et non plafonné »; les établissements d’enseignement choisissent ainsi le nombre d’étudiants internationaux payant des frais et les entreprises choisissent le nombre de migrants employés temporairement, alors que l’attribution des visas permanents est, elle, dirigée et plafonnée par le gouvernement. Gregory suggère que ce système entraîne des tensions ayant des conséquences politiques et économiques, qui deviendraient de plus en plus importantes à mesure que le bassin de migrants temporaires augmenterait (système non plafonné) et si le gouvernement décidait de réduire l’accueil d’immigrants permanents (système plafonné).

Les programmes d’autorisations temporaires non plafonnées peuvent présenter le risque d’être davantage utilisées comme moyen d’arriver à une fin (p. ex., la résidence permanente) que pour les objectifs visés. Gregory (2014) argumente qu’une caractéristique d’un système de migration en deux étapes est la création d’un vaste bassin de migrants temporaires ayant le droit de travailler, mais qui n’acquerront pas tous ensuite le statut de résident permanent. Si la taille des programmes de travailleurs étrangers temporaires augmente parce qu’ils sont utilisés comme voie d’obtention de la résidence permanente, l’aspect de qualité des compétences du bassin de résidents temporaires pourrait se trouver dilué. Gross (2014) suggère que des admissions de travailleurs étrangers temporaires non plafonnées peuvent influer de façon négative sur les efforts des employeurs à pourvoir les postes vacants sur le marché de l’emploi et des travailleurs à trouver ces emplois. En d’autres termes, il devient plus difficile pour tous les acteurs de déceler les forces de marché de l’offre et de la demande.

Accroître le nombre de travailleurs obtenant un visa de travail temporaire peut entraîner des complications, comme le potentiel de déplacement des travailleurs du pays et une pression entraînant la diminution des salaires des travailleurs du pays. Il a été montré qu’un accès accru à un bassin de travailleurs temporaires accroissait le taux de chômage des travailleurs canadiens (p. ex., Gross 2014). En Australie, Boucher et Davidson (2019) argumentent que se fier indûment aux visas de travail pendant des vacances (Working Holiday Maker) a entraîné une évasion des salaires parmi les employeurs et a permis aux employeurs et au gouvernement de ne pas prendre de mesures actives pour résoudre les pénuries de main-d’œuvre intérieures en offrant des salaires supérieurs ou en accroissant les occasions de formation professionnelle aux fins de perfectionnement des travailleurs du pays. Même s’ils admettent qu’il est difficile de prouver un lien causal, ces auteurs soulignent également le problème d’une éventuelle relation entre une hausse de la main-d’œuvre temporaire et l’exode des travailleurs locaux des régions agricoles australiennes. Des compromis devraient être envisagés quant à l’augmentation du nombre de travailleurs étrangers temporaires et à la création d’un bassin de sélection plus important aux fins de résidence permanente (Hou et Picot 2016).

Parallèlement, combler les pénuries du marché du travail avec des résidents temporaires en offrant une voie de transition vers la résidence permanente accroît le risque de négliger les travailleurs du pays et le perfectionnement de leurs compétences (p. ex., en veillant à résoudre à long terme les pénuries par des politiques et des programmes intérieurs d’enseignement et de formation professionnelle). Lorsque les pénuries du marché du travail sont comblées par une main-d’œuvre étrangère temporaire, les forces du marché intérieur peuvent ne pas être en mesure d’envoyer des signaux adéquats de besoin d’ajustements permettant de régler les pénuries par des mesures intérieures. De telles forces du marché comprennent les signaux des prix (p. ex., les salaires) pour les travailleurs, employeurs et établissements d’enseignement du pays quant à la nature, à l’emplacement et à la disponibilité des emplois, ainsi qu’aux besoins en formation. Une approche de réponse à la demande en main-d’œuvre reposant trop fortement sur l’immigration réduit la motivation des employeurs et des décideurs politiques à renforcer les systèmes d’éducation et de formation en vue de développer et de mettre à jour la base de compétences et l’employabilité de la population dans son ensemble (Papademetriou, Benton et Hooper 2019).

Une autre préoccupation courante relative au processus de migration en deux étages est que les besoins du marché du travail à court terme sont satisfaits aux dépens des besoins à long terme. Boucher et Davidson (2019) argumentent qu’à mesure que le système est de plus en plus à l’initiative des employeurs, le pouvoir de sélection peut risquer de passer du gouvernement aux entreprises et employeurs individuels. La sélection de nouveaux immigrants peut alors finir par donner la priorité à une demande à court terme (dans l’intérêt des employeurs et des entreprises individuels) au détriment de la compétitivité à plus long terme et au développement du capital humain (qui est la responsabilité du gouvernement). En d’autres termes, les visas de travail temporaires peuvent être utilisés pour combler des pénuries de compétences à court terme ou des postes vacants immédiats associés à un roulement de personnel plutôt qu’à des pénuries. Cela peut entraîner le risque que les personnes occupant ces emplois obtiennent la résidence permanente, en l’absence d’une demande à long terme ou d’une pénurie de compétences dans ces professions (Bedford et Spoonley 2014).

De façon similaire, Papademetriou et Hooper (2019) argumentent qu’alors que les programmes de parrainage par les employeurs sont un outil efficace pour pourvoir des postes vacants, ils ne sont pas efficaces pour répondre aux besoins à plus long terme du marché du travail et de l’économie dans son ensemble. Selon ces auteurs, le défi est pour les gouvernements de veiller à répondre aux besoins actuels en main-d’œuvre et en compétences, sans ignorer les travailleurs qualifiés qui deviendront encore plus précieux à moyen et à long termes; en d’autres mots, en sélectionnant des immigrants ayant les capacités de s’adapter à des marchés de l’emploi évoluant rapidement et qui peuvent réussir même si leurs premiers emplois obtenus après leur immigration disparaissent.

Résumé

Les expériences canadiennes et internationales suggèrent qu’une sélection d’immigrants en deux étapes peut présenter des avantages significatifs par rapport à une sélection directe d’immigrants économiques à l’étranger. Les immigrants qui font l’objet d’une sélection en deux étapes tendent à enregistrer des taux d’emploi et des revenus initiaux supérieurs à ceux des immigrants n’ayant pas eu d’expérience professionnelle sur le marché du travail du pays de destination. Cet avantage persiste probablement également à plus long terme, même si les recherches à ce sujet ne sont pas définitives. Une sélection en deux étapes peut améliorer la correspondance entre les compétences des immigrants et la demande du marché de l’emploi, car les employeurs peuvent directement évaluer les compétences et les qualités intangibles des travailleurs étrangers temporaires, alors que ces derniers peuvent faire l’expérience de la vie dans le pays de destination avant de décider s’ils désirent demander la résidence permanente. Les immigrants ayant de bons résultats comme travailleurs étrangers temporaires ne rencontrent probablement pas les mêmes difficultés de transférabilité de leur capital humain que les immigrants sans expérience dans le pays de destination. Le processus d’immigration en deux étapes peut ainsi être une voie efficace pour combler les besoins de main d’œuvre particuliers d’un marché régional et contribuer au développement économique et à la croissance démographique des collectivités locales en dehors des principales zones métropolitaines.

Accorder aux employeurs un rôle prédominant dans le processus d’immigration en deux étapes présente le risque que les travailleurs étrangers temporaires puissent subir de mauvaises conditions de travail, notamment en termes de sous-rémunération, d’heures de travail excessives et de lieux de travail dangereux. Un important bassin de travailleurs étrangers temporaires peut entraîner des complications, comme un éventuel déplacement des travailleurs du pays et une pression pouvant mener à la diminution des salaires de ces derniers. Le fait de compter sur les résidents temporaires disposant d’une voie d’obtention de la résidence permanente peut réduire la motivation des employeurs et des gouvernements à renforcer les systèmes d’éducation et de formation des travailleurs du pays. Plus important encore, les employeurs à la recherche d’une main d’œuvre bon marché peuvent privilégier la demande à court terme plutôt que la compétitivité à plus long terme; les programmes de parrainage par les employeurs ne sont alors pas efficaces pour répondre aux besoins à long terme du marché du travail et de l’économie dans son ensemble.

Certains risques potentiels associés à la dépendance à l’égard des travailleurs étrangers temporaires sont exacerbés au cours de l’actuelle pandémie de COVID-19. Par exemple, les secteurs des cultures agricoles et de l’horticulture, au sein desquels les travailleurs agricoles étrangers saisonniers représentaient plus du cinquième de la main-d’œuvre ces dernières années, sont confrontés à une grave incertitude, car l’afflux de travailleurs étrangers temporaires est perturbé du fait des restrictions des déplacements dans certains pays sources et de l’exigence d’une quarantaine obligatoire de 14 jours à leur arrivée (Lu 2020). En d’autres termes, le recours établi aux travailleurs étrangers temporaires dans ces secteurs pourrait finalement mettre à l’épreuve la stabilité de la chaîne d’approvisionnement alimentaire du Canada par le biais de pénuries de main-d’œuvre et de pertes de récoltes. Parallèlement, certains travailleurs étrangers temporaires continuent à travailler en première ligne de la pandémie de COVID-19, dans des usines de transformation de la viande ou en tant qu’aidants, aides-infirmiers et agents de la sécurité. Alors qu’ils assument des postes essentiels dans le cadre des mesures d’intervention de la société face à la pandémie, ils se mettent en danger en s’exposant à l’infection virale. Les travailleurs étrangers temporaires sont en outre surreprésentés dans certaines industries durement touchées, notamment les services d’hébergement et de restauration ainsi que les services personnels et auprès de ménages privés. La fermeture d’entreprises ou les activités limitées de ces secteurs ont entraîné des licenciements massifs ou des réductions des heures travaillées parmi les travailleurs étrangers temporaires.

Par rapport au système états-unien de sélection des immigrants économiques parrainés par les employeurs, le processus canadien de sélection en deux étapes limite le rôle des employeurs à la première étape (la sélection des travailleurs étrangers temporaires pour leur placement initial), tout en maintenant le contrôle du gouvernement sur la deuxième étape (la sélection des immigrants économiques parmi les travailleurs étrangers temporaires). Dans ce sens, le système canadien est doté d’un mécanisme intrinsèque atténuant certains des risques potentiels associés à la sélection par les employeurs.

Références

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