Aperçus économiques
L’évolution de la situation de l’emploi, 1981 à 2019

Alors que la COVID-19 pourrait changer le marché du travail d’une façon encore inconnue, il importe de donner une perspective à long terme de l’évolution des emplois au cours des quatre dernières décennies, avant la pandémie.

Les emplois d’aujourd’hui sont différents de ceux du passé à plusieurs égards. En premier lieu, la composition industrielle de l’emploi au Canada a considérablement changé au cours des quatre dernières décennies. En 2019, environ un employé canadien âgé de 17 à 64 ans sur dix travaillait dans le secteur de la fabrication, en baisse par rapport à environ un sur cinq en 1981 (graphique 1). En revanche, proportionnellement plus de travailleurs rémunérés travaillaient dans les services professionnels, scientifiques et techniques ainsi que dans les services d’enseignement,les soins de santé et l’assistance sociale en 2019, comparativement à 1981.

La diminution de l’importance de l’emploi dans le secteur de la fabrication a été plus prononcée chez les jeunes hommes (ceux âgés de 25 à 34 ans) et chez les hommes d’âge intermédiaire (ceux âgés de 35 à 54 ans) que chez les femmes du même âge. Par exemple, la part de la fabrication dans l’emploi rémunéré global des jeunes hommes a diminué d’environ 14 points de pourcentage de 1981 à 2019, ce qui représente le double de la baisse de 7 points de pourcentage observée chez les jeunes femmes (tableau 1)^Note .

Les emplois dans les services d’enseignement, les soins de santé et l’assistance sociale sont devenus relativement plus importants chez les jeunes femmes et les femmes d’âge intermédiaire, mais pas chez les hommes. Ce secteur employait 38 % des femmes d’âge intermédiaire en 2019, en hausse par rapport au taux de 31 % observé en 1981. En revanche, la proportion grandissante des emplois dans les services professionnels, scientifiques et techniques est évidente chez les deux sexes et les deux groupes d’âge.

Il convient aussi de souligner d’autres changements. Les jeunes hommes étaient plus susceptibles de travailler dans le secteur de la construction, le commerce de détail et les services d’hébergement et de restauration en 2019 qu’ils l’étaient en 1981. Cependant, proportionnellement moins de jeunes hommes avaient un emploi dans l’administration publique en 2019. À l’inverse, les femmes d’âge intermédiaire ont accru leur présence dans l’administration publique au cours des quatre dernières décennies.

Compte tenu de l’automatisation attribuable à l’introduction des technologies informatiques, la part de l’emploi total de certaines professions a diminué de façon importante. À titre d’exemple, 7 % des femmes âgées de 17 à 64 ans faisaient partie du personnel de soutien de bureau (travail de bureau) en 2019, en baisse par rapport à 13 % en 1989 (graphique 2). Toutefois, l’introduction des technologies informatiques a aussi entraîné la création de nouveaux emplois. En 2019, 6 % des hommes avaient un emploi lié à l’informatique, en hausse comparativement à 2 % en 1989^Note .

En plus de l’évolution des technologies, de l’intensité de la concurrence des entreprises et du commerce international, les changements dans la composition industrielle ont entraîné des changements dans plusieurs caractéristiques des emplois. Dans l’ensemble, les emplois étaient moins susceptibles d’être à temps plein, permanents, syndiqués ou assortis d’une adhésion à un régime de pension agréé (RPA) en 2019 qu’ils l’étaient au début des années 1980^Note . À titre d’exemple, le pourcentage des emplois syndiqués est passé de 38 % en 1981 à 29 % en 2019 (tableau 2).

Ces changements n’ont pas été uniformes chez les hommes et chez les femmes. Si proportionnellement moins d’employés masculins avaient un emploi à temps plein, un emploi permanent, un emploi syndiqué ou un emploi assorti d’une adhésion à un RPA en 2019 comparativement à 1981, le pourcentage des employés féminins ayant un emploi à temps plein ou un emploi syndiqué était assez semblable à celui observé en 1981. L’adhésion des femmes à un RPA a plutôt augmenté au cours des quatre dernières décennies. Cette augmentation était en partie attribuable à la présence grandissante des femmes ayant un emploi bien rémunéré et travaillant dans les services d’enseignement, les soins de santé et l’assistance sociale, qui ont dans les deux cas tendance à avoir des taux d’adhésion relativement élevés à un régime de pension.

En outre, si le pourcentage des hommes ayant accès à un RPA à prestations déterminées a diminué de 26 points de pourcentage de 1981 à la fin des années 2010, le pourcentage des femmes ayant accès à un tel régime a diminué de seulement 4 points. Par conséquent, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’avoir accès à un tel régime au cours des dernières années. En 2017, 29 % des femmes et 21 % des hommes avaient accès à un RPA à prestations déterminées (tableau 2).

Les changements observés dans les caractéristiques de l’emploi n’ont pas non plus été uniformes chez les jeunes travailleurs et chez les travailleurs âgés.

Premièrement, les taux de rémunération ont divergé dans les différents groupes d’âge^Note . Si les salaires horaires réels médians des hommes d’âge intermédiaire employés à temps plein ont augmenté de 13 % de 1981 à 2019, ceux des jeunes hommes étaient pratiquement les mêmes en 1981 et en 2019 (tableau 3)^Note . De même, les salaires horaires réels médians des femmes d’âge intermédiaire employées à temps plein ont augmenté de 38 % de 1981 à 2019, ce qui correspond à près de deux fois l’augmentation de 20 % observée chez leurs homologues âgés de 25 à 34 ans.

Deuxièmement, le pourcentage des employés qui avaient un emploi permanent à temps plein a suivi des trajectoires différentes chez différents groupes de travailleurs. À titre d’exemple, il est passé de 78 % en 1989 à 75 % en 2019 chez les jeunes femmes, mais il a augmenté (passant de 74 % à 79 %) chez les femmes d’âge intermédiaire.

Troisièmement, les taux de syndicalisation ont divergé pendant la période allant de 1981 à 2019^Note . Le pourcentage des employés qui avaient un emploi syndiqué a diminué d’au moins 16 points de pourcentage chez les jeunes hommes et les hommes d’âge intermédiaire; il est demeuré assez stable chez les femmes d’âge intermédiaire (environ 35 %), et il a diminué de façon modérée seulement chez les jeunes femmes^Note .

Les changements documentés ci-dessus sont survenus parallèlement à des changements dans les conditions de travail. Grâce aux applications informatiques qui relient les travailleurs à des offres d’emploi sur Internet, le travail à la demande est apparu comme nouvelle forme d’emploi. Les travailleurs à la demande sont habituellement des entrepreneurs indépendants embauchés pour occuper un emploi à court terme. Contrairement aux employés, les travailleurs à la demande n’ont habituellement pas de relation employeur-employé. Ils regroupent des pigistes hautement qualifiés ainsi que des travailleurs à la demande embauchés pour occuper un emploi par l’intermédiaire d’un nombre croissant de plateformes en ligne.

Une étude récente de Statistique Canada (Jeon, Lu et Ostrovsky, 2019) révèle que le pourcentage des travailleurs (employés et travailleurs autonomes) qui font du travail à la demande est passé de 5,5 % en 2005 à 8,2 % en 2016. Cette augmentation a été observée chez les hommes et chez les femmes (graphique 3) et était attribuable à la hausse du pourcentage des travailleurs qui avaient seulement un revenu provenant du travail à la demande et des travailleurs qui ont combiné le travail à la demande et des salaires et traitements.

L’étude révèle également que le travail à la demande était associé à un roulement élevé des travailleurs : environ la moitié des personnes qui ont fait du travail à la demande au cours d’une année donnée n’ont pas fait de travail à la demande l’année suivante. La part des travailleurs à la demande était la plus grande chez les travailleurs dont la profession principale était dans le secteur des arts, des spectacles et des loisirs.

Les nombreux changements observés dans le marché du travail canadien au cours des quatre dernières décennies soulèvent la question suivante : comment se compare maintenant la qualité des emplois chez les différents travailleurs?

Une étude de Statistique Canada (Chen et Mehdi, 2018) utilise l’Enquête sociale générale de 2016 pour répondre à cette question. Les auteurs révèlent que ce ne sont pas tous les travailleurs qui sont représentés de façon égale dans les emplois de grande qualité. À titre d’exemple, les travailleurs détenant un diplôme d’études secondaires ou ayant un niveau de scolarité inférieur étaient plus susceptibles que les autres travailleurs d’occuper un emploi assorti d’un horaire de travail moins flexible, d’une autonomie moindre et de très peu de possibilités de formation et d’avantages sociaux. De même, les jeunes travailleurs étaient plus susceptibles que les travailleurs âgés d’occuper un emploi imposant un horaire de travail non volontaire et irrégulier. Néanmoins, les jeunes travailleurs s’en sont relativement bien sortis en ce qui concerne la charge de travail gérable et l’accès à des formations informelles.

Plusieurs questions demeurent sans réponse. Une question importante se rapporte à la mesure dans laquelle les progrès réalisés en intelligence artificielle et en robotique auront une incidence sur le nombre total d’emplois et le contenu des tâches connexes dans les prochaines années. Une hypothèse plausible est que la pandémie de COVID-19 pourrait accélérer l’automatisation de certaines tâches. De même, la pandémie de COVID-19 pourrait entraîner une augmentation permanente des taux de télétravail et, de façon plus générale, des changements dans les conditions de travail (p. ex. le travail par quarts, la configuration des locaux à bureaux) facilitant l’éloignement physique. Les études futures devraient tenter de répondre à ces questions.

Références

Chen, W.-H. et T. Mehdi. 2018. Évaluation de la qualité des emplois au Canada : une approche multidimensionnelle. Direction des études analytiques : documents de recherche, n° 412. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Frenette, M. et K. Frank. 2020. Automatisation et transformation des emplois au Canada : qui est vulnérable? Direction des études analytiques : documents de recherche. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada. À paraître.

Jeon, S.-H., H. Lu et Y. Ostrovsky. 2019. Mesurer l’économie à la demande au Canada au moyen des données administratives. Direction des études analytiques : documents de recherche, n° 437. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Morissette, R. 2018a. Caractéristiques changeantes des emplois au Canada, de 1981 à 2018. Aperçus économiques, no 86. Produit no 11-626-X au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Morissette, R. 2018b. Les salaires des jeunes travailleurs jusqu’à l’âge de 40 ans. Direction des études analytiques : documents de recherche, n° 405. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Morissette, R. 2020. Incidence du déclin du secteur de la fabrication sur les marchés de travail locaux au Canada. Direction des études analytiques : documents de recherche, n° 440. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Morissette, R. et M. Drolet. 2001. « La protection en matière de pensions et l’épargne-retraite chez les jeunes travailleurs et les travailleurs d’âge intermédiaire au Canada, 1986-1997 ». Revue canadienne d’économique 34 (1) : p. 100 à 119.

Morissette, R. et A. Johnson. 2005. « Are good jobs disappearing in Canada? ». Economic Policy Review 11 (1) : p. 23 à 56.

Morissette, R., G. Picot et Y. Lu. 2013. Évolution des salaires des Canadiens au cours des trois dernières décennies. Direction des études analytiques : documents de recherche, n° 347. Produit n° 11F0019M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Statistique Canada.

Morissette, R., G. Schellenberg et A. Johnson. 2005. « La syndicalisation : tendances divergentes ». L’emploi et le revenu en perspective 6(4) : p. 5 à 12. Produit n° 75-001-X au catalogue de Statistique Canada.