3. Méthodologie

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3.1 Cadre conceptuel

Un accent de plus en plus important a été mis sur le rôle de l'agglomération des activités économiques. Au fil du temps, nous avons vu que les industries ont tendance à se concentrer géographiquement dans un petit nombre de régions et cette tendance n'a cessé de croître même à une époque de faibles coûts de transport et de communication. Les degrés de concentration régionale des industries sont tout simplement trop élevés pour s'expliquer par des accidents historiques ou un processus aléatoire (Ellison et Glaeser, 1997). Ainsi, on croit que les fortes concentrations d'activités économiques sont attribuables aux avantages qu'offrent les économies d'agglomération régionale. Les trois avantages les plus généralement reconnus de l'agglomération régionale sont les externalités de connaissances, la main-d'œuvre spécialisée qualifiée et le partage des entrées (Marshall, 1920). Alors qu'il est relativement facile de mesurer avec exactitude les effets de la main-d'œuvre spécialisée qualifiée ou du partage des entrées, l'estimation des effets des externalités de connaissances a échappé à l'examen économétrique principalement parce que, dans la plupart des cas, ces effets ne sont pas observables.

Il y a deux types de connaissances, soit les connaissances explicites ou codifiées qui peuvent être exprimées efficacement au moyen de formes symboliques de représentation, et les connaissances tacites qui ne se prêtent pas à pareille représentation (Reber, 1995). Plus il est facile d'accéder aux connaissances explicites, plus les connaissances tacites jouent un rôle important dans le maintien et l'amélioration de la position concurrentielle de l'entreprise (Maskell et Malmberg, 1999). Par conséquent, les connaissances tacites jouent un rôle plus important aujourd'hui où il est plus facile d'obtenir des connaissances explicites.

En mettant en place de nouvelles technologies, les établissements se trouvent aux prises avec de nombreuses incertitudes liées aux coûts et aux avantages des technologies, aux difficultés d'adaptation et à la formation des employés. Disposer de plus de renseignements sur ces questions réduirait non seulement les incertitudes associées à l'adoption de nouvelles technologies mais permettrait aussi aux établissements de mieux évaluer les risques et les attentes. Toutefois, étant donné que certains renseignements associés à la mise en place de nouvelles technologies sont tacites — par exemple, les caractéristiques détaillées relatives à l'ingénierie ou les changements organisationnels particuliers permettant d'exploiter pleinement les capacités technologiques — l'acquisition de ce type de connaissances se fera par l'observation directe des premiers adeptes, la démonstration, le bouche-à-oreille et d'autres mécanismes officieux. Par conséquent, la présence locale d'établissements déjà utilisateurs peut faciliter les externalités de connaissances entre établissements dans la région. En outre, la boucle de rétroaction des externalités de connaissances des établissements utilisateurs de technologie facilite l'agglomération régionale et est facilitée par elle (Case, 1992; Jaffe, Trajtenberg et Henderson, 1993; Powell et Brantley, 1992; et von Hippel, 1988).

Ainsi, il est difficile de mesurer à distance l'importance de la présence locale d'établissements déjà utilisateurs comme source d'information. Par conséquent, nous qualifierons les répercussions positives de la présence locale des établissements déjà utilisateurs de technologie d'externalités de connaissances produites par les établissements déjà utilisateurs qui se transmettent aux utilisateurs potentiels.

3.2 Cadre empirique

Les données sur le profil d'adoption de technologie peuvent-elles révéler si la présence d'établissements déjà utilisateurs avoisinants influe sur la décision d'un établissement d'adopter la technologie? Pour expliquer la méthode utilisée pour estimer les répercussions de la présence locale d'établissements déjà utilisateurs de technologie, nous modélisons tout d'abord la probabilité qu'un établissement décide d'adopter la technologie. Supposons que le modèle réel régissant l'adoption de technologie par un établissement est donné par

où l'indice e représente l'établissement, l'indice i représente l'industrie, l'indice r représente la région, l'indice τ représente la technologie et l'indice t représente le temps. Adoptioneτirt   est une variable binaire qui indique si un établissement e dans l'industrie i dans la région r adopte la technologie τ au temps t .

Comme les externalités de connaissances ne sont pas observables et donc doivent être inférées, il s'agit surtout dans l'estimation des externalités de connaissances de veiller à spécifier le plus exactement possible la voie de transmission de ces externalités et le plus fin niveau de détail auquel nous pouvons contrôler les effets exogènes qui influent sur la probabilité d'adoption de technologie par un établissement. En estimant l'impact de la présence locale d'établissements déjà utilisateurs sur la probabilité d'adoption de technologie par les autres établissements, nous tâchons dans ce document de déterminer les externalités de connaissances émanant d'établissements déjà utilisateurs qui se transmettent aux utilisateurs potentiels. Les résultats provisoires montrent que la présence d'établissements déjà utilisateurs a un effet positif sur l'adoption de technologie par d'autres établissements. Les résultats détaillés sont exposés au chapitre 5.

Cet effet positif des établissements déjà utilisateurs sur les utilisateurs potentiels peut-il être interprété comme preuve d'externalités de connaissances ou de partage d'information entre ces établissements? Idéalement, si nous connaissions toutes les influences exogènes qui touchent sur la décision d'un utilisateur potentiel, alors nous pourrions inférer l'effet positif des établissements déjà utilisateurs comme saisissant leurs propres effets seulement. Toutefois, selon des hypothèses alternatives, la présence d'établissements déjà utilisateurs serait corrélée positivement à la décision en matière d'adoption de technologie des utilisateurs potentiels même en l'absence de tout type d'externalités de connaissances. Nous examinons maintenant ces hypothèses alternatives.

La première hypothèse alternative veut que les résultats soient attribuables à des caractéristiques régionales locales non observées qui sont corrélées à la présence d'établissements utilisateurs de technologie ainsi qu'à la décision des utilisateurs potentiels. Plus précisément, les régions où il y a agglomération d'activités économiques offrent des avantages non seulement sur le plan des affaires mais également pour l'adoption de nouvelles technologies. Entre autres facteurs évidents, il convient de mentionner la présence d'une importante main-d'œuvre qualifiée (p. ex., scientifiques et ingénieurs pouvant faciliter l'adoption et la mise en œuvre de technologies), la présence locale de fournisseurs d'entrées et de consommateurs de produits, la présence d'universités ou d'établissements de recherche, les politiques fiscales et une bonne infrastructure. En outre, les établissements dans la même région subissent les mêmes influences locales exogènes, comme les subventions locales à la recherche et développement (R-D), les incitatifs fiscaux ou le cycle économique, qui influent sur l'adoption de technologie. Ces caractéristiques particulières à l'emplacement ont un effet idiosyncrasique sur la décision en matière d'adoption de technologie de tous les établissements dans cette région et certains de ces effets sont corrélés positivement au nombre existant d'établissements utilisateurs de technologie dans la région. Par conséquent, il est impératif d'établir la distinction entre les effets des caractéristiques particulières à l'emplacement et les effets de la présence d'établissements déjà utilisateurs.

Selon la deuxième hypothèse, les résultats sont attribuables aux effets non observés opérant à divers niveaux qui sont corrélés à la fois à la présence d'établissements utilisateurs de technologie et à la décision des utilisateurs potentiels dans une région. Ces effets non observés peuvent se situer au niveau de l'industrie, de la technologie ou même de l'interaction industrie × région, industrie × technologie ou région × technologie. Par exemple, l'adoption de technologies de fabrication de pointe dans l'industrie d'aéronefs et des pièces d'aéronef, Classification type des industries (CTI) 321, est de 28 % alors qu'il est de 4 % seulement dans l'industrie des boyaux et courroies en caoutchouc, CTI 152. Étant donné ce type d'effets fixes au niveau de l'industrie, une concentration régionale d'industries à forte composante technologique serait corrélée positivement au nombre d'utilisateurs de technologie dans la région. Un autre exemple de tels effets non observés est la réduction des coûts de l'adoption, par exemple, de technologie de conception et d'ingénierie assistée par ordinateur (CAO/IAO), qui aurait pour effet d'accroître le taux d'adoption de cette technologie. De même, un incitatif fiscal local ou une subvention de R-D à une industrie donnée aurait pour effet d'accroître l'adoption globale de technologies dans cette industrie dans cette région. Étant donné les nombreux facteurs éventuels pouvant influer sur l'adoption de technologie au niveau de l'établissement, il est essentiel de tenir compte de ces effets non observés qui se situent à divers niveaux.

Selon la troisième hypothèse alternative, les résultats seraient attribuables aux caractéristiques des établissements omises qui influent sur la décision en matière d'adoption de technologie. Une théorie de la capacité différentielle des entreprises d'absorber et d'utiliser à bon escient une nouvelle information technique met l'accent sur les différences sur le plan des compétences internes, de l'accès aux ressources financières et des routines organisationnelles. Ces différences influent sur la rentabilité prévue de chaque entreprise, soit le rendement progressif de l'investissement dans la nouvelle technologie, ce qui à son tour explique le profil d'adoption inégal observé (Cohen et Levinthal, 1990; Dosi, 1988; Malerba, 1992; et Nelson et Winter, 1982). En outre, l'apprentissage par l'établissement et sa capacité d'appliquer l'information acquise varient également selon le niveau de ressources organisationnelles, l'échelle du processus de production, l'utilité de la nouvelle technologie pour le processus de production de base de l'établissement et les sources d'information, autant de facteurs n'ayant peut-être rien à voir avec l'emplacement géographique comme tel. Par exemple, les grands établissements ou les établissements multiproduits peuvent fort bien être exploités par des entrepreneurs plus innovateurs qui ont tendance à adopter plus de nouvelles technologies. Par conséquent, le terme d'erreur dans la spécification qui est corrélé aux variables dans le deuxième membre de l'équation peut comprendre une composante particulière à l'établissement. En outre, il se peut que certaines des variables soient potentiellement endogènes (p. ex., un établissement adopte une nouvelle technologie puis décide de s'établir dans une région ou de déménager dans une région aux fins d'adoption de technologies).

Afin de déterminer et d'estimer l'effet des établissements déjà utilisateurs sur les utilisateurs potentiels séparément des effets non observés mentionnés ci-dessus et de les éliminer comme explications éventuelles des résultats, nous employons les méthodes suivantes. Premièrement, nous procédons comme suit en ce qui a trait à la possibilité que les résultats soient attribuables aux variables relatives à l'emplacement omises. Si les résultats se vérifient après inclusion des effets fixes de l'emplacement, ils ne peuvent être attribuables à des effets communs au niveau régional, comme la présence d'universités, l'avantage lié à l'emplacement, le transport, les politiques fiscales ou les influences régionales. Par conséquent, nous incluons les effets fixes relatifs à l'emplacement au niveau de la région économique qui est le niveau auquel les variables dépendantes ainsi que les variables clés sont mesurées 7 . En outre, pour garantir que les résultats ne saisissent pas les effets liés à l'agglomération comme la présence locale de main-d'œuvre spécialisée qualifiée, de fournisseurs d'entrées et de consommateurs de produits ainsi que la taille globale des activités de fabrication régionales à un niveau géographique plus fin que celui de la région économique, nous incluons les variables qui saisissent ces effets au niveau de la division de recensement. Par conséquent, ces variables garantissent que les résultats ne sont pas attribuables aux effets de l'agglomération qui opèrent au niveau de la division de recensement ainsi qu'à tout effet non observé au niveau de la région économique.

Deuxièmement, nous procédons comme suit en ce qui a trait aux effets non observés pouvant se situer à divers autres niveaux. Les effets fixes de l'industrie, de la technologie et du temps sont inclus de manière à tenir compte des effets qui sont communs à l'industrie, à la technologie et au temps. En outre, deux variables mesurant le taux moyen d'adoption de technologies dans l'ensemble selon l'industrie × la région et le taux moyen d'adoption dans une région selon la technologie particulière × l'industrie sont incluses dans la spécification pour tenir compte également des effets qui se situent aux niveaux industrie × région et technologie × région 8 .

Troisièmement, pour régler le problème de l'hétérogénéité non observée des établissements, nous incluons un vaste ensemble de caractéristiques des établissements comme la taille, la situation de l'établissement, le nombre de produits, la propriété et l'âge. Même si l'hétérogénéité au niveau des établissements serait contrôlée idéalement par les effets fixes relatifs à l'établissement, la faible variation des profils d'adoption de 22 technologies dans un établissement ne permet pas d'inclure ces effets fixes. Par conséquent, nous utilisons plutôt des variables qui saisissent l'hétérogénéité importante au niveau des établissements qui influe sur les décisions en matière d'adoption. Selon nous, l'ensemble de caractéristiques des établissements inclus ici correspond au plus riche ensemble de données au niveau de l'établissement utilisé dans les ouvrages publiés.

En plus des importants contrôles et effets fixes mentionnés ci-dessus, nous estimons les effets relatifs aux établissements déjà utilisateurs séparément selon la distance sur les plans fonctionnel, géographique et technologique de l'utilisateur potentiel. Ces estimations distinctes non seulement révèlent comment les effets sont circonscrits par les trois dimensions, mais servent à vérifier que les résultats ne sont pas attribuables à l'une des hypothèses alternatives exposées ci-dessus. Les raisons sont les suivantes. Premièrement, l'estimation des effets des établissements déjà utilisateurs dans la même région, séparément selon la distance fonctionnelle de l'utilisateur éventuel, nous permet de déterminer si les résultats sont attribuables aux effets fixes région × technologie ou si les effets sont propres à la fonction ou à l'industrie particulière à chaque niveau région × technologie. Deuxièmement, l'estimation des effets des établissements utilisateurs de la même technologie, séparément selon la distance géographique, nous permet de déterminer si les effets sont attribuables aux effets fixes industrie × technologie ou s'ils sont particuliers à la géographie à chaque niveau industrie × technologie. Enfin, l'estimation des effets des établissements déjà utilisateurs dans la même région, selon la distance technologique de l'utilisateur éventuel, nous permet de déterminer si les effets sont attribuables aux effets fixes industrie × région ou s'ils sont particuliers à la technologie à chaque niveau industrie × région. Ces estimations distinctes des effets des établissements déjà utilisateurs sur les utilisateurs potentiels selon la distance sur les plans fonctionnel, géographique et technologique confirment que les effets des établissements déjà utilisateurs ne sont pas attribuables à l'un quelconque des autres effets éventuels mentionnés ci-dessus mais qu'ils saisissent fort probablement les effets de la présence d'établissements déjà utilisateurs. La seule possibilité du résultat trompeur qui reste est que les résultats sont attribuables à des effets fixes qui se situent au niveau région × industrie × technologie × temps. Non seulement est-il très peu probable de cerner des effets fixes qui opèrent à ce niveau détaillé, le fait que les résultats sont les plus probants lorsque les établissements déjà utilisateurs se situent dans les industries similaires mais non dans la même industrie que celle des utilisateurs potentiels fournit une preuve fort convaincante de la validité des résultats obtenus ici.

L'équation d'estimation de l'adoption par l'établissement e de la technologie τ au temps t est donc :

F représente la distribution cumulative logistique. Le modèle logit est utilisé pour saisir « l'extrémité » de la distribution (c.-à-d. il y a une plus forte proportion d'établissements qui n'utilisent aucune technologie au temps t ). Xeirt est un vecteur des caractéristiques des établissements, Moy _ Ind _ Régioni Rt est un taux moyen d'adoption de technologies de pointe dans l'ensemble des établissements dans l'industrie i dans la région économique R au temps t , et Moy _ _ Ind Techitτ est un taux moyen d'adoption de la technologie τ dans l'industrie i sur l'ensemble des régions économiques au temps t . δ R est l'effet fixe de l'emplacement, γ i est l'effet fixe de l'industrie, � τ est l'effet fixe de la technologie et λ t est l'effet fixe du temps. Les variables dans l'équation d'estimation sont expliquées en détail au chapitre qui suit et au tableau 3.

7 . L'unité de la géographie est examinée plus en détail à la section 4.

8 . L'inclusion d'effets fixes aux niveaux d'interaction permettrait de saisir complètement tous les effets. Cependant, étant donné la variabilité de l'échantillon, elle n'est pas permise dans cette spécification.