Renseignements expérimentaux

Ces renseignements ont été définis comme étant de nature expérimentale. Pour en savoir plus, veuillez consulter la documentation liée à ce produit et veuillez nous faire part de vos commentaires.

Analyse en bref
Estimation de la consommation de cannabis et de drogue au Canada à partir des eaux usées : résultats détaillés du test pilote

par Tim Werschler et Andrew Brennan

Remerciements

La présente étude pilote n’aurait pas été possible sans la collaboration et le professionnalisme du personnel des systèmes municipaux de traitement des eaux usées des villes pilotes, ni sans le dévouement et le soutien des experts du Laboratoire Yargeau du Département de génie chimique de l’Université McGill. Cette collaboration a suscité de nouvelles idées au sujet des possibilités qu’offrent les eaux usées comme source de données.

Introduction

Depuis deux ans, Statistique Canada s’affaire à mettre à jour ses programmes statistiques afin de mieux saisir les répercussions sociales et économiques de la légalisation du cannabis, qui a eu lieu le 17 octobre 2018, ainsi que du mauvais usage des opioïdes et d’autres drogues dont le risque de consommation abusive est plus élevé. Il est difficile d’obtenir des mesures exactes de la consommation totale de cannabis et du mauvais usage des drogues dans la société. La stigmatisation associée à la consommation et la réticence à divulguer les achats faits auprès de fournisseurs non réglementés sont deux facteurs qui pourraient empirer le risque de sous-déclaration dans les enquêtes. Pour appuyer les données d’enquête, Statistique Canada envisage d’avoir recours à une technique appelée épidémiologie fondée sur les eaux usées (EEU), qui est utilisée en Europe depuis 2007 pour rendre compte de la consommation de divers types de drogues dans les grandes villes (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 2016).

En mars 2018, l’organisme a mis en œuvre un projet pilote afin de prélever et de tester des échantillons d’eaux usées municipales pour y déceler des traces de cannabis et d’une douzaine d’autres drogues dans le but de déterminer si les données obtenues peuvent servir à estimer l’étendue de la consommation de drogues dans différentes villes du Canada et l’évolution de cette consommation au fil du temps. L’essai pilote est le plus important qui ait été réalisé en Amérique du Nord pour ce qui est de la population visée. Les avantages de cette technique comprennent son faible coût, sa rapidité d’exécution, la capacité de surveiller les fluctuations dans le temps au niveau de la ville et, surtout, la possibilité de déterminer la quantité totale d’une drogue consommée, qu’elle ait été acquise de façon légale ou non. L’une des limites de cette approche vient du fait qu’elle ne fournit de renseignements ni sur le nombre de personnes qui ont consommé ces drogues, ni sur les caractéristiques de ces personnes, ni sur la façon dont elles ont été consommées, mais Statistique Canada utilise d’autres enquêtes qui l’aident à déterminer ces données plus détaillées.

Le projet pilote a été mené auprès de 14 usines de traitement des eaux usées dans cinq grands centres urbains du pays qui desservaient près de 8,4 millions de personnes, soit plus de 20 % de la population canadienne (tableau 1). Les eaux usées de chaque site ont été échantillonnées au moins toutes les 30 minutes pendant sept jours consécutifs, à partir du deuxième lundi de chaque mois, de mars 2018 à février 2019.


Tableau 1
Conception de l'essai pilote des eaux usées
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Conception de l'essai pilote des eaux usées. Les données sont présentées selon Site de l'essai (titres de rangée) et Usines de traitement des eaux usées et Population en 2018 (millions de personnes)(figurant comme en-tête de colonne).
Site de l'essai Usines de traitement des eaux usées Population en 2018 (millions de personnes)
Centre-ville d'Halifax 3 0,2
Île de Montréal 1 2,0
Ville de Toronto 4 2,8
Ville d'Edmonton 1 1,0
Région métropolitaine de Vancouver 5 2,5
TOTAL 14 8,4

Les échantillons d’eaux usées ont été analysés par l’Université McGill, dont les méthodes d’analyse des drogues présentes dans les eaux usées respectaient les normes techniques du Groupe central d’analyse des eaux usées en Europe (SCORE). Les échantillons ont été analysés pour déterminer les concentrations des drogues suivantes :

Analysés pour déterminer les concentrations des drogues
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Analysés pour déterminer les concentrations des drogues. Les données sont présentées selon Catégorie de drogues (titres de rangée) et Drogues cibles(figurant comme en-tête de colonne).
Catégorie de drogues Drogues cibles
Stupéfiants Cannabis (THC-COOH)
Opioïdes Acétylcodéine, acétylmorphine, codéine, fentanyl, héroïne, morphine, oxycodone
Stimulants Amphétamine, benzoylecgonine, cocaïne, ecstasy (MDMA), méthamphétamine

Les résultats présentés ici n’incluent que les métabolites des drogues qui pouvaient être mesurés de manière fiable dans les eaux usées au cours de la période de l’essai.

Interprétation des résultats et limites

L’essai pilote à partir des eaux usées a été conçu pour améliorer les connaissances sur les défis opérationnels et techniques liés à l’utilisation des eaux usées municipales comme source de données anonyme sur la consommation de drogues précises dans la société et prélever des échantillons d’eaux usées dans quelques villes afin de définir un point de référence pour le cannabis avant sa légalisation. Dans ce contexte, il est important de souligner les limites suivantes des résultats de l’essai pilote :

  1. Même si les villes pilotes comptent plus de huit millions d’habitants, l’étude n’a pas été conçue pour être représentative de l’ensemble de la population canadienne. Il faut donc faire preuve de prudence dans l’application de ces résultats à toute autre ville ou province du Canada.
  2. La population de chaque site pilote varie selon la taille de la région métropolitaine dont il fait partie. Le site de Vancouver englobait presque toute la région métropolitaine, alors que celui de Halifax représentait environ 50 % de la population métropolitaine. Il faut tenir compte de ces facteurs lorsqu’on discute de l’applicabilité au niveau de la ville.
  3. Les petits écarts entre les charges mesurées des drogues de chacune des villes peuvent être influencés par des facteurs tels que la durée du séjour dans le réseau d’égouts, les conditions biologiques dans les égouts, les fuites ou les produits chimiques provenant d’activités commerciales ou industrielles. Par conséquent, seuls les écarts importants entre les villes sont relevés et font l’objet d’une discussion pour le moment.
  4. La charge mesurée d’un métabolite d’une drogue dans les eaux usées n’est pas directement comparable à celle d’autres drogues parce que la même quantité d’une drogue pourrait avoir des effets très différents sur le corps (p. ex. 0,5 g de cannabis est très différent de 0,5 g de méthamphétamine). En outre, le corps humain traite et excrète différemment chaque drogue.
  5. Pour certaines drogues, on a constaté une variation considérable des charges mesurées certains mois, ce qui donne à penser qu’il existe une tendance saisonnière. Comme l’essai pilote n’a duré que 12 mois, d’autres données sont nécessaires pour déterminer si la variation observée se répète.
  6. L’échantillonnage a eu lieu pendant la deuxième semaine complète de chaque mois et les résultats ont servi à représenter l’ensemble du mois. Les tests préliminaires laissent croire que cette hypothèse est juste dans une certaine mesure, mais qu’elle devrait être validée plus à fond.

Veuillez consulter la publication  13-605-X201900100006 de Statistique Canada, 2019 et Subedi, B. et coll., 2019 pour obtenir plus de détails sur la conception de l’étude et les autres limites des résultats. Veuillez consulter les renseignements supplémentaires connexes qui fournissent des détails sur l’analyse des données et les valeurs des paramètres utilisés ici (publication  13-605-X201900100011 de Statistique Canada, 2019).

Résultats pour le cannabis

Lorsqu’une personne consomme du cannabis (que ce soit en le fumant, en le mangeant, en l’appliquant sur sa peau ou autrement), son corps convertit le principal composé psychoactif, le tétrahydrocannabinol (THC), en une multitude de composés non psychoactifs connexes, le plus commun et le plus stable étant le 11-nor-9-carboxy-THC (THC-COOH). Moins de 1 % de la quantité de cannabis consommée est excrétée dans les eaux usées sous forme de THC-COOH. Comme le corps ne crée du THC-COOH qu’après la consommation de cannabis, la présence de THC-COOH dans les eaux usées est un indice de la consommation de cannabis dans la zone de service.

On a estimé la charge de THC-COOH (grammes par semaine) dans le réseau d’égouts de 14 usines de traitement des eaux usées situées sur les sites de l’étude. Le graphique 1 présente la charge estimative par habitant (grammes par million de personnes par semaine) par mois pour tous les sites combinés (représentant 8,4 millions de personnes).

Graphique 1 :

Tableau de données du graphique 1 
Tableau de données du graphique 1
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 1 THC-COOH, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
THC-COOH
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
2018
Mars 424
Avril 271
Mai 1431
Juin 833
Juillet 107
Août 182
Septembre 216
Octobre 282
Novembre 371
Décembre 867
2019
Janvier 186
Février 184

La charge moyenne de THC-COOH trouvée dans les eaux usées pour tous les sites combinés était de 450 grammes par million de personnes par semaine. Toutefois, d’importantes augmentations ont été enregistrées en mai, juin et décembre 2018. Il n’est pas certain si ces hausses sont attribuables à des variations des débits d’eaux usées, à des fluctuations à court terme du nombre de consommateurs, à la quantité consommée ou à des facteurs liés à l’échantillonnage. Selon les résultats de l’essai pilote effectué dans les grands sites, il existe un lien faible ou non constant entre le débit et la charge estimative d’une drogue donnée, ainsi que la constance du comportement de diverses drogues au même endroit, ce qui permet d’exclure les répercussions systématiques. Il est toujours probable que les effets de l’échantillonnage sur les résultats soient attribuables à la dynamique très variable du débit et de la composition des eaux usées, mais ces effets sont complexes.

L’un des objectifs de cette étude était d’établir une mesure de base du THC-COOH dans les eaux usées avant la légalisation afin d’obtenir un point de référence historique. Grâce aux données préalables à la légalisation recueillies pendant huit mois auprès d’environ 20 % de la population du Canada, cet objectif a été atteint. Cependant, en raison de la variabilité mensuelle des données, il est trop tôt pour dire s’il y a eu une variation de la consommation totale de cannabis depuis octobre 2018, mois où le cannabis à des fins récréatives a été légalisé.

Le graphique 2 compare la charge de THC-COOH dans les villes pilotes. Les barres verticales représentent l’incertitude de la moyenne sur 12 mois en fonction de la variabilité des données. Les villes présentaient des écarts considérables qui se sont constamment répétés au fil des mois. Montréal et Halifax ont signalé des charges de 2,5 à 3,8 fois plus élevées que Vancouver, Toronto et Edmonton. Ces résultats démontrent que la consommation peut être très différente d’un bout à l’autre du pays.

Graphique 2 :

Tableau de données du graphique 2 
Tableau de données du graphique 2
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 2. Les données sont présentées selon Ville (titres de rangée) et Moyenne, Limite inférieure limit et Limite supérieure limit, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Ville Moyenne Limite inférieure limit Limite supérieure limit
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
Halifax 936 574 1297
Montréal 833 586 1080
Toronto 327 208 445
Edmonton 244 159 330
Vancouver 313 246 380
Sites combinés 446 332 561

Selon l’Enquête nationale sur le cannabis (ENC), enquête trimestrielle de Statistique Canada, le pourcentage de consommateurs autodéclarés est supérieur à la moyenne en Nouvelle-Écosse, mais inférieur à la moyenne au Québec (Statistique Canada, Enquête nationale sur le cannabis, 2019). À première vue, ce dernier résultat semble aller à l’encontre de la situation observée dans les eaux usées de Montréal, mais il se pourrait que la consommation par usager soit plus élevée et qu’il ait été plus difficile de mesurer la quantité autodéclarée de cannabis dans l’ENC. Il se peut aussi que la consommation de cannabis à Montréal soit nettement plus élevée que dans le reste du Québec.

Résultats pour la cocaïne

La cocaïne est une drogue illicite au Canada. Lorsqu’une personne consomme de la cocaïne, son corps en convertit une partie en benzoylecgonine, composé assez stable dans les eaux usées. Le graphique 3 montre la charge combinée de benzoylecgonine décelée dans les 14 usines de traitement des eaux usées par mois. Les charges mensuelles étaient plus stables que celles du métabolite du cannabis, la moyenne s’établissant à 340 grammes par million de personnes par semaine. Les données sur les eaux usées laissent croire à une consommation légèrement plus grande de cocaïne en été, suivie d’une baisse au début de l’automne, puis d’une augmentation en hiver. Plus de données seront nécessaires pour déterminer s’il s’agit d’une tendance générale.

Graphique 3 :

Tableau de données du graphique 3 
Tableau de données du graphique 3
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 3 Benzoylecgonine, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Benzoylecgonine
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
2018
Mars 437
Avril 239
Mai 307
Juin 386
Juillet 385
Août 376
Septembre 148
Octobre 140
Novembre 333
Décembre 497
2019
Janvier 429
Février 378

Contrairement au THC-COOH, on n’a observé aucun écart considérable entre les villes dans le cas de la benzoylecgonine (graphique 4).

Graphique 4 :

Tableau de données du graphique 4 
Tableau de données du graphique 4
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 4. Les données sont présentées selon Ville (titres de rangée) et Moyenne, Limite inférieure et Limite supérieure, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Ville Moyenne Limite inférieure Limite supérieure
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
Halifax 385 316 453
Montréal 296 235 358
Toronto 309 269 349
Edmonton 268 228 308
Vancouver 425 378 472
Sites combinés 338 306 370

Résultats pour la méthamphétamine

Tout comme la cocaïne, la méthamphétamine est un stimulant et sa vente au Canada est illégale. Puisqu’une grande partie de cette drogue traverse le corps sans être modifiée, sa concentration dans les eaux usées est un indicateur direct de la consommation dans une population. Un petit nombre d’autres médicaments prescrits sont également métabolisés en méthamphétamine dans l’organisme et leur consommation entraîne également la présence de méthamphétamine dans les eaux usées. Ces médicaments comprennent le Selegiline, le Benzphetamine et le Famprofazone (Khan et Nicell, 2012). Toutefois, selon les données sur les ventes de médicaments fournies par Santé Canada, puisque moins de 5 % de la méthamphétamine présente dans les eaux usées serait attribuable à ces médicaments, ces derniers sont considérés comme étant négligeables.

La charge combinée de méthamphétamine dans les sites pilotes se situait en moyenne à 270 grammes par million de personnes par semaine pendant la période de 12 mois, sans variation saisonnière apparente (graphique 5). Or, en juin, on a signalé une très forte hausse des concentrations de méthamphétamine (moyenne de 4 200 grammes par million de personnes par semaine dans toutes les villes) dans la totalité des sites, à l’exception de Vancouver. Les données de juin ont été retirées des estimations. Une telle augmentation pourrait provenir d’un déversement, car il est impossible de distinguer la méthamphétamine non absorbée de la méthamphétamine excrétée dans les eaux usées, ou cette hausse pourrait représenter des anomalies d’échantillonnage ou de traitement pendant l’essai pilote.

Graphique 5 :

Tableau de données du graphique 5 
Tableau de données du graphique 5
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 5 Méthamphétamine, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Méthamphétamine
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
2018
Mars 564
Avril 461
Mai 210
Juin Note ..: indisponible pour une période de référence précise
Juillet 347
Août 319
Septembre 120
Octobre 120
Novembre 222
Décembre 258
2019
Janvier 137
Février 200

Le graphique 6 montre une variation considérable des charges de méthamphétamine par habitant dans les villes pilotes. Les concentrations moyennes d’Edmonton et de Vancouver étaient plus de 3,7 fois supérieures à celles de Montréal et de Toronto. Rappelons que, même si Montréal a signalé les plus fortes concentrations du métabolite du cannabis, cette ville affichait l’une des plus faibles concentrations de méthamphétamine, ce qui laisse entendre que même des grandes villes d’un même pays pourraient avoir des profils distincts de consommation de drogues.

Graphique 6 :

Tableau de données du graphique 6 
Tableau de données du graphique 6
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 6. Les données sont présentées selon Ville (titres de rangée) et Moyenne, Limite inférieure et Limite supérieure, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Ville Moyenne Limite inférieure Limite supérieure
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
Halifax 14 13 16
Montréal 132 114 150
Toronto 93 67 120
Edmonton 534 340 728
Vancouver 490 352 629
Sites combinés 269 226 312

Toutefois, les concentrations de méthamphétamine à Halifax étaient très faibles, soit plus de six fois inférieures à celles de Toronto, la deuxième ville la plus basse. Les concentrations observées se situent bien de-deçà de la variation observée dans les autres villes et pour les autres drogues. Il faudrait comparer ces constatations à d’autres données, comme celles du secteur de la justice, de la santé publique, des statistiques de l’état civil ou des données administratives sur la santé, pour les valider.

Résultats pour les opioïdes

Les opioïdes constituent une famille de composés comprenant des médicaments d’ordonnance, comme le fentanyl, l’oxycodone, la morphine, la codéine et le tramadol, mais aussi certaines drogues illicites telles que l’héroïne. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, le Canada arrive en deuxième place parmi les pays consommateurs d’opioïdes par personne dans le monde, après les États-Unis (ICIS, 2017, 6). Les opioïdes sont surtout utilisés dans le système de santé pour gérer la douleur, mais les méfaits liés aux opioïdes d’ordonnance et à leur utilisation non médicale sont en hausse depuis 1999, ce qui a donné lieu à une crise croissante au Canada (Belzak et Halverson, 2018). L’essai pilote à partir des eaux usées a été réalisé notamment dans le but de déterminer s’il est possible de déceler ces drogues dans les eaux usées municipales et, le cas échéant, si les concentrations peuvent être utilisées pour produire des estimations sur la consommation totale.

Les recherches menées dans le cadre de ce projet pilote indiquent que plusieurs obstacles nuisent à l’atteinte de cet objectif. Premièrement, puisque bon nombre de ces drogues et médicaments se dégradent rapidement dans les eaux usées, il est difficile de les mesurer. Deuxièmement, beaucoup d’opioïdes se transforment en un même composé, la morphine, qui est stable et mesurable, mais il est ensuite difficile de déterminer quelle proportion de la morphine provient de quel opioïde. Troisièmement, dans le cas des médicaments qui sont prescrits légalement par le système de santé, il faut des méthodes qui permettent d’estimer la proportion du signal dans les eaux usées qui devrait découler de leur consommation afin d’estimer le composé qui peut être attribué à une consommation non prescrite. Cette approche a été adoptée dans une étude réalisée dernièrement à Lausanne, en Suisse, et qui a donné des résultats prometteurs (Been et coll., 2015).

Les résultats de l’essai pilote fournissent des signaux de grande qualité dans les eaux usées pour deux opioïdes courants, soit la codéine et la morphine. Il est important de souligner que la codéine et l’héroïne se transforment aussi partiellement en morphine, ce qui vient s’ajouter au signal de la morphine dans les eaux usées. Les concentrations de codéine s’établissaient en moyenne à 320 grammes par million de personnes par semaine, des concentrations plus basses ayant été enregistrées à la fin de l’été et des hausses en mars et en décembre. Les concentrations de morphine étaient stables d’un mois à l’autre, se situant en moyenne à 100 grammes par million de personnes par semaine.

Le graphique 7 montre les charges de codéine mesurées par ville. Les concentrations de codéine dans les eaux usées à Edmonton étaient 2,5 fois plus élevées que la moyenne de l’ensemble des villes et 75 % plus grandes que la deuxième ville la plus élevée, tandis que celles de Montréal étaient 6 fois plus faibles que la moyenne et 5 fois plus basses que celles de la deuxième ville la plus faible. Le graphique 8 montre les charges moyennes de morphine par ville. Celles de la morphine étaient de 2 à 4 fois plus basses à Montréal et Toronto qu’à Vancouver, Edmonton et Halifax.

Graphique 7 :

Tableau de données du graphique 7 
Tableau de données du graphique 7
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 7. Les données sont présentées selon Ville (titres de rangée) et Moyenne, Limite inférieure et Limite supérieure, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Ville Moyenne Limite inférieure Limite supérieure
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
Halifax 473 392 554
Montréal 53 39 68
Toronto 285 232 337
Edmonton 830 706 953
Vancouver 369 317 421
Sites combiné 322 283 362

Graphique 8 :

Tableau de données du graphique 8 
Tableau de données du graphique 8
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau de données du graphique 8. Les données sont présentées selon Ville (titres de rangée) et Moyenne, Limite inférieure et Limite supérieure, calculées selon charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine] unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Ville Moyenne Limite inférieure Limite supérieure
charge par habitant [grammes par million de personnes par semaine]
Halifax 134 115 153
Montréal 41 33 50
Toronto 62 50 73
Edmonton 156 143 170
Vancouver 177 159 194
Sites combinés 104 97 110

Si la codéine et la morphine sont abondamment prescrites dans le système de santé, leur consommation devrait être relativement stable dans le temps et l’espace, en supposant que la pratique médicale et les caractéristiques de la population soient semblables. Toutefois, selon des rapports récents sur l’utilisation d’opioïdes dans le système de santé, les dépenses par personne consacrées aux opioïdes varient dans une certaine mesure d’un bout à l’autre du pays. Les dépenses par personne sont environ 20 % plus élevées que la moyenne nationale en Alberta et en Ontario et 34 % moins élevées que la moyenne au Québec (Morgan et coll. 2013).

Les écarts entre les provinces quant aux dépenses consacrées aux opioïdes dans le système de santé n’expliquent pas bien les écarts liés à la codéine décelée dans les eaux usées des villes. Edmonton a signalé des concentrations de codéine dans les eaux usées beaucoup plus grandes que les 20 % des dépenses prévues en soins de santé en Alberta, alors que le pourcentage des dépenses provinciales en soins de santé est encore plus faible que prévu à Montréal. Les dépenses supérieures à la moyenne en Ontario ne se retrouvent pas à Toronto.

De même, les écarts entre les provinces quant aux dépenses consacrées aux opioïdes dans les soins de santé n’expliquent pas bien les écarts quant aux charges de morphine entre les villes. En Alberta et en Ontario, où les dépenses sont légèrement supérieures à la moyenne, la concentration de morphine dans les eaux usées est forte à Edmonton, tandis qu’elle est faible à Toronto. Les maigres dépenses au Québec concordent avec la faible quantité de morphine décelée dans les eaux usées de Montréal, mais les dépenses moyennes en Colombie-Britannique n’expliquent pas la concentration élevée de morphine décelée dans les eaux usées de Vancouver. Donc, il se pourrait que les charges relativement élevées de morphine observées à Vancouver, à Edmonton et, dans une moindre mesure, à Halifax soient l’indice d’un certain niveau de consommation d’opioïdes non prescrits.

Estimations de la consommation totale de cannabis et d’autres drogues à partir des eaux usées

Jusqu’à tout récemment, les principales sources d’information servant à établir des estimations sur la consommation totale de drogues dans la société provenaient des répondants aux enquêtes, des données sur les admissions à l’hôpital et des statistiques sur la criminalité liées aux drogues. Diverses organisations gouvernementales ont eu recours à ces sources, parmi tant d’autres, pour établir des estimations de la consommation totale de cannabis. Le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB) du Canada a estimé une consommation de 665 tonnes de cannabis en 2018 (Bureau du directeur parlementaire du budget, 2016) et la plus récente estimation de Statistique Canada était de 773 tonnes en 2017 (Statistique Canada, 2017). Depuis la légalisation du cannabis, les ventes déclarées par les producteurs, les grossistes et les détaillants de cannabis au Canada sont disponibles. Selon les ventes au détail (de cannabis à des fins non médicales) pour la période allant de novembre 2018 à mars 2019, le total s’établirait à 66,8 tonnes de produits séchés sur 12 mois aux prix de détail actuels (tableau 20-10-0008-01 de Statistique Canada et prix du cannabis pour le premier trimestre, 2019). Si elles sont raisonnables, ces estimations laissent entendre que les ventes au détail représentent de 9 à 10 % de la consommation totale à l’échelle nationale. Comment cela se compare-t-il aux estimations établies à partir des eaux usées?

Plusieurs paramètres doivent être définis pour estimer la consommation totale de drogue en utilisant l’approche fondée sur les eaux usées. Pour cette étude, Statistique Canada a développé une approche de modélisation qui tient compte de l’incertitude associée à chacun des paramètres principaux (publication  13-605-X201900100011 de Statistique Canada, 2019).

Le tableau 2 présente les toutes premières estimations de la quantité totale de cannabis et de certaines drogues consommées dans les villes pilotes, qui ont été signalées grâce à l’analyse des eaux usées.


Tableau 2
Quantité totale estimée de certaines drogues dans les villes pilotes
Sommaire du tableau
Le tableau montre les résultats de Tableau 2. Quantité totale estimée de certaines drogues dans les villes pilotes Consommation annuelle en tonnes et Limites de confiance*, calculées selon Estimation, Inférieure et Supérieure unités de mesure (figurant comme en-tête de colonne).
Consommation annuelle en tonnes Limites de confianceNote *
Estimation Limite inférieure Limite Supérieure
Cannabis (séché) 84 27 268
Cocaïne 0,37 0,27 0,54
Méthamphétamine 0,31 0,19 0,56

La consommation annuelle totale de cannabis est estimée à 84 tonnes de produits séchés dans la zone pilote, mais la précision de cette estimation s’accompagne d’une grande incertitude, surtout en raison de la vaste gamme d’estimations sur la quantité de THC-COOH qui se retrouve dans les eaux usées après la consommation. Ces 84 tonnes signifient que la consommation dans les villes pilotes représente environ 13 % du total national, selon les estimations du DPB. Étant donné que les sites pilotes constituent plus de 22 % de la population nationale, cela signifie que le taux de consommation dans les sites pilotes était environ 50 % moins élevé que celui du reste du pays. Voilà une situation peu probable, mais, avec ces seules données, il est impossible de déterminer l’ampleur de l’erreur associée à chaque composé.

En supposant que la consommation par habitant soit la même dans les villes pilotes que dans le reste du pays, alors les résultats obtenus à partir des eaux usées correspondraient à une consommation nationale de cannabis d’environ 370 tonnes, ce qui est 44 % de moins que l’estimation du DPB. De plus, l’estimation annualisée des ventes au détail de cannabis à des fins non médicales, soit 66,8 tonnes, représenterait alors 18 % de la consommation totale, soit une proportion deux fois plus élevée que si l’estimation du DPB était utilisée. Cette valeur est considérée être exagérément élevée, surtout en raison des contraintes liées au déploiement des points de vente au détail du cannabis durant les premiers mois qui ont suivi sa légalisation, tout spécialement dans les provinces populeuses de l’Ontario et du Québec.

De telles disparités remettent en question certains des intrants de la modélisation utilisés dans cette recherche, le plus important étant la quantité de THC-COOH produite dans l’urine et les matières fécales humaines après la consommation d’une unité de THC. En effet, compte tenu des limites de confiance présentées au tableau 2, la consommation réelle dans la zone pilote pourrait facilement être deux fois plus élevée, ce qui situerait la consommation nationale au même niveau que l’estimation établie par Statistique Canada en 2017. Les résultats obtenus ici démontrent que le perfectionnement des intrants du modèle à partir des eaux usées pourrait permettre d’utiliser cette technique afin d’établir des estimations indépendantes et suffisamment précises sur la consommation totale de cannabis au niveau de la société.

En ce qui concerne la cocaïne et la méthamphétamine, l’étude démontre qu’il est possible d’établir des estimations raisonnablement précises de la consommation totale, même au niveau de la ville. Cela s’explique surtout par le fait que d’autres recherches ont été menées sur les modes de traitement et d’élimination de ces composés par le corps humain. C’est la première fois que de telles estimations sont produites à l’aide d’une technique de mesure uniforme dans plusieurs villes. La consommation totale est estimée à 370 kg de cocaïne et à 310 kg de méthamphétamine. On pourrait calculer une estimation de la valeur économique totale de la consommation de ces deux substances si une estimation du prix par gramme était disponible.

Constatations

Les résultats de l’essai pilote ont fourni de nouveaux points de vue sur la consommation de drogues dans plusieurs grands centres urbains du Canada et de nombreuses leçons utiles sur la valeur possible de l’échantillonnage des eaux usées comme source de données. Pour ce qui est de la consommation de drogues, l’essai pilote a mis au jour la possibilité de la variabilité saisonnière de la consommation de certaines drogues, dont le cannabis, la cocaïne et la codéine. Des écarts évidents sont également apparus dans les profils des drogues des villes pilotes. La consommation de cannabis était plus élevée à Montréal et Halifax, mais la consommation de méthamphétamine, de morphine et de codéine par personne avait tendance à être plus élevée à Vancouver et Edmonton. Les concentrations de méthamphétamine étaient extrêmement faibles à Halifax, anomalie intéressante qui mérite d’être étudiée plus à fond.

En ce qui concerne l’échantillonnage des eaux usées comme technique, l’essai pilote démontre: a) qu’elle peut potentiellement être une source de données pour mesurer la consommation totale de drogues à l’échelle municipale; b) qu’elle pourrait être utilisée, de concert avec d’autres sources de données, pour estimer la consommation totale de drogues illicites; c) qu’elle peut être adaptée pour englober de grands centres urbains à l’aide des usines de traitement des eaux usées existantes; d) qu’elle peut tenir compte de la sous-déclaration liée à la consommation de drogues illicites, comme la cocaïne et la méthamphétamine; e) qu’elle peut convenir pour mesurer les variations relatives de la charge des drogues dans le temps, offrant ainsi une forme de système d’alerte précoce.

Toutefois, il reste des défis à relever. Il est difficile de produire des échantillons représentatifs des eaux usées en raison des variations importantes des débits quotidiens, voire horaires, des eaux usées. La légalisation prévue des produits comestibles contenant du cannabis à la fin de 2019 viendra s’ajouter à la complexité de l’estimation de la consommation de cannabis à l’aide de la technique des eaux usées, car les taux d’excrétion des produits comestibles devraient être différents. Étant donné la diversité des produits, des concentrations de THC et des méthodes de consommation, il est encore plus important d’effectuer des études en laboratoire bien conçues afin d’estimer la proportion d’une drogue cible qui peut être décelée dans les eaux usées à la suite de chaque mode de consommation. Peut-être plus important encore, le même défi se pose pour les opioïdes en général. Il faut des données sur la quantité totale d’opioïdes d’ordonnance par province ou territoire et, idéalement, pour les régions métropolitaines. Cela permettra d’estimer la proportion du signal de la morphine présent dans les eaux usées qui est probablement attribuable à une consommation non prescrite.

Statistique Canada examine les résultats de l’essai pilote avec d’autres experts du domaine pour déterminer s’il faut améliorer la technique d’échantillonnage des eaux usées, et comment le faire, afin qu’elle puisse fournir les intrants nécessaires aux programmes statistiques nationaux au Canada et à l’étranger.

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