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Section 3 : Étude spéciale

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Le comportement cyclique changeant de la productivité du travail

par Philip Cross 1 

Lorsque l’économie s’est effondrée, en 2008 et 2009, la productivité du travail au Canada a diminué légèrement, les réductions combinées de l’emploi et de la semaine moyenne de travail n’ayant pas suivi la baisse de la production. Cela fait contraste avec les récessions récentes au Canada et aux États-Unis, pendant lesquelles la productivité du travail a augmenté.

Le présent document compare le comportement de la productivité du travail au cours du récent ralentissement économique à celui des trois cycles précédents au Canada et aux États-Unis. Il montre que, depuis 1981, l’intrant travail a diminué autant ou plus que la production pendant les récessions, tant au Canada qu’aux États-Unis. Les employeurs ont réagi initialement au ralentissement économique en raccourcissant la semaine de travail, puis ont eu recours aux suppressions d’emplois lorsque la récession s’est prolongée. L’écart entre le début de la baisse de la production et les pertes d’emploi a diminué au fil du temps, à tel point qu’au début de 2008, l’emploi a chuté avant que la production diminue aux États-Unis. Au Canada, les employeurs n’ont pas réduit leur intrant travail aussi rapidement que la production en 2008-2009. Par conséquent, on a assisté à une diminution de plus d’un an de la productivité du travail au Canada pendant une récession pour la première fois en plus de trois décennies. Cela s’inscrit dans le prolongement de la tendance de faible croissance de la productivité au Canada, qui persiste depuis 2003, tandis que la croissance de la productivité aux États-Unis était en hausse de façon constante, sans tenir compte du cycle d’affaires.

Aperçu des changements dans la production et l’emploi

Le rapport entre la production et l’emploi au cours des ralentissements cycliques a changé au cours des décennies (la production et l’emploi étaient utilisés comme une approximation de la productivité du travail avant 1981, au moment où on a commencé à produire des données trimestrielles sur la productivité). Des années 1950 jusqu’à la fin des années 1980, l’emploi au Canada n’a pas diminué aussi rapidement que la production et même n’a parfois pas diminué du tout. L’emploi a connu un recul beaucoup moins grand que le PIB réel au cours des récessions de 1953-1954, 1957 et 1960-1961, et avec un décalage digne de mention dans les deux derniers cas. L’emploi n’a pas diminué du tout au cours des ralentissements légers de 1970 et de 1980. La récession de 1974-1975 s’est accompagnée de deux baisses trimestrielles de l’emploi, mais celles-ci ont été séparées par cinq trimestres de croissance de l’emploi de plus de 1 % en moyenne par trimestre, et l’emploi n’a pas tardé à reprendre sa croissance rapide au deuxième trimestre de 1975 2 .

La résilience de l’emploi au cours des récessions au Canada et ailleurs a suscité des théories largement acceptées selon lesquelles les entreprises gardaient la main-d’oeuvre en réserve en période de ralentissement 3 . Cette réserve de main-d’oeuvre se faisait parce que les récessions de la période d’après-guerre étaient habituellement courtes et liées à la réduction des stocks excédentaires. Ces brèves périodes de production plus faibles ne justifiaient pas que les entreprises absorbent le coût de la mise à pied de travailleurs, y compris les indemnités de départ, ainsi que de recherche et de formation de travailleurs recrutés peu après le début de la reprise. Par conséquent, la production par employé avait généralement tendance à diminuer pendant les récessions.

Les heures travaillées ont diminué plus rapidement que l’emploi au cours de la majorité des ralentissements au Canada et aux États-Unis. La réaction plus rapide des heures que de l’emploi aux changements qui touchent le cycle économique est bien connue en économie (et l’inclusion de la semaine de travail moyenne du secteur de la fabrication dans notre système d’indicateurs avancés en fait foi). Lorsqu’ils font face à une baisse de la demande, les employeurs diminuent la semaine de travail avant de mettre à pied des travailleurs pour deux raisons principalement. Tout d’abord, ils ne sont habituellement pas certains de l’ampleur et de la durée de la baisse de la demande et hésitent par conséquent à réduire le nombre d’emplois 4 . En deuxième lieu, une semaine de travail plus courte n’entraîne pas les coûts fixes liés à la mise à pied des travailleurs, comme les indemnités de départ. Tant qu’ils ne sont pas certains que la gravité d’un ralentissement justifie ces coûts, les employeurs ont habituellement recours à une semaine de travail plus courte avant de réduire l’emploi lorsqu’ils sont confrontés à un changement dans la demande (le total de l’intrant travail est égal à la semaine de travail moyenne appliquée à l’emploi total).

Le présent document examine ce qui est arrivé à la production trimestrielle et à l’intrant travail au cours de chaque récession depuis 1981, à partir des données sur la productivité du travail. Cette analyse diffère légèrement de la production totale par employé pour plusieurs raisons. Les données sur la productivité couvrent le secteur des entreprises, qui est à l’origine de plus de 80 % du PIB au Canada et aux États-Unis. Les données sur la productivité comportent aussi des ajustements en fonction des heures travaillées. Toutefois, comme le montre la figure 1, ces différences n’ont pas d’effets concrets sur la relation entre les variations d’une année à l’autre de la productivité et de la production par employé 5 . Les légères différences entre les deux sont indiquées dans le texte.

À partir de la longue et profonde récession de 1981-1982, la productivité du travail a commencé à se comporter différemment au Canada et aux États-Unis pendant les récessions. Même si la demande de main-d’oeuvre avait initialement tiré de l’arrière par rapport à la baisse de la production en 1981, comme le prédisait la théorie en vigueur alors, à la fin de 1982, l’intrant travail avait diminué autant (aux États-Unis) ou davantage (au Canada) que la production. Cela a signifié que la croissance de la productivité du travail a été constante aux États-Unis et qu’elle a affiché une hausse au Canada au cours de cette récession, chose qui s’était rarement produite pendant les récessions au cours des décennies précédentes.

La tendance vers l’augmentation de la productivité du travail s’est poursuivie au cours des ralentissements subséquents au Canada et aux États-Unis. La seule exception a été notée au Canada en 2008, où l’intrant travail a diminué légèrement moins que le PIB, ce qui a donné lieu à une productivité du travail plus faible. Comme le montre l’analyse plus détaillée qui suit, non seulement le nombre total d’heures travaillées a-t-il suivi la baisse de la production au cours des récessions récentes, mais l’écart entre la diminution de la production et celle de l’intrant travail s’est rétréci au fil du temps, particulièrement aux États-Unis.

La récession de 1981-1982

En 1981-1982, la productivité du travail a initialement chuté au Canada, les employeurs ayant déployé des efforts pour ajuster leur intrant travail à la diminution de la production. Au départ, l’ensemble de la réduction a pris la forme d’une semaine de travail plus courte. Au troisième trimestre de 1981, la majeure partie de la baisse de l’intrant travail était le fait du moins grand nombre d’emplois. Toutefois, l’intrant travail n’a pas diminué aussi rapidement que la production, et la productivité du travail a continué de reculer jusqu’à la fin de l’année. Au début de 1982, des réductions marquées de l’emploi et une baisse constante de la semaine de travail ont commencé à faire augmenter la productivité du travail. À la fin de 1982, la productivité du travail était supérieure de 2,6 % à celle du début de 1981 malgré la baisse de 6,0 % affichée par le PIB réel du secteur des entreprises (tableau 3.16 .

Les statistiques comparables pour la productivité du secteur des entreprises aux États-Unis montrent que la semaine de travail moyenne a aussi commencé à diminuer avant l’emploi en 1981. Les heures de travail moyennes ont reculé, tant au deuxième qu’au troisième trimestre de 1981, tandis que l’emploi a connu une hausse légère et que la production a affiché une faible hausse nette. Lorsque le PIB est définitivement passé en récession au quatrième trimestre, les réductions de l’intrant travail ont rapidement touché l’emploi. Ce sont les emplois qui ont par la suite accusé le coup de la récession en 1982, les heures s’étant stabilisées. Cela a eu pour résultat net de faire diminuer légèrement la productivité du travail au cours de la récession aux États-Unis, contrairement à la hausse affichée au Canada en 1981 et 1982. Cela rend compte principalement des réductions d’emploi plus marquées que les baisses du PIB au Canada qu’aux États-Unis (6,3 % comparativement à 2,3 %).

Le ralentissement de 1990-1992

Au deuxième trimestre de 1990, les entreprises du secteur des entreprises au Canada ont réagi à la baisse initiale de la production en réduisant de façon égale l’emploi et les heures moyennes (pour les données à l’échelle de l’économie, les heures ont été à l’origine de la baisse de l’emploi). Au troisième trimestre de 1990 et au pire de la récession, au début de 1991, l’essentiel de la réduction de l’intrant travail a été le fait de la diminution de l’emploi. Au début de 1991, la productivité était de 0,9 % inférieure à son niveau un an plus tôt.

Même si la production s’est stabilisée au cours des quatre trimestres suivants, l’emploi a continué de diminuer jusqu’au milieu de 1992, tandis que la semaine de travail a peu changé, ce qui a ramené la productivité du travail à son niveau d’avant la récession, à la fin de 1991. Avec une baisse du total des heures travaillées de 5,8 % et tandis que l’emploi continuait de diminuer jusqu’à la fin de 1992, la productivité du travail était supérieure de 2 % à celle du début de la récession.

Contrairement à ce qui était le cas au Canada, les employeurs aux États-Unis ont réagi au début de la récession en 1990 en réduisant davantage les heures que l’emploi. Toutefois, en 1991, leur réduction de l’intrant travail touchait davantage les emplois, les heures moyennes s’étant stabilisées. Au pire de la récession, au premier trimestre de 1991, la productivité était en hausse de 0,7 %. En gardant les heures et les emplois à un faible niveau, au moment où la croissance du PIB s’est accélérée à la fin de 1991 et jusqu’en 1992, la productivité à la fin de 1992 était près de 8 % supérieure à son niveau d’avant la récession. Cela se compare à une hausse de 2 % au Canada, en dépit de réductions plus importantes des heures et des emplois au Canada. La différence rend compte pour une large part de la croissance plus lente du PIB du secteur des entreprises au Canada qui, à la fin de 1992, se situait près de 4 % en deçà de son sommet d’avant la récession, comparativement à une hausse de 5 % aux États-Unis.

Le ralentissement de 2001

En 2001, les États-Unis ont connu une récession, alors que techniquement, au Canada, il s’agissait uniquement d’un ralentissement économique. Cela vient en partie du fait que le ralentissement découlant de l’éclatement de la bulle des TIC sur le marché boursier et dans les investissements des entreprises a eu un poids plus grand dans l’économie américaine que canadienne. Aux États-Unis, le PIB réel a diminué aux premier et troisième trimestres de 2001 (la dernière baisse ayant été aggravée par les attaques terroristes de septembre 2001). L’emploi a reculé avec un certain décalage, amorçant sa baisse au deuxième trimestre de 2001, mais diminuant constamment jusqu’à la fin de l’année. Au Canada, le PIB réel a affiché uniquement une légère baisse au troisième trimestre de 2001 (attribuable principalement à une baisse de 0,6 % du PIB mensuel en septembre, qui s’explique par la perturbation des activités économiques découlant des attaques terroristes).

Au cours du ralentissement de 2001, la production et l’emploi dans le secteur des entreprises au Canada ont continué d’augmenter légèrement, à l’exception d’une baisse légère au troisième trimestre. Toutefois, les entreprises ont diminué la semaine de travail moyenne au cours de la première moitié de 2001, ce qui a contribué à rehausser la productivité du travail de 1,7 % pour l’ensemble de la période. Les entreprises ont eu recours aux réductions d’emploi plutôt qu’à la réduction du nombre d’heures au cours du troisième trimestre, lorsqu’il existait un niveau élevé d’incertitude concernant la façon dont l’économie américaine réagirait aux attaques du 11 septembre. La croissance du PIB réel a repris rapidement au quatrième trimestre, et les listes de paye ont commencé à s’allonger. Dans l’ensemble, la productivité a crû davantage durant le ralentissement de 2001 que pendant la première année des deux récessions précédentes, tant au nord qu’au sud de la frontière.

Les hausses plus importantes de la productivité aux États-Unis qu’au Canada, qui ont d’abord été notées au cours de la récession ayant commencé en 1990, se sont poursuivies en 2001. En 2001, la productivité du travail aux États-Unis a augmenté de 3,5 %, comparativement à une hausse de 1,7 % au Canada. Cela s’est produit en dépit d’une progression légèrement plus élevée du PIB du secteur des entreprises au Canada, qui contribue habituellement à alimenter la productivité. Les entreprises américaines ont affiché une productivité plus forte, grâce à la réduction constante de la semaine de travail tout au long de l’année et à une baisse de l’emploi de 0,9 % après le premier trimestre de 2001 (les emplois ont connu une autre baisse de 1,1 % après le début de la reprise à la fin de 2001). Il convient de souligner que la baisse de l’emploi aux États-Unis a correspondu à celle du PIB après deux trimestres seulement, ce qui est plus rapide que le temps qu’il a fallu pour rattraper le PIB au cours des deux récessions précédentes.

Au Canada et aux États-Unis, il s’agit du premier cycle après 1980 pendant lequel les heures travaillées ont diminué plus rapidement que l’emploi en période de ralentissement économique. Le recours par les employeurs des deux pays à une semaine plus courte en 2001 laisse supposer qu’ils percevaient le ralentissement de la demande comme transitoire dans une large mesure, un point de vue que les événements ont confirmé. Le recours plus grand par les employeurs aux États-Unis qu’au Canada à une semaine de travail plus courte qu’à des réductions d’emplois est digne de mention : l’essor des TIC aux États-Unis, qui a atteint un sommet à la fin de 2000, a entraîné un taux de chômage historiquement faible qui ne s’est pas concrétisé au Canada avant le sommet de l’essor des ressources en 2007. Dans les deux cas, les employeurs ont eu davantage recours aux moins longues heures de travail au cours de la baisse subséquente qu’à la mise à pied d’employés dont ils avaient durement acquis les services.

Si les entreprises gardent la main-d’oeuvre en réserve dans une moins grande mesure pendant les périodes de repli, cela devrait donner lieu à une croissance plus faible de la productivité en période de reprise. C’est ce qui s’est produit au Canada, où la croissance de la productivité au cours de la première année de reprise a ralenti, étant passée de 2,5 % en 1983 à 1,8 % en 1993 et à 0,2 % en 2002. Un ralentissement similaire au fil du temps a touché les reprises aux États-Unis.

La récession de 2008-2009

La récession la plus récente a commencé en janvier 2008 aux États-Unis, alors que l’emploi a commencé à se contracter dans un large éventail d’industries tant de biens que de services. L’emploi aux États-Unis a diminué de 0,8 % au cours des deux premiers trimestres de 2008, tandis que la production est demeurée inchangée après avoir connu une baisse décisive au troisième trimestre de 2008. Il s’agissait de la première fois que l’emploi diminuait avant la production aux États-Unis, et la productivité a augmenté. À la fin de 2008, la récession du PIB aux États-Unis était à peu près égale à la baisse de 3,0 % des emplois. La semaine de travail a diminué parallèlement, ce qui a fait augmenter la productivité, mais la semaine de travail a baissé moins rapidement que l’emploi tout au long de la récession. Les données provisoires indiquent que le PIB réel s’est stabilisé au milieu de 2009, puis a recommencé à augmenter, même si l’emploi a diminué de façon constante.

Au Canada, le comportement de la production et des emplois en 2008 se situait à l’opposé de celui aux États-Unis. La production du secteur des entreprises a diminué de 0,6 % au cours des deux premiers trimestres de 2008, tandis que l’emploi a augmenté de 0,7 % (la semaine de travail a connu une baisse légère de 0,4 %, par suite de l’affaiblissement de la production). Il s’agit de la situation inverse de celle qui s’est produite aux États-Unis, où les emplois ont diminué alors que le PIB et la semaine de travail se stabilisaient seulement au début de 2008 (le PIB total a affiché un gain de 0,2 % au cours de la première moitié de 2008). En outre, même si la baisse de l’emploi a précédé la contraction de la production aux États-Unis, au Canada, l’emploi a diminué pendant deux trimestres après que la production a commencé à se contracter. Par conséquent, la productivité au Canada a diminué de 1,0 % au cours de la première moitié de 2008.

À la fin de 2008 et aux deux premiers trimestres de 2009, la baisse de la production au Canada s’est intensifiée pour s’établir à 3,0 % dans le secteur des entreprises. Même si l’emploi a diminué davantage que la semaine de travail, le total de l’intrant travail a correspondu uniquement à la récession du PIB, et la productivité est demeurée inchangée.

Depuis le quatrième trimestre de 2007, la productivité du travail au Canada a diminué de 1,2 % jusqu’au troisième trimestre de 2009 inclusivement, malgré le fait que les entreprises ont près de deux ans pour s’ajuster à une demande plus faible. Au cours de la même période, la productivité du travail a augmenté de 4,9 % aux États-Unis. Cet écart ne constitue pas une nouvelle tendance qui peut être attribuée à une réduction exceptionnelle des coûts par les entreprises américaines en période de récession grave. Il représente plutôt le prolongement d’une tendance qui a persisté depuis la fin de la récession de 2001. La croissance plus forte de la productivité aux États-Unis s’est d’abord concrétisée au moment de la récession de 2001. L’écart s’est maintenu à 2 % au cours de la reprise en 2002, et est demeuré à ce niveau chaque année depuis 7 .

Aux États-Unis, la productivité a connu une hausse légère de 1 % en 2008, puis a fait un bond de 3,8 % au deuxième et au troisième trimestre de 2009. Comme il est indiqué précédemment, les entreprises des États-Unis ont jeté les bases de la réduction de l’emploi au début de 2008, avant le début de la baisse du PIB et de la semaine de travail. La réduction de l’emploi aux États-Unis s’est intensifiée tout au long de 2008 et 2009 (atteignant près de 7 %), tandis que la semaine de travail a diminué de 2,3 %. Au Canada, les entreprises ont procédé à une réduction similaire de la semaine de travail, mais n’ont réduit l’emploi que de 2,5 %.

Pourquoi la productivité du travail a-t-elle diminué au Canada au cours du dernier ralentissement économique, après avoir augmenté pendant tous les ralentissements après 1981? Tout d’abord, le Canada a connu une période prolongée de faible croissance de la production par employé, même avant le début de la récession. Comme nous l’avons étudié dans notre étude de mars 2007 8 , l’essor des ressources a entraîné l’exploitation de sources de plus en plus marginales de production dans le secteur minier (y compris les sables bitumineux). Parmi les autres raisons figure peut-être la pénurie de main-d’oeuvre qui a persisté après l’essor du secteur minier et du secteur de la construction ces dernières années. Ces pénuries ont déjà contribué à une croissance inhabituellement faible de la production par employé en 2006 et 2007, les industries recrutant de plus en plus de travailleurs ayant un faible niveau de compétences et de productivité, comme les jeunes en Alberta. Compte tenu de cette expérience, il se peut que les entreprises aient hésité à mettre à pied des travailleurs à la fin de 2008, lorsque l’on ne savait pas clairement combien de temps la récession toucherait le Canada et quelle en serait la gravité, compte tenu particulièrement des réserves élevées de liquidités détenues par les entreprises et de la résilience d’une part importante de notre système financier.

Nulle part ailleurs qu’en Alberta ces tendances contraires sont-elles aussi évidentes, cette province se situant à l’épicentre des pénuries de main-d’oeuvre pendant les périodes d’essor. Au sommet de l’essor de 2007, la demande croissante des industries à forte rémunération en Alberta, comme les ressources naturelles, la construction et les services professionnels, a fait augmenter l’emploi dans ces industries de plus de 10 % par rapport à l’année précédente. Cela a drainé les travailleurs des industries à faible rémunération, comme l’hébergement et la restauration, les loisirs, les administrations publiques 9  et les autres services. Lorsque les industries florissantes des ressources, de la construction et des finances ont connu un recul marqué à la fin de 2008, avec des pertes d’emploi de plus de 10 % d’une année à l’autre, les industries de services à faible rémunération ont sauté sur l’occasion de rétablir leur main-d’oeuvre. Par conséquent, même au milieu d’une récession, l’emploi dans toutes les industries en Alberta a augmenté de plus de 10 % au cours de l’année ayant pris fin en novembre 2009, selon l’Enquête sur la population active.

Graphique 3.2

La question inverse se pose aux États-Unis : pourquoi les emplois ont-ils commencé à diminuer plus tôt que la production en 2008 et ont-ils diminué plus rapidement tout au long de la récession? Comme c’était le cas au Canada, il s’agissait en partie d’un prolongement de la tendance récente notée aux États-Unis. La production par employé aux États-Unis a augmenté à un taux exceptionnellement élevé au cours de la récession de 2001, et cette tendance s’est poursuivie au cours de l’expansion qui a suivi et de la récession qui a commencé à la fin de 2007. En outre, les employeurs aux États-Unis ont davantage eu recours à la réduction de l’emploi qu’à celle des heures travaillées.

Les raisons du recours plus grand par les employeurs des États-Unis aux réductions d’emplois en 2008-2009, tandis que les employeurs canadiens ont eu recours à peu près également aux réductions de la semaine de travail moyenne et de l’emploi, ne sont pas encore claires. Les flux de crédits aux entreprises ont été davantage touchés aux États-Unis, ce qui a suscité une plus grande urgence pour les entreprises de réaliser des économies importantes. Comme il est noté précédemment, au départ, les employeurs ont recours davantage aux heures plus courtes qu’aux réductions d’emplois en période de ralentissement économique, compte tenu de l’incertitude concernant la gravité de la récession : les bouleversements dans le système financier américain, qui annonçaient sans l’ombre d’un doute un recul marqué, ont eu pour effet que le niveau d’incertitude dans ce pays concernant la gravité de la récession de 2008 était moins grand. Les lois sur le travail aux États-Unis peuvent faire en sorte qu’il est moins coûteux de mettre à pied des travailleurs que les lois en vigueur dans les secteurs de compétence au Canada. En outre, les employeurs qui avaient en mémoire la difficulté de trouver des travailleurs dans certaines régions du Canada peuvent avoir été incités par ce souvenir à attendre jusqu’à ce que la gravité de la récession soit pleinement révélée (c’est-à-dire un niveau moindre que celui auquel on s’attendait généralement).

Conclusion

La figure 3 présente un tableau sommaire de la productivité du travail au cours des quatre derniers ralentissements cycliques au Canada et aux États-Unis. Aux États-Unis, il est clair que la productivité a suivi une tendance à la hausse durant les récessions; par exemple, il n’y a même pas eu de baisse, même momentanée, pendant le dernier ralentissement. Au Canada, la productivité à la fin de la plupart des récessions était plus élevée qu’au début de la récession, à l’exception du ralentissement de 2008-2009 (qui n’est peut-être pas encore terminé d’un côté comme de l’autre de la frontière, malgré les gains récents de la production et de l’emploi).

Les récessions profondes ont eu diverses conséquences sur la productivité dans le secteur des entreprises. Dans certains cas, comme au Canada en 1981-1982 et aux États-Unis en 2008-2009, les entreprises ont réduit le nombre d’emplois rapidement et ont augmenté la productivité. Dans d’autres cas, comme aux États-Unis en 1981-1982 et au Canada en 2008-2009, les pertes d’emplois étaient moins fortes et la productivité a fléchi.

Un certain nombre de répercussions découlent de la comparaison du PIB réel et de l’emploi et des heures travaillées en périodes de ralentissement cyclique après 1980. Les employeurs réduisent généralement la production et les heures travaillées avant de réduire l’emploi (la seule exception a été notée aux États-Unis en 2008, lorsque l’emploi a diminué avant le PIB). Cela est conforme à la théorie économique. Toutefois, les employeurs ont procédé à des réductions des heures travaillées et de l’emploi plus rapidement au fil du temps, sauf dans le cas du faible ralentissement de 2001.

Par ailleurs, cette analyse démontre que les employeurs au Canada et aux États-Unis dépendent relativement plus des réductions de l’emploi que des réductions de la semaine de travail au cours de toutes les récessions, sauf les moins marquées. Au cours des quatre dernières récessions, l’emploi dans le secteur des entreprises a diminué en moyenne de 4,1 % au Canada, tandis que les heures moyennes ont diminué en moyenne de 1,6 %, pour une baisse totale des heures travaillées de 5,7 %. Aux États-Unis, l’emploi a diminué de 2,8 % en moyenne au cours des quatre dernières récessions, tandis que la semaine de travail a connu un recul de 1,7 %, soit une réduction de l’intrant travail de 4,5 % au total 10 .

La relation entre la production et l’emploi a changé considérablement au cours de la période d’après-guerre. Jusqu’en 1981, l’emploi n’a pas diminué autant que la production pendant les récessions. Depuis 1981, la production par employé a augmenté pendant la plupart des récessions au Canada et aux États-Unis. La seule exception à cette tendance est la récession de 2008-2009 au Canada, pendant laquelle les données provisoires indiquent que la production par employé a diminué. Cela s’inscrivait dans une tendance pour la productivité au Canada de tirer de l’arrière par rapport à celle des États-Unis, tendance qui a persisté depuis 2001.

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