Rôle des ressources naturelles dans l’économie canadienne
par P. Cross *
Un des principaux aspects de l’économie canadienne depuis le début de la décennie a été la revitalisation du secteur des ressources naturelles. Dans sa septième année, l’essor de ce secteur a remodelé de grands pans de l’économie. Menées par l’énergie qui est devenue notre première exportation en importance en 2008, les ressources ont soutenu la croissance des exportations malgré le marasme de l’industrie de l’automobile. Avec des prix et des bénéfices se situant à des niveaux records en raison de la fermeté de la demande dans le monde, les ressources ont porté les valeurs boursières à des sommets au premier semestre et stimulé les investissements des entreprises.
Dans cette étude, nous examinerons l’incidence de l’essor des produits de base sur divers secteurs de notre économie, laquelle souligne, en contrepartie, la vulnérabilité de ces mêmes secteurs à leur affaissement. Au Canada, les ressources naturelles ont toujours tenu une place de choix dans les exportations et les investissements des entreprises, et cette part a culminé dans le cycle en cours. La flambée des prix des produits de base a aussi étoffé les bénéfices et fait du secteur des ressources le facteur premier à la bourse et dans les flux d’investissement direct vers le Canada, bien que le mouvement de progression se soit partiellement renversé depuis la descente des cours des produits de base dans la récente crise des marchés financiers dans le monde.
Si les ressources prédominent dans les exportations et les investissements, elles n’ont eu que peu d’incidence, peut-on constater avec étonnement, dans la progression récente de la production et de l’emploi. En fait, la production du secteur des ressources a ôté du volume à la production ces deux dernières années, bien que la montée des prix et des revenus dans le secteur ait indirectement soutenu les dépenses intérieures. Ajoutons que, en raison du caractère capitalistique de leur production, les ressources n’ont pas constitué récemment une importante source de croissance de l’emploi.
Les apports des ressources n’ont pas été égaux non plus dans l’essor des cours des produits de base, ce qui n’est guère une surprise dans le cas d’un secteur aussi large et aussi diversifié. C’est pour l’énergie que les hausses ont été les plus larges et les plus soutenues, surtout grâce au pétrole brut. Les cours des métaux ont été en tête en 2006 et 2007, mais pour faire un pas en arrière plus récemment. Les cours céréaliers ont fait un bond en 2007 et au début de 2008 pour ensuite s’affaiblir dans l’attente d’une récolte abondante. Enfin, le secteur forestier est resté en touche ces dernières années pour la croissance à cause de la diminution de la demande de bois d’œuvre et de papier journal.
Exportations
Le commerce florissant des produits de base a largement influé sur les exportations tant dans leur composition que dans leur croissance. Les ressources naturelles ont vu leur importance relative faire un bond dans l’ensemble des exportations de marchandises, passant de 45 % en 2002 à près de 65 % depuis le début de 2008. Il s’agit des produits énergétiques, forestiers et agricoles, ainsi que de matériaux industriels (avec des métaux et des substances chimiques comme la potasse et les produits de la pétrochimie)1. La progression a été particulièrement prononcée en 2008 à cause des prix records de l’énergie. À lui seul, l’excédent du commerce de produits énergétiques correspond à tout l’excédent canadien du commerce de marchandises depuis le deuxième trimestre de 2006. Le Canada dégage aussi des excédents commerciaux pour tous les autres produits primaires.
Figure 1
Figure 2
Depuis 2004, les ressources naturelles rendent compte de toute l’élévation des revenus que tire notre pays des exportations. Les exportations de ressources se sont élevées du tiers, leur valeur passant d’environ 20 milliards de dollars en 2003 à 31 milliards de dollars (aux taux annuels) de janvier à août 2008. Pendant la même période, les exportations hors secteur des ressources ont fléchi de 17 %, notamment les expéditions de produits automobiles.
Le rôle des ressources dans les exportations à valeur ajoutée (c’est-à-dire, les exportations brutes en sus des entrées importées) est encore supérieur, ce qui tient au fort contenu importé (proportion de près de moitié) des exportations d’automobiles, de machines et de matériel et au faible contenu correspondant de la plupart des exportations de ressources. Si on considère les rapports de contenu importé que présentent les tableaux d’entrées-sorties2, on peut voir que la part des ressources dans les exportations à valeur ajoutée a monté à plus de 70 %.
Bénéfices
On s’étonnera de voir que les revenus tirés des exportations de produits de base n’aient pas joué un rôle déterminant dans la progression des bénéfices des sociétés. Dans les industries de ressources naturelles, le niveau de rentabilité s’est élevé depuis 2003 à peu près au même rythme que dans le reste de l’économie, laissant la part de ces industries au quart environ de la masse des bénéfices d’exploitation produits au Canada. Il faut y voir en majeure partie l’effet d’une ample montée des bénéfices dans plusieurs industries non primaires, notamment dans les finances, les transports et le secteur de l’information et de la culture où les bénéfices ont au moins doublé de 2002 à 2007. De plus, les pertes cuisantes subies par l’industrie forestière ont en partie contrebalancé un passage du simple au double des bénéfices des secteurs de l’énergie et de l’extraction minière. La valorisation rapide du dollar canadien est aussi venue ralentir la progression des bénéfices attribuable aux exportations de ressources naturelles, lesquelles sont surtout évaluées en dollars américains qui, après conversion, ont donné moins de dollars canadiens par suite de la valorisation de notre monnaie. Le recul marqué du dollar en octobre aidera à absorber le choc ressenti à la suite de la baisse des prix des produits de base.3
Figure 3
Signalons néanmoins que des bénéfices qui doublent dans le secteur des ressources ont eu un certain nombre de conséquences. Ils ont déterminé la croissance des avoirs boursiers des investisseurs tant de l’étranger que du pays. Ils ont également aidé les entreprises à pourvoir à plus d’investissements des entreprises en ouvrages et en matériel, grande source de croissance du revenu et de l’emploi au Canada.
Flux d’investissement
Les investisseurs tant extérieurs qu’intérieurs ont multiplié les participations en bourse dans les entreprises de ressources grâce aux gains de rentabilité. C’est ainsi que les actions du secteur des ressources naturelles exprimées en proportion de toutes les actions échangées à la bourse de Toronto ont monté d’environ 20 % en 2003 à un peu plus de la moitié du total aux trois premiers trimestres de 2008 (dans les données de base de cette bourse, la définition des ressources limite celles‑ci à l’énergie et aux métaux et, par conséquent, leur part augmenterait si on ajoutait d’autres secteurs comme l’industrie forestière). Le gros de la valorisation des actions du secteur des ressources s’explique par des hausses de prix. En volume, la part des ressources dans les échanges boursiers à Toronto s’est accrue dans une même mesure, passant de 30 % à 60 %.
Figure 4
L’essor des industries de l’énergie et de l’extraction minière au Canada a attiré davantage d’investissements de l’étranger. Les investissements directs étrangers dans notre secteur des ressources ont toujours abondé, s’établissant en moyenne au tiers environ de l’ensemble des flux d’investissement direct à destination du Canada entre 1983 et les premières années de la décennie en cours. Toutefois, l’investissement direct étranger dans les ressources a fortement progressé en 2006 et 2007, surtout du fait de l’acquisition de plusieurs grandes sociétés minières (ce qui a eu un effet de stimulation sur les valeurs boursières). Ces deux dernières années, le secteur des ressources a donc été à l’origine de plus de la moitié de tous les flux bruts d’investissement direct étranger à long terme vers le Canada.
Figure 5
Le renchérissement des ressources a été le moteur de la croissance récente des exportations et des apports d’investissements de l’étranger au Canada. Ce facteur a été de taille dans la montée du taux de change du dollar canadien depuis 2003. À eux seuls, les cours du pétrole brut se sont trouvés en corrélation étroite avec notre dollar jusqu’en 2008. La valorisation de celui‑ci a encore amélioré les termes de l’échange au Canada en abaissant les prix à l’importation même lorsque les ressources faisaient monter les prix à l’exportation.
Figure 6
Les données du bilan national donnent la mesure de la richesse que tire notre pays du bois et des ressources du sous-sol. La part de ces richesses dans l’ensemble du patrimoine a glissé sous la barre des 10 % les premières années de la décennie 1990 où les prix étaient bas. Elle a ensuite augmenté à près de 19 %. Ces hausses s’expliquent surtout par le mouvement de renchérissement et l’exploitation de nouvelles sources (hydrocarbures extracôtiers, sables bitumineux, etc.). Ces mesures des ressources naturelles du patrimoine ne comprennent pas d’autres formes de richesse directement attribuables aux ressources comme la valeur des émissions boursières ou des biens d’équipement des entreprises du secteur des ressources.
Figure 7
Immobilisations
Depuis 2002, les investissements des entreprises de ressources en ouvrages et en matériel ont progressé plus rapidement que ceux du reste de l’économie. L’effet a été de hausser la part des industries de ressources naturelles de 36 % à près de 44 %, un sommet. L’énergie a invariablement mené le mouvement avec pour chef de file les sables pétrolifères, quoique les mines métalliques aient plus récemment réalisé des gains rapides. Le revenu agricole a monté en flèche ces deux dernières années, mais les investissements en agriculture sont relativement modestes4. Enfin, les investissements dans l’industrie forestière ont été en décroissance avec le rétrécissement des débouchés qui s’offrent à ses produits.
Le secteur des ressources a lui-même contribué pour plus de moitié à la croissance des investissements des entreprises de 2003 à 2006 après une longue période de lenteur des dépenses d’investissement dans les ressources pendant les années 1990 où les prix étaient bas. L’essor des investissements dans les ressources s’est brièvement interrompu en 2007 à la suite de coupes sombres opérées dans l’industrie du gaz naturel en réaction à des prix de revient en hausse et à des prix de vente en baisse, mais les intentions d’investissement se sont mises à remonter en 2008 dans le secteur.
Figure 8
Figure 9
Le bond récent des investissements des entreprises dans les ressources naturelles a donné lieu à un redressement de la part du secteur dans le stock de capital, laquelle était tombée sous les 50 % pendant le long marasme des investissements dans les ressources au cours des années 1990.
Production et emploi
Le boom du secteur des ressources depuis 2003 tient principalement au mouvement des prix. La part des ressources naturelles dans le PIB nominal a monté de 13,3 % en 2002 à 16,1 % en 2005 (dernière année pour laquelle nous disposions de ces statistiques nominales du PIB) et a sans aucun doute poursuivi son ascension en 2006 et 2007. En revanche, le PIB réel du secteur des ressources (défini comme comprenant l’industrie primaire, les services publics et la fabrication en aval du bois, du papier, du pétrole et des métaux de première transformation) est légèrement en décroissance depuis le quatrième trimestre de 2002. Initialement, la production primaire avait augmenté en réaction à la hausse des prix, ayant gagné 6 % à la fin de 2005. Depuis, elle diminue constamment et la production minière a été particulièrement faible dans la dernière année (en baisse de 5 %).
Figure 10
Le recul récent de la production primaire, après 2005, malgré des prix et des bénéfices records, est imputable à un nombre de facteurs. Certaines industries ont sabré leur production en raison de la faiblesse des prix, notamment l’industrie forestière dont la production a baissé de plus du tiers. Toutefois, même les industries de l’énergie et des mines métalliques ont été incapables de stimuler la production. Un facteur qui a joué en partie est l’appauvrissement des sources les plus productives, d’où l’obligation pour les industries de puiser dans des sources plus marginales ou plus coûteuses (passage notamment de la production pétrolière du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien aux gisements bitumineux ou extracôtiers). Pour aggraver ces problèmes structurels de la production énergétique, il y a eu à l’été de 2008 des perturbations de l’offre par des accidents et des pauses d’entretien, double phénomène auquel l’exploitation bitumineuse est particulièrement exposée. Les dérèglements se sont faits moindres en juillet 2008 et la production énergétique a fortement monté.
Chaque dollar tiré de la production dans le secteur des ressources génère 69 cents additionnels de PIB. Le plus important de ces effets secondaires provient des industries de gaz et du pétrole, la plupart des industries de ressources étant à grande utilisation d’énergie. D’autres industries témoins des grands effets secondaires comprennent les finances, le commerce, les services aux entreprises et les transports. Tout compte fait, l’impact direct et indirect de la production des ressources a été équivalent à 22 % du total du PIB en 2005.
Figure 11
Dans la présente décennie, les ressources naturelles n’ont pas constitué une grande source d’emplois pour les Canadiens. Cela tient en partie au caractère capitalistique de leur production (une grande plateforme d’extraction extracôtière peut fonctionner, par exemple, avec une poignée de travailleurs seulement). C’est pourquoi la part de l’emploi que détiennent les industries de ressources naturelles oscille autour des 7 % depuis l’an 2000. Signalons néanmoins que cela représente une période de stabilité suivant le déclin rapide des années 1990 (de près de 10 % en 1990). Bien sûr, les ressources sont d’une bien plus grande importance dans certaines provinces5. Elles le sont encore plus dans les petites villes et les régions rurales où le secteur des ressources peut être l’employeur premier6.
Le haut rapport capital-travail dans la plupart des industries du secteur des ressources engendre une productivité supérieure à la moyenne. Dans l’industrie primaire et les services publics, la production par travailleur est la plus élevée de tout secteur de l’économie, mais elle est en décroissance ces dernières années à cause de l’exploitation de sources plus marginales. C’est là un des facteurs de lenteur de la croissance de la productivité au Canada ces dernières années.
Revenu réel
Le boom du secteur des ressources n’a pas directement stimulé le PIB réel dans la dernière année, mais il a sûrement influé sur les dépenses et les revenus réels au Canada. Des prix records de l’énergie ont porté les termes de l’échange au Canada à de nouveaux sommets, ce qui s’est traduit par une hausse de l’excédent commercial et une franche élévation du revenu disponible et des bénéfices des sociétés. Cette progression du revenu est saisie par la mesure en valeur réelle du revenu intérieur brut (RIB). Le RIB réel est le PIB nominal dégonflé par l’indice des prix des dépenses intérieures.
Avec l’amélioration des termes de l’échange, le RIB réel est demeuré en croissance malgré le ralentissement du PIB réel. L’élévation du revenu réel nous dit pourquoi la demande intérieure finale a été en constante progression même en période de ralentissement de la production et de l’emploi.
Figure 12
Les termes de l’échange aident aussi à expliquer l’écart canado-américain de RIB depuis que la crise du crédit a commencé à sévir dans le monde il y a un peu plus d’un an. Aux quatre derniers trimestres prenant fin en juin, le PIB réel a augmenté de 2,2 % aux États-Unis – le plus parmi les pays du Groupe des Sept –, alors qu’il montait un peu (0,7 %) au Canada. Si on se reporte par ailleurs au RIB réel, on constate que le revenu s’est élevé presque de 4 % au Canada et de seulement 0,7 % aux États-Unis. Ce bilan s’accorde plus avec d’autres indicateurs qui font voir une meilleure progression de la demande au Canada qu’aux États-Unis, qu’il s’agisse de l’emploi, des ventes d’automobiles, du marché de l’habitation ou des bourses.
Prix
Aux yeux de bien des Canadiens, le commerce florissant des produits de base a fait le plus manifestement sentir ses effets sur les prix à la consommation. À lui seul, le renchérissement des aliments et de l’énergie devait porter le taux annuel d’inflation à la consommation à une valeur de 3,5 %, la plus élevée depuis 2003. Le renchérissement du pain et des céréales est ce qui a surtout poussé les prix des aliments en hausse, tandis que les cours énergétiques se trouvaient gonflés en majeure partie par le prix de l’essence. La baisse estivale des prix des produits de base que représentent les céréales et les hydrocarbures fait entrevoir un certain répit pour les consommateurs dans un proche avenir.
Les aliments et l’énergie mis à part, on peut voir que les prix à la consommation ont un peu monté de 1,2 %, soit la moitié de leur taux de progression de l’été de 2007.
Conclusion
Le boom de sept ans des cours des produits de base a largement influé sur de grands secteurs de l’économie. Il a soutenu les bénéfices et les revenus à l’exportation. De leur côté, les ressources ont porté les valeurs boursières à des sommets, tout en attirant les investissements directs étrangers au Canada. En réaction, les entreprises ont nettement accru leurs immobilisations dans le secteur des ressources. Des cours plus élevés des produits de base ont joué un rôle-clef dans la reprise du taux de change, précédant le renversement marqué en octobre de cette année.
L’essor des produits de base a été largement limité aux prix, car il n’y a guère eu de variation de l’importance des ressources naturelles dans l’économie réelle de la production et de l’emploi. On peut ajouter que les fortunes des industries de ce secteur ont été très diverses avec une croissance nourrie pour le pétrole brut depuis sept ans et une décroissance incessante pour les produits forestiers. Tout compte fait cependant, on a eu là le cycle le plus long et le plus fort pour les ressources depuis la Seconde Guerre mondiale, ce qui a gardé les dépenses et le revenu intérieurs en croissance même en période de ralentissement de la production réelle en 2008. Le secteur des ressources reste hautement cyclique, ce que nous a nettement rappelé son affaissement récent dans la crise montante des marchés financiers dans le monde.
Études spéciales récemment parues
Notes
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Groupe d’analyse de conjoncture (613 951-9162). |
1 |
Par nécessité, la définition des ressources naturelles varie légèrement selon la classification et la finesse des données de base. La statistique du commerce international repose sur une classification sectorielle, et non pas industrielle. La statistique boursière compte seulement trois composantes : énergie, mines et « autres ». Les données sur les investissements, les bénéfices, la production et l’emploi font toutes appel à la même classification des industries (SCIAN) avec l’industrie primaire, les services publics et les fabricants en aval de bois, de papier, de produits pétroliers raffinés et de métaux de première transformation. |
2 |
Les dernières données des tableaux d’entrées-sorties sont celles de 2005; nous appliquons leurs ratios de contenu importé aux données sur le commerce après 2005, parce que ces rapports varient très peu d’année en année. |
3 |
Par exemple, un baril de pétrole brut vendu à un prix de 70 dollars (US) à un taux d’échange de 78 cents (US) équivaut à 90 dollars (US) lorsque le dollar atteint la parité. |
4 |
L’investissement agricole s’est établi à 3,6 milliards en 2007 comparativement à un investissement minier de 54,1 milliards. |
5 |
La seule industrie primaire a été en 2007 à l’origine de 13 % de tous les emplois en Saskatchewan et de 10 % en Alberta. |
6 |
Voir « Minetown, Milltown, Railtown » de R. Lucas pour une étude de la vie dans les villes mono-industrielles (Oxford University Press, 1971). |
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