Étude spéciale
Le Commerce du Canada avec la Chine
par F. Roy*
La Chine est maintenant la deuxième
plus grande économie du monde, en termes de pouvoir d’achat
du PIB, après les États-Unis. Son secteur extérieur
représente environ le quart de son produit intérieur
brut1, cinq fois plus qu’en 1978, lorsque
la mise en vigueur des réformes économiques a progressivement
ouvert la Chine au reste du monde. Uniquement durant l’année
2003, elle a grimpé de trois places sur la liste de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) pour atteindre le troisième rang
avec une part de 5,3 % des importations mondiales, derrière
l’Allemagne (7,7 %) et les États-Unis (16,8 %).
La Chine a aussi contribué à la reprise de ses voisins
asiatiques et, plus récemment, à l’accroissement
des exportations nord-américaines. Par ailleurs, la Chine
a continué de satisfaire la plus grande partie de la soif
croissante d’importations de l’Amérique du Nord,
lui permettant d’atteindre la quatrième place des plus
grands pays exportateurs avec 5,9 % du commerce mondial, derrière
le Japon (6,3 %), les États-Unis (9,7 %) et l’Allemagne
(10,0 %).
Le présent article décrit les
flux du commerce entre le Canada et la Chine à la lumière
de la transformation des échanges de la Chine avec le reste
du monde au cours des quinze dernières années2.
Le Canada a bénéficié tant de l’effet
direct de la hausse de ses exportations vers la Chine que de l’effet
indirect de la pression exercée par l’industrialisation
rapide de la Chine sur le prix des marchandises. Par ailleurs, nos
importations comptent de plus en plus de biens destinés à
améliorer notre productivité plutôt que de jouets
et de babioles comme c’était le cas il y a quinze ans3.
Figure 1
Les Chinois ne font pas qu’exporter.
Ils consomment aussi et ils importent de plus en plus. Les importations
chinoises ont pris véritablement leur envol durant la deuxième
moitié des années 1990 et culminaient avec l’entrée
de la Chine dans l’OMC en décembre 20014.
Après une hausse de 8,2 % en 2001, les importations
chinoises bondissent de 21,2 % in 2002, ce qui est remarquable
puisque le commerce mondial stagne, et encore de 39,9 % en
2003. La balance commerciale chinoise baisse donc de 4,9 milliards
de dollars (É.-U.) à 25,5 milliards de dollars en
2003 et un déficit de 8,4 milliards de dollars est enregistré
au premier trimestre de 2004. La croissance des importations s’explique
par la baisse des taxes à l’importation, la hausse
de la demande intérieure et les besoins accrus en énergie
et en matières premières5.
Ces dernières années, la Chine est donc devenue une
source d’exportation plus importante pour la reprise de ses
pays voisins dont plusieurs avaient souffert de la crise monétaire
de 1997, en particulier le Japon. Plus près de nous, les
exportations des États-Unis vers la Chine ont doublé
entre 1999 et 2003, entraînées par l’équipement
électronique. Nos exportations ont aussi fortement augmenté
après avoir récupéré leurs pertes de
30 % enregistrées entre 1995 et 1997 à cause
de l’écrasement du prix des ressources, des produits
forestiers en particulier. L’évolution des exportations
canadiennes vers la Chine s’explique par la dominance des
ressources. Bon an, mal an, les ressources comptent toujours pour
environ 80 % de nos exportations vers la Chine.
Figure 2
Exportations
Le blé a occupé une place prédominante dans
nos exportations vers la Chine jusqu’au début des années
1990. En 1992, il représentait encore 60 % de nos exportations
vers ce pays. En 2002, cependant, le blé ne représente
plus qu’un peu plus de 10 % de nos exportations totales,
détrôné par les matières industrielles,
qui comptent pour 45 % d’entre elles, et les produits
forestiers, pour 24 %. Environ 11 % de nos exportations
sont des biens d’investissement, une proportion qui a peu
varié depuis 15 ans. Les parts des produits automobiles (2 %),
de l’énergie (2 %) et des biens de consommation
(0,1 %) sont demeurées beaucoup plus petites tout au
long de cette période.
Figure 3
Parmi les produits agricoles, la baisse du blé masque les
fortes progressions de nos exportations de produits de la mer, de
la viande et des graines oélagineuses qui étaient
pratiquement nulles en 1990. Les exportations de produits de la
mer dominent de loin, étant passées de 3,2 à
250 millions de dollars en 2003 pour représenter la moitié
de nos exportations de produits agricoles vers la Chine. Ces chiffres
traduisent le changement des habitudes de consommation des Chinois.
Entre 1990 et 2002, la consommation de céréales par
habitant des ménages urbains a baissé de 40 %
alors que celle de viande a augmenté de 30 % (la consommation
de poulet triple) et celle des produits du poisson augmente de 70 %.
Les importations totales chinoises de produits de la mer sont passées
de 1,8 à 4,1 milliards de dollars en 2001.
Nos exportations de matières industrielles prennent leur
envol de pair avec la production industrielle chinoise durant les
années 1990. Les métaux occupaient une place de choix,
atteignant 15,8 % de nos exportations vers la Chine au début
de 2004. Elles sont constituées surtout de fer et d’acier
(6,3 %) et de nickel (4,1 %). Les parts du cuivre et de
l’aluminium sont encore négligeables mais leur progression
en 2003 et au début de 2004 est tout à fait phénoménale.
En 2004, les produits chimiques représentaient 11,7 %
des exportations, et les fertilisants, 6,8 %, ayant bénéficié
du remplacement des céréales par des produits qui
permettaient aux Chinois de faire pousser le blé sur leur
territoire.
La croissance a été très forte également
pour les produits forestiers, lesquels représentent presque
le tiers des exportations de ressources vers la Chine, comparé
à 9 % seulement en 1992. La Chine est maintenant le
premier pays importateur de pâte de bois au monde et le Canada
est au premier rang des pays exportateurs (le deuxième plus
important exportateur vers la Chine après les États-Unis).
La pâte de bois domine avec pratiquement le cinquième
de nos exportations vers la Chine en 2003. La croissance aurait
été encore beaucoup plus forte si les prix s’étaient
maintenus au niveau de 1995 au lieu de baisser de 40 % entre
1995 et 1997 et conservant ce bas niveau par la suite.
En 2003, les exportations de bois comptaient
pour une fraction des exportations de pâte, mais leur valeur
est dix fois supérieure à ce qu’elle était
en 1999. En 2002, la Chine était l’un des plus grands
importateurs de bois dans le monde, à égalité
avec le Royaume-Uni. Seuls le Japon et les États-Unis importaient
davantage. Cette croissance est survenue après que la Chine
a renforcé sa réglementation concernant la gestion
de ses forêts après de fortes inondations6
réduisant l’offre au moment même où elle
encourageait la demande intérieure (les réformes du
système bancaire élargissaient l’utilisation
du crédit par les ménages et encourageaient l’accession
à la propriété7 alors
que la migration de la population rurale vers les villes était
toujours très rapide, s’accroissant en moyenne de 6 %
par année après 1995, le double de ce qu’elle
a été entre 1990 et 1995). Le China’s National
Bureau of Statistics rapportait ainsi que le logement au premier
trimestre était en hausse de 34 % par rapport à
il y a un an.
L’appétit de la Chine pour les
matières premières de toutes natures a tellement grossi
ces dernières années qu’en plus d’avoir
gagné la première place des pays importateurs de pâte
de bois, elle se retrouve maintenant derrière seulement le
Japon et les États-Unis pour ses importations de bois, et
n’a que les États-Unis qui la devance dans ses importations
de fer et d’acier et dans sa demande de produits pétroliers.
La croissance rapide de la demande chinoise est donc devenue un
facteur très important expliquant l’envolée
récente du prix des marchandises. C’est notamment le
cas des métaux et des huiles et gras, dont les prix ont bondi
respectivement de 54 % et de 28,8 % au cours de l’année
se terminant en mai 2004.8 De 1980 à
2001, le prix relatif des matières premières avait
connu une baisse tendancielle. Le Canada, un important pays exportateur
net de ressources, s’est trouvé en bonne position pour
bénéficier de la poussée de la demande.
Tableau 1: Commerce du Canada avec la Chine
|
1995 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004* |
|
000'$ |
Exportations |
|
|
|
|
|
|
Produits agricoles et poisson |
1 362 521 |
673 993 |
890 152 |
428 407 |
540 250 |
187 511 |
Produits énergétiques |
3 067 |
455 |
1 157 |
2 994 |
67 903 |
26 378 |
Produits forestiers |
354 460 |
643 481 |
650 402 |
757 270 |
920 747 |
285 294 |
Biens industriels |
813 087 |
1 348 752 |
1 390 107 |
1 572 632 |
1 575 989 |
540 020 |
Machines et équipements |
724 667 |
545 117 |
987 260 |
778 089 |
706 665 |
138 106 |
Produits automobiles |
22 112 |
65 585 |
38 717 |
73 694 |
113 240 |
27 062 |
Biens de consommation |
13 256 |
3 389 |
9 803 |
9 249 |
9 935 |
1 415 |
Re-exportations |
170 666 |
404 113 |
285 693 |
492 849 |
810 558 |
183 265 |
Total |
3 464 801 |
3 697 622 |
4 264 170 |
4 129 744 |
4 760 724 |
1 390 836 |
|
|
|
|
|
|
|
Importations |
|
|
|
|
|
|
Produits agricoles et poisson |
198 183 |
320 591 |
355 104 |
424 586 |
495 467 |
130 378 |
Produits énergétiques |
8 337 |
26 632 |
52 823 |
41 633 |
44 593 |
4 699 |
Produits forestiers |
6 823 |
29 237 |
35 540 |
67 739 |
115 470 |
41 463 |
Biens industriels |
560 626 |
1 125 392 |
1 223 664 |
1 509 874 |
1 736 013 |
447 708 |
Machines et équipements |
1 111 855 |
3 789 002 |
4 340 509 |
5 869 485 |
7 477 347 |
2 121 708 |
Produits automobiles |
26 926 |
228 783 |
170 699 |
167 235 |
229 619 |
91 278 |
Biens de consommation |
2 710 321 |
5 763 225 |
6 529 001 |
7 902 830 |
8 454 866 |
1 894 017 |
Total |
4 638 947 |
11 293 811 |
12 723 511 |
15 999 129 |
18 571 251 |
4 735 854 |
* Les premiers trois mois. |
|
La Chine a pris la place du Japon au titre de la première
nation de l’Asie exportatrice vers les États-Unis (bien
que la Chine importe en même temps de plus en plus du Japon,
à son tour). Cette relocalisation des échanges entre
la Chine et le Japon explique la stabilité du déficit
de la balance commerciale des États-Unis avec l’Asie
qui est passé de 2,5 % de son PIB en 2000 à 2,4 %
en 2003. La Chine a comblé pratiquement tous les besoins
accrus d’importations des États-Unis depuis le début
de la présente décennie. En 2003, la Chine a même
dépassé le Mexique au titre de deuxième pays
exportateur vers les États-Unis, au deuxième rang
derrière seulement le Canada.
Importations
Au Canada, la situation de notre balance commerciale avec l’Asie
est similaire à celle des États-Unis car le déficit
de notre balance commerciale avec cette région du monde est
passé de 2,7 % du PIB en 2000 à 2,6 % en
2003. En 2003, à 13,8 milliards de dollars canadiens,
le déficit commercial du Canada avec la Chine était
de la même taille, en part du PIB (1,1 %), que celui
de 124 milliards de dollars des États-Unis. Nos importations
en provenance de la Chine augmentent tout aussi rapidement que celles
des États-Unis et tout comme dans ce pays, elles ont dépassé
nos importations en provenance du Mexique, mais deux ans auparavant,
soit en 2001. En 2003, l’écart s’était
accru de telle sorte que nos importations du Mexique ne représentaient
plus que 66 % de celles de la Chine en partie parce que nos
importations en provenance du Mexique plafonnent depuis l’an
2000.
Figure 4
En 2003, nos importations en provenance de
la Chine représentaient 5,5 % de nos importations totales
de biens. Tous les 21 groupes de marchandises9
ont contribué à l’accroissement de nos importations
en provenance de Chine, mais les biens d’investissement arrivent
en tête alors que nos entreprises ont accru leurs dépenses
à ce titre. Les biens d’investissement représentent
44,8 % des importations en provenance de la Chine en 2004,
comparé à 19,5 % en 1993. Au début de
2004, pour la première fois, la part des biens d’investissement
dépasse celle des biens de consommation, malgré les
baisses de prix des biens d’investissement. Deux groupes sont
en tête, l’équipement électronique et
la machinerie mécanique.
Figure 5
À l’opposé, la proportion des importations
chinoises en biens de consommation baissait d’autant, passant
de 65 % des importations de la Chine en 1993 à 40 %
en 2004. Les jouets forment la plus grande part de ce groupe. Les
autres groupes de marchandises selon l’utilisation économique
se partagent le reste des importations dans les proportions suivantes,
lesquelles n’ont pratiquement pas changé depuis 1993 :
soit les biens industriels (9,5 %), les produits agricoles
(2,8 %), les produits automobiles (1,9 %), les produits
forestiers (0,9 %) et l’énergie (0,1 %).
Figure 6
Le relèvement de la valeur de nos importations s’explique
aussi par la dépréciation de notre monnaie au cours
de la dernière décennie (la Chine a maintenu un taux
de change fixe avec les États-Unis et la dépréciation
du dollar canadien a augmenté le coût de nos importations).
Nos importations nous coûtaient plus cher. En même temps,
nous nous sommes tourné vers des marchés où
les prix sont plus avantageux. Par exemple, en 2003, environ 50 %
de nos importations de chaussures et plus de 40 % de produits
du cuir provenaient de la Chine.
La composition des importations aux États-Unis est très
similaire à celle du Canada. L’équipement électronique
et la machinerie mécanique ont également enregistré
une des croissances les plus fortes depuis 15 ans et dominent les
importations de ce pays en provenance de la Chine. Viennent au second
rang les jouets. Les textiles et les chaussures suivent.
Conclusion
L’ouverture croissante de la Chine à l’économie
mondiale est un bel exemple des avantages du commerce. La part croissante
des importations du Canada en provenance de la Chine a contribué
à relever le revenu là-bas, tout en nous procurant
des biens à meilleur prix qui ont été utilisés
en particulier par les entreprises ayant investi en Amérique
du Nord. Il en est résulté que les importations du
Canada et des États-Unis en provenance de la Chine ont dépassé
celles en provenance du Japon et du Mexique.
Par ailleurs, la croissance rapide des importations chinoises nous
a ouvert plusieurs nouveaux marchés pour une grande variété
de produits. Nos exportations se sont ainsi diversifiées
alors que le blé, largement en tête dans le passé,
a fait place aux matières industrielles et aux produits forestiers.
Les prix de nos exportations de marchandises ont également
tiré profit de la poussée de croissance en Chine.
Études spéciales récemment
parues
* Analyse de conjoncture, (613) 951-3627
ou oec@statcan.ca.
1. World Development
Indicators, The World Bank, divers numéros.
2. Toutes les données
sur le commerce entre le Canada et la Chine sont présentées
sur base douanière et peuvent être obtenues de la Division
du commerce international de Statistique Canada. Une note de prudence
est de mise cependant : les statistiques sur le commerce établies
sur la base douanière sont plus exactes pour mesurer les
importations que les exportations. Les statistiques sur les exportations
établies sur la base douanière peuvent sous-estimer
les exportations destinées hors des États-Unis, par
exemple lorsque les marchandises passent par ce pays avant de parvenir
à leur destination finale. Pour une brève discussion
de ce problème, consulter Commerce international de marchandises
du Canada (base douanière) - évaluation de la qualité
dans le Système de documentation des données statistiques,
Numéro de référence 2201, disponible gratuitement
sur le site de Statistique Canada.
3. Voir Jean-Marc Siroën,
L’OMC et la mondialisation des économies, document
de travail de l’EURIsCO, no 98-02, juin 1998.
4. En devenant membre, la
Chine s’est engagée à ouvrir encore davantage
son économie et son commerce au reste du monde. La plupart
des accords touchant le commerce devaient tous être en place
à la fin de 2003.
5. People’s Daily online,
le 21 avril 2004.
6. Voir D. Lague, Felling
Asia’s Forests, Far Eastern Economic Review, Décembre
2003.
7. On accorde de façon
plus étendue des prêts hypothécaires depuis
seulement quelques années, des prêts pour l’achat
de voiture, depuis 2001 et des cartes de crédit depuis 2002.
La Chine a permis aux banques commerciales d’accorder du crédit
à la consommation sur une base d’essai depuis la fin
des années 1990.
8. L’indice CRB au comptant
composé du prix de 23 matières sensibles.
9. Les marchandises codées
à deux chiffres dans le système harmonisé.
|