Étude spéciale
L’ampleur des importations dans les exportations des provinces
par Z. Ghanem* et P. Cross
Introduction
Le numéro de décembre 2002 de L’OÉC
étudiait la hausse du contenu importé des exportations
ainsi que ses conséquences sur l’importance des exportations
pour le revenu des Canadiens. La grande conclusion qui se dégage,
c’est que les sociétés ont augmenté leur
utilisation de produits importés pour fabriquer des produits
d’exportation, la plus grande partie de cette augmentation
étant survenue pendant les cinq années qui ont suivi
l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange.
Par conséquent, le PIB des produits à valeur ajoutée
du Canada est moins dépendant des exportations qu’on
ne le croit, et la demande d’importations est de plus en plus
suscitée par l’exportation plutôt que par la
demande intérieure. Le présent document présente
une analyse détaillée des provinces.
La méthode utilisée est essentiellement la même
que l’on mentionne dans l’article de décembre,
une méthode qui y est décrite de façon plus
détaillée quant aux sources de données et aux
concepts utilisés1. En bref, les comptes
d’entrées-sorties provinciaux de 1999 récemment
mis à jour servent à distinguer les importations ayant
servi à la production des exportations, classant les données
détaillées de l’industrie en 21 principaux
groupes de biens2. Les résultats reflètent
les différences économiques entre les provinces, surtout
le rôle dominant que jouent les structures géographique
et industrielle. En particulier, les biens manufacturés sont
ceux qui se prêtent le mieux à l’incorporation
d’importations dans leur processus de production. Cela reflète
en partie « que la tendance des manufactures consiste
à diviser la chaîne de valeurs – produire un
bien à plusieurs endroits, en ajoutant un petit peu de valeur
à chaque étape »3.
À l’inverse, les ressources naturelles (dont les coûts
de transport sont élevés mais la valeur ajoutée
basse) sont des produits davantage normalisés qui, souvent,
ne nécessitent que quelques étapes de production.
Les perspectives de commerce dans la production des services sont
même inférieures.
Ontario
L’Ontario a été la seule province où
l’ampleur des importations dans les exportations a surpassé
la moyenne nationale (40 % par rapport à 33 %).
Le fait que cette province aurait pu à elle seule compenser
les neuf autres reflète que l’Ontario réalise
à lui seul la moitié des exportations du Canada à
l’étranger et son utilisation d’importations
est élevée. La forte utilisation des importations
est attribuable à la fois à la structure industrielle
de l’Ontario et à sa proximité du centre industriel
des États-Unis.
L’Ontario dépend des exportations, surtout des automobiles,
des machines et des produits électroniques. Plus de la moitié
de la valeur des exportations d’automobiles est composée
d’importations incorporées, l’industrie de l’automobile
ayant été l’une des premières à
utiliser abondamment de pièces importées de partout
au monde dans les usines d’assemblage intérieures.
Les industries des machines et des produits électroniques
(surtout les ordinateurs et le matériel de communication)
ne sont pas loin derrière à plus de 40 %. La
croissance rapide de ces industries dans les années 90 explique
pourquoi le pourcentage de contenu importé des exportations
de l’Ontario a crû d’environ 5 points, ce
pourcentage se classant au deuxième rang des provinces. Contrairement
à la plupart des autres provinces, l’Ontario voit ses
exportations de ressources (notamment les métaux et la pâte
de bois) traîner derrière les services financiers et
administratifs en valeur absolue. Ces services ont un très
faible contenu importé d’environ 10 %.
Figure 1
Québec
Après l’Ontario, c’est le Québec qui a
affiché le plus important pourcentage de contenu importé
(28 %) dans ses exportations. Cela reflète à
la fois sa vaste base manufacturière et son accès
à l’industrie américaine, ce que l’on
a observé surtout pour les produits informatiques et électroniques,
dont le pourcentage de contenu importé (42 %) excède
même celui de l’Ontario. Cela a été compensé
par une réduction du contenu importé pour le matériel
de transport, qui, au Québec, est davantage orienté
vers l’aérospatiale que l’industrie de l’automobile.
L’industrie des produits chimiques, y compris la grande industrie
pharmaceutique, importe également près du tiers de
ses composantes. Le grand rôle du Québec en matière
d’exportation de ressources (comme des produits forestiers
et des métaux) a fait diminuer la moyenne globale.
Le Québec a été la seule province voisine des
États-Unis à montrer une baisse de l’intensité
des importations dans les années 90 (perte d’un point).
Il se peut que cela reflète l’évolution de sa
structure industrielle, surtout le ralentissement dans l’assemblage
d’automobiles, l’industrie qui utilise le plus de pièces
importées.
Ouest canadien
Au total, les quatre provinces de l’Ouest se sont classées
parmi les cinq dernières provinces pour l’ampleur des
importations en 1990 et en 1999. Les provinces des Prairies ont
ensemble montré le plus faible pourcentage de contenu importé
dans leurs exportations parmi toutes les régions. En particulier,
l’Alberta a affiché le plus faible taux d’importations
incorporées aux exportations, avec 15 %. Cela reflète
la prédominance de l’essence et du pétrole brut
dans ses exportations : ce produit montre un très faible
contenu importé (11 %), ce qui est comparable aux services
financiers. De même, les céréales et la viande
(les quatrième et cinquième exportations en importance)
ont peu de contenu importé, ce qui reflète leur processus
de production relativement simple.
Cependant, même les autres exportations en provenance de l’Alberta
ont montré un pourcentage de contenu importé bien
inférieur à celui du centre du Canada. Par exemple,
l’industrie des produits chimiques utilise seulement 19 %
de contenu importé pour ses entrées, par rapport à
près d’un tiers dans le centre du Canada, en partie
parce qu’aucune exportation de produits chimiques de l’Alberta
n’est composée de produits pharmaceutiques alors que
la proportion est de 19% au Québec. Cela indique que l’isolation
géographique relative de l’Alberta par rapport aux
États-Unis et aux ports limite les possibilités d’importer
des produits à bon marché pour fabriquer des produits
d’exportation. Par contre, on observe un pourcentage relativement
élevé d’importations dans les industries de
la haute technologie, notamment les produits informatiques et électroniques
(qui, à 44 %, excède ceux de l’Ontario
et du Québec).
De même, les exportations de la Saskatchewan ont montré
un taux relativement faible de 16 % d’importations incorporées.
Cela n’est pas surprenant, étant donné que,
comme l’Alberta, ses exportations les plus importantes sont
les céréales et les combustibles minéraux.
Le Manitoba compte le plus important taux d’importation dans
les Prairies avec 22 %, ce qui reflète la prédominance
du matériel de transport (surtout l’aérospatiale)
dans les exportations (part d’importations de 39 %).
Ses autres principales exportations sont en grande partie les ressources
naturelles (aliments, métaux et produits forestiers), qui
ont tous un contenu importé relativement faible.
Chaque province des Prairies a montré une croissance du contenu
importé dans les années 90, ces croissances ayant
varié de 3 points au Manitoba à 5 en Alberta
et à 6 en Saskatchewan (la plus importante parmi toutes les
provinces). Cela peut refléter une diversification éloignée
des ressources naturelles au cours d’une décennie marquée
par les prix extrêmement bas de nombreuses marchandises.
Seulement 19 % des exportations de la Colombie-Britannique
étaient constitués d’importations, ce qui est
comparable aux Prairies. Encore une fois, ce petit nombre est grandement
attribuable à la concentration des exportations dans le secteur
des ressources, le bois de construction, la pâte de bois,
le pétrole et l’essence ayant contribué pour
près de la moitié de toutes les exportations. Une
exception a été la catégorie des métaux
primaires, dont l’important contenu importé (39 %)
reflète le processus de production unique d’affinage
du métal (les fonderies étant situées près
des sources d’électricité à bon marché
et le minerai étant importé de l’étranger).
À l’inverse, l’industrie des machines et du matériel
de la Colombie-Britannique ne compte que 25 % de contenu importé
dans ses entrées, le taux le plus faible au Canada à
l’extérieur de Terre-Neuve.
La région de l’Atlantique
Dans les Maritimes, l’utilisation des importations est reliée
de près à la proximité de la frontière
des États-Unis. Le Nouveau-Brunswick vient en tête
grâce à une part de 28 %. Par contre, le taux
de cette province est celui qui a fluctué le plus, et il
se peut qu’il chute rapidement étant donné que
les grandes raffineries pétrolières du Nouveau-Brunswick
remplacent de plus en plus le pétrole brut des côtes
de Terre-Neuve par des importations de l’extérieur
du Canada (les données sur le commerce interprovincial pour
2001 et 2002 montrent que c’est le Nouveau-Brunswick qui a
le plus augmenté ses importations en provenance des autres
provinces).
La Nouvelle-Écosse a suivi avec une part de 26 % des
importations dans les exportations. Ce pourcentage relativement
haut représente le rôle important joué par les
biens manufacturés dans ses exportations (notamment les pneus
et le matériel de transport). L’Île-du-Prince-Édouard
suit derrière avec un contenu importé de seulement
18 % dans les exportations, ralentie par son isolation et sa
dépendance aux pommes de terre et au tourisme.
Terre-Neuve a affiché un contenu importé de ses exportations
unique. Malgré son isolation géographique, elle a
montré la plus importante part de contenu importé
de toutes les provinces en 1990 (38 %). Ce résultat
étrange était en grande partie attribuable au pétrole
importé des raffineries pétrolières. Comme
les exportations de pétrole brut d’Hibernia prenaient
de l’expansion, ceci a dilué le contenu importé
d’ensemble par 12 points, de loin la plus importante
chute de toutes les provinces (et a probablement chuté de
nouveau lorsque Terra Nova a augmenté sa production). En
excluant le raffinage du pétrole, la part en importations
des exportations tombe à un creux canadien de 17 %,
ce à quoi il fallait s’y attendre étant donné
qu’il s’agit surtout de ressources naturelles provenant
d’une région éloignée.
Classement par province
Le tableau 1 montre que, si on tient compte de la présence
de contenu importé dans les exportations, on remarque un
changement de perception de l’importance des exportations
pour le PIB à valeur ajoutée. La première colonne
montre le classement des provinces selon la part des exportations
brutes du PIB. Les deux premières provinces (l’Ontario
et le Québec) comptent également le plus important
pourcentage de contenu importé dans leurs exportations. À
l’inverse, les provinces de l’Ouest se classent toutes
au milieu, étant donné que leur base de ressources
comprend un faible taux de contenu importé dans leurs exportations.
Tableau 1 : Contenu exporté du PIB provincial, 1999
Ordonné selon : |
Exportations brutes |
Exportations en valeur ajoutée |
1. Ontario (53%) |
1. Saskatchewan (33%) |
2. Québec (39%) |
2. Ontario (32%) |
3. Saskatchewan (39%) |
3. Alberta (31%) |
4. T.-N.-L. (38%) |
4. Québec (28%) |
5. Alberta (37%) |
5. T.-N.-L. (28%) |
6. Nouveau-Brunswick (36%) |
6. Colombie-Britannique (27%) |
7. Colombie-Britannique (33%) |
7. Nouveau-Brunswick (26%) |
8. Manitoba (30%) |
8. Île-du-Prince-Édouard (25%) |
9. Île-du-Prince-Édouard (30%) |
9. Manitoba (24%) |
10. Nouvelle-Écosse (25%) |
10. Nouvelle-Écosse (18%) |
En soustrayant le contenu importé des exportations, on obtient
la part réelle des revenus produits par l’exportation
de produits à valeur ajoutée. Le classement de la
colonne 2 montre certaines différences claires comparativement
à la part brute des exportations à la colonne 1.
La Saskatchewan occupe la tête, sa part de 39 % des exportations
brutes du PIB ne diminuant qu’à 33 % après
déduction des entrées importées. L’Ontario
chute deuxième, car sa part sous-jacente d’exportation
du PIB est de 32 % (et non de 53 % comme dans la colonne 1).
L’Alberta monte de deux rangs et se classe troisième,
tandis que le Québec glisse de deux places et occupe le quatrième
rang. Il n’y a presque pas eu de changements parmi les autres
provinces.
La dispersion entre les provinces des parts d’exportation
est bien moins importante qu’elle n’en a l’air.
À la colonne 1, l’écart entre la plus grande
part d’exportation (53 % en Ontario) et la plus petite
(25 % en Nouvelle-Écosse) est de 28 points. Les
parts des exportations de produits à valeur ajoutée
à la colonne 2 sont beaucoup plus semblables, car elles
varient de seulement 15 points entre la Saskatchewan et la
Nouvelle-Écosse. Logiquement, ces petites portions donnent
encore plus de sens aux changements observés au cours des
dernières années. Par exemple, la croissance constante
en Ontario au moment où l’économie américaine
a ralenti après 2000 serait difficile à expliquer
si les exportations contribuaient vraiment pour plus de la moitié
de l’ensemble des revenus. De même, le classement de
la Saskatchewan à titre de province la plus vulnérable
aux changements des exportations, se reflète par des baisses
consécutives de son PIB en 2001 et en 2002, tandis que les
exportations de céréales ont diminué.
Conclusion
La forte hausse du flux des échanges au-delà de notre
frontière est l’une des plus importantes variations
économiques de la dernière décennie et la manifestation
la plus visible de la mondialisation, les sociétés
utilisant davantage d’importations dans leur processus de
production. Au niveau provincial, cette tendance du commerce et
de la production est toutefois concentrée dans les industries
manufacturières du centre du Canada. La région de
l’Atlantique verra peut-être une réduction du
nombre de ses importations, les sources d’énergie intérieures
étant remplacées par le pétrole importé.
Pendant ce temps, l’Ouest canadien compte le plus faible taux
de contenu importé incorporé dans ses exportations,
comme preuve de sa dépendance aux ressources naturelles pour
les exportations et de sa distance par rapport aux autres producteurs.
Études spéciales récemment
parues
Notes
* Division des Entrées-sorties (613) 951-4108.
1 P. Cross, « Implications cycliques de la hausse
du contenu importé des exportations », L’Observateur
économique canadien, (no 11-010-XPB au catalogue), déc.
2002, vol. 15, no 12.
2 Contrairement aux données nationales, certaines
données provinciales sur les biens ne peuvent être
diffusées en raison de contraintes de confidentialité.
3 P. Krugman, « Growing World Trade: Causes and Consequences »,
p. 334 in Brookings Papers on Economic Activity, I: 1995.
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