Étude spéciale
1. Les Canadiens paient-ils plus que les Américains pour
les mêmes produits?
par J. Baldwin et B. Yan*
Introduction
La succession de cycles de négociations commerciales qui
ont culminé dans la conclusion en 1989 de l’Accord
canado-américain de libre-échange (ALE) a entraîné une
intégration accrue entre les économies de ces deux
pays. Un indicateur du degré d’intégration
est le degré d’alignement des prix canadiens sur les
prix américains.
Sur un marché nord-américain parfaitement intégré et
concurrentiel, des produits identiques échangés sur le plan international
devraient commander dans les divers pays visés le même prix de vente
dans une monnaie commune suivant ce que l’on appelle la loi du prix unique.
Il peut y avoir des exceptions à cette règle, car des différences
de productivité, de coût de revient et de pouvoir d’achat
peuvent déterminer des différences de prix entre les pays. Ajoutons
que certains produits, et notamment les services, ne s’échangent
pas aussi généralement que les biens et que leurs prix n’obéiront
sans doute pas à cette loi.
On peut donc s’attendre à ce que les pouvoirs d’achat respectifs
des dollars canadien et américain dépendent des produits qui sont
achetés et du degré d’intégration des deux économies.
Dans cet article, nous nous demanderons comment les prix canadiens se distinguent
en niveau des prix américains selon les catégories de produits
et comment cet écart a évolué au fil des ans.
Sources de données
Les données exploitées viennent de notre Programme de parité de
pouvoir d’achat. Elles appréhendent plus de 160 prix de produits
du commerce bilatéral dans cinq années de référence, à savoir
1985, 1990, 1993, 1996 et 1999. Pour rendre les données plus comparables,
nous nous concentrons sur les produits du secteur des entreprises en excluant
les dépenses des administrations publiques. Nous obtenons ainsi une description
de 168 biens et services pour les quatre premières années
et de 165 pour 1999 (le système de classification diffère légèrement
entre ces premières années et 1999).
Les biens et les services sont classés dans trois groupes : produits échangeables
homogènes, produits échangeables différenciés et
produits non échangeables. En général, on considère
comme non échangeables les produits qui ne s’expédient pas
aisément par la frontière canado-américaine (qu’il
s’agisse de la construction, des services en général ou des
services publics). Seront donc qualifiés d’échangeables les
produits d’une circulation transnationale relativement libre. Dans cette
catégorie, il y aura des produits plus normalisés (produits alimentaires
comme la farine) comme produits homogènes et des produits relativement
plus hétérogènes (machines et matériel, par exemple)
comme produits différenciés1.
Nous examinerons les différences de niveau de prix par les ratios de prix
bilatéraux, ceux-ci étant exprimés dans la même monnaie,
le dollar américain en l’occurrence. Les niveaux de prix comparés
(NPC) mesurent le degré de supériorité ou d’infériorité du
niveau des prix d’un produit national par rapport au produit correspondant
de l’autre pays. Ainsi, pour un kilo de riz de 2,49 $ (dollars américains)
aux États-Unis et de 2,99 $ (dollars canadiens) au Canada et un taux
de change de 70 cents (É.-U.), le NPC est de 0,84 ((2,99 x 0,7)/2,49),
ce qui implique une infériorité de 16 % du prix canadien par
rapport au prix américain.
Si le prix était de 3,52 $ (dollars canadiens) au Canada, le NPC
serait de 1,0 ((3,52 x 0,7)/2,49). Dans ce cas, il n’y a aucun
gain d’arbitrage. Si les différences de prix s’éliminaient
dans le commerce, une augmentation du taux de change (de 0,7 à 1,0) s’accompagnerait
d’une baisse du prix canadien de 3,52 à 2,49 et le NPC demeurerait à 1,0.
S’ils ne s’adaptaient pas entièrement en baisse à une
hausse du taux de change, les prix canadiens (exprimés en dollars américains)
s’accroîtraient par rapport aux prix américains. Si prix canadiens
et prix américains se soldaient rapidement en équilibre par arbitrage, à une
variation du taux de change correspondrait une absence de variation du prix relatif
(NPC), auquel cas la corrélation de variation serait nulle entre le taux
de change et les NPC. Si un prix canadien ne réagit pas au taux de change,
cette même corrélation serait de 1,0 entre le taux de change et
le NPC.
Niveaux de prix comparés par groupe de produits
Le tableau 1 indique la médiane des niveaux de prix
comparés sur cinq ans dans chacun de nos trois groupes de
produits (dans tous les tableaux, les États-Unis sont le
pays de référence). Pour les produits d’une
circulation transnationale relativement libre, les prix étaient
en moyenne de 3 % plus élevés au Canada qu’aux États-Unis.
Pour les produits qui ne s’échangent pas facilement
d’un pays à l’autre comme les services, les
prix étaient en moyenne de 8 % inférieurs au
Canada. L’explication en est probablement que la prestation
de services exige plus de main-d’œuvre et que les salaires
canadiens le cèdent aux salaires américains.
Les différences de prix sont statistiquement significatives pour les
produits échangeables ou non2, mais dans le cas des produits normalisés
ou homogènes, les prix canadiens ne l’emportaient que de 2 %
sur les prix américains. Cette différence n’était
pas statistiquement significative. Cela accrédite l’argument selon
lequel les pressions de la concurrence tendent à égaliser les
prix de produits identiques.
Tableau : 1 Médiane des niveaux de prix comparés par groupe de produits (États-Unis = 1,0)
Groupe |
Nombre |
Niveau de |
Différence de |
|
d'observations |
prix comparé |
prix en % |
|
|
|
|
Produits échangeables |
599 |
1,03 |
3 |
Homogènes |
344 |
1,02 |
2 |
Différenciés |
255 |
1,04 |
4 |
Produits non échangeables |
232 |
0,92 |
-8 |
Évolution dans le temps des niveaux de prix comparés
Un des facteurs qui influent sur les niveaux de prix comparés est le
taux de change. Il est possible que, à court terme, les prix canadiens
ne réagissent pas aux mouvements du taux de change pour diverses raisons.
Disons d’abord que les prix traduisent tant le coût de revient
d’un produit manufacturé que la marge du vendeur, laquelle n’est
pas échangeable autant que le produit manufacturé. Il se peut
donc que les prix canadiens ne réagissent pas immédiatement aux
mouvements du taux de change, auquel cas les mouvements des NPC seront en corrélation
avec les variations de la monnaie.
Comme nous l’avons noté, si les prix ne réagissent pas
immédiatement en baisse à une augmentation du taux de change,
les NPC (division des prix américains par les prix canadiens exprimés
en dollars américains) évolueront en hausse. Si les prix canadiens
ne s’élèvent pas en proportion d’une diminution du
taux de change, les niveaux de prix comparés évolueront en baisse.
Si les prix canadiens s’adaptent proportionnellement aux variations du
taux de change, les NPC n’évolueront pas.
Le taux de change canado-américain a subi plusieurs mouvements à long
terme depuis 20 ans. Notre dollar s’est dévalorisé de
1980 à 1986 et valorisé de 1986 à 1991 par rapport au
dollar américain. Depuis cette dernière année, il a constamment
perdu de sa valeur, passant de 87 cents
(É.-U.) à 64 seulement en 2002.
Les variations du taux de change se retrouvent dans l’évolution
des prix comparés des deux pays. Le tableau 2 et la
figure 1 indiquent que la médiane des niveaux de prix
comparés a suivi les mouvements du taux de change, ce qui
signifie que, au gré de la valorisation du dollar canadien,
nos produits sont devenus relativement plus chers que les produits
américains (prix exprimés dans une monnaie commune).
Ainsi, lorsque le dollar canadien s’est valorisé vers
la fin de la décennie 1980, le prix médian au
Canada de tous les produits visés par notre étude
a évolué en hausse : il était de 5 %
inférieur au prix correspondant aux États-Unis en
1985 et de 10 % supérieur en 1990. Malgré la
dévalorisation de notre dollar après 1991, le pouvoir
d’achat des consommateurs canadiens s’est amélioré.
En 1999, le prix médian global était de 11 %
moins élevé au Canada qu’aux États-Unis.
La différence était de 14 % pour les produits échangeables
homogènes, de 4 % pour les produits échangeables
différenciés et de 20 % pour les produits non échangeables.
Figure 1
Tableau : 2 Médiane des niveaux de prix comparés par groupe de produits dans le temps (États-Unis = 1,0)
|
1985 |
1990 |
1993 |
1996 |
1999 |
|
|
|
|
|
|
Produits échangeables |
|
|
|
|
|
Niveau de prix comparé |
0,98 |
1,14 |
1,09 |
1,02 |
0,93 |
Différence de prix (%) |
-2 |
14 |
9 |
2 |
-7 |
|
|
|
|
|
|
Produits échangeables homogènes |
|
|
|
|
|
Niveau de prix comparé |
0,98 |
1,13 |
1,07 |
1,01 |
0,86 |
Différence de prix (%) |
-2 |
13 |
7 |
1 |
-14 |
|
|
|
|
|
|
Produits échangeables différenciés |
|
|
|
|
|
Niveau de prix comparé |
0,98 |
1,15 |
1,11 |
1,03 |
0,96 |
Différence de prix (%) |
-2 |
15 |
11 |
3 |
-4 |
|
|
|
|
|
|
Produits non échangeables |
|
|
|
|
|
Niveau de prix comparé |
0,83 |
1,01 |
0,98 |
0,89 |
0,80 |
Différence de prix (%) |
-17 |
1 |
-2 |
-11 |
-20 |
|
|
|
|
|
|
Ensemble des produits |
|
|
|
|
|
Médiane |
0,95 |
1,10 |
1,04 |
0,99 |
0,89 |
Différence de prix (%) |
-5 |
10 |
4 |
-1 |
-11 |
|
|
|
|
|
|
Taux de change |
0,73 |
0,86 |
0,78 |
0,73 |
0,67 |
Il y a variation selon les produits de la corrélation entre les changements
de niveau de prix comparé et le taux de change. Ainsi, les mouvements
des NPC de produits non échangeables comme les coiffures, les loyers
et les services d’eau traduisent largement les mouvements du taux de
change avec des valeurs respectives de corrélation de 0,81, 0,93 et
0,98 (figure 2). Les prix canadiens (exprimés en dollars canadiens)
ne réagissent pas à ces derniers mouvements et, par conséquent,
les NPC (exprimés en dollars américains) sont presque entièrement
le reflet des mouvements du taux de change.
Figure 2
Les variations des NPC de produits comme les automobiles et le café traduisent
en partie les variations du taux de change (figure 3). Ainsi, il en coûtait
9 % de moins en 1985 pour acheter une voiture au Canada qu’aux États-Unis.
En 1990 cependant, les prix étaient de 15 % supérieurs au
Canada après une période de valorisation du dollar canadien.
En 1999, les voitures étaient moins chères dans une proportion
de 13 % au terme d’une période de constante dévalorisation
du dollar canadien. La corrélation entre les variations respectives
du taux de change et des NPC est moindre que pour nos trois exemples de produits
non échangeables (0,80 pour le café et 0,70 pour les voitures),
mais elle demeure étroite.
Figure 3
Il convient de noter que l’évolution des NPC des produits échangeables,
homogènes ou non, n’est pas été aussi ample que
celle du taux de change. L’importance de l’évolution des
NPC au gré des fluctuations de taux de change pourrait nous livrer une
mesure du degré de discrimination de prix sur les deux marchés.
Plus s’accroît le mouvement des NPC, plus augmente aussi l’écart
entre les prix américains et canadiens (exprimés dans une même
monnaie). On notera donc avec intérêt que la différence
s’était plus accentuée en 1999 dans les produits homogènes
que dans les produits différenciés.
Conclusion
Il importe de pouvoir évaluer comment notre économie
se compare à celle de notre principal partenaire commercial.
Nous nous sommes attachés au pouvoir d’achat des consommateurs
canadiens par rapport à celui des consommateurs américains
de manière à juger du degré d’intégration
des marchés des deux pays.
En nous reportant aux données de prix sur plus de 160 produits
dans les cinq années visées, nous constatons que, en moyenne,
il n’y avait pas de différences de prix significatives entre le
Canada et les États-Unis pour des produits hautement normalisés
qui sont d’une circulation transnationale relativement libre.
On pouvait cependant dégager des sous-ensembles aux différences
significatives. Dans la période étudiée, les consommateurs
canadiens ont payé en moyenne 4 % de plus pour des produits échangeables
hautement différenciés, mais 8 % de moins pour des produits
qui ne s’échangent pas facilement par la frontière canado-américaine
comme les services. Vu la taille du secteur des services, les prix moindres
de ces derniers au Canada contribuent largement à la détermination
des niveaux de vie canadiens par rapport aux niveaux de vie américains.
L’évolution du niveau de prix comparés entre les deux pays
traduisait généralement les variations du taux de change. Les
prix canadiens, plus particulièrement des produits échangeables,
peuvent être le reflet des prix américains à long terme,
mais ils réagissent lentement aux mouvements du taux de change. Il y
a un décalage dans l’adaptation des prix canadiens aux prix américains
lorsqu’on exprime les uns et les autres dans une même monnaie.
Notes
* Études et analyse micro-économique (613) 951-8588.
1 Notre plan de classement repose sur le jugement professionnel
et l’analyse discriminante (comme données, on considère
l’indice commercial intraindustriel de Grubel, l’intensité de
la publicité et le nombre de produits appartenant aux divers
groupes). Il s’agit de voir dans quelle mesure les produits
se rangent respectivement dans le groupe homogène et le
groupe différencié.
2 Au taux de confiance de 1%.
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