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11-010-XIB
L'Observateur économique canadien
Avril 2007

Étude spéciale

Revue de fin d’année : la ruée vers l’Ouest

par P. Cross.*

L’économie mondiale est en plein essor depuis plus de quatre ans, traversant sa plus longue période de croissance en 50 ans d’après le FMI. Le Canada et les États-Unis ont vu leur économie progresser constamment malgré un ralentissement hautement médiatisé de l’activité dans les secteurs de l’automobile et de l’habitation chez notre voisin du sud. Par ailleurs, l’économie a été en forte relance en Europe et au Japon. L’intégration rapide des nouvelles économies de marché, notamment celles de la Chine et de l’Europe orientale, à l’économie mondiale constitue toujours un fait marquant dans les courants d’échanges et d’investissements ainsi que dans les mouvements des prix.

Si on considère ce qu’a été l’année, plusieurs événements ressortent au Canada. Le plus évident est la prédominance de l’Alberta dans la croissance économique, ce qui devait de plus en plus influer sur d’autres variables, dont celle des mouvements de population. Toutefois, le thème qui fait figure de fil directeur dans tout notre exposé est l’adaptabilité des Canadiens à l’évolution rapide de leur économie. Si on regarde quelques années en arrière, on peut voir que l’économie canadienne a subi un certain nombre de chocs qui, par le passé, auraient très bien pu provoquer un ralentissement de l’activité, voire une récession. Ce qu’on observe, c’est plutôt un régime de croissance remarquablement stable depuis 2003.

Dans l’ensemble, la progression du PIB et sa composition sectorielle ressemblent fort à ce qu’elles ont été au cours des trois dernières années. Il y a eu en effet adaptation continuelle de l’économie à des prix des produits de base plus musclés et à une évolution plus dynamique du taux de change, double mouvement qui se poursuit une quatrième année. En valeur réelle, le PIB s’est élevé de 2,7 %; c’est un peu moins que les 2,9 % de 2005, malgré un ralentissement au milieu de l’année, et exactement la moyenne annuelle depuis 2003. Les dépenses intérieures ont continué à mener le mouvement avec une ferme hausse de 4,5 %. Les investissements des entreprises se sont caractérisés par un taux stable de progression d’environ 9 % une quatrième année de suite. Le marché de l’habitation a peu à peu ralenti (contrairement à celui des États-Unis, où les freins ont été appliqués brutalement) avec pour contrepartie l’ascension la plus ample des dépenses de consommation en une décennie. À l’exportation, les dépenses ont perdu de leur rythme une deuxième année de suite pour se retrouver derrière les dépenses intérieures pour la troisième fois en quatre ans.

Que les dépenses intérieures soient d’une telle fermeté n’a pas de quoi étonner, puisque le revenu du travail et les bénéfices des sociétés ont progressé de 6 %, alors que les prix à l’importation décroissaient une quatrième année de suite, entraînés par une nouvelle hausse de 7 % du taux de change. Malgré plusieurs majorations modestes des taux à court terme au premier semestre, les taux d’intérêt demeurent bas.

On s’étonnera encore plus que le ralentissement ait été si modeste l’an dernier si on considère que la liste des sujets d’inquiétude et des menaces appréhendées en matière économique était longue. Les écueils aperçus par les analystes comprenaient : le marasme des marchés américains de l’automobile et de l’habitation, les déséquilibres commerciaux qui s’accentuent entre les États-Unis, la Chine et l’OPEP, le déficit budgétaire américain, la surexposition des fonds hautement spéculatifs (hedge funds), l’éclatement possible des marchés des produits de base et/ou des marchés boursiers, l’agitation devant les économies en émergence, l’ombre du protectionnisme qui s’étend au moment même où s’interrompent les pourparlers au sujet d’un nouveau pacte commercial dans le monde, le renchérissement de l’énergie et la menace constituée par la sous-capitalisation des passifs des régimes de retraite.

Ce n’est toutefois pas la première fois que les menaces qui pèsent sur la croissance ne font pas dérailler l’économie. Dans la dernière décennie seulement, l’économie mondiale a survécu à des chocs : effondrement du fonds de couverture Long-Term Capital Management, crise financière asiatique vers la fin des années 1990, éclatement de la bulle de la haute technologie en 2000 (qui a provoqué le pire marché baissier pour les actions depuis la Grande Dépression), attentats terroristes du 11 septembre 2001, guerres qui s’enlisent au Moyen-Orient, montée du taux de change et hausse du prix des produits de base.

Essor du secteur des ressources

Les cours des produits de base en sont à leur cinquième année d’essor. À l’origine, l’aiguillon avait été la montée des cours de l’énergie, mais ceux-ci ont perdu de leur élan l’an dernier, surtout le prix du gaz naturel, car la clémence des conditions météorologiques en 2006 a créé un état de surabondance en Amérique du Nord. Les métaux ont pris le relais et leurs cours ont été portés à des niveaux records l’an dernier. Ce qu’on appelle les métaux communs (cuivre, nickel, zinc et minerai de fer) ont été en tête de mouvement, déclassant leurs plus illustres cousins, des métaux précieux comme l’or et l’argent. C’est que la demande a augmenté pour l’expansion industrielle de pays en développement comme la Chine. Un indicateur de la force des mines est qu’il s’agit du seul secteur d’activité qui a augmenté l’emploi dans chaque province l’an dernier.

Figure 1

À la fin de l’année, on était porté à croire que cette fermeté des cours gagnait désormais les produits agricoles. Grâce à la croissance soutenue de la demande et aussi à cause de la sécheresse en Australie, le prix du blé a atteint un sommet en 10 ans. Le prix du maïs a profité de la flambée des prix de l’éthanol provoquée par le renchérissement des hydrocarbures. Il reste que les cours de l’énergie et des métaux étaient assez élevés pour stimuler les investissements dans la plupart des secteurs.

L’énergie, les métaux et les denrées agricoles ont tour à tour brillé sur le marché des produits de base, mais une infortunée constante dans le cycle actuel est la faiblesse des prix des produits forestiers. Le prix du bois d’œuvre s’est enfoncé en raison du marasme de la demande sur le marché américain de l’habitation. Le nombre croissant de propriétaires en Chine n’était pas là pour compenser, car dans ce pays la tradition boude le bois de construction résidentielle. Dans l’industrie des pâtes et papiers, les producteurs ont dû faire face à d’incessantes baisses de la demande (les journaux perdent de leur tirage à mesure que les lecteurs optent pour Internet comme source d’information) et à l’intensification de la concurrence de pays tropicaux comme le Brésil et l’Indonésie où les forêts se régénèrent plus vite que la forêt boréale canadienne1.

Le prix du gaz naturel a fortement diminué l’an dernier, mais le prix du pétrole a atteint une valeur record de 77 dollars américains le baril au milieu de l’année et est resté assez élevé en 2007 pour que les investissements continuent à croître. Un trait permanent de la multiplication des investissements en énergie est le déplacement qui s’opère au profit des sources non classiques. L’exemple le plus éloquent en est l’exploitation des sables pétrolifères et des gisements extracôtiers en fonction même de l’épuisement des riches gisements pétroliers du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien. Il en va du gaz naturel comme du pétrole. L’Office national de l’énergie indique que l’exploitation de gisements de méthane houiller (presque entièrement dans les secteurs albertains de Mannville et des contreforts des Rocheuses) a connu « une progression remarquable au cours des dernières années » et prévoit que ceux-ci représenteront 5 % de tout l’approvisionnement canadien en 20082. Il faut y voir aussi en partie l’effet de la productivité nettement réduite des nouveaux gisements gaziers.

Afflux d’investissements dans le domaine de l’énergie

L’exploitation des sables bitumineux du nord de l’Alberta demeure la grande tendance dans le secteur de l’énergie; c’est une tendance qui refait la carte économique de notre pays. Les entreprises ont continué à cultiver de tels investissements, lesquels ont triplé, passant de 5,2 milliards de dollars au début de la flambée des cours du pétrole en 2003 à une valeur de 16,1 milliards de dollars en 2007 selon les prévisions3. Un certain nombre de facteurs ont favorisé ces investissements. Non seulement les cours du pétrole brut ont atteint un sommet l’an dernier, mais de nouveaux raccordements d’oléoducs ont permis de dépasser la plaque tournante que constitue le Midwest américain et, ainsi, de lever en partie la contrainte de prix qui s’attache au bitume brut extrait des sables pétrolifères4. De même, divers facteurs géopolitiques (qu’il s’agisse de l’agitation persistante au Moyen-Orient et au Nigeria ou de la vague de nationalisations qui a déferlé sur la Russie et l’Amérique du Sud) ont rendu relativement plus attrayants les investissements en Alberta. Ces facteurs favorables ont chassé toute hésitation des entreprises à cause des pénuries de main-d’œuvre et de matières et de la montée des coûts. C’est ainsi que le taux prévu de progression des investissements a plus que doublé, passant de 18 % en 2006 à 39 % cette année.

Figure 2

Les projets d’investissement dans les sables bitumineux en 2007 s’approchent des 21,4 milliards de dollars de dépenses prévus pour tout ce qui est mise en valeur du pétrole et du gaz classiques en Alberta. S’il existe un long décalage temporel entre l’investissement pour la construction d’installations et la production de bitume brut dans ce secteur comparativement aux sources classiques, on constate que la production bitumineuse est en constante progression. L’an dernier, elle représentait presque la moitié (46 %) de toute la production de pétrole brut au Canada, ayant presque doublé la part qui était la sienne une décennie auparavant.

Afflux d’investissements qui alimente l’essor de l’Alberta

Les effets économiques de l’exploitation des sables pétrolifères se font sentir partout en Alberta. La ville d’attache des sociétés pétrolières au Canada, Calgary, a connu une croissance sans précédent. L’an dernier, l’emploi dans le secteur de la production de biens à Calgary a grimpé de 21 %, ce qui constitue la plus importante augmentation jamais vue dans n’importe quelle ville canadienne. Avec une demande en multiplication dans les sociétés pétrolières pour toutes sortes de services aux entreprises (services d’architecture et de génie pour le développement, et services juridiques, comptables et financiers pour les marchés commerciaux), l’élévation du revenu moyen à Calgary a été de 19 % au cours des deux dernières années.

L’expansion des entreprises a ramené à presque rien les taux d’inoccupation des immeubles de bureaux dans cette ville. En réaction, EnCana (qui a annoncé des bénéfices records pour une seule et même entreprise au Canada5) a fait part de son intention de construire au centre-ville de Calgary une tour de bureaux de 59 étages en forme de croissant. Cet immeuble appelé The Bow serait le plus imposant du Canada à l’ouest de Toronto. Le plus important, c’est qu’il marque le déplacement vers l’ouest du centre de gravité de l’économie du pays. On a salué ce chantier comme symbolisant l’ascension de Calgary au Canada et son rôle de carrefour mondial de l’énergie, tout comme la First Canadian Place a été emblématique de la prédominance de Toronto vers la fin des années 19706.

Si Calgary a constitué l’épicentre du mouvement de planification et de financement du secteur pétrolier, Edmonton a été le centre d’approvisionnement réel du secteur des sables pétrolifères à plusieurs centaines de kilomètres au nord. L’an dernier, à Edmonton, la croissance de l’emploi dans les services a presque égalé la croissance de 4 % de Calgary. Comme Calgary, Edmonton et, bien sûr, la région pétrolifère de Fort McMurray ont été en plein essor, on ne s’étonnera pas que l’économie albertaine ait littéralement bondi en avant en 2006.

La feuille de route de l’Alberta s’est ornée l’an dernier d’un certain nombre de fleurons : croissance la plus rapide des ventes au détail dans une province (16,2 %), montée la plus ample des permis de construire et de la construction non résidentielle (3,7 milliards et 1,1 milliard de dollars respectivement), taux de chômage le plus bas (3,4 %) et plus grande migration interprovinciale nette jamais relevée7. À 66 800 personnes, le nombre de chômeurs en Alberta était le plus faible en termes absolus depuis 1981, malgré une croissance démographique de près d’un million de personnes (ou 47 %) au cours du dernier quart de siècle. Son gain d’emploi de 4,8 % est le meilleur de toute province en près de deux décennies (l’Alberta avait encore fait mieux vers la fin des années 1970 et la Colombie-Britannique de même en 1989).

C’est aussi à cette province qu’on peut attribuer une croissance de l’emploi et des ventes au détail plus rapide au Canada qu’aux États-Unis l’an dernier. En fait, sans l’Alberta, la croissance dans le reste du Canada aurait été légèrement devancée par les États-Unis dans ce double domaine. Chez notre voisin du sud, l’emploi a progressé de 1,9 %, tandis que, au Canada, l’Alberta portait de 1,6 % à 2,0 % le gain à l’échelle du pays. De même, la hausse record des ventes au détail en Alberta a relevé le taux national de 4,9 % à 6,4 % contre 6,1 % aux États-Unis.

Les records et les gains de l’Alberta n’étaient pas tous les bienvenus : les prix de l’habitation neuve ont fait un bond de 36 % en moyenne à Edmonton et à Calgary, les émissions de gaz à effet de serre se sont sans nul doute aggravées, la criminalité a augmenté et il a été de plus en plus difficile de garder les jeunes à l’école8. Les Canadiens ont néanmoins reconnu pratiquement que les bienfaits en apport de richesse l’emportaient sur les méfaits.

Les entreprises du secteur des ressources ont dominé une fois de plus l’an dernier pour la croissance des bénéfices à l’échelle du Canada. Dans l’industrie de l’extraction (avec les mines mais sans le pétrole ni le gaz), les bénéfices d’exploitation ont presque triplé depuis 2003. Dans le sous-secteur du pétrole et du gaz, ils ont doublé. La montée en flèche des bénéfices dans les secteurs minier et énergétique rappelle la folle équipée du secteur de la TIC au sommet de son activité en 1999 et 2000. Si on y regarde de plus près, on relève toutefois des différences importantes. La bulle des TIC avait surtout pour origine une vision démesurée des perspectives de croissance des projets liés à Internet et, dans la plupart des cas, cette vision ne s’est pas matérialisée. L’essor minier actuel s’ancre plutôt fermement dans la croissance réelle de la demande mondiale de métaux et d’énergie qui provoque souvent bel et bien des pénuries9.

Il faut aussi dire que la bulle de la haute technologie a fait naître une pléthore d’investissements et que le marché s’est retrouvé en surcapacité. Les investissements actuels des entreprises des secteurs de l’énergie et des mines sont bien plus discrets. Voilà une des raisons pour lesquelles la croissance des investissements n’a pas été supérieure ces trois dernières années aux taux de progression du passé dans ce domaine. Tandis que le stock de capital dans le pétrole et le gaz a plus que doublé au cours de la dernière décennie, le reste de l’industrie minière ne fait que commencer à recouvrer la perte de près du quart de sa capacité de production au cours des deux dernières décennies. De cette prudence en matière d’accroissement des capacités témoignent en partie les excédents financiers records de 71 milliards de dollars de sociétés qui se sont plutôt employées à assurer de meilleurs rendements aux actionnaires par de vastes rachats d’actions et des paiements plus généreux de dividendes.

Figure 3

La grande marche à l’ouest

La population du Canada10 a crû dans l’ensemble de 1,0 % l’an dernier. La population a rétréci dans quatre provinces et un territoire. Il n’y a qu’en 2005 que les baisses aient été si répandues. Les provinces touchées sont Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, la Saskatchewan de même que les Territoires du Nord-Ouest (il faut aussi dire que la croissance a été infime à l’Île-du-Prince-Édouard et au Manitoba). Le grand facteur qui a joué est la migration vers l’Alberta. Dans tous les cas, les sorties nettes au profit de l’Alberta ont plus que rendu compte des pertes de population.

L’Alberta s’affirme de plus en plus comme pôle d’attraction pour les habitants de toutes les provinces canadiennes, grandes et petites, riches et pauvres. Son gain démographique net a été de 57 105 personnes par la migration interprovinciale. C’est le plus grand mouvement de population vers une province depuis 1972; il est bien supérieur à l’apport de 46 133 personnes en Ontario en 1987. Cette marche à l’ouest s’est nettement accélérée depuis deux ans à mesure que se répandait la nouvelle de la prospérité albertaine. Après un apport net moyen de 11 000 personnes seulement en 2003 et 2004, l’entrée nette a été de 34 423 en 2005 avant même que le présent record ne soit établi l’an dernier. Dans la dernière décennie, le gain net par la migration interprovinciale a équivalu à 10 % de toute la population de l’Alberta en 1996 et près de la moitié de sa croissance de 600 600 personnes.

Figure 4

Cette migration en provenance du reste du Canada a fourni le gros de l’enrichissement migratoire de cette province l’an dernier. Pour sa croissance démographique, l’Alberta dépend bien plus de la migration interprovinciale que de la migration internationale. Si elle a gagné 98 000 habitants au total en 2006, c’est que le reste du Canada lui en a procuré près de 60 %, l’apport de la migration internationale n’étant que de 14 000 personnes (le reste est de l’accroissement naturel et, en particulier, une montée de la natalité qui a été supérieure à la moyenne).

Le profil démographique de ces apports par la migration interprovinciale correspond parfaitement à ce que sont les besoins chroniques de main-d’œuvre de l’Alberta. Aux deux tiers environ, les nouveaux venus étaient âgés de 18 à 44 ans (15 200 jeunes et 21 800 adultes de 25 à 44 ans). En 2005, une franche diminution du nombre de travailleurs de cette tranche d’âge avait aggravé les pénuries de main-d’œuvre dans la province. Grâce aux travailleurs venus des autres provinces, la population, l’activité et l’emploi ont repris l’an dernier dans le groupe d’âge des 15 à 44 ans11.

Les conséquences de la répartition plus efficace des travailleurs en Alberta sont importantes pour l’économie nationale. Dans l’ensemble, le taux de progression de l’emploi s’est établi à 2,0 % au pays en 2006 contre 1,4 % seulement en 2005. Presque tout ce gain de croissance est cependant attribuable à un taux de progression qui a plus que triplé en Alberta, passant de 1,5 % à 4,8 %. La grande différence sur le marché du travail albertain s’est manifestée non pas du côté de la demande (il est sûr que les employeurs auraient pu embaucher plus de travailleurs en 2005) mais plutôt du côté de l’offre. Accueillant des travailleurs des autres provinces, les employeurs pouvaient se mettre à pourvoir à leurs postes vacants. La main-d’œuvre est cependant demeurée déficitaire dans cette province, le taux de chômage se situait à un bas niveau record et les entreprises signalaient toujours d’importantes pénuries. Précisons que, dans le reste du pays, le tableau de l’emploi n’a pas évolué outre mesure avec des hausses de 1,4 % en 2005 et de 1,6 % en 2006.

La Colombie-Britannique bonne deuxième

En toute autre année, la Colombie-Britannique aurait eu la vedette. Dans cette province, l’emploi a crû de 3,1 % en 2006 à la suite d’un gain de 3,3 % en 2005. C’était autant que la croissance effrénée en Alberta depuis deux ans. Pour faire mieux que la Colombie-Britannique, il n’y a eu qu’une autre province d’importance au cours de la dernière décennie (l’Ontario avec un gain de 6,7 % de 1998 à 2000 au haut de la vague de prospérité des TIC). Au début de 2007, le taux de chômage avait baissé en Colombie-Britannique sous 4,0 %, niveau que seules l’Alberta et la Saskatchewan avaient su franchir.

Figure 5

L’économie de cette province était telle qu’elle était seule, avec l’Alberta, à ne pas s’exposer à une perte migratoire nette (il y avait plutôt une entrée nette de 3 780 personnes). La croissance de l’emploi y était dominée une fois de plus par les mines, dont le taux de progression avait presque doublé dans les deux dernières années. L’industrie de la construction continuait à battre son plein à mesure que les Olympiques se rapprochaient et les industries de distribution de biens étaient stimulées par la multiplication des échanges commerciaux avec l’Asie.

Le déplacement d’est en ouest du centre de gravité de l’économie canadienne obéit à un certain nombre de tendances générales. L’intégration de l’Asie à l’économie mondiale a fait monter les prix des ressources naturelles, tout en amortissant ceux des produits fabriqués. Les pressions à la baisse qui se sont exercées sur les prix manufacturiers ont été accentuées par le mouvement de valorisation du dollar qui s’est amorcé en 2003. À cette transformation du tableau des prix relatifs de la production des ressources et des biens fabriqués a correspondu un infléchissement des termes de l’échange (le ratio entre les prix à l’exportation et à l’importation tant pour le commerce international qu’interprovincial) en faveur de l’ouest du pays par rapport à l’est. Les variations les plus marquées concernaient l’Alberta et l’Ontario. Le commerce en Alberta a profité tant de l’augmentation du prix des produits de base à l’exportation que de la faiblesse des prix à l’importation, à mesure que la valeur du dollar s’élevait. L’Ontario, pour sa part, a été la seule province (mis à part l’Î.-P.-É.) dont les termes de l’échange ont chuté, surtout avec les autres provinces.

La valorisation du dollar peut avoir contribué à enfoncer l’activité en fabrication en Ontario et au Québec, mais elle a aussi favorisé la croissance des industries des services et de la construction dans ces provinces par une décroissance des prix à l’importation et des taux d’intérêt. Grâce aux gains réalisés dans ces secteurs, l’Ontario et le Québec ont pu respectivement afficher de respectables taux de croissance de l’emploi de 1,5 % et 1,3 %. Le taux d’activité n’a guère bougé dans l’une et l’autre de ces provinces, mais le taux de chômage a évolué légèrement en baisse. Le bas taux de 8,0 % au Québec constitue un record et le taux de 6,3 % en Ontario est le cinquième le plus faible des 30 dernières années dans cette province (il a glissé sous la barre des 6 % seulement à la crête des périodes de prospérité des dernières années de la décennie 1980 et de l’an 2000). C’est la première fois que, en moyenne annuelle, le taux de l’Ontario n’est pas inférieur au taux de chômage national12. Comme il n’est pas particulièrement élevé non plus pour cette province, force est de constater que les taux de chômage se situent à des bas niveaux records presque partout au pays (y compris dans la région de l’Atlantique, au Québec et en Colombie-Britannique)13.

Figure 6

Évolution du marché du travail

Le profil démographique canadien est toujours marqué par le perpétuel mouvement de vieillissement de la génération du boom des naissances. L’importance relative de la population active d’âge mûr (25 à 54 ans) a encore décru, tombant sous les 70 % pour la première fois en près de deux décennies avec l’arrivée à l’âge de 60 ans des premiers représentants de la génération du baby-boom (figure 7).

Figure 7

Pour nourrir la croissance de la population active au pays, il y a eu la montée constante du taux d’activité des femmes. Après une brève interruption du mouvement en 2005, on a pu observer l’an dernier que ce taux atteignait des proportions records avec une valeur de 62,1 %. Depuis 1999, il s’est élevé de 3,2 points; c’est plus que dans toute la décennie 1990 (figure 8a). L’une des raisons pour lesquelles les femmes continuent à se joindre à la population active c’est que leur perspective de trouver un emploi s’améliore. Le chômage chez les femmes adultes a atteint un seuil record de 5,2 % l’an dernier et se retrouve sous le taux de chômage des hommes chaque année depuis 2000 (historiquement le chômage chez les femmes était inférieur à celui des hommes seulement pendant les récessions).

Figure 8a

Figure 8b

Sur ce plan, la situation au Canada contrastait vivement avec la situation aux États-Unis où le taux d’activité des femmes avait culminé à 60 % en 1999 pour décroître ensuite peu à peu à 59,4 %. En accédant à l’activité en nombre croissant au Canada, les femmes ont ajouté 310 000 travailleurs (ce qui correspond à 1,9 % de l’emploi global) à ce qui aurait été la population active si leur taux d’activité avait diminué au même rythme qu’aux États-Unis. Cette progression a joué un rôle primordial sur un marché du travail qui loge de plus en plus à l’enseigne du vieillissement et des pénuries. Si on considère le fossé qui se creuse entre les niveaux respectifs de scolarisation des femmes et des hommes, cette contribution féminine a assuré un approvisionnement croissant du marché du travail en travailleurs hautement qualifiés. En 2006, le nombre de femmes détenant un diplôme universitaire a dépassé celui des hommes pour la première fois.

Une autre différence d’avec les États-Unis est la remontée des taux d’emploi des jeunes au Canada. L’an dernier, 58,7 % des jeunes de 15 à 24 ans avaient un emploi; on est loin du bas niveau de 51,5 % d’il y a une décennie. On relève des gains autant chez les adolescents que chez les jeunes plus âgés. Le taux de chômage chez les jeunes au Canada a chuté à 11,6 % en 2006, y compris un seuil record de 8,8 % pour les 20 à 24 ans. On constate en revanche que les jeunes (les adolescents en particulier) se sont mis à délaisser le marché du travail aux États-Unis14. L’augmentation de la contribution des jeunes à la population active au Canada par rapport aux États-Unis a équivalu à 1,5 % de l’emploi global.

Ce qui est aussi symptomatique d’un marché du travail qui touche à ses limites, c’est la baisse du nombre de chômeurs de longue durée (pendant plus de six mois). L’an dernier, ceux-ci représentaient seulement 14,2 % de tous les chômeurs. C’est moins de la moitié de la valeur de culmination du chômage des jeunes (30,9 %) à la fin de la récession des premières années de la décennie 1990 (et on est aussi proche de son minimum dans l’histoire de 13,5 % en 1976). En valeur absolue, le nombre de jeunes chômeurs a chuté de 507 700 en 1993 à 157 900 l’an dernier. On voit donc que, si beaucoup de travailleurs d’usines de fabrication des provinces centrales ont pu perdre leur emploi, la plupart ont trouvé à se réemployer relativement vite.

Figure 9

Marché financier

La tendance qui se dégage le plus l’an dernier sur le plan financier est la nette multiplication des fusions et des acquisitions tant au Canada qu’à l’étranger, souvent grâce à des capitaux privés. C’est ainsi que, l’an dernier, les investissements directs étrangers (IDE) au Canada se sont élevés à 76 milliards de dollars, ne le cédant qu’au maximum de 99 milliards de dollars relevé au plus fort de l’engouement pour les TIC en l’an 2000. Il y a à peine deux ans, l’IDE au Canada était de moins de 2 milliards de dollars au total. L’intérêt des investisseurs étrangers s’est surtout porté sur nos sociétés minières de plus en plus lucratives. Il y a eu prise de contrôle d’un certain nombre de sociétés qui sont des figures de proue de l‘économie canadienne comme Inco, Falconbridge et la vénérable Compagnie de la Baie d’Hudson.

Figure 10

Les sociétés canadiennes ont encore fait un pas en avant à l’étranger, y allant d’un investissement direct de 48 milliards de dollars en 2006, autant en moyenne que dans les trois dernières années (et un cinquième de plus que les IDE au Canada depuis 2004). Ce sont des investissements qui se sont révélés de plus en plus rentables, puisque les revenus acquis à l’étranger ont doublé depuis 2003 (plus particulièrement dans les secteurs des finances et des assurances). Ces apports de bénéfices et le surcroît d’intérêts tiré des obligations canadianisées du type « Maple » expliquent en grande partie que notre déficit au compte des revenus de placements ait été ramené à son plus bas niveau en presque 25 ans.

De nouveaux instruments financiers ont continué à proliférer, en particulier la titrisation (le regroupement de différents instruments financiers afin de diversifier le risque). L’innovation financière pourrait même avoir joué un rôle dans le récent marché haussier des produits de base. Il y a notamment pour les marchandises les « fonds indiciels négociables en bourse » (FINB) qui ont fait leur apparition en 2004. Une des grandes nouveautés pour les Canadiens a été les obligations « Maple » émises au Canada par des non-résidents et libellées en dollars canadiens. À peu près inexistantes avant qu’on ne relève la limite imposée au contenu étranger des REER, ces obligations canadianisées constituaient l’an dernier 60 % des 43 milliards de dollars en obligations étrangères achetées par les Canadiens.

De cette amélioration rapide du solde du compte des revenus de placements avec les non-résidents témoigne une croissance bien plus vive du PNB que du PIB ces dernières années. L’an dernier seulement, le PNB nominal a gagné un demi-point de plus que le PIB (5,4 % contre 4,9 %). Depuis 2001, le PNB dépasse le PIB de 2,2 points en croissance (32,1 % contre 29,9 %). Bien concrètement, c’est là un revenu supplémentaire de 487 $ par Canadien pendant cette période. Par conséquent, le revenu des Canadiens croît plus vite que le PIB à cause de la progression des revenus tirés des investissements à l’étranger. C’est là une des raisons pour lesquelles les dépenses intérieures ont augmenté plus rapidement que la production intérieure à chacune des quatre dernières années.

La richesse produite par le secteur minier a de quoi subjuguer les esprits, mais on notera aussi que les bénéfices se sont accrus l’an dernier dans la plupart des grandes branches d’activité (15 industries sur 18 ont enregistré des augmentations). Des industries liées à la consommation comme le commerce de détail et le secteur immobilier ont profité de la fermeté des ventes et de l’accroissement du tourisme étranger. Les transports et le commerce de gros ont bénéficié pour leur part d’une circulation supérieure des biens partout au pays. Les services financiers et les services aux entreprises ont conservé leur régime de croisière. Même le secteur de la fabrication a eu droit à un maigre gain malgré ses maux bien connus, et ce, à cause de prix records pour le pétrole raffiné et les produits métalliques, et d’un contrôle plus rigoureux exercé sur les coûts (les dépenses d’exploitation se sont alourdies de 5 % en 2004, mais le mouvement devait ralentir à moins de 2 % ces deux dernières années, partiellement au prix d’une multiplication des licenciements).

La chute des cours du gaz naturel que nous avons évoquée a provoqué la faillite en octobre du fonds de couverture Amaranth de 6 milliards de dollars aux États-Unis. Il est révélateur que cette faillite a été limitée par le système financier. Au lieu de dégénérer en crise financière (comme à la suite de l’effondrement de Long-Term Capital Management en 1998), les pertes ont vite été absorbées, ce que l’on doit à une meilleure gestion des risques favorisée par les opérations de couverture et une abondance de liquidités qui encore récemment n’existait pas15. Plus généralement, une perception adoucie des risques par le système financier s’est traduite par l’écart de rendement le plus faible jamais constaté entre placements risqués (en obligations de pacotille, par exemple) et placements sûrs.

Les consommateurs n’ont pas bronché devant le renchérissement de l’essence

Les dépenses de consommation ont continué leur marche en avant l’an dernier, soutenues par la fermeté des marchés du travail, de l’habitation et des actions. Les consommateurs n’ont même pas été intimidés par des prix records de l’énergie. Les prix avaient encore augmenté de 5 % en moyenne, mais le temps hivernal doux avait assez réduit en quantité l’énergie nécessaire au chauffage domestique pour que les consommateurs aient moins à dépenser à ce chapitre de leur budget qu’en 2005.

Depuis 2002, le prix du baril de pétrole a fait un bond sur le marché mondial, passant de 20 dollars américains à un sommet de 77 $ l’automne dernier avant de retomber à 60 $ en fin d’année. Au Canada, les consommateurs ont tout simplement fait fi des répercussions du renchérissement de l’essence sur leurs habitudes de conduite, sans parler de leurs comportements en général. La consommation d’essence croît chaque année depuis 2002. L’an dernier, elle s’est élevée de 0,8 %. La seule concession que les automobilistes ont faite face au prix de l’essence a été de passer du super à l’essence régulière chaque année.

Figure 11

On est loin de la situation américaine où les ménages ont consommé moins d’essence aussi bien en 2005 qu’en 2006. C’est la première fois que, en dehors d’une période de récession, on y passe deux années de suite à acheter moins d’essence16. La différence entre les deux pays en ce qui concerne la hausse du prix de l’essence s’est manifestée par la confiance des consommateurs. Aux États-Unis, l’envol des prix de l’essence a refroidi les esprits, mais pas au Canada, ce qui a élargi le plus grand écart de confiance entre ces deux pays jamais enregistré17.

Le renchérissement de l’essence n’a pas influé non plus sur les ventes de véhicules ni sur les types de véhicules populaires. Les ventes ont atteint leur deuxième plus haut sommet, à peine 4 % sous le record établi en 2002. Une cinquième année de suite, les ventes de camions (qui comprennent les utilitaires sportifs) ont augmenté plus vite que les ventes de voitures. La demande s’accroît dans plusieurs sous-secteurs comme celui des sous-compactes, mais elle progresse aussi pour les utilitaires sportifs de grande taille, de luxe ou de montage mixte (VUS sur châssis de voiture). En fait, la vigueur des ventes de camions a ramené l’importance relative des ventes de voitures à un bas niveau record de 51,7 % l’an dernier (valeur qui éclipsait le record de 51,8 % établi pendant la crise pétrolière de 1998).

La vigueur relative des ventes de camions et de voitures au Canada est à l’opposé de la situation américaine où, au cours des deux dernières années, les consommateurs ont jeté leur dévolu sur les voitures en général (et sur les automobiles hybrides en particulier) afin d’économiser l’essence. La différence de tendances entre les deux pays est attribuable en majeure partie à l’Alberta où les deux tiers de tous les véhicules vendus l’an dernier étaient des camions.

Par ailleurs, les consommateurs se sont encore rués sur les produits électroniques et les biens ménagers. Dans les grands magasins de détail, la demande s’est accrue surtout dans le cas des téléviseurs (grand écran et haute définition en particulier). La demande d’ordinateurs a aussi été en croissance à deux chiffres. La téléphonie cellulaire est désormais si répandue que presque 5 % des foyers n’ont plus de ligne téléphonique ordinaire. Enfin, les médicaments d’ordonnance ont été la composante la plus en croissance dans le secteur des biens non durables, quoique cette situation découle davantage de nouveaux médicaments plus coûteux que du vieillissement de la population.

Changements climatiques

Le réchauffement planétaire s’est fait de plus en plus évident l’an dernier. L’hiver de 2006 a été le plus clément jamais observé et, partout au Canada, les températures ont été, en moyenne, supérieures de quatre degrés à la normale. Le printemps a aussi été le plus doux de mémoire. Quant à l’été et à l’automne, ils ont été les deuxièmes en importance dans l’histoire pour leur chaleur. La tendance au réchauffement s’est manifestée ces dernières années par des intempéries plus destructrices (mentionnons la tempête de verglas dans l’est du Canada en 1998, une saison des ouragans record aux États-Unis en 2005 et les tempêtes qui ont sévi sur le littoral de la Colombie-Britannique vers la fin de 2006). De nouvelles maladies ont aussi fait leur apparition au Canada, qu’il s’agisse de la maladie de Lyme ou du virus du Nil occidental.

L’économie s’est de plus en plus ressentie de la transformation du climat. L’effet le plus évident l’an dernier avec les chaleurs records a été la chute de la demande et du prix du gaz naturel. La surabondance de gaz a enfoncé le marché toute l’année et, en septembre, le prix n’était plus que de 4 dollars américains le million de BTU (il avait culminé à 15 $ à la suite des dévastations des ouragans en 2005). Cette baisse de prix a fait fondre les projets de forage de l’industrie gazière (libérant ainsi des ressources en Alberta pour d’autres secteurs comme celui des sables bitumineux comme jamais la politique macroéconomique n’aurait pu le faire). Autre phénomène, la période de gel décalée a empêché les sociétés de forage de s’aventurer en terrain accidenté. Le prix du pétrole brut a été moins touché, en partie parce que la demande pétrolière dépend plus des carburants automobiles que des combustibles de chauffage.

L’adoucissement des hivers a aussi été l’occasion pour le dendroctone du pin d’infester et de détruire de grands pans du territoire de cette essence en Colombie-Britannique, et, l’an dernier, de gagner l’ouest de l’Alberta. Depuis dix ans seulement, l’infestation est passée de 284 000 à 9,22 millions d’hectares de forêt en Colombie-Britannique. C’est ainsi que 500 millions de mètres cubes de bois sont devenus inutilisables. À cause du bois infesté, les sociétés forestières de cette province ont continué à récolter même en période d’affaissement des prix (il y aura évidemment des conséquences sur les disponibilités forestières ces prochaines années). Le temps doux a également retardé l’ouverture des routes de glace si essentielles à l’approvisionnement des localités septentrionales du pays, et notamment des mines de diamant des territoires.

Les changements climatiques n’ont pas eu que des effets négatifs, puisque l’allégement de la facture de chauffage domestique a aidé les consommateurs à affronter les prix records de l’essence à la pompe. La saison de construction du bâtiment s’est prolongée, ce dont a particulièrement profité la construction résidentielle qui, plus tôt dans l’année, avait du mal à répondre à la demande. Les transports ont aussi été facilités, en particulier le transport maritime, car le Saint-Laurent a connu sa plus longue saison de navigation dans l’histoire. Dans le cas de l’agriculture, les effets ont été inégaux avec une saison de culture prolongée, mais une pluviométrie plus variable. Aux pires sécheresses du siècle dans les Prairies en 2001 et 2002 ont succédé des pluies printanières abondantes en 2005 et des précipitations records en Colombie-Britannique et dans l’est du pays l’automne dernier18.

Restructuration du secteur de la fabrication

Les variations structurelles et régionales n’ont nulle part eu d’effets négatifs plus sentis que dans le secteur de la fabrication en 2006. Les perspectives régionales étaient sombres : pour le Québec et toutes les provinces de l’Ouest, les livraisons manufacturières ont augmenté l’an dernier, mais pour l’Ontario et la plupart des provinces de l’Atlantique, elles ont diminué. À regarder de plus près les industries qui ont créé cette alternance régionale de gains et de pertes, on peut voir lesquelles se sont le mieux adaptées aux pressions tant du ralentissement des grands marchés américains que de la valorisation du dollar. En situation de marasme des marchés de l’automobile et de l’habitation aux États-Unis, les fabricants canadiens ont reporté leur intérêt sur les marchés en croissance plus rapide dans l’Ouest canadien.

L’Alberta a prédominé parmi les provinces avec un gain de 7 % pour ses livraisons manufacturières; c’est la seule province où l’emploi dans les usines a progressé. L’industrie chimique a eu une contribution plus de trois fois supérieure à la croissance. Un autre facteur presque aussi important a été les expéditions de biens d’équipement, plus particulièrement de machinerie destinée au secteur pétrolier.

L’Alberta a stimulé la demande manufacturière à l’échelle du pays avec notamment des commandes d’acier pour les pipelines des Prairies et des achats de camions lourds à la Colombie-Britannique. Les industries de biens d’équipement rendent compte de toute la croissance observée en Saskatchewan, surtout grâce à la demande du secteur minier une fois de plus. Ces mêmes branches d’activité sont à l’origine de près de la moitié de la croissance en Colombie-Britannique, bien que, dans cette province, le gain le plus imposant soit à mettre au compte de l’essor des métaux de première transformation.

Ces derniers ont également dominé dans la progression de 3 % des expéditions du Québec l’an dernier (bien que cela n’ait pas été suffisant pour empêcher des emplois de disparaître). Les expéditions ont été stimulées par l’ouverture d’une nouvelle aluminerie. L’année a aussi été bonne pour l’industrie pharmaceutique et l’aérospatiale, en particulier sur les marchés européens. Avec une baisse de 19 %, les scieries ont remplacé les industries du vêtement et du textile comme branche d’activité la plus faible au Québec. Les livraisons de vêtements ont diminué de moins de 1 % l’an dernier après avoir chuté de 40 % les deux années précédentes en situation de décontingentement des importations.

En Ontario, les livraisons manufacturières ont décru de 4,2 % ou 12 milliards de dollars, mais le principal responsable de cette chute est l’industrie de l’automobile avec une perte de 9,7 milliards (pour les véhicules et les pièces). Les expéditions de cette industrie devaient tomber à leur plus bas niveau depuis 1998. Même dans le secteur de l’automobile, on voyait un contraste saisissant entre les réductions d’activité des trois grands constructeurs et une exploitation presque à capacité des usines récemment implantées par les constructeurs d’outre-mer.

En dehors de ce même secteur, il y a eu autant d’industries en expansion qu’en contraction en Ontario. La plupart des industries de biens d’équipement (à l’exception du secteur des TIC) s’en sont bien tirées, tout comme les raffineries et l’aérospatiale. En revanche, il y a eu des pertes dans les industries qui alimentent l’industrie de l’automobile (sidérurgie, plastique, caoutchouc, etc.), ainsi que dans les pâtes et papiers. La faiblesse des produits forestiers et les maux persistants de l’industrie des pêches ont fait baisser les livraisons dans trois des quatre provinces de l’Atlantique (l’Île-du-Prince-Édouard étant l’exception).

Une autre réaction des exportateurs à la perte de certains débouchés en territoire américain a été une poursuite de la diversification hors États-Unis avec une accélération de la croissance outre-mer. Les États-Unis mis à part, nos exportations ont fait un bond de 45 % depuis quatre ans et, l’an dernier, elles ont culminé à 15 %. Depuis que le dollar s’est mis à monter en 2003, la progression outre-mer a été dix fois celle de la croissance de 4,1 % de nos exportations vers les États-Unis. C’est ainsi que la partie des exportations canadiennes hors États-Unis a monté de 16,2 % en 2002 à 21,1 % l’an dernier. C’est sa progression la plus ample depuis 1995.

Conclusion

Il est sûr qu’un certain nombre d’industries et de régions s’exposaient de plus en plus à des conditions de resserrement et de dislocation l’an dernier. Tous les grands constructeurs automobiles nord-américains ont annoncé une importante transformation structurelle de leurs activités. Une vague de fermetures a déferlé sur l’industrie du bois d’œuvre dans l’est du Canada. L’industrie du vêtement a commencé à se stabiliser, mais seulement après s’être contractée du tiers en 2004 et 2005 par suite du décontingentement des importations. La fabrication de matériel de téléphonie n’est plus que du cinquième de sa taille au zénith de la période de prospérité des TIC, en l’an 2000.

Les Canadiens n’en ont pas moins réussi à s’adapter à ces bouleversements et à d’autres. Les signes de prospérité étaient indubitables au quotidien par-delà les statistiques du PIB global. Le taux de chômage est tombé à un bas niveau record; souvent, les gens ont trouvé du travail en migrant en nombre croissant vers d’autres régions ou d’autres industries. Le chômage chronique devenait de plus en plus rare. Le marché boursier a établi de nouveaux records et le marché de l’habitation est parvenu à de nouveaux sommets. Enfin, les ventes de véhicules ont été les deuxièmes en importance dans l’histoire. Les Canadiens ont multiplié les achats de produits électroniques à meilleur marché pour le foyer et ils se sont déplacés à l’étranger en nombre record, double conséquence bien concrète de la valorisation du dollar. Grâce à l’élévation du revenu des ménages et à la progression de leurs dépenses, les gouvernements ont encore pu présenter des excédents budgétaires appréciables. Quant aux Canadiens, ils ont de plus en plus profité de leurs investissements à l’étranger.

Si on regarde en arrière, ce dont on s’étonnera le plus en 2006 n’est pas que la montée en flèche des cours pétroliers ou l’éclatement de la bulle de l’habitation aux États-Unis n’ont pas amorti la croissance. Les ménages et les entreprises ont su s’adapter à plus de défis que ne leur en a offert 2006 (la Banque du Canada a fait remarquer que 2006 se distingue par son absence de chocs comme les attentats du 11 septembre ou le krach boursier19). Ce qui étonne plutôt, c’est qu’un si grand nombre d’observateurs continuent à sous-estimer la capacité des Canadiens à réagir et à s’adapter à des circonstances changeantes ou inattendues. L’exemple le plus éloquent de cette adaptabilité est la migration croissante vers l’Alberta l’an dernier.

Les Canadiens doivent-ils croire pour autant que leur croissance économique est assurée pour l’avenir prévisible? Non, bien sûr. Tous les rajustements de l’économie ne se sont pas faits en douceur. Les variations rapides dans notre secteur des ressources naturelles ont des conséquences fâcheuses. Dans l’industrie minière, la productivité est en décroissance depuis 1999 (voir l’étude spéciale de l’OEC du mois dernier). Il y a aussi la montée des émissions de gaz à effet de serre au Canada à laquelle l’exploitation des sables bitumineux contribue. On sait que ces émissions sont étroitement liées à la transformation du climat. Selon des données récentes, le plus grand défi pour le maintien de la croissance viendra sans doute de faits non économiques comme les changements climatiques, les variations démographiques ou les grandes épidémies.

Études spéciales récemment parues


Notes

* Division de l’analyse économique de conjoncture 613-951-9162.
1 Voir « Flat prospects », The Economist, 17 mars 2007.
2 P. 30, Office national de l’énergie, Productibilité à court terme de gaz naturel au Canada 2006-2008, octobre 2006.
3 Au début des années 1990, les dépenses dans le secteur des sables pétrolifères ont invariablement été de moins de 0,5 milliard de dollars soit moins de 5 % de l’ensemble des investissements dans le secteur du pétrole et du gaz.
4 L’écart de prix du baril entre le pétrole lourd à Hardisty et le pétrole brut léger régulier est tombé de 35 $ en 2005 à 30 $ l’an dernier et a encore baissé à 22 $ en février 2007.
5 Voir « EnCana sets Canadian profit record », The Calgary Herald, 16 février 2007.
6 Citation de « A $1 billion reach into Calgary’s sky: EnCana tower to be the tallest west of Toronto », The Globe and Mail, A1, 13 octobre 2006.
7 Pour un tableau plus détaillé de la croissance récente en Alberta, voir « L’irrépressible poussée économique de l’Alberta : l’éclosion de la rose de l’Ouest » dans le numéro de septembre 2006 de la présente publication.
8 Voir Todd Hirsch, « Dropping out to get rich », Options politiques, vol. 28, no 2, février 2007.
9 Parfois, l’offre de nickel dans les entrepôts de la London Metal Exchange pouvait satisfaire moins de deux jours de demande.
10 Les données sur la population et la migration dans la présente étude sont en date du 1er juillet de chaque année.
11 Pour en savoir davantage sur le rôle que la migration joue sur le marché du travail au Canada, voir T. Bayoumi, B. Sutton et A. Swiston, « Shocking Aspects of Canadian Labour Markets », document de travail du FMI, mars 2006.
12 La Saskatchewan est désormais la seule province dont le taux de chômage a toujours été inférieur à la moyenne nationale.
13 On notait une différence entre les deux sexes : si le chômage chez les femmes d’âge adulte est tombé à sa deuxième valeur la plus basse dans l’histoire, il a été stable chez les hommes du même âge en situation de recul de l’emploi manufacturier.
14 Aux États-Unis, les jeunes comprennent les 16 à 24 ans tandis que dans l’Enquête sur la population active au Canada, les jeunes de 15 ans sont inclus.
15 Voir « The recent behaviour of financial market volatility », Banque des règlements internationaux, BRI document no 29, août 2006.
16 Les chiffres de consommation d’essence aux États-Unis se fondent sur les données sur les dépenses personnelles du Bureau of Economic Analysis.
17 Voir « High gas prices haven’t siphoned Canadians’ faith », The Ottawa Citizen, 28 juin 2006.
18 Henry D. Venema, « From Cumulative Threats to Integrated Responses: A review of Ag-Water Policy Issues in Prairie Canada », Session no 2, Ateliers de l’OCDE sur l’agriculture et les ressources aquatiques, Novembre 2005.
19 Voir « Dodge sees lower inflation threat », B3, The Globe and Mail, 23 décembre 2006.


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Date de modification : 2008-11-21 Avis importants
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