Étude spéciale
Tendances récentes du financement des sociétés
par A. Tomas*
Introduction
Au cours d’une bonne partie de la dernière décennie, les sociétés ont réalisé des bénéfices records. Cependant, leurs investissements en capital fixe ont été relativement léthargiques ces dernières années. L’effet conjugué de ces deux facteurs a inversé la position de prêt net/d’emprunt net du secteur des sociétés, laquelle est passée d’un déficit chronique à un excédent soutenu. Au terme de près de 30 années de déficit, les sociétés dégagent d’importantes positions excédentaires depuis 10 ans.
Dans un même temps, l’économie a subi d’importantes mutations structurelles sous l’aspect des positions de prêt net/d’emprunt net des autres secteurs. Les secteurs des ménages et non-résidents qui, du point de vue historique, étaient en situation excédentaire, sont passés en situation déficitaire, tandis que les secteurs qui ont le plus souvent été en déficit – sociétés et administrations publiques – dégagent maintenant des excédents. La situation a conféré un nouveau rôle au secteur des sociétés, qui accorde de plus en plus de financement aux autres secteurs de l’économie.
La présente étude examine le phénomène de l’excédent des sociétés sous différents angles en mettant l’accent sur les sociétés non financières. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur la position de prêt net et ses principales composantes, soit l’épargne et l’investissement non financier. Nous nous intéresserons également à l’utilisation faite des excédents des entreprises et à l’évolution de la composition de leur financement. En dernier lieu, nous discuterons de la restructuration des bilans des sociétés.
Dégagement d’excédents de sociétés
Les sociétés ont affiché une position de prêt net record de 80,6 milliards de dollars en 2005. La tendance a été amorcée de 1993 à 1996, lorsque quatre excédents d’affilée ont été enregistrés, tandis qu’un seul avait été dégagé au cours des 29 années précédentes. À la suite d’une légère glissade vers une position déficitaire de 1997 à 1999, le secteur s’est redressé et a accumulé d’importants excédents ces six dernières années.
Les positions excédentaires que nous connaissons ont peu de commune mesure avec la situation d’il y a à peine 15 ans. Historiquement, les sociétés ont accusé des déficits, l’acquisition de capital non financier ayant dépassé les fonds autogénérés.
Le secteur a atteint une position déficitaire record de 22,8 milliards de dollars en 1981. La récession profonde de 1981-1982, marquée par des taux d’intérêt nominaux qui ont atteint un sommet historique, était annonciatrice de la chute vertigineuse des bénéfices des sociétés et, en dépit d’un ralentissement appréciable des dépenses en capital fixe, les sociétés sont demeurées en situation déficitaire. Cette situation a persisté pendant la plus grande partie de cette décennie, jusqu’à la récession suivante qui a commencé au milieu des années 1990. Toutefois, la situation ne devait pas tarder à se redresser : le déficit s’est rétréci jusqu’en 1992, puis des excédents ont été réalisés en 1993 et pendant les quelques années suivantes, jusqu’en 1996. L’expansion économique de la décennie écoulée a concouru à porter les bénéfices des sociétés à des niveaux sans précédent. En effet, les bénéfices non répartis ont progressé de près de 16 % par an en moyenne depuis 1995.
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Figure 2
La position déficitaire de la fin des années 1990 a été de courte durée. En 1997, les bénéfices non répartis des sociétés ont chuté, et l’acquisition de capital non financier s’est fortement accentuée. En 1998, les bénéfices non répartis ont reculé à nouveau (-17 %), soit le plus important recul observé depuis le début de la période de croissance en 1993, tandis que les sociétés nord-américaines encaissaient les contrecoups d’événements tels la dégringolade des prix des produits de base et la crise économique asiatique.
Cela dit, une forte remontée des gains, conjuguée au ralentissement récent de la croissance des dépenses en capital, a placé le secteur des sociétés dans une position excédentaire grandissante depuis 2000. L’incidence tant des bénéfices non répartis que des dépenses en capital sur l’évolution à long terme de la position des excédents/ déficits des entreprises est remarquable.
Les bénéfices sont la cause principale de l’excédent
Les bénéfices ont été le principal facteur à l’origine de l’excédent de prêt net des sociétés pour la majorité des années de la décennie écoulée. Exception faite de quelques courtes interruptions (par exemple, au moment de la débâcle technologique de 2001), les bénéfices des sociétés suivent une tendance haussière prononcée depuis 1992 environ.
Des ratios de distribution de dividendes agrégés, payés à d’autres secteurs, historiquement faibles ont contribué à porter les bénéfices non répartis à un niveau record en 2005. La diminution des dividendes payés par les sociétés à d’autres secteurs laisse entendre que les actionnaires ont été disposés à conserver les bénéfices au sein des entreprises et ont privilégié des sources de rendement autres. Les sommets records atteints en bourse ont contribué à hausser la situation financière des actionnaires.
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Historiquement, les sociétés financières ont connu des positions excédentaires modestes. En raison de la nature de leurs activités, elles n’effectuent pas d’importants investissements en capital fixe. Par conséquent, la hausse de leur excédent ces dernières années est principalement due à une forte progression des bénéfices non répartis. Le surplus du secteur financier a augmenté de façon appréciable depuis 2000, surtout sous l’effet de bénéfices record réalisés par les industries des banques à charte et des assurances.
Toutefois, la situation excédentaire a surtout évolué dans le secteur des sociétés non financières. En 2003, l’excédent a rejoint celui des sociétés financières pour la première fois en 40 ans, et a atteint un sommet historique en 2005. Pour cette raison, la présente analyse se concentre maintenant sur les sociétés privées non financières, qui dégagent une forte tendance de prêt net, affichant un excédent de 55,8 milliards de dollars en 2005.
Les excédents accrus des sociétés non financières découlent d’une demande intérieure et étrangère importante de biens et de services canadiens. Les dépenses records des particuliers ont fait augmenter les revenus des sociétés. De plus, l’accroissement rapide des exportations canadiennes qui a contribué à un important excédent du compte courant, a abondamment garni les coffres des sociétés de rentrées de fonds étrangères. La tendance à la baisse des taux d’intérêt a également concouru à bonifier les résultats nets, en réduisant les coûts de financement des entreprises et en facilitant les emprunts des ménages.
Les industries non financières ont pour la plupart vu croître leurs bénéfices nets avant impôts puisque 15 groupes d’industries sur 17 ont affiché une croissance positive de 2001 à 2005. Qui plus est, depuis 1999, bon nombre des industries non financières connaissent des bénéfices nets positifs avant impôts. Cela donne à entendre que les bénéfices non répartis sont aussi raisonnablement distribués entre les secteurs.
Les industries suivantes, entre autres, ont exercé la plus forte incidence sur la hausse des bénéfices depuis 2000 : pétrole et gaz, mû par des prix records des produits de base; commerce de détail, porté par la demande intérieure soutenue des ménages; commerce de gros, qui a bénéficié de marchés d’exportation vigoureux; et immobilier, animé principalement par un marché du logement qui bat son plein.
La diminution des dépenses contribue également à la situation excédentaire
Des dépenses en capital moindres sont également cause de la situation excédentaire des sociétés non financières. Au cours de la décennie écoulée, l’acquisition de capital par les sociétés non financières a été largement inférieure à son taux d’épargne; elle ne s’est chiffrée en moyenne qu’à 4 % par année depuis 1998, ce qui contraste nettement avec le taux de croissance supérieur à 10 % enregistré au cours des décennies précédentes. Notamment, l’apathie à ce chapitre est à mettre surtout sur le compte des dépenses en machines et matériel.
Les sociétés non financières sont à l’origine de la plus grande part de l’investissement en capital engagé par les sociétés, et l’investissement en capital fixe effectué par les sociétés privées non financières représente la plus grande masse de l’acquisition totale de capital non financier par le secteur des sociétés (près de 90 % depuis 1998). L’investissement en nouveau capital fixe est l’élément dominant de l’acquisition de capital non financier, et une relation inverse appréciable est à constater entre l’investissement en nouveau capital fixe et le prêt/l’emprunt net. Cela s’inscrit dans la ligne du rôle joué par l’investissement dans la formation de l’excédent depuis 1998.
Comment l’excédent a été utilisé
Le dégagement d’un excédent appréciable des sociétés ces dernières années témoigne du fait que les bénéfices non distribués ont largement dépassé les besoins en investissement de capital. Cela porte à croire à une modification du comportement des sociétés en ce qui a trait à l’investissement. Il ne fait aucun doute que les tendances de l’investissement des entreprises ont évolué alors que l’excédent augmentait.
Figure 4
L’excédent peut être mis en perspective grâce à un examen de la provenance et de l’utilisation des fonds des sociétés. À la suite de la hausse prononcée des fonds autogénérés ces dernières années, l’utilisation des fonds – à des fins autres que l’investissement non financier – a pris de l’ampleur. Comme les fonds excédentaires doivent forcément être utilisés, leur utilisation s’est déplacée vers divers types d’investissement financier. Plus particulièrement, les mises de fonds ont augmenté dans diverses catégories d’actif financier, et les entreprises se sont attachées au remboursement de l’encours de la dette.
Les sociétés ont affecté une part grandissante de leurs fonds à l’investissement financier depuis quelques années. Tant l’investissement de portefeuille que l’investissement entre les sociétés ont contribué à des acquisitions appréciables d’instruments financiers.
D’importants flux d’investissement financier ont été affectés à des actifs liquides et à d’autres investissements de portefeuille depuis 2000. Notamment, l’argent liquide et les dépôts bancaires (au pays et à l’étranger) et d’autres catégories d’investissement de portefeuille ont augmenté de façon prononcée.
D’abondants nouveaux flux de liquidités sont à signaler, tandis que progressaient les bénéfices et diminuaient les dépenses en capital. Les hausses des flux de liquidité ont été les plus importantes de 2001 à 2005. L’argent liquide et les dépôts bancaires ont augmenté à la fois en proportion de l’investissement qu’ils constituent et en tant que part de l’investissement total des sociétés, et leurs flux sont à l’origine d’une part grandissante des flux totaux de dépôts dans l’économie. En outre, les placements de portefeuille dans des titres d’emprunt et d’autres éléments d’actif financier constituent, en partie, des investissements financiers passifs témoignant de l’utilisation faite de l’excédent, en hausse ces dernières années.
La dernière décennie a été marquée par la montée de l’investissement entre sociétés, situation qui témoigne de la vague des fusions et d’acquisitions d’entreprises amorcée à la fin des années 1990. Une part importante de l’investissement entre sociétés a été canalisée vers l’étranger. Cela porte à croire que les sociétés ont poursuivi leur investissement en capital non financier, mais l’ont dirigé de plus en plus à l’étranger.
Depuis 1995, les sociétés non financières ont engagé plus de 256 milliards de dollars sous forme d’investissement entre sociétés. Cela représente près de 32 % de la totalité des mises de fonds que les sociétés non financières ont engagées dans des actifs financiers au cours de la période. La montée de l’investissement entre sociétés effectué par les sociétés non financières est attribuable en grande partie à l’investissement direct à l’étranger, comme la tendance de l’investissement entre sociétés engagé par des entreprises non financières est en étroite corrélation avec l’investissement canadien direct à l’étranger (IDCE). À preuve, depuis 1995, les sociétés canadiennes ont investi 231 milliards de dollars dans des filiales étrangères et des entreprises associées ayant des activités dans des secteurs non financiers. Un examen étroit de l’IDCE met la situation en perspective. Les années 1997-1998 et 2000-2001 figurent parmi celles qui sont caractérisées par une activité intense de fusion et d’acquisition par investissement direct. Or, ce sont les années mêmes où les entreprises non financières commençaient tout juste à sortir de leur situation déficitaire. Plus récemment, les flux de l’IDCE étaient surtout constitués d’injections de capitaux dans des sociétés affiliées déjà existantes.
Le rapatriement d’intérêts canadiens sous contrôle étranger – autre utilisation des fonds – a joué un rôle dans la diminution de l’investissement direct étranger au Canada (IDEC) au cours des dernières années (notamment en 2004). Par surcroît, les niveaux réduits d’IDEC ont peut-être un rapport avec l’investissement non financier stagnant qu’a connu le Canada ces dernières années.
Dans l’ensemble, la demande de fonds d’emprunt par les sociétés non financières a sensiblement diminué au cours des 10 dernières années. Jusqu’au milieu des années 1990, l’acquisition de capital non financier et l’emprunt étaient en étroite corrélation, tandis que les sociétés recueillaient la plus grande part de leurs fonds de provenance externe en contractant des emprunts sur les marchés du crédit.
De toute évidence, la situation n’est plus la même. Deux principaux facteurs expliquent le revirement. D’abord, la croissance des fonds autogénérés a freiné le recours des sociétés aux marchés du crédit. Le ralentissement des dépenses en capital à la fin des années 1990 et au début des années 2000 aurait également influé sur la situation. Deuxièmement, les années 1990 ont été marquées par une forte demande d’actions de sociétés, cependant que l’émission nette d’actions rattrapait l’emprunt. De 1996 à 2005, les fonds nets touchés par les sociétés provenaient principalement d’émissions d’actions, situation qui reflète la robustesse des marchés boursiers. La situation était notamment attribuable à la demande sensiblement accrue de titres de participation, surtout de la part des investisseurs institutionnels et des non-résidents. Ce revirement de la demande de fonds d’emprunt s’est accentué au début du nouveau millénaire.
Figure 5
Les sociétés remboursent leur dette à court terme – composée d’emprunts et d’effets à court terme – à vive allure depuis quelques années, si bien que, de 2001 à 2003, le montant des remboursements et des rachats a dépassé celui des nouveaux emprunts sur les marchés concernés. La tendance s’inscrivait dans la ligne de la demande réduite d’emprunts à court terme et du refinancement de l’encours de la dette à court terme au moyen d’instruments d’emprunt à long terme, et elle traduisait peut-être, en partie, les attentes des sociétés vis-à-vis des taux d’intérêt (au moment où les courbes de rendement demeuraient stables). L’évolution de la composition des emprunts en faveur de la dette à long terme a fait que la valeur des emprunts à long terme contractés depuis 1995 est près de 3,4 fois celle des emprunts à court terme.
Au cours de la dernière décennie, les sociétés ont modifié sensiblement leurs activités de financement, au moment même où elles accumulaient des volumes massifs d’épargne. Il s’ensuit que, plus que par le passé, leur financement provient de source interne, sous forme d’épargne et d’émissions d’actions. Dans cette optique, la progression des capitaux propres en regard de l’endettement est encore plus importante si l’épargne et les bénéfices non répartis autogénérés sont pris en compte. Depuis 10 ans, les sociétés ont recouru principalement à leurs propres fonds plutôt qu’à des fonds empruntés (d’autrui). Depuis 2000, plus de 0,78 $ par dollar de fonds nets recueillis proviennent d’épargnes et d’émissions de titres.
Effet de l’excédent
Des bénéfices records et la diminution de l’investissement non financier, conjugués à la tendance baissière des taux d’intérêt et à la forte progression du cours des actions, ont fourni aux sociétés l’occasion de remanier à fond leur bilan. Il s’en est suivi l’augmentation des liquidités, l’intensification de l’investissement entre sociétés à l’étranger, la diminution de l’endettement et une hausse notable des avoirs. Dans l’ensemble, les bilans des sociétés n’ont pas été aussi luisants depuis des décennies, ce qui justifie un examen de l’ampleur des remaniements.
La composition de l’actif des sociétés a sensiblement évolué depuis 10 ans, l’actif financier progressant d’un tiers à près de la moitié de tous les actifs. La situation prend appui sur des encaisses enrichies (dépôts au pays et à l’étranger) qui reflètent, d’une part, la hausse des liquidités et, d’autre part, l’investissement entre sociétés et la mutation des occasions d’investissement.
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Les sociétés non financières accumulent de l’argent liquide depuis 10 ans, si bien qu’elles possèdent désormais plus de
19 % de la monnaie nationale et des dépôts – ce qui contraste nettement avec la situation qui caractérisait le milieu des années 1970, auquel moment la donnée correspondante dépassait légèrement 5 %. Il est clair que les actifs liquides, y compris les investissements de portefeuille, ont gagné en importance au cours de la période, ce qui réduit au minimum le risque de liquidité. De plus, l’importance des investissements entre sociétés a aussi augmenté depuis 1992.
Figure 7
La dépendance sensiblement réduite envers les fonds d’emprunt a contribué dans une large mesure à améliorer les bilans des sociétés. De même, une croissance moindre de l’endettement sur le marché du crédit conjuguée au remaniement de la composition du passif des sociétés en faveur des instruments d’emprunt à long terme, et à la diminution des taux d’intérêt au fil des ans, a contribué à réduire tant le financement par emprunt que les frais d’intérêts. Par conséquent, le secteur n’est pas aussi vulnérable qu’avant à une hausse appréciable des taux d’intérêt à court terme.
Les liquidités augmentent fortement, tandis que le financement par emprunt poursuit son déclin
Le risque de liquidité a lui aussi diminué sensiblement. La liquidité des entreprises non financières, mesurée en termes de ratio de liquidité relative – c’est-à-dire le ratio de l’actif à court terme au passif à court terme – s’est remarquablement amélioré. En effet, il a atteint un sommet historique, ce qui témoigne autant d’une hausse marquée des actifs liquides que d’une forte diminution de la croissance du passif à court terme.
En outre, le rapport changeant entre la dette et les capitaux propres et le niveau élevé des fonds autogénérés ont eu pour effet cumulé de porter le financement par emprunt des sociétés à son niveau le plus bas depuis les 38 dernières années. Le ratio de la dette contractée sur le marché du crédit au capital-actions en circulation, augmenté des bénéfices non répartis, témoigne à la fois des cycles économiques et des changements structurels amorcés à compter du milieu des années 1990. Toutes choses étant égales par ailleurs, des niveaux réduits de financement par emprunt indiquent que les sociétés non financières sont en meilleure posture pour faire face à des chocs économiques imprévus et aux fluctuations des taux d’intérêt ou pour exploiter de nouveaux débouchés économiques.
Conclusion
Les entreprises canadiennes ont une incidence appréciable sur le rendement de l’économie nationale en raison de leur capacité d’engager des investissements à grande échelle et du rôle qu’elles jouent par la suite en faveur de la création de revenu et de l’emploi. Un changement important à leur position financière mérite donc d’être analysé.
Dans le présent document, les causes sous-jacentes d’une position excédentaire en expansion des sociétés et ses principaux effets ont été déterminés. En bref, les entreprises non financières ont misé sur des bénéfices records, des taux d’intérêt historiquement bas et des marchés boursiers relativement vigoureux pour remanier considérablement leurs bilans. À telle enseigne que les finances des sociétés, examinées dans leur ensemble, n’ont pas été aussi robustes depuis des décennies. La question de l’heure est celle de savoir ce que la situation actuelle réserve à l’économie dans une optique prospective – plus particulièrement, en ce qui a trait aux perspectives d’investissement et d’expansion économique. Ces questions appellent en soi des recherches, mais nous abordons ci-dessous quelques points pertinents.
(i) Les sociétés financent leurs investissements à même les fonds autogénérés et consentent un financement à l’économie
La position de l’épargne et la situation connexe de l’excédent et du déficit du secteur a subi un remaniement structurel profond, notamment en ce qui concerne la production d’un important volume d’épargne et d’excédents des sociétés, comme le décrit la présente étude. Les sociétés alimentent de plus en plus en capitaux les autres secteurs de l’économie, celui des non-résidents y compris.
Une question qui vient à l’esprit est celle de savoir s’il y a suffisamment d’épargne dans l’économie pour satisfaire à la demande d’investissement. Si, du point de vue historique, une forte dépendance envers l’épargne des ménages et le financement provenant de l’étranger était constatée, la situation actuelle est toute autre. En effet, depuis 10 ans environ, le Canada produit de façon continue des fonds largement suffisants pour financer l’investissement, malgré le rétrécissement appréciable de l’épargne personnelle et l’évolution du déficit des particuliers. Nous connaissons le contraire du principe selon lequel « les ménages économisent et les entreprises investissent ». À l’heure qu’il est, l’épargne du secteur des sociétés prédomine dans l’épargne nationale, et elle dépasse les besoins des entreprises en dépenses d’investissement. Il y aurait peut-être lieu de se demander quelle part des bénéfices non répartis des sociétés revient, en bout de course, aux non-résidents. En regardant les bénéfices réinvestis sur l’investissement direct étranger au Canada, on remarque une tendance à la baisse de la proportion des créances étrangères sur les bénéfices des sociétés canadiennes depuis 2000.
(ii) Le ralentissement de l’investissement ces dernières années présente plusieurs aspects…
Le ralentissement des dépenses en capital ces dernières années peut être le fait de certains facteurs qui ne sont pas étroitement liés. L’un d’eux pourrait être le ralentissement progressif de l’investissement direct étranger au Canada, eu égard à l’importance historique des filiales étrangères dans l’économie canadienne au cours de la période de l’après-guerre. Un autre facteur susceptible de jouer tient à la possibilité de l’existence de capitaux excédentaires, à savoir, certaines entreprises – surtout dans le secteur des technologies de l’information et des communications et celui des télécommunications – auraient engagé des investissements excessifs entre la fin des années 1990 et le début du nouveau millénaire. Par ailleurs, l’évolution des objectifs des sociétés a aussi pu freiner en quelque sorte les dépenses en capital. L’investissement ne signifie pas uniquement des dépenses en capital. En effet, la notion peut englober différents types de mises de fonds, notamment la hausse des liquidités et la diminution de l’endettement.
L’investissement s’étend également à la méthode indirecte qui consiste à accroître le capital productif d’une entreprise par l’acquisition de sociétés, afin de réduire globalement ses frais d’exploitation, d’augmenter sa part de marché à court terme ou d’opérer une intégration verticale ou horizontale afin de profiter d’occasions à moyen terme. D’aucuns pourraient soutenir que la prise de contrôle est un moyen efficient d’acquérir du capital qui permet d’éviter la capacité excédentaire lorsque la demande fluctue. Une autre hausse de l’investissement entre sociétés a été constatée ces dernières années, dont une bonne part a eu lieu à l’étranger. Cela laisse-t-il entendre que, par suite de la mondialisation, des entreprises transfèrent leur production à l’étranger, attirées par de faibles coûts ou des marchés en émergence?
(iii) ... mais l’investissement a repris en 2005
En peu de mots, il se peut que les entreprises aient attendu des occasions d’investissement profitables, compte tenu de la conjoncture incertaine et du rajustement des marchés boursiers des dernières années. Par conséquent, elles font preuve de prudence lorsqu’elles établissent leurs plans de dépenses en capital intérieures. Cela dit, il semble que la situation soit en train de changer.
Fait à noter, les données trimestrielles de 2005 révèlent une reprise des dépenses en capital des entreprises, et des signes portent à croire que le Canada se situe au stade préliminaire d’une remontée du cycle d’investissement. Si une reprise de l’investissement est à prévoir, elle est certainement supportée par la robustesse relative des positions financières des sociétés dans l’ensemble, comme en témoigne le présent document. Il est fondé de conclure, à ce moment, que les sociétés canadiennes sont en bonne posture pour participer au prochain boom de l’investissement.
Des faits probants portent à croire que les longues remontées de l’investissement sont généralement précédées de périodes de faible endettement des entreprises et accompagnées de hausses de l’endettement. Le cycle de fort investissement réel des entreprises des années 1960 (de 1961 à 1966) a été caractérisé par un niveau historiquement faible d’endettement et de forts taux de liquidité. La croissance des dépenses en capital réelles des entreprises de la période de 1968 à 1974 a été annoncée par des niveaux relativement faibles d’endettement. Par ailleurs, la reprise de l’investissement des entreprises au lendemain de la récession de 1981-1982 a été précipitée par une chute rapide du ratio d’endettement, comme l’a été la remontée de 1993. Le seul écart à signaler par rapport aux faits historiques est la glissade régulière de l’endettement des entreprises depuis 1992, à mettre surtout sur le compte d’une forte demande d’actions et de la croissance des bénéfices non répartis.
Études spéciales récemment parues
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Cet article est adapté de la publication 13-604-MIF2006050, Division des comptes des revenus et dépenses, (613) 951-9277. |
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