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11-010-XIB
L'Observateur économique canadien
Avril 2006

Étude spéciale

Bilan de l’année : la revanche de la vieille économie

par P. Cross*

Introduction

La conjoncture économique mondiale a encore largement influé sur l’évolution de l’économie canadienne l’année dernière, ce qui témoigne des changements historiques qui ont eu lieu en raison de la mondialisation et plus particulièrement de l’intégration de l’Asie à l’économie mondiale. Le phénomène a provoqué un mouvement tectonique des prix relatifs sur plusieurs marchés dans le monde. Ce mouvement s’est amorcé en 2003 et il continue. À l’origine de ces changements, il y a une flambée des cours des produits de base qui ont atteint un nouveau sommet l’an dernier, l’énergie et les minéraux étant venus en tête.

Le Canada a été bien placé pour profiter de ces changements au cours des trois dernières années, en raison de la richesse de ses ressources naturelles. Le renchérissement des prix des produits de base et des exportations a contribué à une hausse du taux de change, qui est passé de 65 cents US dans les premiers mois de 2003 à 86 cents vers la fin de la dernière année, dans ce qui devait être le mouvement le plus rapide du dollar canadien de notre histoire. L’essor du prix des ressources et la montée du taux de change ont amélioré nos termes de l’échange (le rapport entre les prix à l’exportation et à l’importation) une troisième année de suite. L’essor du secteur des ressources a aussi porté le marché boursier à un nouveau sommet, soit un niveau qui était près du double de celui peu élevé atteint en 2003 après que la bulle point-com a éclaté. Le recettes tirées des exportations ont stimulé les dépenses intérieures, qui se sont accélérées pour la troisième année consécutive.

Figure 1

Au cours de chacune des trois dernières années, les mêmes événements ont dominé les changements survenus dans l’économie. Le secteur en plein essor de l’énergie et des mines a donné de l’élan aux exportations et aux investissements, ce qui a contribué à entraîner le chômage à des creux jamais atteints depuis 30 ans, particulièrement dans l’Ouest. Par ailleurs, l’appréciation du dollar a fait diminuer le coût du capital importé même si le prix de la main-d’oeuvre a grimpé. Cela a fait qu’il y a eu davantage d’investissements, et ceux-ci sont devenus, à la fin de l’année dernière, en lieu et place des dépenses des ménages, le moteur de la croissance. Ces investissements aideront à stimuler la productivité du travail qui a commencé à sortir de sa léthargie, les ressources ayant été redirigées vers les industries plus traditionnelles du Canada comme celles de l’énergie, des mines et du transport après avoir été le fait des secteurs des TIC qui semblaient être le fer de lance d’un virage vers une nouvelle économie à la fin des années 1990.

L’augmentation du pouvoir d’achat des Canadiens s’est traduite par une croissance bien plus forte ces dernières années du « command GDP » (c’est le PIB classique après correction en fonction des termes de l’échange), du PIB nominal et du patrimoine national, qui rendent compte de l’incidence de la montée des prix sur ce que nous produisons et possédons. Ce tableau est le constat d’une économie en accélération à l’opposé de celui d’une croissance stable selon le PIB réel et l’emploi. Avec la correction du « command GDP », on se trouve aussi à annuler tout l’écart de croissance du PIB réel entre les États-Unis et le Canada pour les trois dernières années1.

Figure 2

Ce ne sont pas tous les secteurs qui ont tiré un même profit de cette évolution des prix des produits de base et du taux de change. Nombreux sont les fabricants qui ont subi les effets de la montée en flèche des coûts des intrants et de l’appréciation du dollar canadien, en particulier les exploitants dans les industries des forêts et du vêtement. Par ailleurs, le marché de l’habitation, florissant depuis quatre ans, a quelque peu perdu de son éclat mais, dans l’ensemble, 62 % des branches d’activité ont accru leur production l’an dernier, une proportion qui ne tranche guère avec celle de 64 % enregistrée en 2004 mais qui est supérieure à sa moyenne à long terme de 59 % (la plus haute valeur relevée a été de 72 % en 1994 au moment où l’économie se rétablissait d’une récession). C’est pourquoi l’économie a de plus en plus essayé de reculer les limites de ses capacités, notamment dans l’Ouest canadien.

Certaines tendances sont demeurées inchangées. L’inflation est restée peu élevée, malgré la montée du prix de l’énergie, ce qui a permis aux taux d’intérêt de se maintenir près de leurs taux les plus bas jamais atteints. Et les vieilles habitudes sont difficiles à délaisser : les Canadiens ont continué à acheter davantage de camions et de VUS et la consommation d’énergie a progressé de façon constante en dépit des hausses de prix.

Le Canada est demeuré le seul pays membre du Groupe des Sept dans lequel les administrations publiques ont dégagé un excédent budgétaire dans l’ensemble. C’est aussi un des quelques pays (avec le Japon et l’Allemagne) dont les échanges commerciaux se sont soldés par un excédent. Ajoutons que notre pays a présenté son meilleur gain depuis trois ans sur le plan des investissements des entreprises, en raison du fait que les bénéfices et les excédents des entreprises ont été considérables. Il doit tous ces bienfaits, dans une large mesure, à l’essor du secteur des ressources en général et de l’industrie de l’énergie en particulier. Un résultat partiel est que le dollar canadien a été la seule monnaie parmi celles du Groupe des Sept à prendre de la valeur l’an dernier par rapport à un dollar américain qui remontait (la reprise du dollar américain a été l’un des développements les plus surprenants de l’année, encore plus que le déficit commercial record de 805 milliards de dollars).

Une croissance soutenue dans l’ensemble…

L’an dernier, la croissance du PIB réel au Canada a été stable à 3 % et, dans la plupart des grands secteurs, la demande a à peu près connu les mêmes avances. Les dépenses de consommation ont affiché un léger gain (malgré la hausse des prix de l’énergie), la croissance des dépenses courantes des administrations publiques n’a guère changé et les hausses des exportations ont peu diminué dans un contexte d’augmentation des prix et d’appréciation du dollar canadien. En fait, le seul changement marquant qu’ont accusé les habitudes de dépenses a été la croissance de la construction non résidentielle et le ralentissement de l’habitation (phénomènes en partie liés l’un à l’autre, les secteurs en question rivalisant souvent pour l’obtention des mêmes ressources).

…nous masque des variations rapides par industrie

Il reste que, sous des apparences générales de stabilité, l’économie canadienne subit des changements rapides et profonds dans une conjoncture marquée non seulement par l’essor du secteur des ressources et de l’industrie de la construction, mais aussi par la décroissance de certaines industries dans le secteur de la fabrication. Dans le secteur des ressources, le tableau se partage entre une croissance rapide de l’extraction pétrolière, gazière et minière et un sérieux recul de l’exploitation forestière (aux effets encore plus néfastes si on considère la propagation du dendroctone du pin). Même le secteur de l’énergie s’infléchit nettement, délaissant les produits conventionnels pour des produits non conventionnels comme le bitume, le méthane tiré du charbon et le gaz naturel liquéfié. Dans l’industrie minière, le diamant brille désormais de tous ses feux. Tous les secteurs ont à composer avec une évolution des échanges commerciaux et des voyages au profit de l’Asie.

Toute période de changement rapide suscite des appréhensions et la dernière année n’a pas été différente. La valorisation du dollar et une plus vive concurrence de la Chine ont fait craindre partout que nos bases industrielles ne s’effritent, ce qui devait amener un certain nombre de prévisionnistes économiques à parler de récession au début de 2005 (ce qui était, on le voit maintenant, un sujet d’inquiétude non fondé). Une grippe aviaire qui gagne toutes sortes de régions du globe a touché une fibre sensible chez les Canadiens à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003. La montée en flèche du prix de l’énergie rappelle le ralentissement économique provoqué par les majorations de prix de l’OPEP dans les années 1970. Et notre dépendance croissante à l’égard des ressources naturelles a ranimé les inquiétudes au sujet d’un retour du cycle notoire d’expansion-récession qui a hanté le secteur des ressources par le passé.

Jusqu’à présent, aucune de ces craintes n’est devenue réalité. Malgré des dislocations dans certains secteurs, le Canada a été porté dans l’ensemble par une vague de prospérité qui lui a donné son plus bas taux de chômage en 30 ans, une inflation modérée, des capitaux et des prix de logement records, et des excédents croissants aux budgets des administrations publiques et aux comptes du commerce. Cette constatation vaut tout particulièrement pour l’Ouest canadien, éminemment bien placé pour tirer parti de ses ressources et de la proximité de deux des marchés les plus en croissance dans le monde, ceux des États-Unis et de la Chine. Il y a aussi les provinces centrales dont la croissance a suffi à réduire le chômage malgré les prix élevés de l’énergie et la perte d’emplois dans la fabrication.

Un des faits saillants de notre vie économique au cours de la dernière décennie est la rapidité des déplacements de ressources entre les secteurs au gré des besoins. Vers la fin des années 1990, le tableau de la croissance était dominé par des secteurs comme ceux de la fabrication de produits de haute technologie, de la construction automobile et des services des TIC. Toutes ces industries ont ralenti depuis 2001 et, pour la croissance, des secteurs longtemps négligés comme ceux de la construction, des ressources et de la santé et de l’éducation ont pris le relais.

Que ces changements aient eu lieu sans qu’une récession se présente pour le court terme (comme aux États-Unis en 2001) ni une stagnation pour le long terme (comme au Japon et dans les grands pays européens) témoigne de la souplesse des marchés et des institutions au Canada. Une mesure surprenante de la capacité de s’adapter de la main-d’œuvre est que plus de la moitié des travailleurs canadiens ont changé d’emploi entre 1997 et 2003. C’est une capacité qui sera cependant mise à rude épreuve ces prochaines années par le vieillissement de la population, dont un signe avant-coureur a été l’an dernier la première contraction dans l’histoire de notre population active pour une année sans récession.

Seuls les prix peuvent modifier les grandes économies actuelles

Ces changements qui s’opèrent dans l’économie ont pour origine les prix relatifs, mécanisme fondamental qui révèle ce qui se produit comme évolution dans toute économie de marché. Ces trois dernières années, les prix des marchés financiers et des marchés des produits de base ont signalé haut et fort le besoin d’un déplacement du travail et du capital vers le secteur des ressources. À partir de 2003, les cours des produits de base ont été en forte hausse, d’abord celui de l’énergie et plus récemment ceux des produits miniers. Ce mouvement s’est traduit par une montée des valeurs boursières; les bourses canadiennes ayant eu des résultats franchement supérieurs à ceux de la plupart des autres bourses dans le monde (la hausse au Canada a été près du triple de celle aux États-Unis depuis 2002). Les prix du marché boursier ont récemment atteint un nouveau sommet, ayant près de doubler leur valeur minimale de 2003 après l’éclatement de la bulle des TIC. Alors que l’augmentation a été principalement attribuable aux ressources, 70 % des actifs ont crû l’année dernière, ce qui indique comment la prospérité était généralisée l’an dernier. Les apports d’argent au Canada tant par les exportations et les produits de base que par l’investissement ont contribué à une montée en flèche du taux de change.

Ces variations des prix relatifs nous éclairent sur le fonctionnement d’une macroéconomie moderne. Il n’y a que d’amples variations des prix financiers, des prix des produits de base et des cours du change qui puissent foncièrement infléchir le cours d’une économie de 1,4 billion comme celle du Canada en raison de leurs effets tentaculaires sur les décisions que prennent des millions de ménages et d’entreprises. Ainsi, la flambée des prix de l’énergie et des métaux a causé un déplacement de l’emploi et de l’investissement vers ces secteurs depuis trois ans, mettant fin à plus d’une décennie de décroissance de notre industrie primaire. La richesse engendrée par les actions de ressources naturelles a aidé à soutenir les dépenses des ménages. Ces tendances ont été renforcées par une hausse du taux de change qui a contribué à une diminution des prix des biens importés tant pour les consommateurs que pour les entrepreneurs (leur faisant épargner près de 14 milliards depuis trois ans).

La taille même de l’économie lui donne assez de lest pour résister à des chocs répétés qui, ces dernières années, ont été aussi divers que le krach boursier (qui a englouti près de 230 milliards de dollars du patrimoine des ménages entre 2000 et 2002), les attentats du 11 septembre et la récente escalade du taux de change et des prix de l’énergie. En comparaison, des événements dont on a beaucoup parlé comme l’épidémie de SRAS ou la crise de la vache folle (oublions ici le lock-out décrété dans la LNH) ont des proportions relativement modestes, n’approchant même pas du 1 milliard de dollars qui toucherait le PIB à sa première décimale.

Les ouragans qui ont sévi aux États-Unis l’an dernier sont une autre illustration de la facilité relative avec laquelle les économies modernes échappent aux effets de catastrophes qui les auraient paralysées des années auparavant. La saison des ouragans la plus tumultueuse de l’histoire a dévasté la Nouvelle-Orléans, 35e ville américaine en importance, et nui à la production tout le long du littoral du golfe du Mexique, provoquant une flambée des cours pétroliers (le prix du baril de pétrole a atteint 70 $US), mais sans qu’il y ait outre mesure d’effet sur les dépenses de consommation ni sur la croissance de la production, en partie parce que le PIB américain est d’une valeur démesurée de 12,5 billions de dollars (il faut dire que les États-Unis consomment 1,3 billion en aliments, plus que le PIB canadien total mesuré en dollars américains). L’immensité des économies aujourd’hui non seulement agit comme une sorte d’amortisseur permettant d’absorber les chocs, mais procure aussi une réserve importante de ressources avec lesquelles s’attaquer aux problèmes et relever les défis à mesure qu’ils se présentent.

L’énergie a dominé au tableau des grandes tendances…

L’an dernier, le secteur de l’énergie a prédominé dans l’économie. À elles seules, les exportations énergétiques ont porté l’excédent commercial à un sommet. Fortes de la richesse des bénéfices et attirées par de brillantes perspectives de croissance, les compagnies d’énergie ont encore dominé la montée des investissements des entreprises. Le bond qu’ont fait l’impôt sur le revenu des sociétés et les redevances du secteur de l’énergie a nourri les excédents budgétaires des administrations publiques, notamment du gouvernement de l’Alberta. Les ménages ont réussi à faire face aux conséquences du renchérissement de l’énergie, allant même jusqu’à acheter plus de véhicules et leur faisant franchir de plus grandes distances. Cette même énergie explique aussi que l’Ouest canadien ait dominé pour la croissance parmi les régions.

Figure 3

L’excédent canadien au compte courant a atteint 30,2 milliards surtout à cause d’une hausse de 10 milliards au bilan commercial de l’énergie. Les exportations d’énergie ont fait un bond de 28 % pour reprendre la tête sur le marché extérieur avec une valeur de 87 milliards. Tous les sous-secteurs du domaine de l’énergie s’en sont bien tirés, notamment celui du gaz naturel où l’augmentation des prix a entraîné à la hausse les exportations qui ont ainsi atteint 36 milliards de dollars. Le pétrole brut, pour sa part, a crû pour se situer à 30 milliards de dollars, aidé en cela par la montée des prix et l’entrée en exploitation de plusieurs nouveaux projets. Enfin, l’uranium et le charbon, qui ont encore peu de poids, ont affiché les meilleurs gains, ayant doublé depuis 2002 pour se chiffrer à 5,2 milliards de dollars car la demande européenne et asiatique d’énergie s’est diversifiée hors du pétrole et du gaz.

Si les inconvénients à court terme du renchérissement de l’énergie ont déjà été absorbés en majeure partie par les consommateurs et les entrepreneurs, les avantages en gains d’investissement et de production seront là pour bien des années, sous réserve d’une chute des prix. La figure 4 décrit l’avantage net de la montée du prix de l’énergie; celle-ci a en effet pris une proportion un peu plus grande du revenu personnel disponible, mais cet effet a été éclipsé par la plus grande place qu’occupent les exportations énergétiques dans le revenu total.

Figure 4

L’énergie a aussi été la cause principale l’an dernier de la progression de 9 % des investissements des entreprises; c’est une troisième hausse consécutive et la meilleure d’une décennie alors que les investissements se sont remis de l’effondrement des TIC en 2001 et 2002. Les investissements ont crû de 16 % (ou de 5,2 milliards de dollars) dans le secteur du pétrole et du gaz, et on a relevé une augmentation de 55 % (3,4 milliards) des investissements dans l’exploitation des sables pétrolifères.

…mais cela aussi change rapidement

La physionomie du secteur de l’énergie change vite elle aussi. Les réserves de pétrole et de gaz conventionnels sont en pleine décroissance, notamment parce que les gisements conventionnels du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien ont été d’un moindre rendement en 2004 et 2005. Les producteurs ont dû se tourner vers les réserves extracôtières et non conventionnelles.

Cela se remarque d’emblée dans le cas du pétrole, puisque les sables pétrolifères albertains représentent désormais 42 % de toute la production pétrolière intérieure. À 9,8 milliards, cet investissement équivaut à presque 40 % des dépenses consacrées au pétrole et au gaz classiques. Cette tendance se maintiendra, les entreprises ayant annoncé une abondance de nouveaux projets pour la prochaine décennie. Les entreprises canadiennes ont mené le bal en ce qui a trait au développement de la technologie servant à exploiter les sables bitumineux, ce qui va à l’encontre de la domination qu’exerçaient les entreprises sous contrôle étranger dans le passé.

Figure 5

La production de bitume a fléchi l’an dernier à cause d’un important incendie qui a déréglé cette production tôt dans la période. On prévoit que la production progressera de près de 30 % en 2006 et qu’elle doublera à 1,3 million de barils par jour d’ici la fin de la décennie2. À l’heure actuelle, 60 % de la production bitumineuse est obtenue en extraction et le reste, en exploitation in situ (par la vapeur). L’exploitation des sables pétrolifères demande aussi plus de main-d’œuvre que la production classique.

Les exploitants de gaz naturel aussi se tournent vers les sources non classiques : toute la hausse de la production depuis 2004 est attribuable au méthane tiré du charbon, les réserves classiques ayant commencé à s’amenuiser. La production de méthane houiller (qui vient presque entièrement de l’Alberta) a augmenté 27 % de plus que ne le prévoyait l’Office national de l’énergie en 2004. Les intentions d’investissement en gaz de houille ont atteint le niveau de 1,3 milliard de dollars pour 2006, ce qui équivaut à plus du dixième des dépenses liées au bitume bien que cela ait été bien moins publicisé.

On éprouve sans cesse le besoin de trouver de nouvelles réserves et, l’an dernier, la moitié du gaz naturel venait de puits en exploitation depuis moins de 5 ans3. Cette production qui a monté de 1,4 à 7 millions de m3/j de 2003 à 2005 devrait, selon les prévisions de l’ONE, tripler à 25 millions en 2007 pour assurer le tiers de tout l’approvisionnement en gaz naturel et compenser la diminution de la production de gaz classique. Si cette dernière ressource décroît, c’est que la production des puits existants régresse de 20 % par an et que la productivité initiale des nouveaux puits est en décroissance dans le bassin sédimentaire de l’Ouest canadien. La croissance attendue dans le cas du gaz naturel liquéfié laisse prévoir que les importations joueront un plus grand rôle dans l’avenir (les importations de gaz naturel sont négligeables aujourd’hui).

Avec toutes ces nouvelles sources d’énergie, il faut d’importants investissements infrastructurels pour l’acheminement et la transformation du pétrole et du gaz. Le gaz naturel est particulièrement important pour l’industrie des forages, car les sables pétrolifères n’exigent aucun forage (le coût inférieur des travaux d’exploration compense en partie les coûts supérieurs de production)4. Il faut aussi dire que le gaz naturel fournit au gouvernement albertain le gros de ses recettes sous forme de redevances dans un contexte de rétrécissement des réserves de pétrole classique5.

Le rôle du Canada n’est pas du tout le même dans le cas du gaz naturel que dans celui du pétrole. Notre pays détient 14 % des réserves pétrolières confirmées dans le monde, n’étant devancé à cet égard que par l’Arabie saoudite, mais il ne compte que 1 % des réserves de gaz naturel. Qui plus est, le marché mondial des hydrocarbures est bien intégré, alors que le coût élevé de l’acheminement du gaz naturel rend ses marchés plus régionaux, chacun de ceux-ci ayant son propre régime de prix6.

Toutefois, le fort renchérissement récent du gaz naturel favorise la mondialisation des marchés par le commerce du gaz naturel liquéfié (GNL)7. Le nombre de méthaniers qui transportent le GNL s’accroît du tiers et nombre de grands pays exportateurs de gaz (plus particulièrement la Russie, le Qatar et la Norvège) construisent des terminaux gaziers pour l’exportation de ce produit. Trois établissements sont en chantier au Canada pour la réception du GNL à l’importation et plus encore sont au stade de la planification.

Bien des années encore, l’énergie dominera dans les investissements des entreprises au Canada. Déjà, la mise en valeur rapide des sables pétrolifères a rendu nécessaire un accroissement des capacités des pipelines pour l’acheminement des produits énergétiques vers les marchés. Les intentions d’investissement pour 2006 nous indiquent que les pipelines mènent désormais le mouvement de croissance des investissements en énergie avec une majoration de 83 % ayant porté l’investissement pipelinier à 2,0 milliards de dollars. L’écart de prix qui s’accroît entre les catégories plus utiles de pétrole brut léger et la masse grandissante des produits lourds extraits des sables pétrolifères incite les exploitants à construire de nombreuses raffineries.

L’accélération des investissements des entreprises au cours des trois dernières années a joué un rôle important dans la croissance continue de la fabrication malgré la hausse rapide du dollar canadien. Les industries liées aux investissements ont vu croître leurs livraisons de 17 % depuis 2002; il s’agit des plus solides gains, mis à part le pétrole et les métaux. Ces biens incluant l’équipement de communications à la fine pointe de même que des secteurs plus mondains comme celui de la machinerie (particulièrement pour la construction et les mines, qui ont presque doublé pour atteindre 5,7 milliards de dollars), la fabrication des métaux, le matériel de bureau et les minéraux non métalliques. Au total, ils ont représenté près de la moitié de la croissance globale des livraisons manufacturières (excluant le pétrole et les métaux) au cours des trois dernières années.

Les mines et les transports se sont aussi améliorés…

L’essor du pétrole et du gaz a gagné d’autres secteurs l’an dernier à la faveur de la montée des exportations. Les prix d’une grande diversité de métaux ont atteint des sommets, notamment ceux du cuivre, du nickel, du minerai de fer et de l’aluminium, tandis que l’or se situait à son plus haut niveau en un quart de siècle. Les minéraux non métalliques n’ont pas été en reste grâce à un regain d’intérêt pour l’uranium et la potasse ainsi que le diamant dont la mise en valeur se poursuit dans le Nord canadien.

Le revirement dans le cas des mines est d’autant plus frappant que le rendement minier était médiocre depuis 1990, l’emploi sectoriel s’étant contracté de 53 % et l’investissement ayant été si faible que le stock de capital net du secteur a fléchi en valeur absolue. Mais soudainement, l’emploi minier s’est redressé de 16 % l’an dernier et l’investissement sectoriel a fait un bond de 20 %. Les minéraux non métalliques ont mené sur ce plan, plus particulièrement la potasse et le diamant. Quant à l’investissement dans les mines métalliques, il n’a guère changé malgré la montée en flèche des prix, mais il reste à de hauts niveaux après l’essor qu’a connu le développement de nouveaux gisements de minerais au cours des deux années précédentes.

Une retombée de l’accroissement de la demande d’exportation de produits de base a été le regain de fortune du secteur des transports. Le transport par rail et par eau a particulièrement été solide grâce au vrac. La côte ouest a assisté à une progression rapide du transport maritime à cause de l’essor des importations en provenance de la Chine. Ajoutons que le transport aérien s’est complètement rétabli de la contraction de la demande de voyages internationaux à la suite des attentats du 11 septembre. Tous ces secteurs prévoient relever nettement leurs investissements en 2006.

…créant un nouveau triumvirat

La prééminence de l’extraction pétrolière, gazière et minière et des transports n’était nulle part plus évidente que dans les bénéfices. Les bénéfices d’exploitation du triumvirat formée de l’exploitation pétrolière et gazière, de l’extraction minière et des transports se sont envolés l’an dernier, ayant affiché une hausse de 16,2 milliards correspondant à 80 % de toute la croissance des bénéfices au Canada, et le signe le plus visible du modèle orthodoxe de l’économie canadienne qui va se répétant. Le pétrole et le gaz sont venus en tête, ayant augmenté de 10 milliards (un bond de moitié). Dans les mines, l’envol a été de 2,7 milliards (+67 %) et, dans les transports, de 3,5 milliards (+45 %). Dans les trois industries en question, les bénéfices ont été de bien plus du double des valeurs record antérieures. Étant bien nanties, il n’est pas surprenant que ces trois industries aient dominé la croissance des investissements. On s’attend d’ailleurs à ce que les hausses de 10 % et plus qu’elles ont enregistrées en 2004 et 2005 se poursuivent cette année. Elles représentent toutes trois 35 % de tous les plans d’investissement des entreprises en 2006.

Figure 6

En comparaison, on peut noter que le deuxième gain en importance des bénéfices a été une hausse de 2 milliards dans le commerce de détail; dans le secteur de la fabrication, les bénéfices ont décru de 3 milliards. Les fabricants ont tout de même investi 7 % de plus et tout ce gain a été attribuable aux machines et au matériel, secteur où les prix ont continué à fléchir.

La montée des bénéfices totaux des sociétés a beaucoup à voir avec les opérations avec le reste du monde. Les hausses de prix à l’exportation ont enrichi de 12 milliards la trésorerie des entreprises, ce qui équivaut à plus de la moitié de la croissance des bénéfices des sociétés l’an dernier. Les entreprises ont aussi continué à profiter des baisses de prix à l’importation. Une diminution de 11,8 % des prix des machines et du matériel depuis 2002 – surtout à cause de la valorisation du dollar – a fait économiser plus de 10 milliards aux entrepreneurs. On fait rarement mention de cette source d’économies dans les débats consacrés à l’incidence du taux de change sur la rentabilité de l’industrie.8

Les bénéfices des sociétés ont été d’une proportion record de 14 % du PIB; on ne s’étonnera donc pas que la plupart des indicateurs de la santé financière des sociétés aient plus de vigueur que jamais. Les entreprises ont aussi puisé dans leurs bénéfices pour se désendetter et accroître leurs réserves de liquidités. La fermeté des bourses a favorisé les émissions de nouvelles actions, ce qui devait faire descendre le ratio capitaux d’emprunt-capitaux propres à son plus bas niveau dans l’histoire.

L’énergie est-elle plus exposée à un cycle d’expansion-récession?

La croissance du secteur des ressources a ravivé la crainte que l’expansion actuelle ne se transforme vite en une récession caractéristique des cycles antérieurs des produits de base (et notamment de l’énergie). De solides arguments nous disent cependant que les prix resteront « plus forts plus longtemps ».

Tout d’abord, l’expansion actuelle a pour origine l’intégration de quelques milliards d’Asiatiques (de la Chine et de l’Inde plus particulièrement, pays qui groupent 40 % de la population mondiale) à l’économie mondiale. Les bonds antérieurs des prix énergétiques s’expliquaient par des contractions des approvisionnements (opérées par l’OPEP dans les années 1970 et par le Koweït en 1990), alors que la présente flambée des cours de l’énergie tient à une demande américaine qui demeure élevée et à d’amples hausses dans les pays en développement (sauf pour le bref envol des prix l’automne dernier par suite des dégâts causés par les ouragans aux États-Unis). Bien sûr, l’année 1998 a aussi révélé comment une diminution de la demande asiatique peut faire chuter les prix du pétrole9.

Cette nouvelle tendance de la demande dominée par les augmentations de prix se répercute sur les cours à terme de l’énergie. Les marchés à terme ont évalué à la baisse les majorations antérieures de prix par pénurie des approvisionnements, alors qu’ils s’attendent à ce que les hauts niveaux récents des prix se maintiennent des années durant. Cela est important pour les promoteurs de projets coûteux dans le secteur des sables pétrolifères par exemple, puisque ceux-ci peuvent s’assurer à terme des prix et ainsi moins s’exposer aux risques. Les hauts niveaux des marchés à terme reflètent aussi le fait que les grandes découvertes de gisements pétroliers se font seulement en des lieux où l’exploitation coûte cher (au large des côtes, en zone de sables pétrolifères, etc.).

Il convient aussi de se rappeler que les cycles récents d’expansion-récession n’ont pas été plus accentués pour le pétrole et le gaz que pour les autres secteurs de l’économie. En fait, l’ascension spectaculaire et la chute qui a suivi de la fabrication des TIC en ce début de millénaire sont maintenant l’étalon d’instabilité servant à la mesure de tous les cycles. L’industrie de l’automobile a aussi connu des cycles (en 1979-1980 et 1981-1982) aux répercussions graves (la moyenne de la production dans ces deux cycles est présentée à la figure 5 pour les mois précédant et suivant le sommet). Les cycles moyens du marché de l’habitation de 1980 à 1982 et de 1989 à 1991 ont été encore plus désolants. En comparaison, les oscillations cycliques dans le forage pétrolier et gazier (de loin la composante la plus instable du secteur de l’énergie) de 1980 à 1982, en 1985-1986 et de 1996 à 1998 étaient plus faibles en moyenne.

La macroéconomie non seulement a survécu à tous ces cycles, mais a aussi gagné en stabilité. Somme toute, il n’y a guère lieu de penser que la croissance sera par trop déstabilisée par la dépendance actuelle à l’égard des ressources.

Figure 7

Les ménages absorbent le prix de l’énergie

Par ailleurs, les consommateurs canadiens ont étonnamment été peu touchés par le renchérissement des coûts de l’énergie. La facture énergétique (surtout pour l’essence et les combustibles de chauffage domestique) en proportion du revenu des ménages n’a monté que légèrement, passant de 6,2 % à 6,7 % de 2004 à 2005, ce que l’on doit surtout à l’essence. On peut voir dans cette hausse relativement modeste l’effet d’une légère augmentation des tarifs d’électricité l’an dernier, laquelle a amorti l’effet du renchérissement du pétrole et du gaz sur les coûts de chauffage. Il y a eu un autre effet, celui d’une nouvelle élévation des revenus.

La croissance du revenu du travail s’est améliorée pour se situer à 5,4 % en raison de la plus grande fermeté du marché du travail. Le revenu disponible s’est élevé un peu moins (+4 %) par suite d’un alourdissement du fardeau fiscal une deuxième année de suite (peut-être à cause des bénéfices florissants du marché boursier).

Malgré le renchérissement de l’énergie, les Canadiens n’ont guère été enclins à faire plus d’économies d’énergie. L’an dernier, la consommation d’essence n’a pour ainsi dire pas bougé en dépit d’une hausse des prix de 13 %. En fait, dans l’ensemble, les ventes de véhicules se sont accrues pour la première fois en trois ans pour atteindre l’an dernier le niveau de 1,63 million d’unités, et ce, grâce à un bond des ventes au milieu de l’année à une époque de prolifération des programmes d’encouragement à l’achat.

Si les Américains ont inversé la préférence qu’ils marquent depuis 25 ans pour les camions (qui incluent les fourgonnettes et les VUS) par opposition aux voitures, les Canadiens ont refusé de modifier leurs habitudes de consommation, puisque ces mêmes camions ont représenté 48,2 % des ventes de véhicules l’an dernier, en hausse par rapport à 47,9 % l’année précédente (cette augmentation est à comparer à une diminution de 0,5 point de pourcentage aux États-Unis qui a porté la proportion à 55,0 %). Dans ce dévolu jeté par les Canadiens sur les camions, l’Alberta a eu la part du lion avec une proportion record des deux tiers de l’ensemble des ventes. La demande qui s’attache à ces véhicules n’en est pas moins restée forte ailleurs (leur part a en fait un peu monté à 45,7 %), plus particulièrement en Colombie-Britannique et en Ontario.

Figure 8

Les secteurs où les dépenses des consommateurs ont crû le plus rapidement ne sont plus ceux du logement et des automobiles mais ceux des appareils électroménagers et des appareils électroniques. Cette situation s’explique par des baisses de prix et par les nouvelles technologies, notamment les téléviseurs à grands écrans qui gagnent en popularité et les communications sans fil.

La croissance est orientée vers l’ouest

L’un des traits distinctifs du tableau de la croissance l’an dernier a été sa concentration en Alberta et en Colombie-Britannique. Ces deux provinces sont responsables de 43 % de toute la progression de l’emploi au Canada, bien que leur part de l’emploi global ne soit que de 24 %. En Alberta (certains l’appellent déjà « Oilberta »), les moteurs de la croissance ont été les mines et la construction et, en Colombie-Britannique, cette même construction, les services immobiliers et les transports. C’est ainsi que, dans l’une et l’autre de ces provinces, le taux de chômage est tombé à de bas niveaux record. En fait, ce sont les pénuries croissantes de main-d’œuvre et de matières qui paraissent constituer le plus grand frein à leur croissance10.

Dans ces deux mêmes provinces, le facteur déterminant a été l’investissement et les exportations. Les deux phénomènes sont liés : les revenus tirés des hausses respectives de 19 % et 10 % des exportations de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont servi à stimuler l’investissement (les exportations ont moins crû en Colombie-Britannique qu’en Alberta malgré les hausses du gaz et du charbon, en raison de la faiblesse du secteur des produits forestiers dans la première de ces provinces, ceux-ci étant toujours la première exportation en importance). Les investissements des entreprises se sont élevés de 18 % en Alberta et de 6 % en Colombie-Britannique. À son tour, la croissance des exportations et de l’investissement a fait monter l’emploi et le revenu des ménages. On ne s’étonnera pas que, dans ces deux provinces, les ventes au détail aient dominé au tableau national de la croissance, contribuant pour 38 % à la progression générale au pays. En Alberta et en Colombie-Britannique, les mises en chantier d’habitations ont aussi largement dépassé la moyenne nationale.

Un autre étalon du dynamisme de ces provinces est leur domination sur le plan de la croissance des services professionnels, scientifiques et techniques. Elles rendent compte de 26 000 des 31 000 emplois ajoutés par ce secteur l’an dernier. C’est là un fait important, car nombre de services fournis par ce groupe diversifié de juristes, d’ingénieurs, d’architectes et d’informaticiens se situent souvent aux premiers stades de la démarche de planification des entreprises (raison pour laquelle ce secteur nous donne un de nos principaux indicateurs révélant les tendances qui se dessinent dans l’économie).

Si les autres régions n’ont pas autant profité que l’Alberta et la Colombie-Britannique de l’essor des ressources et de l’investissement, elles s’en sont quand même bien tirées. Notons en particulier que le taux de chômage est tombé au Québec à son plus bas niveau en 30 ans (8,3 %) grâce au nombre plus grand d’emplois dans la construction et dans les services aux entreprises et à une diminution du taux d’activité (notamment chez les gens de 15 à 24 ans et de plus de 55 ans). L’Ontario a affiché un respectable gain de 1,3 % au plan de l’emploi avec des hausses dans la construction et dans les services (en éducation notamment) qui l’ont emporté sur les pertes de 30 000 emplois subies par son secteur industriel. C’est pourquoi le chômage dans cette province n’était que de moins d’un point supérieur à son creux inégalé de 5,8 % atteint en 2000.

Dans cette province, les fabricants ont également profité de la montée de la demande d’investissement en biens d’équipement et en sidérurgie, tout comme les producteurs plus spécialisés en Alberta et en Saskatchewan. On notera que, pour une grande majorité d’industries manufacturières ontariennes (13 sur 16) en dehors du secteur du vêtement, du textile et du cuir, les livraisons étaient en hausse l’an dernier. À l’exception du pétrole et des métaux, ce sont les biens en équipement qui ont crû le plus rapidement, en hausse de près de 10 %, ce qui a été attribuable à des augmentations de 10 % et plus enregistrées par les meubles de bureau, les minéraux non métalliques, la fabrication de produits métalliques, la machinerie (particulièrement celles de la construction et des mines dont les livraisons ont progressé de 52 % depuis 2002) et le matériel de communications. L’acier et le fer ont crû, pour leur part, de 17 %. Cela révèle comment le boom des ressources dans l’ouest du pays a eu des répercussions dans les autres régions. Le papier et les automobiles ont été les grandes sources de faiblesse.

La transformation du panorama industriel était manifeste dans d’autres provinces. Au Québec, l’industrie du raffinage pétrolier est devenue la deuxième source en importance de livraisons manufacturières, ce qui devait plus que compenser les pertes subies dans le textile et le vêtement. Les apports supérieurs aux raffineries ont aussi soutenu les expéditions dans la région de l’Atlantique devant les pertes essuyées dans l’industrie des pâtes et papiers. Cette tendance sera favorisée par la construction de terminaux méthaniers pour le GNL. L’emploi n’a guère changé à Terre-Neuve-et-Labrador, mais les exportations et le revenu dans cette province ont connu un meilleur sort par la croissance du secteur des ressources. Mentionnons en particulier que la plateforme extracôtière White Rose et le gisement de nickel de Voisey’s Bay sont entrés tous deux en exploitation vers la fin de l’année.

Prix et salaires

L’inflation à la consommation est demeurée faible l’an dernier malgré le bond de 10 % du prix de l’énergie, ce qui constitue un phénomène sans précédent. De 2004 à 2005, l’augmentation de l’IPC est passée de 1,9 % à 2,2 %, alors que l’indice implicite des prix des dépenses personnelles (mesure un peu plus large) restait à peu près le même, ayant affiché une hausse de 1,6 %. La réaction plus modérée des prix au Canada a empêché les taux d’intérêt d’augmenter autant qu’aux États-Unis (où la Réserve fédérale a haussé les taux d’intérêt à court terme de deux points entiers, plus du double de ce qui s’est fait au Canada).

La compression des prix a été attribuable aux baisses enregistrées par les biens durables et semi durables. Ces deux catégories de biens présentent un important contenu importé. La valorisation du dollar canadien, surtout vis-à-vis du dollar américain (auquel le yuan chinois est essentiellement fixé), et la montée des importations à bon marché en provenance de l’Asie ont entraîné à la baisse les prix de biens comme les vêtements, les appareils électroménagers et les produits électroniques.

Figure 9

Depuis que le dollar s’est mis à monter en 2003, les prix des biens durables et semi-durables ont respectivement baissé de 2,6 % et 1,4 %, ce qui a fait épargner 3,5 milliards aux consommateurs de ces produits, soit 294 $ pour chaque ménage canadien. Cette prime au ménage de presque 300 $ est autant un symbole de la prospérité canadienne par l’amélioration des termes de l’échange que le chèque de 400 $ envoyé à chaque Albertain d’âge adulte en témoignage de la richesse pétrogazière albertaine.

La relation différente des pressions de la demande et des prix a aussi une composante intérieure, ce dont témoigne fort éloquemment la réaction discrète des salaires à un taux de chômage ayant atteint son plus bas niveau en 30 ans. L’an dernier, la rémunération horaire moyenne s’est accrue de 3,2 % comparativement à 2,5 % seulement l’année précédente. Presque toute la progression est à attribuer à un bond de 7 % en Alberta, province où se multipliaient les signes d’une grave pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, 20 % des fabricants albertains ont déclaré en fin d’année que des pénuries de main-d’œuvre non spécialisée nuisaient à la production. Comme indice de la gravité de ce problème, on observe un déplacement marqué de l’emploi à temps partiel vers l’emploi à plein temps et des secteurs peu rémunérateurs (agriculture, hôtellerie-restauration, voire fabrication) vers les secteurs hautement rémunérateurs de la construction et du pétrole.

Et pourtant, les pressions salariales sont encore faibles au pays, sauf en Alberta. Les raisons en demeurent obscures. Divers analystes y voient surtout l’effet de la mondialisation de la main-d’œuvre qui fait craindre aux travailleurs nord-américains les pertes d’emplois au profit d’une main-d’œuvre asiatique bon marché; il reste que le mouvement d’externalisation demeure négligeable en dehors du secteur de la fabrication et n’explique vraiment pas pourquoi le mouvement des salaires ne s’est pas accéléré dans les secteurs où le commerce ne joue pas comme facteur, qu’il s’agisse des ressources, de la construction ou d’un grand nombre de services de l’industrie tertiaire. L’autre explication pourrait être le réservoir peut-être abondant de main-d’œuvre inutilisée au Canada.

Les jeunes et les femmes quittent la population active

Le taux d'activité a diminué l’an dernier; c’est la première fois qu’il se contracte en dehors des périodes de récession. Fait encore plus curieux, il y a eu diminution au moment même où le taux de chômage se situait à son plus bas niveau en 30 ans et où les salaires se trouvaient en accélération. Les jeunes âgés de 15 à 24 ans et les femmes adultes ont dominé dans ce retrait du marché du travail qui rappelle des baisses semblables aux États-Unis (bien qu’elles aient commencé plus tôt aux États-Unis).

Les jeunes se sont retirés de la population active dans la plupart des provinces, en particulier les jeunes hommes. À l’opposé, le taux de participation des adultes âgés de 25 à 44 ans a diminué, en raison de la baisse du taux des femmes qui est passé de 82,6 à 81,8. Il s’agit là d’un changement remarquable si on considère les hausses soutenues qu’ont affichées les femmes adultes au cours des dernières décennies (les seules baisses précédentes à avoir été enregistrées datent de la récession du début des années 1990), arrivée qui avait fait grimper leur taux de participation de 54, 0 % en 1976 à 82,2 % en 2004.

Les raisons de cette baisse parmi les femmes adultes ne sont pas claires. Elle a été concentrée en Colombie-Britannique et en Alberta, le taux ayant diminué de près de deux points de pourcentage dans les deux provinces (ayant atteint son plus bas niveau en 13 ans en Alberta, soit 79,3 %), malgré le resserrement de leurs conditions sur le marché du travail. Une partie de la baisse peut s’expliquer par le nombre plus grand d’adultes âgés de 25 à 29 ans qui demeurent aux études, un phénomène que l’on peut constater dans les autres provinces. Mais les diminutions les plus fortes ont été enregistrées par les cohortes plus âgées, plus particulièrement les femmes de 35 à 44 ans en Alberta dont le taux de participation a fléchi depuis la fin des années 1990. Une explication possible est que les revenus sont si élevés que les ménages n’ont plus besoin de recevoir deux chèques de paye. Une autre explication peut être que le nombre d’enfants en service de garde en Alberta est le plus bas au Canada. Il est clair, en tous les cas, que le problème ne consiste pas en un manque de demande : le taux de chômage de la plupart de ces femmes se situe à un creux inégalé dans les deux provinces.

Figure 10

Le resserrement du marché du travail préfigure peut-être ce qui se passera au cours des quelques prochaines décennies à mesure que la génération du boom des naissances entrera dans des cohortes d’âge normalement associées à la retraite. Mais il y avait aussi des indices qui faisaient penser que l’avenir pourrait être différent du passé. Jusqu’à présent, le passage de cette génération à la tranche d’âge 50-60 ans s’est accompagné d’une forte hausse de l’emploi et de l’activité de ce groupe d’âge. Il y a la grande question de savoir si cette tendance se maintiendra à mesure que le baby-boom gagnera en âge, surtout après le cap des 65 ans où les taux d’activité ont toujours chuté.

Le nombre plus grand d’investissements commence à entraîner la productivité à la hausse

Une autre particularité des trois dernières années a été la faible croissance de la productivité du travail. Après deux années sans variation, la productivité du travail a commencé à reprendre au cours de 2005, probablement parce que les entreprises se sont mises à récolter les profits des récents investissements. L’augmentation de la productivité a été principalement attribuable aux fabricants, ceux-ci ayant subi le plus fortement la pression due à l’appréciation du dollar. Ce gain a été partiellement effacé par une chute de 10 % dans les mines, ce qui indique que la production du secteur de l’énergie est en train de s’orienter vers des sources moins habituelles et plus difficiles à exploiter (l’extraction de sables bitumineux, par exemple, exige plus de main-d’œuvre que les projets conventionnels et extracôtiers).

Figure 11

Le coût plus élevé de la main-d’œuvre relative au capital donnera aux entreprises davantage d’élan pour investir. Les salaires (mesurés par les gains horaires moyens dans l’Enquête sur la population active) ont crû l’année dernière, conséquence d’une forte demande de main-d’œuvre en Alberta et en Colombie-Britannique, alors que l’offre de main-d’œuvre a été limitée par un taux de participation à la population active plus faible. À l’opposé, le coût du capital a diminué de 3 % comparativement aux trois dernières années (en utilisant l’indice implicite de prix des investissements des entreprises comme mesure), en raison des prix moins élevés de la machinerie et de l’équipement importés. En conséquence, le ratio du coût de capital à la main-d’œuvre a chuté de près de 15 % jusqu’à maintenant cette décennie).

Conjoncture internationale

En ce qui a trait aux rapports entre le Canada et les autres pays, plusieurs autres faits survenus l’an dernier sont dignes de mention. Le Canada a continué à réduire sa dette extérieure, l’augmentation des achats d’obligations étrangères ayant fait croître les revenus d’intérêt, ce qui améliore non seulement le solde du compte courant, mais aussi le PNB nominal par rapport au PIB. Le premier a augmenté de 6,4 % et le second, de 6,1 %, ce qui a fait s’élargir un écart ayant débuté en 2002 et qui totalise aujourd’hui 1,3 point de pourcentage. C’est que les Canadiens gardent davantage pour eux le revenu qu’ils produisent plutôt que d’assurer d’abord le service de la dette envers les non-résidents; en effet, les paiements d’intérêt aux non-résidents ont diminué de près de 25 % depuis le début de la présente décennie.

L’investissement direct étranger au Canada s’est élevé de 40 milliards après deux ans de rapatriement canadien d’entreprises appartenant à des intérêts étrangers. Les intérêts des investisseurs ont été dictés par l’énergie et les mines. L’investissement direct canadien à l’étranger a ralenti presque de moitié depuis l’année 2004 avec son quasi-record de 62 milliards de dollars. Les Canadiens ont acheté pour 42 milliards de valeurs mobilières de l’étranger, en partie à cause du déplafonnement du contenu étranger des fonds de placement en REER.

L’an dernier, le déficit canadien au compte des voyages a atteint un sommet en 12 ans de 5,5 milliards du fait de dépenses record à l’étranger. Une mesure de la richesse croissante des Canadiens est que ceux-ci ont fait 14,9 millions de voyages avec nuitées aux États-Unis; c’est plus que les 14,4 millions de voyages que les Américains ont faits au Canada, et ce, malgré une population américaine décuple de la population canadienne.

Le taux stable de croissance de 3 % du PIB réel canadien l’an dernier se compare favorablement à une croissance mondiale qui a légèrement glissé de son sommet de 2004. La cherté de l’énergie et la montée des taux d’intérêt ont contribué à freiner l’expansion américaine, toujours vigoureuse cependant à 3,6 %, alors que, en Chine et en Inde, la croissance économique était toujours presque à deux chiffres. L’industrialisation de la Chine a joué un rôle particulièrement important dans l’essor des prix des produits de base. On est d’autant plus impressionné par la croissance rapide et soutenue de l’économie mondiale que, en fin d’année, un tsunami est venu dévaster une partie du littoral asiatique.

Si le Japon a semblé secouer une léthargie déflationniste prolongée, les grands pays européens éprouvaient toujours des difficultés, eux. La croissance du PIB réel est demeurée anémique à 1 % ou moins en France, en Allemagne et en Italie. Le chômage chronique à deux chiffres dont s’accompagnait ce marasme a attisé les tensions sociales et provoqué des émeutes en France. Un des rares signes de dynamisme venait de l’Allemagne à l’exportation grâce à la croissance en Chine et au Moyen-Orient. L’Irlande et les pays d’Europe orientale (dont beaucoup sont de nouvelles recrues de l’Union européenne) sont restés les régions européennes les plus en croissance, portés en avant par des politiques novatrices en matière d’investissement et de fiscalité.

Conclusion

Le Canada est revenu à son orientation plus traditionnelle au cours des trois dernières années. Les prophéties annonçant une nouvelle économie dominée par la technologie ne se sont pas réalisées. Le thème dominant de l’année a été celui d’une énergie et de produits miniers en plein essor, reflet d’un progrès économique soutenu aux États-Unis et d’une intégration croissante du groupe de pays appelé BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) à l’économie mondiale. L’émergence du BRIC procure aussi à notre pays des débouchés autres que le grand marché américain.

Les retombées du boom de l’énergie et des mines sont allées à un grand nombre d’industries. Les transports ont directement profité du besoin d’acheminer les produits énergétiques et miniers vers les marchés d’exportation, notamment sur la côte ouest. Pour la construction, il y a eu le double avantage de nouveaux projets d’investissement et de la demande de logements suscité par l’accumulation de richesse dans l’Ouest canadien, ce qui devait aussi stimuler les ventes au détail. Enfin, les rentrées de redevances sont venues gonfler le trésor public dans les provinces productrices d’énergie.

Les Canadiens de toutes les régions ont aussi profité de ces changements et principalement ceux liés à l’énergie dans l’Ouest. Les marchés boursiers ont fait faire des gains à tous les actionnaires, dont la plupart se trouvent dans les provinces centrales. La valorisation du dollar canadien a abaissé les prix de détail à l’importation et restreint les pressions à la hausse s’exerçant sur les taux d’intérêt. L’essor de l’investissement a également été à l’origine de l’expansion des grandes industries de biens d’équipement du centre du pays.

La croissance du Canada n’a pas été attribuable uniquement à la renaissance de son secteur des ressources qui a été longtemps tenu pour moribond. Elle est aussi le fait d’un mariage réussi entre ses industries traditionnelles et la reprise de certains produits des technologies de l’information et des communications, notamment les communications sans fil et les fournisseurs de services Internet.

Le Canada s’est jusqu’ici bien adapté à cette évolution. L’énergie a été de plus en plus produite par de nouveaux moyens non conventionnels. Un certain nombre de facteurs indiquent que les gains vont se poursuivre dans le secteur des ressources, alors que les travaux de construction en vue des Jeux olympiques de 2010 viennent tout juste de commencer. Mais tout peut arriver, comme les changements actuels que connaît l’économie étaient inimaginables il y a de cela seulement quelques années quand les ressources étaient à leur plus bas et que la technologie de pointe atteignait des sommets.

Études spéciales récemment parues


Notes

* Groupe d’analyse de conjoncture, (613) 951-9162.
1 Le « command GDP » a crû de 3,6 points de plus au Canada de 2003 à 2005, alors que le PIB réel montait de 2,6 points de moins qu’aux États-Unis.
2 Page 10, Association canadienne des producteurs de pétrole, Canadian Crude Oil Forecast, 2005-2013.
3 Pages viii et 3, Office national de l’énergie, Productibilité à court terme du gaz naturel au Canada, 2005-2007, octobre 2005.
4 À la différence des investissements en pétrole et gaz conventionnels, les investissements dans le secteur des sables bitumineux comportent une grande quantité de machines et de matériel (42 % de l’investissement « bitumineux » par rapport à 2 % de l’investissement « conventionnel »).
5 Les redevances tirées de l’exploitation des sables bitumineux sont fixées à un taux de 1 % jusqu’à amortissement entier de l’investissement initial, après quoi le taux s’élève à 25 %.
6 On en a eu tout récemment un bon exemple, puisque le prix du gaz naturel au Royaume-Uni a atteint un sommet en mars, alors que, en Amérique du Nord, le temps clément faisait perdre aux prix plus de la moitié de leur maximum de décembre.
7 On produit le gaz naturel liquéfié en refroidissant le gaz jusqu’à ce qu’il devienne liquide et en en réduisant considérablement le volume jusqu’à ce qu’il puisse être livré par les transports à un coût bien inférieur à celui de son acheminement par pipeline sur de très grandes distances. Voir la page 251, Economic Report of the President, Council of Economic Advisers, US Government Printing Office, Washington, 2006.
8 En comparaison, les prix des machines et du matériel aux États-Unis ont diminué de seulement 1,4 % depuis 2002, ce qui laisse supposer que la plus grande part de la baisse de 11,8 % au Canada a été attribuable à l’appréciation du dollar.
9 Il est remarquable que les prix moins élevés du pétrole en 1998 n’ont pas freiné l’investissement dans les sables bitumineux, alors que les dépenses liées aux gisements conventionnels ont chuté de 27 % avant 1999.
10 Ainsi, on a demandé aux conducteurs de camions lourds de diminuer la vitesse pour atténuer l’usure des pneus, produit qui, sur le marché, est relativement rare. Le marché albertain se trouvait mal approvisionné en matériaux de construction comme le béton.

 



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Date de modification : 2008-11-21 Avis importants
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