Étude spéciale
La place du Canada dans le commerce mondial, 1990 à 2005
par F. Roy *
Durant les quinze dernières années, le commerce mondial s’est accru autant qu’il l’avait fait au cours de tout le siècle passé1. C’est une nouvelle ère pour le commerce avec la multiplication des ententes commerciales réduisant les tarifs et les quotas, la baisse des coûts de transport et Internet qui favorise la libre circulation de l’information et des idées.
Le présent article cherche à faire un portrait de la place du Canada dans le commerce mondial au cours de cette forte période d’expansion. Il décrit comment la composition, les directions et l’ampleur du commerce canadien ont changé pour répondre à la demande mondiale d’exportations en expansion, en particulier pour nos ressources naturelles, et aux besoins de plus en plus grands et étendus d’importations canadiennes. Il s’agit là d’une question importante puisque le commerce joue un rôle prédominant dans la petite économie que représente le Canada et que ses effets sont étendus et nous touchent tous de façon marquée et directe, consommateurs ou producteurs. Le commerce du Canada par habitant correspond à 5 000 dollars par habitant, un des plus haut taux de tous les pays. De manière indirecte à travers les changements des termes de l’échange, notre commerce a aussi eu des conséquences sur la composition de la demande intérieure en modifiant les prix et les profits de différents secteurs.
Figure 1
Nous analyserons d’abord les exportations. Nous verrons à quel point la part des ressources s’accentue et domine le commerce à destination de la plupart de nos principaux partenaires. En revanche, l’engouement pour la monnaie canadienne qui a résulté du boom des ressources l’a fait s’apprécier, ce qui a rendu nos importations beaucoup moins coûteuses. Nos importations ont donc aussi fortement augmenté tout en se diversifiant. Les États-Unis et le Japon ne dominent plus autant nos importations qu’au début des années 1990.
Figure 2
Nos exportations sont plus concentrées
Depuis toujours le Canada est une économie ouverte au commerce extérieur à cause de ses ressources2 : à l’origine, ses fourrures. Jusqu’à l’orée de la deuxième guerre mondiale, les deux tiers de ses exportations étaient des céréales et du bois. Encore aujourd’hui, nos ressources jouent un rôle de premier plan dans le commerce mondial. Les ressources ont représenté en moyenne environ la moitié de nos exportations au cours des quinze dernières années. En 2005, cette proportion s’est accrue pour se situer à 57 %, l’énergie à destination des États-Unis étant venue en tête. Nos exportations de biens industriels vers la Chine ont également contribué à cette croissance. L’affaiblissement des produits forestiers l’a, par contre, modérée. Les produits de consommation et d’investissement, pour leur part, ont été en perte de vitesse.
Nos exportations sont également concentrées par pays de destination. Les États-Unis dominent, 84% de nos exportations étant destinées à ce pays. Nos autres importants marchés pour les ressources hors des États-Unis sont le Japon (2,1 %), la Chine (1,6 %) et le Mexique (0,7 %). Les ressources dominaient dans chaque cas : aux États-Unis (57 %), au Mexique (56 %), en Chine (78 %) et au Japon (86 %). L’Union européenne fait exception avec une proportion de 43 % seulement car on y exporte en grande partie des biens de consommation et de la machinerie. L’Europe n’a contribué cependant qu’à 6 % de nos exportations totales.
Figure 3
En 2005, l’énergie est devenue notre premier produit d’exportation. L’énergie constitue plus de 80 % de l’excédent de notre balance commerciale. Les exportations d’énergie sont parmi les moins diversifiées par partenaires, cependant, et la concentration s’est accentuée après l’an 2000. En effet, quelque 95 % de notre énergie a été exportée vers les États-Unis en 2005 contre 84 % en 1990. En 2005, l’énergie représentait le quart de nos exportations vers les États-Unis, soit deux fois plus qu’au cours des années 1990. Le Canada exporte surtout du gaz naturel et du pétrole (pour chacun, au moins 30 milliards de dollars en 2005). La mise en exploitation d’Hibernia, le début des exportations de l’île de Sable vers la Nouvelle-Angleterre et la connexion par pipeline de l’Alberta à Chicago ont contribué chacun à leur tour à ce relèvement. Nos exportations d’électricité ont généré entre 2 et 3 milliards de dollars de recettes.
Le Canada a exporté plus de charbon vers l’Europe et la Chine après l’an 2000, et vers le Japon l’an dernier. Dans plusieurs pays, le charbon est principalement utilisé pour la production d’acier. La demande de fer et d’acier a repris avec le raffermissement de l’économie mondiale. Le PIB japonais a même enregistré sa meilleure croissance en une décennie au dernier trimestre de 2005, ce qui a contribué à relever nos exportations de charbon vers ce pays. L’Australie, qui est située plus près du continent asiatique, n’a pas pu suffire à la demande. On pourra exporter encore davantage de charbon lorsque seront réouvertes les mines du Cap-Breton et du Nord-Est de la Colombie-Britannique et de l’Alberta. En 2005, Prince Rupert n’a livré que pour 1,3 million de tonnes de charbon sur une capacité de 16 millions de tonnes.
Les biens industriels ont connu des progressions aussi fortes que celles de l’énergie ces dernières années. C’est les exportations vers la Chine qui ont le plus progressé. Les États-Unis ont moins dominé dans ce marché que pour l’énergie. Quelque 79 % de nos exportations de biens industriels étaient destinées aux États-Unis, contre 83 % en 2002 et 64 % en 1990. L’Europe a conservé sa part de notre marché d’exportation malgré la concurrence accrue en provenance de l’Europe de l’Est.
La Chine ne représente que 4 % de nos exportations de biens industriels, mais c’est dans ce pays que la concentration de nos exportations en biens industriels est la plus élevée : en 2005, la proportion des biens industriels par rapport au total de nos exportations vers la Chine a bondi de 10 points, étant passée de 36,5 % à 47,1 %. Ceci s’explique en grande partie par les fertilisants (58 %) et divers métaux : l’aluminium (58 %), le zinc (36 %) et le fer et l’acier (29 %). De moins de 1 % de notre PIB en 1995, nos exportations mondiales de métaux équivalaient à près de 4 % en 2005. Parallèlement, nos exportations d’éthylène glycol, un intrant dans les textiles, ont continué à progresser après le bond d’un demi milliard de dollars enregistré en 2004. Il en a résulté que le Canada a enregistré un solde commercial positif du commerce de produits chimiques pour la première fois depuis 1988.
Les produits forestiers constituent le seul groupe de ressources naturelles à avoir chuté ces dernières années. Ils sont tout de même encore la ressource qui comble la plus grande partie de la demande du marché mondial d’importation (13 % en 2003). Les produits forestiers ont fléchi en proportion de nos exportations tout au long de la période à l’étude, soit de 1990 à 2005. Ils ont diminué aussi en proportion des exportations totales de tous nos principaux partenaires à l’exception de la Chine et de la Corée. La baisse a été particulièrement importante pour la pâte de bois. En 2005, 81 % de nos exportations de produits forestiers ont été livrés aux États-Unis, 6 % vers l’Europe, 4 % vers le Japon et 7 % vers différents autres pays. Les produits forestiers ont représenté cependant la part de nos exportations la plus importante vers le Japon, soit plus du quart.
Nos exportations de produits agricoles n’ont pas fait beaucoup mieux que les produits forestiers en partie à cause de la faiblesse des prix sur les marchés mondiaux. Les produits agricoles constituent le groupe le plus diversifié par destination. Les États-Unis accaparent environ les deux tiers de nos exportations de produits agricoles alors que 10 % de nos exportations sont acheminées vers le Japon, 6 % vers l’Europe, 4 % vers la Chine et 3 % vers le Mexique. Plus du tiers de nos exportations vers le Japon sont des produits agricoles. Le Canada a représenté environ 6 % des importations mondiales de céréales en 2003.
À l’opposé des ressources, les exportations de produits finis ont décrû fortement après l’an 2000. C’est notamment le cas de l’automobile. Le relâchement a frappé en particulier nos exportations vers les États-Unis puisque nos exportations d’automobiles se destinent dans une proportion de 96 % vers ce pays. Par contre, le recul a touché exclusivement les compagnies nord-américaines car les fabricants étrangers établis au Canada ont fortement accru leurs exportations3. Nos exportations vers le Mexique ont aussi augmenté, en particulier en 2005. Plus du quart des importations du Mexique en provenance du Canada étaient des produits automobiles l’an dernier, soit une hausse de plus de 10 points de pourcentage par rapport à 2004 et la plus forte proportion depuis au moins 1991. Ceci ne représente cependant que 1 % des exportations automobiles canadiennes. Généralement, l’ensemble du commerce canado-mexicain a pris peu d’élan malgré l’Accord de libre-échange nord-américain. Au cours des quinze dernières années, c’est plutôt la Chine qui a émergé comme principal partenaire.
Nos exportations de biens d’investissement ont baissé avec l’éclatement de la bulle technologique. C’est de la Chine plutôt que du Canada que les États-Unis importent maintenant la plus grande partie de leurs biens technologiques, ce qui se reflète sur leur déficit commercial de biens technologiques avec ce pays. Le Canada a aussi exporté moins de biens d’équipement vers l’Europe et le Mexique. Le Canada a cependant exporté plus de biens d’investissements vers la Chine et le reste de l’Asie, soit pour 4,6 milliards de dollars en 2005, pratiquement deux fois plus qu’en 2000. Il s’agissait notamment de biens technologiques et de machinerie.
Les importations se diversifient
Nos importations sont devenues beaucoup plus diversifiées que nos exportations. Par partenaires, la chute de la part des États-Unis et du Japon dans nos importations ces dernières années a laissé une grande place à la Chine, mais aussi à la Corée, à l’Europe, au Mexique et à l’OPEP. Environ 40 % de nos importations provenaient en 2005 de l’extérieur des États-Unis et du Japon, une proportion en hausse de plus de 10 points de pourcentage par rapport aux années 1990.
La même évolution de diversification par pays touche la plupart des groupes de produits importés. Les États-Unis ne dominent plus clairement que dans l’automobile et quelques produits de ressources. Le Japon a perdu des parts du marché canadien dans tous les secteurs, même dans celui de l’automobile, alors que des constructeurs se sont établis au Canada. Nous importons plutôt de plus en plus hors des États-Unis et du Japon nos machines et équipements et nos biens de consommation, soit environ la moitié en 2005. La moitié de nos importations en énergie provient de l’OPEP et des régions de la mer du Nord.
Le recul marqué de la présence des États-Unis dans nos importations au cours des dernières années est sans précédent dans l’histoire du commerce canado-américain. En proportion de nos importations totales, nos importations en provenance des États-Unis baissent chaque année depuis leur sommet de 1997. En 2005, elles se situaient à seulement 56,6 % (sur base douanière) de nos importations totales, soit la proportion la plus basse depuis les années 1930. Même en niveau absolu, nos importations n’ont plus dépassé leur sommet de l’an 2000. Cela traduit la présence réduite des États-Unis dans les exportations mondiales.
Figure 4
La part des États-Unis dans nos importations a décliné tout d’abord en raison des machines et de l’équipement, notre premier groupe d’importation. De 68 % environ de nos importations de machines et d’équipement en 1990, la part des États-Unis est passée à environ 54 % en 2005 à la faveur de la Chine (en hausse à 11 % en 2005) et du Mexique (6 % en 2005). Nos importations d’équipement électrique et électronique en particulier ont baissé, soit de 10 milliards de dollars (ou de 40 %) entre 2000 et 2005 seulement.
Nos importations d’équipement électrique et électronique ont aussi baissé en provenance de pays autres que la Chine. Ainsi, entre 2000 et 2005, alors qu’elles ont augmenté de presque 4 milliards de dollars de la Chine (+300 %), les importations provenant du Japon ont baissé de plus de 3 milliards de dollars (-30 %) et du reste de l’Asie (-30 %). Nous nous procurons également d’autres biens d’investissement comme de la machinerie industrielle de la Chine plutôt que du Japon et du reste de l’Asie : pour presque 5 milliards de dollars, en hausse de 4 milliards par rapport à l’an 2000.
L’Asie représente, comme les États-Unis, un cas bien particulier. En effet, même si notre déficit commercial total s’est considérablement détérioré avec la Chine, il a cessé de s’accroître avec l’Asie après les fortes progressions des années 1990. Le déficit au chapitre du commerce de produits électroniques est demeuré pratiquement inchangé avec l’Asie depuis l’an 2000, se situant à 11,4 milliards de dollars. Cela s’explique par le fait que nous avons moins importé directement du Japon et des pays qui fournissent des intrants à l’industrie informatique de la Chine comme Hong Kong, Taïwan et Singapour. Nous importons maintenant des produits informatiques beaucoup moins chers entièrement assemblés en Chine et qui utilisent souvent des pièces fabriquées en Asie. Par conséquent, notre déficit d’ensemble avec l’Asie ne s’est pas détérioré comme il l’a fait durant les années 1990. La croissance des importations en provenance de l’Asie incorpore un large contenu asiatique importé.
Figure 5
Cette situation a changé la composition de nos importations en provenance de la Chine. Alors qu’on importait de la Chine surtout des jouets et des babioles au début des années 1990, la part des biens d’investissements est devenue plus importante pour la première fois en 2004. La tendance s’est accentuée en 2005. Les machines et équipements occupent maintenant une plus grande place de nos importations totales en provenance de la Chine que des États-Unis et de l’Europe.
La substitution de nos importations des États-Unis et du reste de l’Asie pour celles de la Chine a aussi eu pour résultat d’accentuer la baisse des prix et ainsi de contenir avec plus de facilité la croissance du déficit commercial au chapitre des biens d’investissement : il était en 2005 à peu près inchangé par rapport aux niveaux de la décennie précédente, alors que les volumes d’importations, eux, ont augmenté de moitié. Il n’est donc pas étonnant que la croissance de l’économie canadienne ces dernières années ait été davantage le fait de l’investissement.
Nous importons moins de biens de consommation que de biens d’investissement, mais la substitution des États-Unis pour d’autres pays a été encore plus forte dans le cas des biens de consommation. La part des États-Unis est passée de 52 % en 1997 à 34 % seulement en 2005. Elle était de 45 % en 1990. C’est d’abord la Chine, mais aussi l’Europe qui en ont le plus tiré profit. Plus du quart de nos importations de biens de consommation proviennent maintenant de la Chine : des vêtements, de l’équipement sportif, des meubles, des montres qui totalisaient environ 10 milliards de dollars en 2005 contre 5 milliards de dollars en 2000. Environ les deux tiers de toute la hausse des dépenses en appareils ménagers au pays en 2005 ont été comblés par les importations en provenance de la Chine, alors que les prix au détail dans ces secteurs sont tombés à leurs plus bas niveaux en vingt ans. L’Europe, quant à elle, dominait dans nos importations de produits pharmaceutiques en 2005 puisqu’elle nous en a fourni pour environ 4,5 milliards de dollars, soit plus que les États-Unis. La part du Mexique et des autres pays dans nos importations de biens de consommation est demeurée marginale.
Le Japon a perdu, quant à lui, sa deuxième place depuis l’an 2000 pour devenir, derrière la Chine, notre troisième partenaire commercial. On oublie que notre déficit commercial s’est considérablement allégé avec le Japon et par conséquent avec l’ensemble de l’Asie, si on le compare à notre excédent avec l’ensemble de nos partenaires. Ce n’est pas étonnant puisque le Japon a perdu beaucoup de sa position concurrentielle mondiale, ce qui l’a laissé en récession une bonne partie des années 1990, moment où le yen s’est apprécié de 70 % (et reste encore élevé aujourd’hui). Un facteur qui a aussi joué est la construction d’usines de voitures japonaises à l’étranger. En 2005, près de 40 % de la production automobile au Canada était réalisée par les constructeurs étrangers, alors qu’il y a seulement 5 ans, cette part était de 25 %. Seule la Corée gagne des parts de marché depuis 1990, en partie parce qu’elle a fermé sa seule usine au Canada. Le tiers des importations en provenance de ce pays en 2005 sont des produits automobiles.
Conclusion
Le Canada a été au cœur de la croissance rapide du commerce mondial depuis 1990, ce qui s’inscrit dans sa tradition de grande nation commerçante. Sa capacité à s’adapter à l’intégration de l’Asie, de la Chine en particulier, dans l’économie mondiale suggère qu’il demeurera un acteur important à l’avenir.
La montée de la demande asiatique a stimulé nos exportations de ressources, en particulier celles de nos biens industriels comme les métaux et les produits chimiques. Les États-Unis ont continué cependant d’être le marché le plus important pour nos exportations car c’est là où se destinent la plus grande partie de notre énergie et de nos exportations d’automobiles.
Par contre, nos importations proviennent moins des États-Unis, alors que la Chine a percé nos marchés d’investissement et de consommation : cependant une partie des exportations chinoises vers le Canada incorpore un fort contenu importé de pièces manufacturées en provenance du reste de l’Asie.
Études spéciales récemment parues
Notes
* |
Groupe d’analyse de conjoncture, (613) 951-3627. |
1 |
Les données à partir de 1950 proviennent de l’Organisation mondiale du commerce. Avant 1950, elles ont été tirées d’un livre de Angus Maddison intitulé L’économie mondiale. 1820-1992. Analyse et statistiques, Paris, OCDE, 1995. |
2 |
Les ressources rassemblent les données des groupes selon l’utilisation économique suivants : les aliments et les biens agricoles, les biens industriels (métaux et minéraux, produits chimiques), l’énergie et les produits forestiers. |
3 |
Japan Automobile Manufacturers Association of Canada. |
|