Étude spéciale
Industries canadiennes du textile et du vêtement
par C. Bloskie *
Le 1er janvier 2005, la plupart des pays du monde, dont le Canada, ont mis fin au contingentement à l’importation des vêtements et des textiles en application des règles adoptées en 1994 par l’Organisation mondiale du commerce, ouvrant ainsi la voie à une plus vive concurrence des pays en développement où les salaires sont bas. Même avant la disparition de ce contingentement, des baisses de prix avaient stimulé le volume des importations ces dernières années et enfoncé la production intérieure. Ces derniers temps, les journalistes ont fait la une avec des fermetures d’usines et des pertes d’emplois.
Nous examinerons le rôle des industries du textile et du vêtement dans l’économie canadienne1. Nous donnerons d’abord un aperçu des tendances récentes du commerce mondial; nous regarderons ensuite les industries visées au pays sous l’angle de l’emploi, de la productivité, de la production et du commerce.
On combine souvent vêtement et textile à des fins d’analyse, mais il s’agit là d’activités fort différentes. L’industrie du vêtement utilise beaucoup de main-d’œuvre, ses travailleurs sont mal rémunérés et sa production est mobile et peut aisément se déplacer pour des raisons économiques. Quant à l’industrie du textile, elle fait une grande consommation de capital et investit constamment en nouvelle technologie pour rester concurrentielle; sa production est plus stable et sa main-d’œuvre est mieux rémunérée.
Commerce mondial2
En 2003, le vêtement et le textile ont respectivement figuré pour 3,1 % et 2,3 % dans le commerce mondial de marchandises. Les échanges ont totalisé 226 milliards de dollars US dans le premier cas et 169 dans le second. Ces échanges ont continué à se remettre des pertes subies en 2001, lesquelles avaient été aggravées par des baisses de prix imputables à la montée des importations en provenance de pays moins avancés et par les mouvements des cours du change, mais le taux de croissance de ces industries est resté à court du taux général de progression de 14 % du commerce de produits manufacturés.
Figure 1
L’UE, les États-Unis et le Japon rendent compte de la majeure partie des importations de textiles et de vêtements. L’UE conserve la part du lion, mais elle perd du terrain depuis 15 ans. Par ailleurs, la part du Canada n’a guère évolué.
La Chine est devenue le premier fournisseur mondial de textiles et de vêtements, d’autres pays d’Asie ayant transplanté en Chine le gros de leur production à forte consommation de main-d’œuvre. En 2003, les exportations chinoises de ces deux catégories de produits ont fait des bonds respectifs de 31 % et 26 %.
Proportion du commerce mondial
|
1990 |
2003 |
|
EU |
Chine |
É.‑U. |
Japon |
Canada |
EU |
Chine |
É.‑U. |
Japon |
Canada |
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% |
% |
Vêtements |
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|
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|
|
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|
Importations |
50,6 |
0,0 |
24,0 |
7,8 |
2,1 |
42,9 |
0,6 |
30,2 |
8,3 |
1,9 |
Exportations |
37,7 |
8,9 |
2,4 |
0,0 |
0,3 |
26,5 |
23,0 |
2,5 |
0,0 |
0,9 |
|
|
|
|
|
|
|
|
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|
Textiles |
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|
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Importations |
46,7 |
4,9 |
6,2 |
3,8 |
2,2 |
29,3 |
7,9 |
10,2 |
2,8 |
2,2 |
Exportations |
48,7 |
6,9 |
4,8 |
5,6 |
0,7 |
34,8 |
15,9 |
6,4 |
3,8 |
1,3 |
Le textile et le vêtement au Canada
L’industrie du textile comprend les établissements de fabrication de filés, de tissus et de produits tirés de tissus achetés comme les tapis, les rideaux ou le linge. C’est une industrie à grande intégration verticale : la production d’une entreprise est souvent un apport pour une autre entreprise; on passe ainsi de la fibre au filé et au tissu et de la teinture au finissage, ce qui donne un produit textile ou un apport à l’industrie du vêtement. L’industrie du textile est riche en technologie et en immobilisations3.
L’industrie du vêtement fabrique des vêtements et des produits du cuir, ce qui comprend les chaussures. C’est une activité travaillistique où dominent les petites entreprises. Les travailleurs nouvellement issus de l’immigration forment une grande proportion de la main-d’œuvre occupant des postes de débutant dans ce secteur, notamment les postes en couture et en travail de production4.
Les fabricants de tissus prédominent dans la production textile canadienne et le vêtement taillé et cousu représente 80 % de la production de vêtements.
Emploi5
En 2003, le textile, le vêtement et le cuir ont figuré pour 7,5 % dans l’emploi manufacturier et pour 1,2 % dans l’emploi global au Canada. L’emploi s’est déplacé de l’industrie du vêtement vers l’industrie du textile : la seconde avait 36 % des travailleurs sectoriels à son service contre 28 % seulement en 1991; la première en avait un peu plus de la moitié, en baisse sur les 60 % de 2001, période de culmination de l’emploi à une valeur approximative de 95 000 travailleurs. Dans l’industrie du vêtement, le nombre d’emplois a chuté de 15 000 en 1991 à cause de l’accord de libre-échange et de la récession. Il s’est constamment redressé jusqu’en 2001, mais il se trouve en décroissance depuis lors. Les fabricants de produits du cuir emploient 16 000 personnes, principalement dans l’industrie de la chaussure.
La majorité de ces emplois se situent dans les provinces centrales. On en dénombre 81 000 au Québec et 49 000 en Ontario. Au Québec, 57 % de ces travailleurs appartiennent à l’industrie du vêtement, 32 % à l’industrie du textile et le reste, à l’industrie du cuir. En Ontario, la main-d’œuvre se répartit entre le vêtement (48 %) et le textile (42 %). Dans l’Ouest canadien, on compte 14 000 de ces travailleurs qui, pour la plupart, se trouvent dans l’industrie du vêtement en Colombie-Britannique et au Manitoba.
Dans l’ensemble, les industries du textile et du vêtement regroupaient 150 000 emplois au pays en 2003. En novembre 2004, ce nombre n’était plus que de 129 000. Seul le secteur des produits textiles était en croissance. L’Ontario a perdu plus de 8 000 emplois et le Québec, 15 000. Dans la première de ces provinces, les pertes se répartissaient à peu près également entre le textile, le vêtement et le cuir et, dans la seconde, le vêtement a perdu presque trois fois plus de travailleurs que le textile.
Figure 2
Productivité
La productivité a gagné en importance avec la réduction des barrières commerciales et la récente valorisation du dollar qui abaisse nettement le prix des importations de produits finals et de produits d’entrée. On peut hausser la productivité du travail en accroissant le capital disponible par heure travaillée, en recourant à plus de travailleurs qualifiés ou en agençant le capital et le travail avec plus d’efficience (ce qu’on appelle la productivité multifactorielle).
Dans les industries du vêtement et du textile, la productivité du travail est généralement en hausse depuis 1998. En moyenne annuelle, les immobilisations s’y sont chiffrées à 120 millions dans les années 1990. Elles ont invariablement décru pour se situer à 70 millions en 2003. Il reste que, dans l’industrie du vêtement, la croissance de la productivité a été dans la période 2001-2003 de plus du double de celle de tout le secteur de la fabrication. Dans l’industrie du textile, la productivité s’est rapidement améliorée jusqu’en 2001 au rythme même de la croissance des investissements (moyenne annuelle de presque 300 millions). Depuis, cette moyenne annuelle a diminué de moitié et la productivité a régressé.
La productivité multifactorielle a subi en gros la même évolution. L’industrie du vêtement a continué à exploiter ses ressources avec plus d’efficience (mais dans une mesure décroissante); après un essor qui a duré jusqu’en 2000, la productivité a été à nouveau en recul en 2002 dans l’industrie du textile. Cet écart de productivité s’expliquerait en partie par le recours à une main-d’œuvre moins qualifiée et moins bien rémunérée. Le revenu moyen a perdu 2,4 % pour tomber à 26 800 $ en 2001 (dernière année pour laquelle nous disposions de telles données) dans l’industrie du vêtement; il a gagné 4,4 % pour monter à 37 500 $ dans l’industrie du textile. Cette diminution du revenu pourrait tenir à un changement de composition de la main-d’œuvre qui aura abaissé les coûts, mais sans nuire à la productivité. Dans l’industrie du textile, l’augmentation des coûts de main-d’œuvre n’a pas été compensée par une hausse de la productivité.
Figure 3a
Figure 3b
Le recul récent de la productivité dans ces industries s’est aussi répercuté sur leur santé financière. Le rendement global des capitaux employés a évolué en baisse, passant de 7,7 % en 2002 à 5,3 % en 20036. Les marges bénéficiaires ont également chuté, passant d’un sommet de 5 % en 2000 à 3,8 % en 2003. Enfin, le rendement des capitaux propres a perdu près de la moitié de sa valeur pour tomber à 6 %.
Production et commerce
Ces deux dernières décennies, le cycle économique et le commerce ont grandement influé sur la production des industries du textile et du vêtement. Les deux avaient été heurtées de plein fouet par la récession de 1982, mais elles s’en étaient rapidement remises. Vers la fin de la décennie 1980, elles étaient déjà victimes d’une valorisation du dollar, situation que devait aggraver la récession du début de la décennie 1990. Après une vive reprise jusqu’en 2000, la production a reculé à pas redoublés.
Depuis toujours, le Canada accuse des déficits au compte du textile, du vêtement et du cuir et le fossé se creuse. Collectivement, ces industries ont été à l’origine en 2004 de 1,3 % des exportations et de 3,9 % des importations. À l’heure actuelle, c’est le vêtement qui présente le plus lourd déficit (4,0 milliards), suivi du cuir (2,1), des produits textiles (1,5) et du textile proprement dit (1,0).
Figure 4
Le vêtement tient la plus grande place dans le commerce de ce secteur avec des exportations de 2,5 milliards et des importations de 6,6. Les exportations sont stables depuis 1998, mais les importations ont doublé en valeur même en période de décroissance des prix sur le marché extérieur. Le gros des vêtements que nous exportons va aux États-Unis. Le commerce sectoriel canado-américain laisse un excédent canadien de 1,8 milliard, mais les ventes ont récemment ralenti à cause de la valorisation de notre dollar. Notre déficit le plus grand (4 milliards) vient de nos échanges sectoriels avec la Chine. Nos importations en provenance de ce pays ont triplé en 10 ans seulement. Les importations canadiennes sont aussi en progression avec le Bangladesh, l’Inde, le Mexique et l’Asie du Sud-Est.
La production de cuir est en perte de vitesse depuis 20 ans. La décroissance est à deux chiffres depuis 2001. À 1 milliard presque en 1984, cette production a depuis perdu les trois quarts de sa valeur, mais le déficit commercial à ce compte reste à près de 2 milliards depuis l’an 2000 dans des conditions de stabilité tant des importations que des exportations en valeur.
Figure 5
Le textile a culminé en 2000, la même année que le vêtement. Il représentait 60 % de la production. La production de fibres, de filés et de fils, ainsi que le finissage et le revêtement de tissus, sont stables à près de 550 millions depuis 1997. La production de tissus a perdu le tiers de sa valeur de culmination de 1,1 milliard en 1999. Dans la fabrication de produits textiles, l’évolution a été semblable avec une décroissance pour les textiles domestiques et une stabilité pour les autres produits textiles.
Figure 6
En 2004, le commerce de textiles a dégagé un déficit de 2,5 milliards avec des importations de 5 milliards et des exportations de 2,5. Ce sont nos échanges avec la Chine qui ont été le plus déficitaires, suivis des échanges avec les États-Unis et l’Inde. Le déficit a pourtant rétréci pour la fabrication de produits textiles, sa valeur de plus de 2 milliards en 1998 ayant été coupée de moitié. Les exportations ont progressé de 6 % dans cette période grâce aux textiles et au finissage de tissus. Les importations ont chuté de 26 %, car les fabricants ont délaissé le marché extérieur pour le marché intérieur comme source de produits d’entrée, notamment de filés et de fils. C’est ce dont témoigne la stabilité de la production intérieure de ces fabricants malgré la décroissance générale des prix des textiles à l’importation.
Études spéciales récemment
parues
* Groupe d'analyse de conjoncture (613) 951-3634.
1 Comme les niveaux d’agrégation varient selon les sources de données, il n’est pas toujours possible de séparer le cuir du vêtement. Dans le cas de la productivité par exemple, nous ne disposons pas pour l’instant de données sur le cuir. Nous excluons donc le cuir du vêtement sauf avis contraire.
2 Les données en provenance de l’OMC sont en dollars américains et en base douanière jusqu’en 2003.
3 Document d’orientation pour la recherche scientifique et le développement expérimental dans l’industrie textile, Agence du revenu du Canada, 15 janvier 2002.
4 Fédération canadienne du vêtement, 2004.
5 Données tirées de l’Enquête sur l’emploi, les gains et la durée du travail.
6 Les données sont seulement disponibles au niveau global pour le vêtement, le textile et le cuir.
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