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11-010-XIB
L'Observateur économique canadien
Janvier 2006

Étude spéciale

Multiplicateurs et impartition : interaction des branches d’activité et influence sur le PIB

par Philip Cross et Ziad Ghanem*

Introduction

Un des outils fondamentaux en analyse économique, l’analyse dite du multiplicateur, permet de dégager les liens entre une variation de la production dans une branche d’activité et son effet d’entraînement dans d’autres. Ainsi, la croissance en fabrication a de vastes répercussions, faisant immédiatement monter la demande de production des centrales électriques. Elle peut aussi se répercuter en amont sur l’activité minière comme branche d’apport et en aval sur les transports et le commerce comme branches de distribution de produits finis aux consommateurs.

On admet souvent le rôle que jouent les multiplicateurs, mais sans toujours s’attacher à leurs complexités. Dans le présent article, nous allons examiner divers types de multiplicateurs avec leurs forces et leurs faiblesses1. Nous présenterons d’abord les multiplicateurs de revenu classiques de l’industrie et verrons le volume et la source du surcroît de revenu lorsqu’il y a hausse de la production d’une branche d’activité.

Comme les multiplicateurs mesurent l’interdépendance des branches, il est révélateur de regarder leur évolution depuis 15 ans. La hausse généralisée des valeurs des multiplicateurs est une mesure de la spécialisation des branches selon leurs compétences de base lorsqu’elles confient à d’autres branches la fourniture de pièces ou la prestation de services, ce qu’on appelle communément l’impartition. Les multiplicateurs montrent l’omniprésence de la tendance à la sous-traitance en nous indiquant quelles branches mènent ce mouvement et quelles branches en tirent parti.

Les entreprises ont toujours recouru à l’impartition : les constructeurs automobiles achètent de l’acier à d’autres entreprises et les maisons de presse ne cultivent pas les arbres dont elles tirent leur papier. L’utilisation des apports d’autres branches s’est pourtant accélérée ces dernières années surtout dans le cas des procédés des entreprises et des services de technologie de l’information. La tendance ressort d’autres données qui décrivent, par exemple, la progression rapide de l’emploi dans les services aux entreprises depuis dix ans et le rôle croissant des importations dans l’activité de production.

Le remplacement des produits de fabrication intérieure par des produits importés et la délocalisation sont tout simplement des formes différentes d’un même phénomène2. La délocalisation est l’équivalent international de l’impartition. La différence cruciale entre l’impartition et la délocalisation, cependant, c’est que, dans le cas de l’impartition, les emplois se déplacent entre les entreprises tandis que, s’il y a délocalisation, ils se déplacent entre les pays, mais souvent au sein de la même entreprise3.

Les multiplicateurs de revenu mesurent la façon dont différentes branches d’activités se servent de la production des unes et des autres. Les branches qui ont plus de liens avec les autres secteurs auront aussi des multiplicateurs plus élevés, mais ce n’est pas dire qu’elles sont plus importantes pour la croissance économique. Une des erreurs les plus courantes en analyse est de prendre des multiplicateurs de revenu comme preuve de l’importance d’une branche d’activité dans l’ensemble de l’économie. Ces multiplicateurs indiquent seulement quels sont les liens avec les autres branches d’activité et n’éliminent pas les achats intermédiaires.

Les multiplicateurs de production, pour leur part, mesurent la contribution réelle d’une branche au PIB global. Les résultats peuvent varier considérablement selon qu’il s’agit de multiplicateurs de revenu ou de multiplicateurs de production. Les multiplicateurs de production sont bien moindres que les multiplicateurs de revenu, parce qu’ils éliminent les produits intermédiaires pour saisir la production réalisée dans l’entreprise. Ainsi, la fabrication a un multiplicateur de revenu qui compte parmi les plus élevés, indice qu’elle a imparti sa production au profit d’autres branches. Mais on constate que son multiplicateur de production (PIB au Canada) se classe au dernier rang à l’échelle des grands groupes d’industries.

Tableaux d’entrées-sorties et multiplicateurs

Dans toute branche d’activité, le multiplicateur de revenu est la valeur totale de la production à l’échelle des secteurs de l’économie qui permet de combler la demande finale4 qui s’attache à la production d’une valeur d’un dollar pour une branche déterminée. D’un point de vue technique, le multiplicateur est le rapport entre les apports de tous les secteurs de l’économie et l’accroissement initial de la production dans une branche déterminée. Dans les tableaux d’entrées-sorties du système de comptabilité nationale, les multiplicateurs de revenu par branche d’activité appréhendent les effets interindustriels, directs et indirects, mais non pas l’effet induit des dépenses des travailleurs des industries en question.

Ces tableaux sont idéaux pour de tels calculs, puisqu’ils offrent une fine description des liens de production entre les branches d’activité. Ils montrent comment les industries utilisent les apports et la production des unes et des autres pour réaliser le PIB. Ils nous renseignent en détail sur les flux de biens et de services qui alimentent les procédés de production des diverses branches5.

Les liens qu’établit un secteur avec les autres peuvent être directs ou indirects. Si les ventes d’automobiles s’élèvent, l’effet direct peut en être une multiplication des commandes de production automobile au Canada. Pour produire une automobile, il faut une foule d’apports directs, mais pour produire ces apports, il faut d’autres apports, et ainsi de suite. Ce sont là les liens indirects6. Les fournisseurs de pièces d’automobile augmenteraient leurs livraisons, les transports seraient mis à contribution pour les expéditions de véhicules aux concessionnaires, les sociétés financières aideraient à financer les achats, les assureurs verraient s’accroître la demande de leurs services, le gouvernement délivrerait ses immatriculations et les concessionnaires feraient un bénéfice. Les tableaux d’entrées-sorties décrivent tous ces effets.

La façon dont les tableaux d’entrées-sorties mesurent la vaste complexité des achats de l’industrie est d’une étonnante simplicité. En déclarant leurs charges d’entreprise au fisc ou dans le cadre des enquêtes de Statistique Canada, les entrepreneurs nous renseignent en détail sur les achats de chaque branche d’activité et nous précisent combien celle-ci consomme d’électricité, quels produits fabriqués elle se procure, quels services aux entreprises elle utilise, quel type de moyens de transport elle emploie, etc. Avec cette mine de données, on brosse le tableau – complexe en apparence – des apports à la production d’une industrie.

Il reste que les multiplicateurs des entrées-sorties nous livrent une mesure statique de l’incidence sur la production courante. Si les fabricants relèvent leur production, ils accélèrent aussi la dépréciation de leur capital, ce qui les amène à faire un jour de nouveaux investissements, mais ces effets dynamiques ne sont pas appréhendés dans les données d’entrées-sorties. Ajoutons que l’analyse de multiplicateurs ne tient pas compte de l’incidence cumulative des variations dans l’industrie sur des variables macroéconomiques comme les taux d’intérêt et le taux de change.

Une autre limite du système d’entrées-sorties est qu’il ne tient pas compte des contraintes de capacité. Si la demande s’accroît dans une branche d’activité qui exploite déjà toute sa capacité, il n’y aura pas plus de production, mais seulement une hausse de prix ou un rationnement. Dans les tableaux d’entrées-sorties, on tient pour acquises les hausses de production, puis on regarde quels apports seront alors nécessaires à ce relèvement de la production.

Par souci de simplicité, nous regroupons les 286 branches du système des entrées-sorties en 22 grands secteurs : fabrication, construction, transports, commerce, etc. Les données les plus récentes viennent d’être diffusées pour 2002. Toute cette information est livrée en dollars courants.

Branches qui achètent le plus d’apports

Le tableau 1 donne un aperçu des multiplicateurs de revenu par branche. Chacune des entrées en colonne indique la variation de revenu résultant d’une variation d’un dollar de la demande finale provenant de la branche en colonne pour chaque branche en ligne. On calcule l’effet sur chaque branche en ligne en multipliant la variation de la demande finale dans la branche en colonne par le multiplicateur correspondant à chaque ligne.

Tableau 1 : Multiplicateurs de revenus, 2002

  Agriculture Foresterie Pêche Industrie primaire Mines Services publics Construction Fabrication Commerce de gros Commerce de détail Transports
Agriculture 1,19 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,01 0,04 0,00 0,00 0,00
Foresterie 0,00 1,10 0,00 0,00 0,00 0,00 0,01 0,02 0,00 0,00 0,00
Pêche 0,00 0,00 1,01 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Industries primaires 0,02 0,08 0,00 1,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Mines 0,04 0,02 0,03 0,03 1,07 0,06 0,06 0,04 0,02 0,01 0,03
Services publics 0,03 0,01 0,01 0,01 0,02 1,00 0,01 0,02 0,01 0,02 0,01
Construction 0,03 0,01 0,03 0,01 0,01 0,03 1,01 0,01 0,01 0,01 0,03
Fabrication 0,28 0,15 0,20 0,18 0,07 0,05 0,32 1,27 0,08 0,07 0,13
Commerce de gros 0,09 0,06 0,06 0,07 0,03 0,01 0,07 0,05 1,03 0,02 0,04
Commerce de détail 0,02 0,02 0,02 0,02 0,01 0,01 0,02 0,01 0,01 1,01 0,02
Transports 0,06 0,05 0,03 0,05 0,02 0,02 0,04 0,04 0,06 0,05 1,17
Information 0,02 0,02 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,02 0,05 0,04 0,02
Finance, assurance et immobilier 0,09 0,08 0,06 0,08 0,07 0,04 0,07 0,05 0,13 0,16 0,09
Services professionnels 0,05 0,03 0,02 0,03 0,04 0,03 0,09 0,04 0,06 0,05 0,03
Services administratifs 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,01 0,02 0,02 0,05 0,04 0,02
Éducation 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Soins de santé 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Loisirs 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Hébergement et restauration 0,00 0,01 0,00 0,01 0,01 0,00 0,01 0,00 0,02 0,01 0,01
Autres services 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,00 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01
Non lucratif 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Gouvernement 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01
TOTAL 1,97 1,65 1,53 1,53 1,41 1,30 1,76 1,67 1,56 1,53 1,63
                       
  Information FASI SPT Administration Éducation Santé Loisirs Héberge-ment Autres services Non lucratif Gouvernement
Agriculture 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,01 0,08 0,00 0,00 0,00
Foresterie 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Pêche 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Industries primaires 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Mines 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01
Services publics 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,02 0,02 0,02 0,02 0,03 0,01
Construction 0,01 0,04 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,02
Fabrication 0,09 0,03 0,07 0,08 0,04 0,07 0,11 0,27 0,07 0,07 0,07
Commerce de gros 0,03 0,01 0,03 0,02 0,01 0,03 0,03 0,05 0,02 0,02 0,03
Commerce de détail 0,01 0,01 0,02 0,02 0,01 0,02 0,13 0,02 0,01 0,02 0,01
Transports 0,03 0,02 0,03 0,03 0,02 0,02 0,03 0,03 0,03 0,03 0,03
Information 1,14 0,02 0,05 0,05 0,03 0,04 0,04 0,03 0,03 0,03 0,02
Finance, assurance et immobilier 0,09 1,14 0,11 0,12 0,14 0,10 0,11 0,14 0,11 0,10 0,05
Services professionnels 0,06 0,04 1,13 0,06 0,03 0,04 0,06 0,04 0,04 0,03 0,04
Services administratifs 0,03 0,02 0,04 1,02 0,02 0,02 0,03 0,03 0,02 0,02 0,03
Éducation 0,00 0,00 0,00 0,00 1,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00
Soins de santé 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 1,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,08
Loisirs 0,01 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 1,02 0,00 0,00 0,00 0,00
Hébergement et restauration 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 1,01 0,01 0,01 0,01
Autres services 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,01 1,01 0,01 0,01
Non lucratif 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 1,00 0,01
Gouvernement 0,01 0,01 0,01 0,01 0,02 0,01 0,02 0,01 0,01 0,02 1,03
TOTAL 1,54 1,37 1,53 1,46 1,39 1,41 1,67 1,78 1,42 1,42 1,48

Si, par exemple, la production agricole augmente de 1 million de dollars, l’effet sur chaque branche est calculé à partir des multiplicateurs de la demande finale (colonne 1 du tableau 1). En l’occurrence, le revenu des branches qui fournissent des services aux branches primaires augmenterait de 20 000 $ (0,02 x 1 million de dollars), celui du secteur minier de 40 000 $ (0,04 x 1 million de dollars), celui du secteur de la fabrication de 280 000 $ (0,28 x 1 million de dollars), et ainsi de suite. Ces augmentations tiennent compte de l’accroissement de la demande directe des agriculteurs, tout comme des augmentations indirectes; ainsi, le gain de 280 000 $ du secteur de la fabrication est le reflet à la fois de la demande accrue d’instruments aratoires chez les agriculteurs et de l’augmentation indirecte découlant du fait que le réseau de transport a besoin de plus de wagons de chemin de fer pour acheminer la production agricole supplémentaire. Enfin, l’augmentation de la production agricole se soldera par une demande en retour de 190 000 $ dans le secteur de l’agriculture proprement dit (la différence entre 1,19 et 1,00 à la colonne 1, ligne 1 de la matrice), en raison surtout de la quantité accrue de provendes qui est nécessaire à l’alimentation du bétail. En additionnant tous ces effets directs et indirects, on obtient le multiplicateur total de 1,97 figurant au bas de la colonne 1. Autrement dit, chaque dollar de production agricole supplémentaire apporte 0,97 dollar de revenu brut à l’échelle de l’économie. De toutes les branches, celle de l’agriculture a le multiplicateur le plus élevé (rapport entre la variation totale (1,97 $) et la variation initiale (1 $)).

D’autres industries de biens (exploitation forestière, construction et fabrication) présentent trois des quatre plus hauts multiplicateurs qui suivent. L’exploitation forestière et la construction sont des secteurs étroitement liés à celui de la fabrication; par ailleurs, la construction stimule la demande dans le secteur des services professionnels (services architecturaux et juridiques, par exemple), de même que dans le secteur minier (béton, gypse, etc.). De plus, le secteur de la fabrication a recours à un certain nombre d’autres services aux entreprises ainsi qu’à d’autres biens fabriqués.

Parmi les services, c’est le secteur de l’hôtellerie et de la restauration qui présente le multiplicateur le plus élevé (1,78). Près du tiers de sa demande à l’égard d’autres branches va au secteur de la fabrication. Il est aussi celui qui crée le plus de retombées dans le secteur de l’agriculture, sur lequel il compte pour nourrir ses clients. Il se classe au deuxième rang (après le commerce de détail) quant aux retombées dans le secteur de la finance et de l’immobilier. Le secteur du tourisme exige lui aussi une vaste activité de transport et de distribution de biens et d’acheminement de personnes.

Les transports et les loisirs (ce qui comprend les arts et les divertissements) ont les uns et les autres des multiplicateurs supérieurs à la moyenne (1,60). La branche des transports a son effet le plus marqué sur elle-même, en partie à cause du transfert de marchandises entre les moyens de transport (les conteneurs arrivés d’Asie par porte-conteneurs sont ensuite acheminés par chemin de fer et les biens expédiés par avion parviennent par camion à leur destination finale). Cette branche a aussi des liens étroits avec la fabrication et la finance. Dans la branche des loisirs et dans les jeux de hasard en particulier, les liens sont avec la fabrication et le commerce de détail.

Dans les industries de biens, les mines et les services publics présentent les plus faibles multiplicateurs (1,41 et 1,30 respectivement). Les services publics, les centrales électriques en particulier, sont relativement autonomes; certes, ils se procurent certains biens auprès des secteurs de la construction et de la fabrication, mais ce sont eux qui ont le moins de liens avec le secteur des transports, car ils distribuent l’électricité par leurs propres réseaux. Les mines ont besoin de beaucoup de produits fabriqués et de services financiers, leurs procédés de production nécessitant beaucoup de capitaux; toutefois, elles ne se procurent pas beaucoup d’autres services7.

Si les finances, les assurances et les services immobiliers (FASI en abrégé dans les tableaux et « finance » dans la suite de notre exposé) sont d’un apport essentiel à une foule de branches d’activité, il reste qu’ils ont recours à relativement peu de facteurs en provenance d’autres branches. En fait, si on fait abstraction des services fournis par d’autres sociétés financières, ce sont eux qui ont les liens les plus ténus avec le reste de l’économie. Ce sont eux qui ont le moins besoin de biens fabriqués en proportion de la quantité de facteurs qu’ils utilisent. Ce sont eux enfin qui font le moins appel à des services de transport ou à d’autres services.

Dans le cas des deux catégories de services aux entreprises (services professionnels, scientifiques et techniques, d’une part, et services administratifs et de gestion, d’autre part), la situation est presque identique. C’est pourquoi nous les avons regroupés aux fins de cette analyse. Leur multiplicateur global s’établit à environ 1,50 et elles sont les principaux fournisseurs de leurs propres facteurs et de ceux des finances.

Le multiplicateur du secteur des services gouvernementaux (1,48) est légèrement supérieur à ceux des secteurs de l’éducation et des services de santé. Toutefois, l’écart est attribuable en majeure partie aux achats du système de santé. Le secteur des services gouvernementaux est le seul où les services de santé constituent le principal facteur. Par ailleurs, ses liens avec le secteur de la fabrication sont relativement étroits.

Les secteurs de l’éducation et des soins de santé ont des multiplicateurs qui comptent parmi les plus faibles (de l’ordre de 1,40), car ils sont autonomes sur le plan de la production. Près de la moitié des facteurs qu’ils achètent à l’extérieur de leur propre catégorie proviennent des secteurs de la fabrication et de la finance.

Dans le cas du commerce de détail, certains résultats sont étonnants. Le secteur qui profite le plus de ses retombées est celui de la finance à cause du rôle que joue le crédit dans le financement des achats. Cependant, le commerce de détail est plus lié aux services aux entreprises (0,09 point) qu’à la fabrication (0,07). Dans le système des entrées-sorties, la fabrication n’est pas plus importante comme branche d’apport au commerce de détail que les services gouvernementaux. L’explication en est que la catégorie du commerce de détail représente, dans les calculs d’entrées-sorties, une mesure nette de ce service commercial et qu’on soustrait le coût des biens achetés pour la revente de la valeur des ventes au détail. L’achat des biens ne constitue pas une impartition de la production pour les détaillants, ce qui est l’objet même des tableaux d’entrées-sorties pour notre propos.

La prédominance des industries de biens ayant des multiplicateurs élevés s’explique par leurs relations étroites avec d’autres branches, plus particulièrement avec d’autres industries de biens et des industries de services comme celles des transports et de la finance. Ainsi, les produits fabriqués sont souvent constitués de plusieurs pièces normalisées, ce qui se prête bien à l’impartition. Comme l’a indiqué Paul Krugman, on a eu tendance dans le secteur de la fabrication à fragmenter la chaîne de valeur pour produire un bien à un certain nombre d’endroits en ajoutant un peu de valeur à chaque étape8. La valeur du multiplicateur s’en trouve augmentée. En outre, les entreprises de fabrication ont donné le ton en matière de sous-traitance en procédant à l’impartition de toute une gamme de services allant de la publicité à l’entretien d’immeubles et même aux systèmes de paie. On a constaté que la situation était analogue aux États-Unis, où la fabrication et les autres industries de biens présentent les multiplicateurs les plus élevés9.

En revanche, les branches de services se caractérisent généralement par de faibles multiplicateurs du revenu, soit parce que leurs procédés de production, dont les liens avec les autres branches sont moins nombreux, sont plus simples, soit parce que leur produit est moins normalisé10. Prenons, par exemple, les services de santé et l’éducation. Un accroissement de la production dans ces secteurs ne provoque pas une demande additionnelle pour les secteurs des transports et de la distribution comme pour la plupart des biens.

Les multiplicateurs ne sont pas nécessairement le reflet de la complexité des procédés de production dans une branche. Certaines branches ont un mode de fonctionnement très complexe, mais leur relation contractuelle avec le reste de l’économie est plus simple et leurs multiplicateurs sont moins élevés, car le gros du travail se fait à l’interne. Les multiplicateurs sont une indication du degré d’intégration de certaines branches avec d’autres; ils n’indiquent pas quelles sont les branches les plus importantes ni les plus productives.

Le tableau 2 classe les multiplicateurs des branches strictement en fonction de leurs retombées dans d’autres branches. Quand on fait abstraction de l’effet en retour dans une branche, on peut mieux discerner les branches ayant les liens les plus étroits avec le reste de l’économie.

En ce qui concerne les pelotons de tête et de queue, la situation demeure pour ainsi dire inchangée : les branches du secteur primaire, la construction et l’hôtellerie-restauration mènent le bal, tandis que la finance, les services publics, les services de santé et l’éducation restent à la traîne. Toutefois, on constate d’importants changements ailleurs. Ainsi, la fabrication recule de 12 crans et passe ainsi du quatrième au seizième rang, ce qui illustre comment l’accroissement de la demande en fabrication requiert une plus grande production, principalement d’autres établissements de fabrication, tout en amenant d’autres branches à commander plus de biens fabriqués. L’information et la culture perdent sept places, en partie parce que les achats entre radiodiffuseurs sont importants. Les transports reculent, eux, de cinq places, mais demeurent au-dessus de la moyenne. Aucune branche ne progresse nettement dans le classement; la plupart des branches de services gagnent deux ou trois places, les services professionnels et techniques et les services d’information étant à cet égard des exceptions dignes de mention.

Branches fournissant le plus d’apports

Traditionnellement, l’analyse des multiplicateurs a surtout porté sur les facteurs en provenance d’autres branches (la somme des chiffres des colonnes au tableau 1). Toutefois, l’addition des chiffres des rangées est un autre exercice utile, car elle permet de déterminer les branches qui sont les plus touchées par une variation de la production d’autres industries. La fabrication et la finance sont les plus susceptibles d’entretenir les liens les plus étroits. Le résultat de cette addition (plus de 3,0 dans le cas de ces deux branches) n’offre toutefois pas le degré de précision statistique des multiplicateurs, puisqu’il est peu probable qu’une demande accrue de facteurs provenant d’une branche particulière se traduise simultanément par une plus grande demande de facteurs en provenance de toutes les autres et que la demande soit d’une répartition égale sur l’ensemble des industries.

Le classement individuel des branches en fonction des apports du reste des branches constitue un exercice révélateur. L’apport du secteur de la fabrication et des finances est le premier ou deuxième comparativement à presque toutes les autres branches. La fabrication et la finance ne se classent pas au premier ou au deuxième rang comme source d’apport dans trois branches sur vingt-deux seulement (abstraction faite des relations intra-industrielles). Les trois exceptions sont la construction (qui fait appel à plus de services professionnels et techniques que des finances); la finance (la construction devance la fabrication); les services gouvernementaux (les services de santé en tête). Même dans ces trois branches, la fabrication et la finance se classent parmi les trois premières sources d’apport.

Les services professionnels et techniques jouent un rôle presque aussi omniprésent que la fabrication et la finance. Ils figurent invariablement en troisième ou quatrième place à l’exception du secteur primaire. Cela s’explique par la « marchandisation » de services simples aux entreprises comme les services de préparation de déclarations de revenus, d’administration de ressources humaines et, plus particulièrement, de technologie de l’information11.

Les mines, les transports et le commerce de gros sont d’autres branches qui se rangent parmi les principaux fournisseurs de facteurs. Les liens du secteur minier se limitent aux autres branches de biens, plus particulièrement aux services publics, à la construction et à la fabrication. Le commerce de gros et les transports ont eux aussi des liens étroits avec les industries de biens, en raison de leur rôle dans l’acheminement des ressources naturelles et des produits fabriqués vers des utilisateurs finals comme les détaillants et vers les marchés d’exportation.

Tableau 2 : Multiplicateurs de revenu avec ou sans effets dans la même branche

Total* Excluant les effets dans la même branche
Agriculture 1,97 Agriculture 0,78
Hébergement et restauration 1,78 Hébergement et restauration 0,77
Construction 1,76 Construction 0,75
Fabrication 1,67 Loisirs 0,65
Loisirs 1,67 Foresterie 0,55
Foresterie 1,63 Commerce de gros 0,53
Transports 1,63 Industries primaires 0,53
Commerce de gros 1,56 Commerce de détail 0,52
Information 1,54 Pêche 0,52
Commerce de détail 1,53 Transports 0,46
Pêche 1,53 Gouvernement 0,45
       
Industries primaires 1,53 Services administratifs 0,44
Professionnels et techniques 1,53 Non lucratif 0,42
Gouvernement 1,48 Autres services 0,41
Services administratifs 1,46 Information 0,40
Autres services 1,42 Professionnels et techniques 0,40
Non lucratif 1,42 Santé 0,40
Mines 1,41 Fabrication 0,40
Santé 1,41 Éducation 0,39
Éducation 1,39 Mines 0,34
FASI 1,37 Services publics 0,30
Services publics 1,30 FASI 0,23
*Incluant l'impact dans la même branche.

Évolution depuis 1986

De 1986 à 2002, 15 des 22 branches ont accru, nettement pour la plupart, leur recours aux facteurs d’autres branches (tableau 3). Ainsi, le multiplicateur des grossistes est passé de 1,41 à 1,56; donc, chaque million de dollars de production supplémentaire de gros se traduit par un surcroît de revenu de 150 000 $ pour les autres branches. Les services aux entreprises, l’information, le commerce de détail et les services publics ont eux aussi connu des augmentations appréciables. Dans deux des six branches subissant des baisses, le recul a été négligeable (0,01). Les baisses les plus importantes touchaient l’éducation et le secteur sans but lucratif. Dans le secteur privé, seules deux branches ont accusé une baisse, qui était modeste.

Tableau 3 : Multiplicateurs de revenu, 1986 et 2002

  1986 2002 Variation
       
Agriculture 1,97 1,97 0,00
Foresterie 1,77 1,65 -0,12
Pêche 1,45 1,53 0,08
Industries primaires 1,43 1,53 0,10
Mines 1,37 1,41 0,04
Services publics 1,16 1,30 0,14
Construction 1,77 1,76 -0,01
Fabrication 1,74 1,67 -0,07
Commerce de gros 1,41 1,56 0,15
Commerce de détail 1,43 1,53 0,10
Transports 1,64 1,63 -0,01
       
Information 1,40 1,54 0,14
Finance, assurance et immobilier 1,33 1,37 0,04
Professionnels et techniques 1,39 1,53 0,14
Services administratifs 1,40 1,46 0,06
Éducation 1,73 1,39 -0,34
Santé 1,27 1,40 0,13
Loisirs 1,57 1,67 0,10
Hébergement et restauration 1,71 1,78 0,07
Autres services 1,34 1,42 0,08
Non lucratif 1,49 1,42 -0,07
Gouvernement 1,44 1,48 0,04

L’augmentation générale des multiplicateurs indique que la plupart des branches du secteur privé se spécialisent dans leur principal domaine de compétence et se procurent ailleurs les autres facteurs dont elles ont besoin. Le phénomène n’est guère nouveau, puisque c’est la grande intuition d’Adam Smith au XVIIIe siècle en ce qui concerne le partage du travail12. On constate une tendance semblable dans le commerce international. Chaque secteur de l’économie compte davantage sur les importations pour sa production destinée à l’exportation13. En fait, la légère diminution des valeurs du multiplicateur pour la production intérieure en fabrication semble indiquer que cette branche aime mieux importer des pièces que de les fabriquer à l’interne. Ainsi, les pièces importées interviennent pour près de moitié dans la construction d’automobiles et la fabrication de produits électroniques.

Que l’on impartisse au profit d’autres entreprises au Canada ou que l’on délocalise au profit d’entreprises ailleurs dans le monde, la motivation est la même, celle du rendement et des prix de revient. Fait révélateur, le secteur de l’éducation et le secteur sans but lucratif, qui sont relativement moins sensibles aux forces du marché qui mènent à une plus grande efficacité, sont deux des six branches qui n’ont pas recouru davantage à l’impartition14. Les deux branches du secteur privé qui ont eu recours davantage aux facteurs d’autres branches ont peut-être subi plus de pressions pour s’orienter dans cette voie, en raison de la réduction de la taille des administrations publiques dans les années 1990 et de la montée en flèche des coûts de la santé.

Un effet secondaire de ces changements à l’échelle de l’économie a été le rétrécissement de l’écart entre les branches ayant beaucoup de liens et celles qui en avaient moins. Les six branches dont le multiplicateur a régressé se classaient toutes en 1986 parmi les neuf ayant le plus de liens avec le reste de l’économie. Cette année-là, la baisse moyenne des valeurs de multiplicateur des branches ayant plus de liens que la moyenne était de 0,05.

À l’inverse, 13 des 14 branches dont les valeurs de multiplicateur étaient inférieures à la moyenne en 1986 ont vu celles-ci s’accroître au cours des 15 années suivantes. Le gain moyen de ces branches, y compris des industries affichant les sept hausses les plus importantes, a été de 0,08 point. Dans le secteur de l’information et de la culture, les augmentations étaient surtout attribuables à la télévision payante; le mouvement de hausse constaté du côté des services aux entreprises était généralisé. Le rétrécissement de l’écart entre la hausse maximale et la hausse minimale, lequel est passé de 0,81 à 0,67 point, constitue une mesure de la dispersion de moins en moins grande des valeurs du multiplicateur.

Si les liens entre les branches se font plus étroits depuis 1986, c’est surtout par suite du recours croissant aux services aux entreprises. Si on additionne les variations présentes dans les rangées, on dégage un gain net de 0,54 point comme apport aux autres branches, dont les deux tiers sous forme de services professionnels et techniques. Il faut y voir l’accent mis sur l’impartition des procédés des entreprises (en administration de la paie et en services informatiques, par exemple)15.

Le gain est aussi de taille dans le cas de la finance (0,36 point). Toutes les branches sauf celle de l’éducation ont eu plus recours aux apports des services aux entreprises et de la finance. Elles se sont aussi procurées plus souvent des apports du commerce de gros et de détail. Il n’y a que les transports parmi les branches de services qui leur aient moins apporté.

Par ailleurs, il y a des industries de biens qui ont été moins utilisées par les autres branches. La fabrication a le plus régressé sur ce plan (-0,08 point); près de la moitié du recul général est à imputer à l’éducation et à la fabrication même. La branche de l’éducation a aussi beaucoup moins demandé en apports à la construction; c’est sans doute qu’on y a moins eu besoin de bâtiments et de services d’entretien parce qu’on avait moins d’élèves, ce qui a provoqué les compressions de budget d’immobilisations des écoles au cours de la période considérée. Notons enfin le recul des services publics, tout comme de l’exploitation forestière et des pêches (les deux derniers qui déjà se situaient à des niveaux extrêmement bas).

La croissance du phénomène de l’impartition influe aussi sur l’analyse des parts du PIB que détiennent les branches d’activité. Des branches comme celle de la fabrication qui ont rapidement accru le recours à l’impartition (tant au Canada qu’à l’étranger) verront cette part diminuer, car une partie de leur production interne passe à d’autres branches et notamment aux industries de services. En revanche, une partie de l’accroissement de la part du PIB que détiennent la finance et les services aux entreprises depuis quelques décennies est à mettre au compte d’une impartition d’une partie de la production d’autres branches. Si le multiplicateur du commerce de gros ne s’était pas élevé de 1986 à 2002 (et à supposer que toute la hausse soit due à l’impartition), le PIB du commerce de gros aurait été supérieur d’une valeur de 8,3 milliards de dollars, l’équivalent de 0,7 % du PIB.

La plupart des branches externalisent davantage leur production, mais il y a des limites à cette tendance. Les entreprises hésitent à confier à la sous-traitance leurs activités de création de recettes et de planification stratégique et beaucoup se déclarent de plus en plus insatisfaites de leur expérience en impartition16.

On emploie souvent les multiplicateurs de revenu pour jauger l’incidence relative des diverses branches d’activité sur la croissance du PIB global. L’exercice est trompeur, car on oublie que ces multiplicateurs indiquent les liens qu’entretient une branche avec les autres. Ainsi, les branches qui occupent des places stratégiques comme celles de la fabrication, des transports et de la finance et dont la production est souvent utilisée par les autres branches présenteront des multiplicateurs relativement élevés, mais ce n’est pas dire que d’autres branches comme celles des services publics et des mines n’apportent pas une contribution de taille à la production globale. Les fabricants ne pourraient relever leur production sans utiliser plus d’énergie des services publics. Les branches des services publics et des mines comptent dans l’économie parmi les industries où la valeur ajoutée est la plus grande par travailleur. Ainsi, une production accrue dans ces branches concourt largement à la croissance de la production et de la productivité dans l’ensemble au Canada, et ce, malgré les liens relativement ténus qu’elles ont avec les autres branches. Dans la prochaine section portant sur les multiplicateurs de production, nous décrirons ces effets.

Multiplicateurs de production

Jusqu’ici, nous avons voulu établir comment les variations de production dans une branche d’activité influent sur le revenu (ou la production brute) de toutes les autres branches, mais quelle en est l’incidence sur le PIB global? Le tableau 4 compare les multiplicateurs classiques du revenu aux multiplicateurs du PIB. Ces derniers appréhendent la croissance de la production globale au Canada que détermine une variation de la production dans une branche d’activité déterminée; la valeur de 0,77 relevée pour l’agriculture signifie que, en haussant d’un million de dollars la production agricole, on se trouve à accroître le PIB global de 770 000 $. Les valeurs sont toutes inférieures à l’unité, en grande partie à cause des fuites de production vers les importations (ce que montre la colonne 3). En haussant la production agricole d’un million de dollars, par exemple, on augmente les importations soit directement (par un accroissement des importations de semences ou d’instruments aratoires) soit indirectement (une demande accrue de produits fabriqués chez les agriculteurs se traduit par des importations accrues des fabricants). À la différence des multiplicateurs de revenu, les multiplicateurs de production n’appréhendent pas l’interdépendance des branches d’activité, mais décrivent cependant l’utilisation de produits importés dans les diverses branches.

Tableau 4 : Multiplicateurs de revenu, de PIB et d'importations, 2002

  Multiplicateur de revenu Multiplicateur de PIB Multiplicateur de l'importation
       
Agriculture 1,97 0,77 0,21
Foresterie 1,65 0,79 0,20
Pêche 1,53 0,77 0,23
Industries primaires 1,53 0,78 0,21
Mines 1,41 0,88 0,11
Services publics 1,30 0,89 0,11
Construction 1,76 0,78 0,21
Fabrication 1,67 0,61 0,37
Commerce de gros 1,56 0,90 0,09
Commerce de détail 1,53 0,92 0,08
Transports 1,63 0,86 0,14
Information 1,54 0,84 0,16
FASI 1,37 0,95 0,04
Professionnels et techniques 1,53 0,89 0,11
Services administratifs 1,46 0,90 0,10
Éducation 1,39 0,94 0,06
Soins de santé 1,40 0,88 0,11
Loisirs 1,67 0,87 0,13
Hébergement et restauration 1,78 0,85 0,14
Autres services 1,42 0,90 0,09
Organisations à but non lucratif 1,42 0,92 0,08
Gouvernement 1,48 0,90 0,10

Les multiplicateurs du PIB sont bien plus bas. Souvent, ils n’ont que la moitié de la taille des multiplicateurs du revenu; dans le cas de la fabrication, ils ne sont que d’un peu plus du tiers de ces multiplicateurs, et ce, parce qu’ils tiennent compte de divers autres facteurs. D’abord, ils retranchent tous les produits intermédiaires dont les multiplicateurs de revenu tiennent compte. Un grand inconvénient avec ces derniers est que, s’ils nous disent en toute précision dans quelle mesure une branche qui hausse sa production a besoin de plus d’apports d’une grande diversité d’autres branches, ils ne mettent pas au net les achats que les branches font les unes aux autres par la suite. Ces produits intermédiaires viennent gonfler les multiplicateurs de revenu en comptant en double les apports en provenance d’une branche qui sont en définitive achetés à une autre. Ainsi, si on hausse la production automobile, on achète plus d’acier, ce qui fait augmenter la demande de fer; si on ne met pas au net ces produits intermédiaires, la valeur du minerai de fer sera comptée trois fois dans la fabrication d’un véhicule17.

En deuxième lieu, les multiplicateurs de production traduisent l’incidence d’un relèvement de la production dans chaque branche, et non pas le seul effet d’entraînement sur les autres branches. C’est tenir compte du problème déjà noté de la valeur élevée des multiplicateurs de revenu des branches où les procédés de production sont normalisés – et qui multiplient les liens avec d’autres secteurs de l’économie (comme la branche de la fabrication) – et de leur faible valeur dans le cas des branches qui tirent la plupart de leurs apports de leur propre activité (comme les mines et les services publics).

Disons que, si les multiplicateurs de revenu éliminent les importations, les multiplicateurs du PIB livrent une mesure explicite du contenu importé de la production de chaque branche. Cette mesure importe particulièrement dans la branche de la fabrication.

Le tableau 5 compare les rangs des 22 branches pour les multiplicateurs du revenu et de la production. Dans la plupart des cas, la différence est appréciable et les résultats sont presque inversés. Les sept branches où les multiplicateurs de revenu sont les plus élevés tombent toutes dans la seconde moitié du classement pour les multiplicateurs de production. La branche de l’agriculture est celle qui chute le plus, tombant de 20 crans du premier au vingt et unième rang. La branche de la fabrication passe du cinquième rang est reléguée au dernier rang. Pour la construction, les forêts et l’hôtellerie-restauration, il y a déclassement à deux chiffres dans tous les cas.

Tableau 5 : Classement des multiplicateurs de revenu industriel et de PIB, 2002

Revenu PIB
   
Agriculture FASI
Hébergement et restauration Éducation
Construction Non lucratif
Fabrication Commerce de détail
Loisirs Commerce de gros
Foresterie Gouvernement
Transports Autres services
Commerce de gros Services administratifs
Information Services publics
Commerce de détail Professionnels et techniques
Pêche Santé
   
Industries primaires Mines
Professionnels et techniques Loisirs
Gouvernement Transports
Services administratifs Hébergement et restauration
Autres services Information
Non lucratif Foresterie
Mines Industries primaires
Santé Construction
Éducation Pêche
FASI Agriculture
Services publics Fabrication

Figure 1

En revanche, diverses branches de services rejoignent le peloton de tête pour les multiplicateurs de production. Les branches de la finance et de l’éducation passent des multiplicateurs de revenu les plus bas aux deux multiplicateurs de production les plus hauts. Le commerce de gros et de détail et l’administration publique suivent de près, alors qu’ils occupent des rangs intermédiaires pour les multiplicateurs de revenu. L’administration et les services de santé gagnent aussi presque une dizaine de rangs.

Les services publics se distinguent parmi les industries de biens avec un neuvième rang pour les multiplicateurs de production et le dernier rang pour les multiplicateurs de revenu. Les mines gagnent, elles, un peu de terrain. La plupart des services progressent, mais on relève des exceptions. Comme nous l’avons indiqué, l’hôtellerie et la restauration perdent 12 rangs. Les loisirs, l’information et les transports en perdent, eux, une demi-douzaine.

Dans la fabrication, les produits informatiques et électroniques présentent le multiplicateur de production le plus bas parmi les branches d’activité. Elle est suivie de la fabrication de véhicules automobiles (dans les deux cas, les valeurs sont de moins de 0,4). L’explication en est le fort contenu importé de la production de ces deux branches. Pour plusieurs services, les multiplicateurs de production sont de plus de 0,9 (notamment les branches de la finance et de l’immobilier), mais l’extraction pétrolière et gazière appartient au peloton de tête avec une valeur de 0,9 parmi les industries de biens. Ces multiplicateurs sont particulièrement dignes de mention si on considère les compressions récentes chez certains constructeurs automobiles et la croissance rapide des secteurs de l’énergie et de la finance.

Les multiplicateurs du PIB sont en décroissance dans 20 des 22 branches depuis 15 ans (la branche de l’éducation est un peu en hausse et le secteur sans but lucratif est inchangé). Pour la plupart, les industries de biens présentent des baisses un peu supérieures à celles des services, peut-être parce qu’elles peuvent plus facilement utiliser des produits importés dans leur production. Il reste que l’uniformité des baisses contraste vivement avec la généralité des hausses pour les multiplicateurs de revenu, ce qui accrédite davantage la thèse que la progression des multiplicateurs de revenu a eu pour moteur une tendance à l’impartition au profit d‘autres entreprises au Canada.

Importations

Un facteur lié est celui des importations. Non seulement les fabricants fragmentent leur production en achetant à d’autres entreprises au Canada, mais ils peuvent aussi importer des pièces sur le marché extérieur. Comme nous l’avons noté dans notre article de 2001 sur le contenu importé des exportations, les entreprises ont largement accentué cette forme de « désintégration » verticale au cours des années 1990.

Pour chaque branche, on peut voir le multiplicateur des importations à la colonne 3 du tableau 4. Ainsi, pour chaque dollar de hausse de leur production, les fabricants sont amenés à importer directement ou indirectement pour 37,7 cents de plus, ce qui diminue nettement l’influence qu’ils peuvent exercer sur le PIB canadien. La plupart des autres industries de biens (construction, agriculture, exploitation forestière et pêches) présentent des multiplicateurs d’importations d’environ 0,2. Dans les mines et les services publics en revanche, le contenu importé est le plus faible pour les industries de biens avec une valeur d’environ 10 % qui est bien inférieure aux valeurs correspondantes d’un grand nombre de services.

Dans les branches de la finance et de l’éducation, ce contenu importé est le plus mince (valeurs respectives de 4 % et 6 %). Au nombre des autres services où le contenu importé s’établit à environ 10 % seulement, on compte les services de santé, les services professionnels et techniques et le commerce de gros et de détail. On dénombre une poignée de services où le contenu importé est supérieur à celui des industries de biens aux derniers rangs : transports, hôtellerie-restauration, etc. (valeurs d’environ 15 % dans tous les cas).

Conclusion

Nous avons montré certaines des utilisations des multiplicateurs en analyse. Les multiplicateurs de revenu nous livrent une microdescription des liens entre les branches d’activité. Les variations temporelles de ces multiplicateurs nous éclairent sur l’évolution structurelle dans la réorganisation de l’exploitation des entreprises.

Avec ces multiplicateurs, on surestime cependant l’importance des branches où les liens contractuels et les liens de production sont complexes avec les autres branches. Avec les multiplicateurs du PIB, on tient compte de ce problème et, pour ainsi dire, on inverse le classement des industries quant au degré d’influence exercé sur les autres branches d’activité.

L’analyse de multiplicateurs a ses limites. Elle ne tient pas compte des déterminants macroéconomiques de la production et de l’emploi dans l’ensemble comme les taux d’intérêt et le taux de change, lesquels pourraient subir l’influence de toute variation importante de la production dans les grandes industries. Enfin, les multiplicateurs ne tiennent compte ni des contraintes de capacité ni de la consommation de capital.

Études spéciales récemment parues


Notes

* Division des entrées-sorties, (613) 951-4108.
1 C’est dans les années 1930 que Keynes a d’abord appliqué la notion de multiplicateur au revenu global. Avec son concept de multiplicateurs globaux, Keynes tenait compte de l’incidence tant directe qu’indirecte d’un surcroît de dépenses sur l’élévation des revenus et de l’effet induit d’un surcroît de dépenses des travailleurs des secteurs visés. Cependant, les multiplicateurs agrégatifs de Keynes ne nous montrent pas comment la demande varie dans des branches ou des secteurs particuliers de l’économie. P. 42 dans The Elements of Input-Output Analysis, William Miernyk, Random House, New York, 1967. Pour une description technique des multiplicateurs, voir le chapitre 4, « Multipliers in the Input-Output Model ».
2 Charles Schultze, Offshoring, Import Competition, and the Jobless Recovery, Brookings Institute, 2004.
3 P. 3, Commentaire de Susan Collins, p. 281, dans M. Baily et R. Lawrence, « What Happened to the Great U.S. Job Machine? The Role of Trade and Electronic Offshoring », Brookings Papers on Economic Activity; 2004 : 2.
4 P. 103, Ronald Miller et Peter Blair, Input-Output Analysis: Foundations and Extensions, Prentice-Hall, New Jersey, 1985.
5 P. 63, Robert Parker, « BEA Inproves Consistency and Timeliness », dans Business Economics, oct. 2004.
6 M. Baily et R. Lawrence, op. cit., p. 230.
7 Les travaux de construction qui se font dans les mines, tout comme ceux des autres branches d’activité, ne sont pas appréhendés par ces tableaux, car il s’agit là d’une dépense en capital qui n’est pas liée à la production courante.
8 P. Krugman, « Growing World Trade: Causes and Consequences », p. 334, dans Brookings Papers on Economic Activity; I : 1995.
9 « Securing America’s Future », J. Popkin et K. Kobe, p. 66, dans Challenge, nov.-déc. 2003.
10 La standardisation croissante des services fraie la voie à ce phénomène dans les services, ainsi que l’évoque G. Garrett, « Globalization’s Missing Middle », Foreign Affairs, vol. 83, no 6, p. 94.
11 Daniel Drezner, « The Outsourcing Bogeyman », p. 24, dans Foreign Affairs, mai-juin 2004.
12 Voir Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, E. Cannon (dir.), Norman Berg Publishers, Dunwoody, Géorgie, 1976. Cet auteur a aussi considéré que la fabrication en particulier permettait de nombreux sous-partages du travail et une séparation plus complète des entreprises que dans d’autres industries (p. 6).
13 P. Cross en donne une description dans « Implications cycliques de la hausse du contenu importé des exportations », L’Observateur économique canadien, publication no 11-010-XPB au catalogue de Statistique Canada, vol. 15, no 12, déc. 2002.
14 Thomas Sowell, Basic Economics, Basic Books, New York, 2000.
15 Voir « A survey of outsourcing » dans The Economist, 13 nov. 2004; il est question du recours croissant à des systèmes de travail à plateforme de production et de la spécialisation des services aux entreprises.
16 « Time to bring it back home? » dans The Economist, 5 mars 2005.
17 Si on compare les ventes brutes des entreprises au PIB des pays en base « valeur ajoutée », on en retire de fausses perceptions de leur taille relative, ce dont parle Martin Wolf dans Why Globalization Works, Yale University Press, New Haven, 2004.



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Date de modification : 2008-11-21 Avis importants
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