Dépendance à l'automobile dans les quartiers urbains

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La vie dans les régions métropolitaines

par Martin Turcotte

La voiture un choix encore plus commun maintenant
L'éloignement du centre-ville entraîne une plus grande utilisation de la voiture
La densité des quartiers a son importance
Des différences entre les grandes et les plus petites RMR
L'utilisation exclusive de l'automobile est moins fréquente dans les quartiers centraux de Montréal
Les caractéristiques du quartier ou des gens qui l'habitent?
La densité, la distance ou bien les deux?
Les hommes de la banlieue se retrouvent derrière le volant
Résumé
Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

Pour se déplacer facilement dans les métropoles modernes et en particulier dans leurs banlieues à faible densité de population, l'accès à un véhicule privé est non seulement très pratique, mais parfois primordial. Les parents de jeunes enfants en savent quelque chose, eux qui doivent souvent, dans une même journée, se rendre au travail et en revenir, aller reconduire les enfants à la garderie ou à leurs activités du soir, se rendre à un rendez-vous, faire des courses pour le repas et parfois plus encore.

Malgré le fait qu'un bon nombre de Canadiens ne pourraient tout simplement plus se passer de leur voiture, l'utilisation de l'automobile est aussi associée, comme on le sait, à de nombreux inconvénients. Au Canada, comme dans plusieurs autres pays occidentaux, le secteur des transports routiers contribue de façon considérable aux émissions de gaz à effet de serre (GES)1. Ces dernières années, on attribue d'ailleurs une part non négligeable de l'augmentation des émissions de GES à la popularité croissante des camionnettes et des véhicules utilitaires sport2.

En plus de contribuer aux émissions de GES, le fait de se déplacer quotidiennement en automobile entraîne une grande quantité d'émissions polluantes qui alimentent le smog3. Par ailleurs, l'utilisation massive de l'automobile par les travailleurs qui font la navette pour se rendre au travail (au détriment du transport en commun) contribue grandement à accentuer les problèmes de congestion routière qui touchent la plupart des régions métropolitaines en Amérique du Nord4 et engendre des coûts importants de construction et de réfection des routes.

Dans ce contexte, il est peu surprenant que plusieurs voix s'élèvent contre l'utilisation abusive de l'automobile et encouragent les gens à se tourner vers des moyens de transport plus écologiques comme le covoiturage, le transport en commun, la marche ou la bicyclette.

Malgré toute leur bonne volonté, plusieurs personnes se sentent probablement dépourvues et impuissantes devant de telles suggestions. Une des raisons fondamentales de ce sentiment d'impuissance réside probablement dans le fait que les quartiers et municipalités où ils vivent se prêtent peu à des déplacements faits autrement qu'en voiture, entre autres parce que les commerces, les lieux de travail et les résidences ne sont pas situés dans les mêmes quartiers.

Dans le présent article, on s'intéresse à la relation entre les types de quartiers dans lesquels les personnes vivent et l'utilisation de l'automobile pour les déplacements quotidiens. À quel point les résidents des zones périphériques et des quartiers à faible densité, sont-ils dépendants de la voiture dans leur vie quotidienne comparativement aux résidents des quartiers plus « urbains »? Dans quelle mesure les résidents des quartiers centraux peuvent-ils effectuer leurs divers déplacements quotidiens sans utiliser l'automobile? Dans quelles régions métropolitaines l'utilisation exclusive de la voiture est-elle la plus fréquente?

Parallèlement à cela, on cherche à déterminer les caractéristiques des personnes qui utilisent l'automobile. Par exemple, est-ce que les personnes vivant seules ont moins tendance à utiliser l'automobile et sont plus susceptibles de marcher pour se déplacer que les couples avec enfants?

Pour répondre à toutes ces questions, on fait appel aux données de l'Enquête sociale générale (ESG) de 2005 portant sur l'emploi du temps pour évaluer l'utilisation de la voiture chez les personnes de 18 ans et plus qui ont effectué au moins un déplacement pour le travail ou pour faire des courses lors d'une journée de référence. Les données du Recensement de 2001 ont aussi été utilisées afin de distinguer les zones les plus centrales des zones plus périphériques au sein des régions métropolitaines de recensement (RMR) ainsi que des quartiers à densité faible et élevée (pour plus de renseignements voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude »).

La voiture un choix encore plus commun maintenant

Malgré le fait que la population ait de plus en plus tendance à se concentrer dans les grands centres urbains et aient accès à de meilleurs services de transport en commun, la dépendance à la voiture a augmenté entre 1992 et 2005. Selon les données de (ESG) sur l'emploi du temps, la proportion des personnes de 18 ans et plus qui avaient fait tous leurs déplacements en automobile — comme conductrices ou passagères — a augmenté de 68 % en 1992, à 70 % en 1998 et à 74 % en 2005.

Au contraire, la proportion de Canadiens ayant effectué au moins un déplacement actif, soit un déplacement à bicyclette ou à pied, semble avoir diminué entre 1998 et 2005. En effet, alors que respectivement 26 % et 25 % des personnes s'étaient rendues d'un lieu à un autre en marchant ou en pédalant en 1992 et 1998, cette proportion avait chuté à 19 % en 2005. Comment peut-on expliquer le fait que les Canadiens, dont la majorité vivent dans de grandes régions métropolitaines, aient besoin de leur voiture plus que jamais pour vaquer à leurs occupations?

L'éloignement du centre-ville entraîne une plus grande utilisation de la voiture

Une partie de l'explication tient au fait que plusieurs résidents des régions métropolitaines vivent à une distance appréciable du centre-ville. En effet, il existe des liens très clairs entre la résidence dans un quartier périphérique et la dépendance à l'automobile en tant que principal moyen de transport pour les déplacements quotidiens. Plus les résidents habitent loin du centre-ville, plus ils passent de temps au volant de leur véhicule (tableau 1).

Tableau 1 Plus le quartier est suburbain, plus les gens passent de temps en voiture au cours de la journée de référence. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 1
Plus le quartier est suburbain, plus les gens passent de temps en voiture au cours de la journée de référence

Chez les Canadiens âgés de 18 ans et plus et ayant effectué au moins un déplacement durant la journée de référence de l'enquête, ceux qui demeuraient à 25 kilomètres du centre-ville d'une RMR avaient passé en moyenne une heure et 23 minutes par jour en automobile. En comparaison, les personnes qui demeuraient dans un rayon de moins de 5 kilomètres du centre-ville de leur RMR de résidence avaient en moyenne passé 55 minutes à se déplacer en automobile, que ce soit comme conductrices ou passagères.

Considérant ces clivages, il est peu surprenant de constater que plus on s'éloignait du centre, plus la proportion de personnes ayant effectué au moins un de leurs déplacements au volant d'une automobile augmentait. Ainsi, 61 % des personnes vivant dans un quartier central avaient pris le volant, contre 73 % de celles vivant de 10 et 14 kilomètres du centre-ville, et 81 % de celles vivant à 25 kilomètres ou plus du centre.

Dans les agglomérations de recensement (les AR sont des régions urbaines de taille plus restreinte), de même que dans les régions rurales et les petites villes, les personnes avaient des comportements similaires à ceux des résidents des RMR qui demeurent dans les quartiers les plus éloignés des centres-villes. Cependant, les durées moyennes de déplacement au volant d'une automobile étaient plus faibles pour les résidents des petites villes et des régions les plus rurales que pour ceux de régions les plus éloignées des centres-villes5.

La densité des quartiers a son importance

Des associations encore plus révélatrices apparaissent lorsque l'on classifie les personnes selon le niveau de densité du quartier qu'elles habitent plutôt que selon la distance de leur quartier au centre-ville. Par exemple, plus de 80 % des résidents des quartiers uniquement ou presque uniquement composés de logements typiquement suburbains avaient pris le volant pour au moins un déplacement durant la journée. Par comparaison, c'était le cas de moins de la moitié des personnes qui vivaient dans les quartiers très denses.

De plus, se déplacer seulement en conduisant sa voiture était nettement plus fréquent dans les quartiers à faible densité. Alors que seulement environ un tiers des résidents des quartiers les plus denses avaient fait tous leurs déplacements au volant de leur automobile au cours de la journée, c'était le cas de près des deux tiers de ceux vivant dans les quartiers à très faible densité (graphique 1).

Graphique 1 Environ deux tiers des personnes résidant dans les quartiers les plus suburbains ont effectué tous leurs déplacements en conduisant leur voiture durant la journée de référence. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Graphique 1
Environ deux tiers des personnes résidant dans les quartiers les plus suburbains ont effectué tous leurs déplacements en conduisant leur voiture durant la journée de référence

Des différences entre les grandes et les plus petites RMR

Les huit plus grandes régions métropolitaines du pays, soit celles de Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa-Gatineau, Calgary, Edmonton, Québec et Winnipeg, rassemblent à elles seules près de la moitié de la population canadienne (49 % de la population totale, selon le Recensement de 2006). Ces huit régions métropolitaines se distinguent de plusieurs autres RMR par la taille de leur population, leur superficie et leur rapidité d'expansion.

De façon peu surprenante, il existe des différences notables entre ces grandes RMR et les RMR de plus petite taille en ce qui a trait de la dépendance à l'automobile (tableau 2).

Tableau 2 La dépendance à la voiture varie grandement d'une RMR à l'autre, mais c'est la densité des logements qui l'influence le plus. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 2
La dépendance à la voiture varie grandement d'une RMR à l'autre, mais c'est la densité des logements qui l'influence le plus

Par exemple, 81 % des résidents des RMR de petite taille, soit celles dont la population ne dépassait pas 250 000 habitants en 2001, avaient fait tous leurs déplacements de la journée en automobile — comme conducteurs ou passagers — alors que c'était le cas de 69 % des résidents dans les huit plus grandes RMR.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ces clivages entre grandes et petites RMR. Dans les RMR comme Toronto, Montréal et Vancouver, et particulièrement dans leurs quartiers les plus centraux, les services de transport en commun offrent une meilleure desserte et sont beaucoup plus utilisés. De plus, les stationnements sont rares pour les travailleurs du centre-ville, ce qui décourage l'utilisation de la voiture. Finalement, les niveaux de densité plus élevés font qu'il est souvent plus facile pour les gens de se déplacer à pied ou à bicyclette qu'en automobile, puisque la forte densité favorise l'utilisation du transport public, mais fait aussi augmenter la congestion automobile6.

Au contraire, dans les petites RMR, même les quartiers situés à proximité du centre possèdent des caractéristiques qui les rendent plutôt semblables à des quartiers traditionnels des banlieues d'après-guerre. Par exemple, en 2001, 45 % des logements situés dans les quartiers centraux des RMR de petites tailles étaient des maisons individuelles; en comparaison, les proportions de ce type d'habitations dans les quartiers centraux de Toronto (13 %), Montréal (4 %) et Vancouver (21 %) étaient beaucoup plus faibles. Dans la plupart des centres-villes des grandes villes, les coûts élevés des terrains et leur rareté font en sorte que très peu de maisons individuelles y sont construites.

L'utilisation exclusive de l'automobile est moins fréquente dans les quartiers centraux de Montréal

En 2005, dans les huit plus grandes RMR, on constate que parmi les personnes ayant fait au moins un déplacement au cours de la journée de référence, les résidents de Calgary et d'Edmonton étaient les plus susceptibles de s'être uniquement déplacés à bord d'une automobile (respectivement 75 % et 77 %), que ce soit comme conducteurs ou comme passagers. À l'opposé, ceux de Montréal étaient les moins susceptibles d'avoir effectué tous leurs déplacements en voiture au cours de la journée (65 %). Un facteur pouvant expliquer cette différence est que dans les deux RMR de l'Alberta, plus de gens vivent dans des quartiers à faible densité qu'à Montréal et dans les autres grandes régions urbaines. Comme on le sait, la faible densité des quartiers est associée à une plus grande utilisation de la voiture7. Le fait que Montréal soit une ville plus âgée, déjà bien établie avant que l'automobile ne devienne omniprésente comme aujourd'hui, pourrait expliquer cette différence (tableau 2).

Il existe aussi certaines différences entre les quartiers centraux des huit plus grandes RMR en ce qui a trait à l'utilisation de l'automobile. Spécifiquement, la proportion d'utilisateurs exclusifs de l'automobile parmi les résidents des quartiers centraux était de 29 % à Montréal, contre 43 % à Toronto, 56 % à Vancouver et 66 % à Calgary. Dans les plus petites RMR, 75 % des résidents des quartiers centraux étaient des utilisateurs exclusifs de l'automobile.

Malgré ces quelques différences régionales, les tendances générales sont très similaires dans les RMR de toutes tailles : plus on s'éloigne du centre-ville, et plus le quartier de résidence est caractérisé par une forte présence de logements suburbains traditionnels, plus la proportion de personnes ayant fait leurs déplacements en tant que conductrices ou passagères d'une automobile augmente.

Les caractéristiques du quartier ou des gens qui l'habitent?

Les différentes associations présentées jusqu'ici entre le lieu de résidence et l'utilisation de la voiture pour les déplacements quotidiens semblent très robustes. Il est cependant possible qu'une part de ces clivages s'explique par le fait que les caractéristiques des personnes qui vivent dans des quartiers plus ou moins denses (ou plus ou moins éloignés du centre-ville) diffèrent sensiblement8.

Plusieurs caractéristiques, outre le lieu de résidence, sont associées avec une plus ou moins grande utilisation de l'automobile (tableau A.1). Afin de confirmer la robustesse de l'association entre le lieu de résidence et l'utilisation de l'automobile, on a réalisé une analyse statistique tenant compte de toutes ces variables simultanément (autrement dit, on a maintenu l'effet des variables comme l'âge, le sexe, le revenu, etc. constant). Comme on s'intéresse principalement aux associations entre les caractéristiques des quartiers et l'utilisation de la voiture pour les déplacements quotidiens, seuls les résidents des RMR sont retenus.

Tableau A.1 Caractéristiques associées aux moyens de transport utilisés pour les déplacements quotidiens, chez les personnes vivant dans une région métropolitaine de recensement (RMR), 2005. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau A.1
Caractéristiques associées aux moyens de transport utilisés pour les déplacements quotidiens, chez les personnes vivant dans une région métropolitaine de recensement (RMR), 2005

Tableau A.2 Pourcentage des personnes de 18 ans et plus ayant fait au moins un déplacement en transport en commun lors de la journée de référence, 2005. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau A.2
Pourcentage des personnes de 18 ans et plus ayant fait au moins un déplacement en transport en commun lors de la journée de référence, 2005

Les résultats montrent qu'il existe une relation très nette entre le niveau de densité du quartier de résidence et la probabilité d'avoir utilisé l'automobile pour effectuer au moins un de ses déplacements au cours de la journée. Par exemple, lorsque l'on tient compte d'autres facteurs associés à l'utilisation de l'automobile, la cote exprimant la possibilité qu'une personne ait fait au moins un de ses déplacements en automobile était 2,5 fois plus élevée chez les résidents des quartiers à faible densité que chez ceux des quartiers à densité élevée (tableau 3, modèle 1).

Tableau 3 La densité des logements dans un quartier est fortement associée à l'utilisation de la voiture, même lorsque l'on tient compte de facteurs comme le revenu, l'âge et la présence d'enfants dans le ménage. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 3
La densité des logements dans un quartier est fortement associée à l'utilisation de la voiture, même lorsque l'on tient compte de facteurs comme le revenu, l'âge et la présence d'enfants dans le ménage

Lorsque l'on s'intéresse à la possibilité d'avoir fait tous ses déplacements de la journée en conduisant son automobile, et celle d'avoir fait tous ses déplacements en automobile (comme conducteur ou passager), les mêmes conclusions s'appliquent. Ainsi, en maintenant tous les autres facteurs constants, la cote exprimant la possibilité qu'un résident d'un quartier à faible densité d'occupation ait fait tous ses déplacements en automobile était 2,8 fois plus grande que celle des résidents des quartiers à densité élevée.

Nette de l'influence des autres facteurs comme le revenu, l'âge et ainsi de suite, la distance entre le quartier de résidence et le centre-ville de la RMR est aussi associée à une augmentation de la dépendance à l'automobile. Par exemple, en maintenant tous ces autres facteurs constants, la cote exprimant la possibilité qu'une personne ait fait tous ses déplacements comme conductrice au cours de la journée était 3,0 fois plus élevée pour celles qui demeuraient à 25 kilomètres ou plus du centre-ville par rapport à celles vivant à moins de 5 kilomètres de ce centre (tableau 3, modèle 2).

La densité, la distance ou bien les deux?

Souvent, les quartiers à plus forte densité sont aussi des quartiers centraux. De même, les quartiers périphériques sont la plupart du temps des quartiers à faible densité d'occupation9.

Jusqu'à présent, notre analyse ne permet pas de déterminer si, à distance équivalente du centre-ville, un quartier à plus ou moins grande densité produira une plus ou moins grande dépendance à l'automobile. Or la question est importante, étant donné la rareté de l'espace et son prix dans les quartiers centraux et le fait qu'on construise les nouveaux logements principalement dans les quartiers périphériques.

La réponse est fournie dans une analyse supplémentaire (graphique 2).  Toujours en maintenant constant l'effet de tous les facteurs associés à l'utilisation de l'automobile, on constate que dans les quartiers centraux et ceux de la périphérie rapprochée (soit les quartiers situés de 5 à 9 kilomètres du centre-ville), une plus faible densité du quartier de résidence est associée à une plus grande probabilité prédite d'avoir utilisé l'automobile pour l'ensemble de ses déplacements.

Graphique 2 À partir de 10 kilomètres du centre-ville, la densité du quartier n'a plus d'influence notable sur la probabilité prédite d'avoir utilisé l'automobile pour tous ses déplacement. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Graphique 2
À partir de 10 kilomètres du centre-ville, la densité du quartier n'a plus d'influence notable sur la probabilité prédite d'avoir utilisé l'automobile pour tous ses déplacement

Cependant, au-delà de 10 kilomètres du centre-ville, l'impact de la densité du quartier sur l'utilisation de la voiture s'amenuise pour pratiquement disparaître10. Selon l'analyse statistique, la probabilité prédite qu'une personne habitant dans un quartier à densité moyenne ou élevée situé à 10 kilomètres ou plus du centre-ville ait utilisé l'automobile pour effectuer l'ensemble de ses déplacements n'était pas statistiquement différente de celle d'une personne habitant dans un quartier à faible densité lui aussi situé à 10 kilomètres ou plus du centre. Autrement dit, au-delà de 10 kilomètres du centre-ville, le fait qu'un quartier soit principalement composé de maisons individuelles ou jumelées plutôt que d'appartements n'était pas associé à une plus ou moins grande utilisation de l'automobile.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, entre autres le fait que les quartiers situés dans les zones périphériques, qu'ils soient à faible densité d'occupation ou non, sont la plupart du temps zonés pour un seul type d'usage (résidentiel, commercial ou industriel), mais plus rarement pour plusieurs types à la fois11. À cause de cela, et parce que les lieux des différentes activités auxquelles la plupart des individus participent au cours d'une journée se trouvent souvent à une plus grande distance les uns des autres, il devient difficile de s'y rendre autrement qu'en voiture12. Cela est d'autant plus vrai que plusieurs lieux situés dans les quartiers de banlieue, tels que les centres commerciaux, les cinémas, les édifices à bureaux ou autres lieux de travail, sont difficiles, voire impossibles, d'accès à pied ou en transport en commun.

Au contraire, les quartiers centraux des grandes villes sont généralement caractérisés par une plus grande mixité des usages résidentiels, commerciaux et industriels et une plus grande densité, deux conditions favorables à la présence d'une offre adéquate en transport en commun et à des déplacements faits à pied13.

Les hommes de la banlieue se retrouvent derrière le volant

L'analyse statistique des facteurs associés à l'utilisation de l'automobile au cours de la journée démontre que plusieurs caractéristiques personnelles, au-delà du type et de la localisation du quartier de résidence, sont aussi fortement corrélées à l'utilisation de la voiture au cours d'une journée donnée.

L'âge et le sexe sont entre autres des facteurs ayant une incidence importante sur la probabilité d'avoir conduit une voiture pour se déplacer. Au cours de la journée de référence en 2005, 81 % des hommes canadiens âgés de 18 ans et plus avaient fait au moins un de leurs déplacements en conduisant une automobile (tableau A.1). En comparaison, c'était le cas de seulement 66 % des femmes. Cette différence, qui demeurait statistiquement significative en maintenant constants les différents facteurs supplémentaires, s'explique probablement parce que les femmes ont plus tendance à se déplacer en transport en commun, et qu'elles sont souvent passagères lorsqu'elles se déplacent en voiture. En 2005, 31 % des femmes avaient fait au moins un de leurs déplacements en automobile comme passagères, contre seulement 11 % des hommes.

Les baby-boomers âgés entre 45 et 54 étaient particulièrement susceptibles d'avoir conduit leur voiture pendant la journée, ce qui demeurait statistiquement significatif même après avoir tenu compte de tous les autres facteurs. Par exemple, en maintenant le niveau de densité du quartier de résidence et les autres facteurs inclus dans le modèle statistique constants, la cote exprimant la possibilité que les personnes des 45 à 54 ans aient fait tous leurs déplacements comme conductrices d'une automobile lors d'une journée donnée était 2,5 fois plus élevée que celle des 18 à 24 ans (tableau 3).

De la même façon, la cote exprimant la probabilité que les personnes qui avaient des enfants de 5 à 12 ans aient conduit pour au moins un de leurs déplacements étaient 1,6 fois plus élevée que pour les personnes sans enfants. Elles étaient aussi plus susceptibles de s'être déplacées en général. Parmi les autres facteurs associés à une plus grande probabilité d'avoir utilisé son automobile comme conducteur au cours de la journée, notons le fait d'être un travailleur et de demeurer dans une RMR de petite taille.

Résumé

Le présent article suggère que la dépendance des Canadiens à l'automobile pour les déplacements quotidiens est grandement liée aux caractéristiques physiques et géographiques du quartier où ils vivent. En effet, les quartiers composés principalement de logements typiquement suburbains et qui sont localisés à grande distance du centre-ville étaient caractérisés par un niveau de dépendance à l'automobile considérablement plus élevé. Ces résultats confirment, d'une certaine façon, plusieurs faits qui sont déjà connus à propos des quartiers périphériques à faible densité14.

Ils apportent cependant des éléments nouveaux, moins souvent pris en considération. Entre autres, l'étude démontre qu'au-delà d'une certaine distance d'un quartier par rapport au centre-ville, le type de logements qui le composent n'aura plus tellement d'incidence sur l'utilisation de la voiture.

Ces résultats sont importants, étant donné ce que l'on sait à propos des nouveaux quartiers. En effet, une proportion élevée des logements qui ont été construits depuis 1991 est localisée à grande distance du centre-ville, dans des quartiers à faible densité d'occupation. Comme on l'a vu, ce sont les quartiers où la dépendance à l'automobile est la plus forte.

Martin Turcotte est chercheur en sciences sociales à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

Le présent article est basé sur les données de l'Enquête sociale générale (ESG) de 2005. L'ESG est une enquête annuelle qui suit l'évolution et décèle les tendances dans la société canadienne. Pour la quatrième fois au Canada, l'ESG a permis de recueillir des données nationales sur l'emploi du temps. En plus du journal sur l'emploi du temps, le questionnaire 2005 couvre les perceptions liées au manque de temps, aux réseaux sociaux, au transport et aux activités culturelles et sportives.

Les estimations relatives à l'emploi du temps présentées dans ce rapport sont fondées sur les données contenues dans la partie du journal quotidien de l'emploi du temps de l'ESG. Ce journal fait état, en détail, du temps consacré à toutes les activités auxquelles les répondants ont participé au cours de la journée désignée. En outre, des données ont été recueillies sur les lieux où ces activités se sont déroulées (p. ex. en automobile comme conducteur, en transport en commun, etc.) ainsi qu'au sujet des personnes qui se trouvaient avec le répondant (p. ex., conjoint, enfants, famille, amis.).

Dans la présente étude, on s'intéresse à tous les déplacements effectués par les personnes âgées de 18 ans au cours de la journée de référence. Étant donné certaines restrictions reliées à l'âge du point de vue de l'utilisation de l'automobile (restrictions qui peuvent varier d'une province à l'autre), on a exclu les personnes âgées de 15 à 17 ans de la population étudiée.

Seules les personnes qui ont fait au moins un déplacement (peu importe le moyen de transport) durant la journée de référence sont retenues pour l'étude. Quelques répondants ont noté des déplacements qui totalisaient plus de 720 minutes (ou 12 heures durant la journée). Ces cas extrêmes, bien que peu nombreux, peuvent avoir une influence démesurée sur les estimations. C'est pourquoi on les a exclus de l'analyse.

En 2005, 85 % des Canadiens âgés de 18 ans et plus avaient fait au moins un déplacement au cours de leur journée. Ce pourcentage était du même ordre de grandeur dans les quartiers à faible densité que dans les quartiers à forte densité et aussi élevé dans les quartiers centraux que dans les quartiers périphériques. Conséquemment, on ne peut pas attribuer les différences entre types de quartiers, du point de vue de la dépendance à l'automobile, au fait que les résidents de certains types de milieux aient plus ou moins tendance à avoir fait au moins un déplacement au cours de leur journée.

Selon les données de l'ESG de 2005, le facteur le plus fortement associé à la probabilité de s'être déplacé dans la journée était l'âge : alors que 72 % des personnes âgées de 65 à 74 ans et 61 % de celles âgées de 75 ans et plus avaient fait au moins un déplacement au cours de leur journée, c'était le cas de 91 % des jeunes adultes de 18 à 24 ans.

La délimitation du centre-ville, de la périphérie et des quartiers à faible et forte densité
Dans le cadre de la présente étude, le centre-ville correspond au secteur de recensement qui contient l'hôtel de ville de la municipalité centrale. Les quartiers centraux sont ceux qui se situent à moins de 5 kilomètres. La distance du centre-ville correspond ainsi à la distance en kilomètres entre le quartier de résidence et du centre-ville. On nomme les autres quartiers périphériques, en les distinguant entre eux selon leur distance au centre-ville. Ainsi, les quartiers situés de 5 à 9 kilomètres du centre-ville sont considérés comme appartenant à la périphérie rapprochée.

Par ailleurs, on classifie le niveau de densité des quartiers selon le type de logements qui y sont dominants. Trois grandes catégories de quartiers ont été créées :
Les quartiers à faible densité sont ceux qui comprennent les maisons individuelles, jumelées et mobiles. Ils sont considérés comme des logements suburbains traditionnels. Plus spécifiquement, les quartiers à faible densité sont ceux dans lesquels 66,6 % ou plus des logements sont suburbains traditionnels.
Les quartiers à densité élevée sont ceux qui sont essentiellement composés d'immeubles à logements ou de condos (peu importe le nombre d'étages de l'immeuble) et de maisons en rangée, soit des logements caractéristiques des quartiers urbains traditionnels. Les quartiers à densité élevée sont ceux dans lesquels moins de 33,3 % des logements sont suburbains traditionnels.
Les quartiers à densité moyenne sont composés de 33,3 % à 66,6 % de logements suburbains.
Pour plus de détails sur la justification de ces différents critères, voir l'article « L'opposition ville/banlieue : comment la mesurer? » publié dans Tendances sociales canadiennes, 85.

Définitions
RMR : Région métropolitaine de recensement. Une RMR est un territoire formé d'une ou de plusieurs municipalités voisines les unes des autres qui sont situées autour d'un grand noyau urbain. Une région métropolitaine de recensement doit avoir une population d'au moins 100 000 habitants et le noyau urbain doit compter au moins 50 000 habitants.
Les huit plus grandes régions métropolitaines : Cette catégorie inclut Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa-Gatineau, Calgary, Edmonton, Québec et Winnipeg.
RMR moyennes : Cette catégorie inclut Hamilton, London, Kitchener, St. Catharines-Niagara, Halifax, Victoria, Windsor et Oshawa.
RMR plus petites : Cette catégorie inclut Saskatoon, Regina, St. John's, Grand Sudbury, Chicoutimi-Jonquière, Sherbrooke, Abbotsford, Kingston, Trois-Rivières, Saint John et Thunder Bay.

Le modèle des probabilités prédites
Pour calculer les probabilités prédites, on a maintenu constantes plusieurs caractéristiques, de façon à correspondre au profil d'une personne de référence type. Dans le cadre de cette analyse, cette personne possédait les caractéristiques suivantes : un homme de 35 à 44 ans, né au Canada, qui occupe un emploi, possède un diplôme collégial, dont les revenus du ménage se situent entre 60 000 $ et 99 999 $, qui ne vit pas avec des enfants et qui réside dans la RMR de Toronto. Puis on pose la question suivante : si une personne possédant toutes ces caractéristiques déménageait d'un quartier à forte densité vers un quartier à faible ou moyenne densité, dans quelle mesure cela changerait-il la probabilité qu'elle utilise l'automobile pour effectuer ses déplacements?

Remarque importante
Les contrastes entre la municipalité centrale des différentes RMR et les autres municipalités qui la composent sont présentés à titre indicatif. Le cadre de l'Enquête sociale générale de 2005, les limites territoriales des RMR et des municipalités sont celles de 2001. Les changements de limites survenus entre 2001 et 2005 (particulièrement au Québec) ne sont donc pas reflétés dans les données ayant trait aux municipalités.

Notes

  1. Environnement Canada. (2006). Rapport d'inventaire national —  émissions et absorptions des gaz à effet de serre au Canada : 1990-2004. Ottawa : Ministre de l'environnement.
  2. Environnement Canada. (2006).
  3. Statistique Canada. (2006). Indicateurs canadiens de durabilité de l'environnement, produit no 16-251-XWF au catalogue de Statistique Canada. Plus spécifiquement, on fait référence aux particules fines, aux composés organiques volatils et aux oxydes d'azote. Pour des détails sur les liens entre l'utilisation de la voiture et les émissions polluantes, voir aussi Frumkin, H., Frank, L. et Jackson, R. (2004). Urban Sprawl and Public Health. Washington : Island Press.
  4. A. Downs (2002). Still Stuck in Traffic – Coping with peak-hour road congestion. Washington: Brookings Institution Press.
  5. De façon plus technique, on nomme ces petites villes et localités rurales comme appartenant à des zones d'influence des régions métropolitaines de recensement et des agglomérations de recensement (ZIM) modérées, faibles ou sans aucune ZIM.
  6. Downs (2002). Newman, P. et Kenworthy, J. (1999). Sustainability and Cities – Overcoming Automobile Dependence. Washington: Island Press.
  7. Turcotte, M. (2008). L'opposition ville/banlieue : comment la mesurer? Tendances sociales canadiennes, 85, produit no 11-008-XIF au catalogue de Statistique Canada.
  8. Voir Turcotte (2008).
  9. Voir Turcotte (2008).pour plus de détails sur les liens entre la distance au centre-ville et la densité d'un quartier.
  10. Bien que le graphique semble illustrer, pour les quartiers situés au-delà de 10 kilomètres du centre-ville, une différence entre les quartiers à faible et ceux à moyenne/forte densité, cette différence n'est pas statistiquement significative.
  11. Duany, A., Plater-Zyberk, E. et  Speck, J. (2000). Suburban Nation – The Rise and Sprawl and the Decline of the American Dream. New York: North Point Press.
  12. Gillham, O. (2002). The Limitless City – A Primer on the Urban Sprawl Debate. Washington: Island Press.
  13. Downs, A. (2002). Newman et Kenworthy (1999).
  14. Il faut cependant souligner qu'il est impossible de tenir compte de toutes les caractéristiques des personnes qui vivent dans les différents types milieux et en particulier de toutes les raisons qui amènent les personnes à choisir un quartier de résidence plutôt qu'un autre. Il est par exemple possible que les gens qui aiment faire leurs déplacements en automobile aient plus tendance à s'installer dans les quartiers périphériques à faible densité et que ceux qui aiment marcher choisissent plutôt les centres-villes. Dans ces cas, ce sont les prédispositions des personnes qui ont une incidence plus importante sur leurs choix de moyen de transport que les caractéristiques physiques de leur lieu de résidence. Bien que cette possibilité n'ait pas été écartée complètement par les chercheurs, la presque totalité des études récentes semblent suggérer que l'aménagement urbain a véritablement un impact direct sur le niveau de dépendance à la voiture (voir Cao, X, Mokhtarian, P.L. et  Handy, S.L. (2007). Examining the Impacts of Residential Self-selection on Travel Behavior : Methodologies and Empirical Findings. Davis: Institute of Transportation Studies; dans cet article, les auteurs résument et critiquent les études existantes à ce sujet). Une des raisons pouvant aider à comprendre cette réalité est que le choix d'un quartier de résidence ne se fait pas uniquement en fonction de la possibilité d'utiliser divers modes de transport pour s'y déplacer. Parmi d'autres facteurs, mentionnons l'emplacement du lieu de travail, l'accès à des écoles et à d'autres services qui ne sont pas tous les mêmes selon les quartiers, la proximité géographique avec d'autres membres de la famille, et ainsi de suite. Lorsque ces critères priment dans le choix du quartier de résidence, l'achat et l'utilisation d'une automobile peut devenir une obligation pour plusieurs.