L'opposition ville/banlieue : comment la mesurer?
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La vie dans les régions métropolitaines
par Martin Turcotte
Définitions géographiques standard de Statistique Canada
Être ou ne pas être une banlieue : une question sans réponse?
Critère des limites administratives ou politiques : la municipalité centrale et les municipalités de banlieue
Les banlieues en tant que zones extérieures au noyau central de la ville
Le centre-ville par rapport aux quartiers périphériques
Distinction des quartiers selon la densité et les types de logements
Exemples de l'utilisation des critères de densité et de distance du centre-ville pour différencier les quartiers
Pourquoi créer trois catégories de densité et non cinq ou six?
Près de la moitié des Canadiens résidant dans les régions métropolitaines vivent dans des quartiers à faible densité
La population des quartiers périphériques et à faible densité diffère de celle des quartiers centraux et à forte densité
Les diplômés universitaires résident davantage dans les centres-villes
Les immigrants récents sont plus susceptibles de résider dans des quartiers à forte densité
Les nouveaux logements se concentrent dans les quartiers périphériques et à faible densité
Autres approches possibles pour différencier les quartiers et zones des RMR selon la dichotomie ville/banlieue
L'étalement urbain par rapport à l'expansion urbaine
Résumé et conclusion
Le Canada, à l'instar des autres pays industrialisés, est un pays très fortement urbanisé. En 2006, un peu plus de 80 % de la population habitait dans des régions urbaines et environ les deux tiers des Canadiens vivaient dans une région métropolitaine de recensement. Les problématiques, dynamiques et phénomènes sociaux qui touchent ces grandes, et parfois très grandes, régions urbaines affectent donc plusieurs personnes dans leur vie quotidienne.
Dans le cadre d'une nouvelle série d'articles, Tendances sociales canadiennes se propose d'aborder plusieurs thématiques concernant la vie dans les régions urbaines. On tentera de mettre en lumière les différences et les similitudes entre les principales régions métropolitaines de recensement (RMR), en s'intéressant aux quartiers et aux secteurs qui les composent. En particulier, on s'intéressera à l'opposition entre quartiers possédant des traits typiquement urbains et ceux ayant des caractéristiques plutôt typiques des banlieues ou des milieux suburbains. Ce faisant, on établira des comparaisons entre les quartiers centraux et les quartiers plus périphériques, de même qu'entre les quartiers à forte et à faible densité d'occupation. On fera aussi référence à des concepts tels que le centre-ville, la municipalité centrale ou la municipalité de banlieue.
Tous ces concepts sont importants pour distinguer des secteurs qualitativement différents au sein des régions urbaines, et ce, tant du point de vue de leur forme que des types de personnes et de ménages qui les composent. Étant donné qu'ils peuvent porter à confusion et qu'ils sont moins souvent utilisés, ils méritent qu'on les définisse le plus clairement possible. C'est l'objectif principal du présent article.
Dans la première partie, on explore quatre approches possibles pour distinguer les quartiers urbains des quartiers suburbains. Dans la seconde partie, on illustre, à l'aide de données du recensement et des outils de classification retenus, en quoi les différents types de quartiers se distinguent du point de vue des caractéristiques de leur population. Finalement, on discute, sous forme d'encadrés, d'approches complémentaires qui pourraient éventuellement être utiles pour établir d'autres distinctions entre les quartiers.
Deux concepts géographiques ayant aussi une grande importance dans le cadre de cette série, soit ceux de région métropolitaine de recensement (RMR) et de secteur de recensement (SR), sont définis brièvement dans l'encadré intitulé : Définitions géographiques standard de Statistique Canada. Notons que Statistique Canada ne possède pas pour le moment de classification pour différencier les secteurs ou quartiers au sein des RMR. Les différentes approches présentées dans le présent article, si elles constituent des pistes de réflexion pouvant éventuellement mener à la création d'une telle typologie, ne doivent pas être considérées comme des classifications standard pour le moment.
Définitions géographiques standard de Statistique Canada
Région métropolitaine de recensement (RMR)
Une RMR est un territoire formé d'une ou de plusieurs municipalités voisines les unes des autres qui sont situées autour d'un grand noyau urbain. Une région métropolitaine de recensement doit avoir une population d'au moins 100 000 habitants et le noyau urbain doit compter au moins 50 000 habitants.
Le noyau urbain est une grande région urbaine autour de laquelle les limites d'une RMR ou d'une agglomération de recensement (AR) sont définies. Une région urbaine est quant à elle un territoire qui compte au moins 1 000 habitants et au moins 400 habitants au kilomètre carré.
Le Canada compte aujourd'hui 33 RMR comparativement à 27 en 2001. Les huit plus grandes RMR sont, en ordre décroissant de population : Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa-Gatineau, Calgary, Edmonton, Québec, Winnipeg.
Pour plus de détails, prière de consulter la page Web suivante : http://www12.statcan.ca/francais/census06/reference/dictionary/geo009a.cfm
Secteur de recensement (SR)
Un SR correspond étroitement à ce que la plupart des gens considèrent comme un quartier. D'ailleurs, lorsqu'on référera au concept de quartier dans le cadre de la série, on référera indirectement au concept de SR.
Les SR sont de petites régions géographiques relativement stables comptant généralement de 2 500 à 8 000 habitants. Ils sont situés dans les RMR dont la population du noyau urbain était égale ou supérieure à 50 000 habitants lors du recensement précédent. Dans ces agglomérations, un comité de spécialistes locaux (planificateurs, travailleurs de la santé, travailleurs sociaux et éducateurs) délimite les SR en collaboration avec Statistique Canada. Le SR est défini de façon à être aussi homogène que possible en ce qui a trait aux caractéristiques socioéconomiques, comme un même statut économique et de mêmes conditions de vie sociale au moment de sa création. En outre, la forme du SR doit être aussi compacte que possible et ses limites doivent coïncider avec des caractéristiques physiques permanentes et facilement reconnaissables.
Remarque
Il est important de noter que les concepts de noyau urbain, banlieue urbaine et banlieue rurale, qui sont des concepts de classification standard de Statistique Canada, n'ont pas été retenus. La raison principale est qu'ils ne permettent pas de distinguer de façon suffisamment détaillée les différents secteurs d'une région urbaine — un des objectifs importants de cette série. Par exemple, en 2006, dans la RMR de Vancouver, 92 % de toute la population résidait dans un secteur appartenant au noyau urbain (le 8 % restant appartenait aux banlieues rurales et urbaines). Ce noyau urbain, très étendu, comprenait à la fois les quartiers du centre-ville des affaires et des quartiers résidentiels périphériques, quartiers qui ont très peu de choses en commun. La situation est très similaire sinon pratiquement identique dans les autres RMR. En somme, il ne faut pas confondre les approches dont on discute dans cet article à cette classification noyau urbain, banlieue urbaine et banlieue rurale.
Être ou ne pas être une banlieue : une question sans réponse?
Dans le discours courant comme en recherche urbaine, on fait souvent référence à la banlieue par opposition à la ville, aux quartiers urbains ou au centre-ville. Il est probablement clair dans l'esprit de la plupart des gens résidant dans l'une ou l'autre des régions urbaines du Canada s'ils vivent « en ville » ou « en banlieue ». Pourtant, les concepts de banlieue et de ville centre sont rarement compris de la même façon par tous et sont parfois utilisés à toutes les sauces.
Il existe plusieurs façons de distinguer la ville centre de la banlieue. Nous tentons de mettre un peu d'ordre dans ces idées en présentant quatre catégorisations différentes, basées sur quatre critères de délimitation : 1) les limites administratives ou politiques, 2) les limites du noyau central de la ville, à ne pas confondre avec le noyau urbain, dont la définition est fournie dans le premier encadré, 3) la distance du centre-ville et 4) la densité des quartiers. Comme nous le constaterons, chacune a ses forces et ses faiblesses.
Critère des limites administratives ou politiques : la municipalité centrale et les municipalités de banlieue
Dans la première méthode de délimitation entre le centre et les banlieues, qui est probablement la plus commune, la municipalité qui donne son nom à une région métropolitaine est la ville centre et toutes les autres municipalités, villages ou localités qui font partie de la région métropolitaine forment la banlieue1. Selon cette perspective, les banlieues possèdent une certaine forme d'autonomie politique (par exemple, un maire et des représentants élus), si bien que l'on parlera des municipalités de banlieue par rapport à la municipalité centrale2.
Parmi les avantages évidents de cette méthode, notons sa grande simplicité et les possibilités qu'elle offre du point de vue de l'analyse des politiques locales et métropolitaines. À titre d'exemple, on peut se demander si un plus grand nombre de municipalités de banlieue, au sein d'une RMR, engendre des politiques de développement urbain différentes que celles adoptées par un plus petit nombre d'entre elles. Un autre avantage est que les gens reconnaissent généralement assez facilement les limites territoriales des municipalités de leur région et peuvent s'y identifier. Cette première approche présente cependant des désavantages non négligeables pour la perspective analytique et comparative développée dans le cadre de cette série. C'est pourquoi on y aura moins souvent recours.
Le plus important désavantage est probablement lié au fait que les limites administratives de la municipalité centrale fournissent une image parfois assez imparfaite des formes de développement urbain au sein d'une RMR. En effet, dans certaines RMR, des personnes qui demeurent à plusieurs dizaines de kilomètres du centre-ville, dans des quartiers qui ont tout des quartiers de banlieue traditionnels, sont résidents de la municipalité centrale. Au contraire, dans d'autres RMR, des personnes résidant à seulement quelques kilomètres du centre-ville des affaires, dans des quartiers très densément peuplés, seront considérées comme demeurant dans une municipalité de banlieue. La raison qui explique ces différences est que l'histoire municipale, et par conséquent les limites administratives des municipalités, varient beaucoup d'une RMR à l'autre. Conséquemment, la proportion de la population de l'ensemble de la RMR qui demeure dans la municipalité centrale par rapport aux municipalités de banlieue, variera elle aussi beaucoup d'une région métropolitaine à l'autre (graphique 1).

Graphique 1
Les limites administratives varient grandement de RMR en RMR, si bien que la proportion de la population vivant dans la municipalité centrale varie beaucoup aussi
Par exemple, selon les données du Recensement de 2006, les sept municipalités de banlieue de Calgary rassemblaient seulement 8 % de la population totale de la RMR. La même chose était vraie pour les municipalités de banlieue de la RMR de Winnipeg. Elles regroupaient, elles aussi, seulement 9 % de la population totale de cette RMR. La situation est complètement différente dans la RMR de Vancouver, où les municipalités de banlieue accaparent à elles seules 73 % de la population totale.
Si ces différences de pourcentage donnent une idée du niveau de morcellement administratif dans les deux régions métropolitaines, elles nous informent très peu sur les types de quartiers dans lesquels vivent les habitants de Calgary par rapport à ceux de Vancouver. Comparer entre elles les municipalités centrales des diverses RMR peut mener à des erreurs d'interprétation importantes, si on ne tient pas compte du découpage particulier à chacune d'elles3.
Un deuxième inconvénient important de l'approche basée sur les limites administratives de la municipalité centrale est que les limites peuvent changer brusquement à tout moment, notamment sous l'impact des fusions et des regroupements de municipalités. Les quartiers et les localités qui étaient considérés depuis nombre d'années comme des banlieues peuvent devenir subitement des membres à part entière des villes centres, sans que cela ne reflète un changement dans la nature de ces milieux et de leurs relations sociales et économiques avec le centre.
À titre d'exemple, la municipalité de Pierrefonds, située dans la RMR de Montréal et qui était considérée comme une municipalité de banlieue indépendante avant les fusions municipales de 2001, est aujourd'hui incluse dans l'un des arrondissements de la nouvelle municipalité de Montréal. Il en va de même pour la municipalité de East York dans la RMR de Toronto : avant 1998, il s'agissait d'une banlieue et, aujourd'hui, East York fait partie intégrante de la municipalité centrale. Dans la région d'Ottawa, les anciennes municipalités de banlieues qu'étaient Kanata, Orléans, Gloucester, Vanier et Rockliffe, font aujourd'hui partie de la municipalité centrale. Évidemment, il n'est pas exclu que d'autres regroupements municipaux se réalisent dans le futur, ce qui rendrait la distinction entre municipalité centrale et municipalités de banlieue encore plus floue qu'elle ne l'est à l'heure actuelle.
Notons que malgré ces limitations (en particulier du point de vue de la comparaison entre RMR), cette distinction entre municipalité centrale et municipalités de banlieue demeure la façon la plus intéressante et la plus pertinente de présenter différentes statistiques en certaines occasions. Les décideurs et les responsables des politiques ont en effet besoin de divers renseignements démographiques et socioéconomiques à propos de la population de leur municipalité et des municipalités avoisinantes.
Par contre, l'approche des limites administratives ou politiques de la municipalité centrale n'est probablement pas la plus adéquate qui soit pour étudier certaines différences sociales, démographiques et économiques entre les quartiers suburbains ou urbains.
Les banlieues en tant que zones extérieures au noyau central de la ville
Une deuxième approche pour délimiter et catégoriser les lieux de résidence au sein des régions urbaines consiste à classer les quartiers ou les localités selon qu'ils font partie ou non du noyau central de la ville (communément nommé inner city en anglais) et, éventuellement, selon leur distance à ce noyau. Selon cette approche, une localité, un quartier ou une quelconque entité géographique se situant à l'extérieur des limites du noyau central de la ville, ou au-delà d'une certaine distance de ce noyau, sera considéré comme appartenant à la banlieue.
Mais comment le délimiter? Bien qu'il existe plusieurs options, l'une d'entre elles a eu la faveur de plusieurs géographes : le noyau central de la ville est constitué du centre-ville des affaires de la municipalité qui donne son nom à la RMR et des quartiers résidentiels anciens qui lui sont adjacents4.
Généralement, le centre-ville des affaires ou le centre des affaires correspond au quartier dans lequel sont les plus concentrées les activités du secteur des services, en particulier les activités de gestion, de finance, de services aux entreprises5. De façon plus générale, le centre-ville est le quartier qui contient ou contenait, dans le cas de certaines régions où d'autres centres se sont développés en périphérie, les plus fortes concentrations d'activités commerciales et de bureau au sein d'une région urbaine.
Il n'existe cependant pas de critères universels qui permettraient d'identifier et de tracer facilement et de manière nette et précise les frontières délimitant le centre-ville de toutes les RMR du Canada6. Par exemple, dans une étude portant sur la localisation des grappes d'emplois dans les quatre plus grandes RMR canadiennes, des chercheurs ont établi que le centre-ville des affaires est constitué de l'ensemble des quartiers centraux qui comptent un nombre d'emploi relativement élevé et un nombre de résidents relativement faible7.
D'autres géographes ont quant à eux soutenu que bien qu'il n'existe aucune frontière formelle au centre-ville des affaires, celui-ci est généralement reconnaissable par la prédominance nette des espaces à bureaux par rapport aux logements8. Des définitions du centre des affaires ayant un statut plus formel existent aussi. Par exemple, dans la Charte de la ville de Montréal, document établissant le statut légal de la municipalité, on délimite explicitement, avec les noms de rue, le territoire du centre des affaires9.
Identifier la deuxième composante du inner city, soit les quartiers anciens adjacents à ce centre-ville des affaires n'est pas une tâche tellement plus simple. Dans certaines études, on a considéré que les quartiers anciens étaient ceux dans lesquels une grande proportion des logements avaient été bâtis avant une certaine date spécifique (typiquement les quartiers composés d'un grand nombre de logements bâtis avant 1946). Les critères pour déterminer ce que constitue une grande proportion de logements peuvent néanmoins varier d'une étude à l'autre10.
Cette méthode de distinction entre la banlieue et le inner city (composé du centre-ville et des quartiers anciens qui lui sont adjacents), malgré l'intérêt qu'elle peut représenter, ne sera pas retenue dans les articles de la présente série. Les difficultés associées à la mise en place de règles formelles permettant de délimiter le centre-ville des affaires et les quartiers anciens adjacents dans plusieurs RMR différentes, tant du point de vue de l'histoire, de la taille que de la géographie, ont été jugées trop nombreuses11.
Le centre-ville par rapport aux quartiers périphériques
La troisième approche que nous présentons, laquelle a été retenue pour la série, est différente de la précédente en ce sens qu'elle n'établit pas de distinction explicite entre le centre-ville des affaires, les quartiers anciens et la banlieue. Cette approche établit des distinctions entre les quartiers et les lieux de résidence selon qu'ils sont situés à une plus ou moins grande distance d'une localisation centrale au sein même du centre-ville. Dans le cadre de la série, ce point central sera le secteur de recensement (SR) incluant l'hôtel de ville de la municipalité centrale.
Cette méthode, qui a déjà été utilisée dans une étude de Statistique Canada portant sur le travail et le navettage dans les RMR12, se justifie par le fait que dans les différentes RMR, l'hôtel de ville de la municipalité centrale est typiquement situé au cœur de la grappe d'emploi du centre-ville (ou du moins à très grande proximité de celle-ci) et du centre historique de la ville. S'il est difficile d'identifier le point le plus central du centre-ville (particulièrement lorsque l'on a affaire à plusieurs RMR, qui sont toutes différentes les unes des autres), on peut cependant dire que la localisation de l'hôtel de ville de la municipalité centrale en donne une très bonne approximation13.
À partir de ce point central, on délimite des zones concentriques (de 0 à moins de 5 km, de 5 à 9 km, et ainsi de suite. Les différents quartiers sont ensuite catégorisés selon leur distance du SR qui inclut l'hôtel de ville. Plus on s'en éloigne, plus on caractérise les quartiers comme étant périphériques.
Habituellement, les nouvelles banlieues qui connaissent une croissance démographique plus forte que la moyenne sont situées dans les zones les plus périphériques de leur RMR. Il est cependant parfois difficile de bien mesurer l'étendue de ces phénomènes d'expansion urbaine lorsque l'on possède uniquement des informations sur la croissance démographique au sein des diverses municipalités. Tel que mentionné précédemment, certaines RMR possèdent beaucoup plus de municipalités périphériques que d'autres, faisant en sorte que l'expansion peut paraître plus ou moins prononcée en fonction du type de découpage administratif au sein de la région. L'utilisation du critère de la distance au centre-ville permet d'éviter certains de ces problèmes, car cette classification peut demeurer constante dans le temps. On peut par exemple se demander combien de personnes, dans une RMR donnée, vivaient dans un quartier situé à une distance de 20 kilomètres et plus du centre-ville en 2006 par rapport à 2001.
Lorsque cette classification selon la distance du quartier par rapport au centre-ville sera utilisée dans le cadre de la série, on parlera des quartiers centraux par opposition aux quartiers périphériques (plus la distance est grande, plus le quartier est périphérique).
Notons qu'un des inconvénients de cette méthode de découpage du territoire découle de la grande variation dans la superficie des RMR. Par exemple, la superficie totale de la RMR de Toronto est d'environ 5900 kilomètres carrés, contre environ 4200 kilomètres carrés pour Montréal et 2900 kilomètres carrés pour Vancouver. Au contraire, la superficie totale de Victoria n'est que d'environ 700 kilomètres carrés, et celle de Windsor, d'environ 1000 kilomètres carrés. Conséquemment, dans les plus grandes RMR, les quartiers que l'on pourrait considérer comme étant centraux relativement à la taille totale de l'agglomération se situent parfois bien au-delà de 5 kilomètres du centre-ville.
Par ailleurs, le pourcentage de la population vivant dans le rayon de 5 kilomètres du centre-ville sera généralement plus grand dans les petites RMR que dans celles de très grande taille comme Toronto ou Montréal. En outre, la population de ces petites RMR aura tendance à apparaître plus concentrée en son centre. Finalement, on doit souligner que les concepts de quartiers centraux et périphériques demeurent sujets à redéfinition constante : les quartiers de certaines villes considérés comme centraux aujourd'hui étaient vus comme périphériques lorsque les villes commençaient à prendre de l'expansion. Il en va de même pour les quartiers périphériques d'aujourd'hui qui seront peut-être considérés comme centraux dans quelques années.
Il faut donc faire preuve de prudence dans l'interprétation des différences entre quartiers centraux et périphériques des RMR. Le choix du critère de 5 kilomètres pour créer des zones concentriques, comme l'aurait été n'importe quel autre critère, demeure arbitraire. Cela étant dit, et comme on le verra plus bas avec des exemples chiffrés, il existe de très bonnes raisons d'utiliser le critère de la distance au centre-ville afin de distinguer et d'étudier les différences et les similitudes entre les quartiers des RMR canadiennes.
Distinction des quartiers selon la densité et les types de logements
La classification des quartiers selon leur distance au centre-ville, si elle peut être utile pour l'étude de certains sujets, masque cependant des différences entre les divers types de quartiers. En effet, certains quartiers centraux présentent des caractéristiques qui sont beaucoup plus typiques des quartiers de banlieue d'après-guerre que des quartiers urbains traditionnels : ils ont une faible densité de population, sont composés de logements plus typiques des banlieues comme les maisons individuelles, et ainsi de suite. Au contraire, et c'est de plus en plus vrai aujourd'hui, certains quartiers qui sont dits « de banlieue » ou périphériques, parce que localisés à une distance appréciable du centre-ville, présentent des traits qui sont plus traditionnellement associés aux quartiers centraux : densité de population relativement élevée, population multiethnique, logements locatifs, etc14. Augmenter la diversité des secteurs de banlieue en y reproduisant certaines caractéristiques des quartiers urbains traditionnels comme une plus forte densité et une mixité des usages et des populations, constitue d'ailleurs un objectif important du « nouvel urbanisme », un courant important en planification urbaine contemporaine15.
Afin de tenir compte de cette hétérogénéité présente et future au sein même des quartiers périphériques et des quartiers centraux, nous introduirons, dans cette série, diverses distinctions selon les caractéristiques des quartiers. Étant donné notre intérêt à comparer des quartiers présentant des caractéristiques des banlieues contemporaines typiques aux quartiers présentant des caractéristiques des milieux urbains plus traditionnels, la densité d'occupation sera un des aspects privilégiés. En effet, même si certains secteurs de la périphérie comptent des immeubles à logements ou des maisons en rangées, une faible densité de population est une caractéristique très importante de la plupart des banlieues des grandes villes canadiennes16.
Plusieurs approches sont possibles afin de mesurer la densité d'un quartier. Dans le cadre de la série sur la vie dans les régions métropolitaines, on parlera des quartiers à faible densité lorsque deux tiers ou plus du parc résidentiel occupé sera composé de maisons individuelles, jumelées ou mobiles, où l'espace occupé par habitant est le plus grand17. Au contraire, on parlera de quartiers à plus forte densité de population lorsque les logements du quartier seront surtout des logements multiples, condominiums, appartements ou maisons en rangées. Ces derniers types de logements, en particulier les immeubles à logements, sont tous associés à des densités beaucoup plus élevées18.
Notons qu'il aurait été possible d'utiliser une mesure qui semble à priori plus directe de densité de la population au sein du quartier (SR), soit le nombre de résidents par kilomètre carré au sein du quartier. Une telle mesure aurait pu cependant poser problème dans bon nombre de situations. En effet, dans certains SR ayant une superficie totale relativement grande, seule une petite partie de tout le territoire est habité, le restant pouvant être occupé par des industries, des barrières naturelles comme des cours d'eau ou encore des activités accaparant beaucoup d'espace, comme les aéroports. Il est donc possible, et ce, même si la densité de population est relativement élevée dans cette partie habitée, que la densité totale du SR soit faible. On aurait alors une vision tronquée du niveau de densité d'occupation dans ce SR.
L'utilisation de la proportion de tous les logements occupés qui sont des maisons individuelles, jumelées ou mobiles pour mesurer la densité nous permet d'éviter les écueils méthodologiques associés au simple calcul de la population par kilomètre carré. En effet, la mesure de densité basée sur les types de logements prédominants n'est pas influencée par la proportion du SR réellement habitée. De plus, au Canada et en Amérique du Nord, la présence de maisons individuelles et de maisons jumelées dans un quartier est un aspect important qui distingue les banlieues résidentielles des milieux plus urbains19.
Exemples de l'utilisation des critères de densité et de distance du centre-ville pour différencier les quartiers
Afin de rendre plus concrets tous les concepts exposés jusqu'ici, huit cartes, présentées en annexe, ont été réalisées à partir des données du Recensement de 2001. Ces informations pourront être mises à jour lorsque toutes les données du Recensement de 2006 seront disponibles. Huit tableaux de données, ont aussi été préparés pour illustrer l'utilité de distinguer les quartiers selon leur densité d'occupation et leur distance du centre — du moins en ce qui a trait aux caractéristiques distinctives des différents types de quartiers.
Pour les fins de la démonstration, trois catégories de densité ont été créées, en fonction du pourcentage de logements du quartier qui sont des maisons individuelles, jumelées ou mobiles. Les quartiers à densité élevée comptent moins de 33,3 % de ce type de logements, les quartiers à densité moyenne, de 33,3 % à moins de 66,6 %, et les quartiers à faible densité, 66,6 % et plus.
Pour distinguer les quartiers selon leur distance au centre-ville, six catégories ont été créées. Les quartiers centraux sont ceux qui se situent à moins de 5 kilomètres de la localisation de l'hôtel de ville de la municipalité centrale. Les autres quartiers sont considérés comme périphériques, les plus périphériques étant ceux qui sont situés à 25 kilomètres ou plus du centre-ville.
Pourquoi créer trois catégories de densité et non cinq ou six?
La plupart des articles de la présente série feront uniquement appel à des données d'enquête (plutôt qu'à des données de Recensement). Cet aspect, qui peut sembler technique et sans grande importance, est néanmoins crucial. Le nombre de répondants des différentes enquêtes sociales de Statistique Canada est en effet beaucoup plus faible que celui du recensement : environ 20 000, dans le cadre de l'Enquête sociale générale, contre toute la population canadienne, dans le cas du recensement, et plus de six millions, dans le cas du questionnaire détaillé du recensement. L'avantage des données d'enquête est qu'elles permettent de couvrir des thèmes plus diversifiés que celles du Recensement. Leur inconvénient est que le niveau de détail géographique est moindre.
Conséquemment, il est impossible de présenter des portraits de chacune des régions métropolitaines qui soient aussi détaillés que ceux qui peuvent être réalisés à l'aide du recensement. Ainsi, une des raisons principales expliquant que l'on utilise trois groupes pour distinguer les quartiers selon leur niveau de densité (faible, moyen et élevé) est l'importance de pouvoir utiliser cet indicateur avec des données d'enquête. Il n'est cependant pas exclu que des analyses faisant appel à des catégories de densité plus détaillées soient réalisées lorsque l'on fera appel aux résultats du recensement. La même logique s'applique aux catégories de distance du centre-ville qui ont été retenues.
Près de la moitié des Canadiens résidant dans les régions métropolitaines vivent dans des quartiers à faible densité
Le tableau A.1 illustre comment la population des RMR se répartit au sein des différents types de quartiers des régions métropolitaines. En 2001, pour l'ensemble des RMR, près de la moitié de toute la population vivait dans des quartiers à faible densité, soit les plus typiques des banlieues d'après-guerre. Au contraire, seulement une personne sur cinq vivait dans un quartier plus typiquement urbain, soit un quartier surtout composé d'appartements ou d'autres formes d'habitation à plus forte densité.
Ces proportions variaient cependant parfois considérablement d'une RMR à l'autre. Par exemple, deux tiers des résidents de Calgary (67 %) demeuraient dans des quartiers à faible densité d'occupation, contre seulement environ le tiers (34 %) à Montréal.
Les différences entre les résidents des diverses RMR sont encore plus considérables en ce qui concerne la distance entre leur foyer et le centre-ville. En effet, près du tiers des résidents de Toronto demeurent dans des quartiers situés à 25 kilomètres ou plus du centre-ville de la municipalité centrale En comparaison, c'est le cas de seulement 11 % des résidents d'Ottawa-Gatineau, et de 3 % de ceux de Québec. Ces différences de proportion vivant à proximité ou à grande distance du centre-ville reflètent non seulement l'histoire, la taille, mais aussi la géographie particulière d'une RMR. Par exemple, la présence du Lac Ontario, au sud de Toronto, empêche toute forme de développement résidentiel dans cette direction.
Les cartes des huit plus grandes régions métropolitaines du Canada, présentées en annexe, apportent un éclairage particulier sur les indicateurs de densité et de distance du centre-ville. Elles illustrent en effet que la densité d'occupation des quartiers diminue généralement avec la distance du centre-ville (la localisation du centre-ville est illustrée par une étoile sur la carte). Autrement dit, plus on s'éloigne du centre, plus la proportion de maisons individuelles, jumelées ou mobiles augmente dans le quartier.
Les cartes illustrent que la corrélation entre distance du centre-ville et faible densité n'est cependant pas parfaite; dans la plupart des grandes régions urbaines, certains quartiers périphériques présentent en effet une forte densité d'occupation et certains quartiers centraux ont une faible densité. Afin de tenir compte de cette réalité, il est possible de combiner les indicateurs de densité et de distance en un seul indicateur qui apporte un degré supplémentaire de précision (tableau A.1)20. Cet indicateur composite permet de distinguer les quartiers présentant les caractéristiques les plus typiquement urbaines (quartiers centraux à forte densité) des quartiers présentant deux traits typiquement suburbains (périphériques et à faible densité).
Le tableau A.2, qui fait usage de cet indicateur composite, présente en chiffres ce que laissaient déjà présager les cartes géographiques, soit que la majorité (mais pas la totalité) des personnes habitant dans des quartiers situés à proximité du centre-ville résident dans des quartiers à forte densité. Cela est vrai dans la plupart des grandes RMR, mais c'est particulièrement flagrant à Montréal et à Québec : en 2001, 93 % des personnes vivant à une distance de moins de 5 kilomètres du centre-ville de Montréal, et 80 % de ceux des quartiers centraux de Québec, vivaient dans des quartiers à forte densité d'occupation. En comparaison, ce pourcentage atteignait 59 % à Ottawa-Gatineau et 55 % à Toronto.

Tableau A.2
Répartition de la population selon le quartier, par zones concentriques de distance du centre-ville, 2001
Au contraire, les personnes habitant les quartiers plus périphériques étaient surtout concentrées dans des quartiers à faible densité. Par exemple, à Vancouver, 53 % des personnes qui résidaient à 20 kilomètres ou plus du centre-ville habitaient dans des quartiers à faible densité d'occupation. À Toronto et Montréal, ces pourcentages atteignaient respectivement de 72 et 71 %21.
La population des quartiers périphériques et à faible densité diffère de celle des quartiers centraux et à forte densité
Les géographes et les sociologues qui étudient les villes savent depuis fort longtemps que les personnes présentant des caractéristiques similaires ont plutôt tendance à se regrouper dans les mêmes types de quartiers au sein de l'espace urbain. Les données du recensement, présentées dans les tableaux A.3 à A.8, le démontrent à plusieurs égards.

Tableau A.3
Pourcentage de familles avec enfants de 18 ans et moins, selon le type de quartier, 2001
On peut souvent avoir l'impression, en se promenant dans les quartiers centraux des grandes villes, que les résidents sont surtout des couples sans enfants. Cette impression n'est pas fausse. Par exemple, à Montréal, en 2001, seulement 38 % des ménages qui résidaient dans les quartiers centraux à densité élevée comptaient un enfant de 18 ans ou moins. Le pourcentage correspondant était de 58 % dans les quartiers périphériques à faible densité (soit ceux situés à 20 kilomètre ou plus du centre-ville).
Cette corrélation négative entre la présence de jeunes familles et la proximité du centre-ville est illustrée encore plus clairement au tableau A.4. Celui-ci montre qu'autant à Toronto, Montréal, qu'à Vancouver, la proportion d'enfants de 14 ans et moins est pratiquement deux fois moins élevée dans les quartiers situés à proximité du centre-ville que dans les quartiers les plus périphériques de tous.

Tableau A.5
Pourcentage de personnes de 25 ans et plus ayant un diplôme universitaire, selon le type de quartier, 2001
Au contraire, la proportion d'aînés dans les quartiers est plus élevée dans les quartiers à forte densité d'occupation et situés à proximité du centre-ville. À Montréal, par exemple, où le taux de locataires est le plus fort de toutes les grandes régions métropolitaines du Canada, la proportion d'aînés dans les quartiers à forte densité était le double de celle dans les quartiers à faible densité (16 % contre 8 % en 2001). Il est possible que certaines personnes âgées, à cause de leur mobilité plus restreinte, doivent vivre dans des appartements où certains services sont plus facilement accessibles. De plus, les hôpitaux spécialisés sont souvent situés dans les quartiers les plus centraux des grandes villes.
Les diplômés universitaires résident davantage dans les centres-villes
Dans la plupart des RMR, la proportion de personnes possédant un diplôme universitaire est légèrement plus élevée dans les quartiers ayant une forte densité d'occupation, soit les quartiers centraux. Plus les quartiers sont éloignés du centre, moins la proportion de diplômés universitaires est élevée. Ces différences entre quartiers périphériques et centraux peuvent entre autres s'expliquer par le fait que les emplois qui requièrent les plus fortes qualifications et qui offrent les salaires les plus élevés sont proportionnellement plus nombreux au centre des grandes villes22.
Les immigrants récents sont plus susceptibles de résider dans des quartiers à forte densité
Les immigrants récents, définis ici comme ceux étant arrivés 10 ans ou moins avant la date du recensement, sont beaucoup plus représentés dans les quartiers à moyenne et à forte densité d'occupation. Par exemple en 2001 dans la RMR de Toronto, 28 % des résidents des quartiers à forte densité d'occupation étaient des immigrants récents, contre seulement 11 % des résidents des quartiers à faible densité. Cela est peu surprenant puisque de nombreuses études ont montré que les immigrants récents avaient plutôt tendance à s'installer dans des quartiers où le niveau socioéconomique des résidents était plus faible et les coûts de logement, moins élevés23.
L'indicateur composite permet de constater que la surreprésentation des immigrants récents dans les quartiers à moyenne ou forte densité est constante, peu importe la distance du quartier au centre-ville. Autrement dit, que ce soit au centre ou en périphérie des RMR, les immigrants récents ont toujours plus tendance à vivre dans des quartiers à plus forte densité d'occupation que les immigrants de longue date ou les non-immigrants.
Remarquons par ailleurs qu'à Toronto et à Vancouver, l'éloignement du centre-ville n'a pas d'incidence notable sur la proportion d'immigrants récents dans les quartiers sauf dans les quartiers situés à 25 kilomètres ou plus du centre-ville, où la présence d'immigrants récents est beaucoup plus faible. Au contraire de ces deux RMR, la proportion d'immigrants récents diminue de façon considérable lorsque l'on s'éloigne du centre-ville de Montréal, d'Ottawa-Gatineau, de Calgary et d'Edmonton.
Les nouveaux logements se concentrent dans les quartiers périphériques et à faible densité
À la lumière des données de 2001, il semblerait que la majorité des logements construits dans les années 1990 l'aient été en périphérie, dans des quartiers à faible densité d'occupation (tableau A.8). Ceci n'est probablement pas une surprise étant donné la plus grande disponibilité des espaces propices aux développements résidentiels et, conséquemment, leur plus faible coût. Il est néanmoins intéressant de constater que 60 % de tous les nouveaux logements construits entre 1991 et 2001 l'ont été dans des quartiers à faible densité. Cette proportion atteignait même 88 % dans le cas de la RMR de Calgary. De toute évidence, le développement urbain des grandes régions métropolitaines continue de se faire sous un modèle de faible densité et d'éloignement du centre-ville.
Ces tableaux et cartes dressent un portrait bien entendu incomplet des différentes caractéristiques des populations des divers quartiers des RMR. L'objectif principal de cette démonstration était cependant d'illustrer le fait qu'il existe des tendances similaires, dans toutes les grandes RMR, du point de vue de la répartition de la population entre quartiers plus typiquement urbains (centraux et à forte densité) et suburbains (périphériques et à faible densité). L'utilité de distinguer les quartiers des RMR selon les critères présentés dans cet article prendra cependant encore plus de sens lorsque l'on s'attaquera aux différents sujets de la série. De façon plus générale, l'utilisation de ces différentes classifications nous permettra de mieux comprendre à quel point la qualité de vie des Canadiens varie selon les types de milieux où ils habitent.
Autres approches possibles pour différencier les quartiers et zones des RMR selon la dichotomie ville/banlieue
Il est impossible de présenter dans cet article toutes les approches envisageables pour différencier les quartiers suburbains et les quartiers plus urbains. Dans certains cas, on ne dispose pas de données pour l'ensemble des régions métropolitaines de recensement (RMR) canadiennes. C'est la raison pour laquelle on a mis de côté des approches qui, si elles étaient intéressantes du point de vue théorique, auraient été très difficiles, voire impossibles, à mettre en pratique à l'heure actuelle. On peut entre autres penser à une méthode qui permettrait de différencier les quartiers selon leur niveau de mixité d'utilisation du sol, c'est-à-dire le degré de coexistence, au sein d'un même quartier, de résidences, de commerces et de lieux de travail plutôt qu'une séparation claire et nette des utilisations selon des quartiers prédéfinis, typiques des banlieues traditionnelles développées selon des règles de zonage strictes1. Le problème de cette approche est qu'aucune source de donnée uniforme ne permettrait de fournir des renseignements sur la mixité des utilisations pour l'ensemble des quartiers dans l'ensemble des RMR du Canada, du moins, pour le moment.
Parmi d'autres concepts opposant la ville et la banlieue, on peut aussi mentionner la configuration des rues (sous forme de quadrilatères, typiques des quartiers urbains ou, au contraire, de forme curvilinéaire avec des culs-de-sac), la proximité ou l'éloignement des commerces de fréquentation quotidienne (épiceries, etc.), l'accès plus ou moins facile aux services de transport en commun et même les perceptions qu'ont les résidents de leur propre quartier vu comme urbain ou de banlieue2. Des données qui permettraient de mesurer ces différents éléments, dans tous les secteurs de recensement des RMR canadiennes, n'existent tout simplement pas.
Mentionnons finalement qu'une dernière approche a été mise de côté non pas en raison de l'inexistence des données, mais à cause des efforts de recherche considérables à déployer pour la rendre applicable. Selon cette méthodologie, proposée par un géographe américain3, on considère que le centre urbain historique d'une RMR peut être délimité par le territoire du noyau urbain avant le début de la période de suburbanisation intensive de la population des régions urbaines en 1945 environ. Les banlieues correspondraient aux zones qui se sont ajoutées à ce noyau urbain initial dans les 50 dernières années. Selon le type d'analyse souhaité, il serait possible d'identifier les premières banlieues s'étant rajoutées au noyau urbain de 1951 à 1981 et les nouvelles banlieues s'étant rajoutées au noyau urbain depuis.
Il n'est pas exclu que cette méthodologie soit développée et utilisée dans le cadre de cette série sur la vie dans les régions métropolitaines. Pour le moment, nous nous contentons de mentionner son existence. Il est aussi à noter que cette méthodologie pour distinguer le centre urbain historique, les premières banlieues et les nouvelles banlieues ne serait valable que pour les RMR qui existaient il y a plus de 50 ans et pour lesquelles on possède la délimitation du noyau urbain pour 1951, soit, en gros, les plus grandes RMR.
Autres caractéristiques permettant de distinguer les quartiers
Notons que dans certains articles ultérieurs de la série, on s'intéressera à d'autres caractéristiques de la population des quartiers. L'idée principale de présenter les données sous différents angles est d'enrichir et de compléter l'information fournie au niveau de la RMR dans son ensemble. Pour certains sujets, il est d'ailleurs possible que la distance au centre-ville ne soit tout simplement pas un indicateur pertinent, et qu'uniquement les caractéristiques socioéconomiques ou historiques des quartiers soient prises en considération dans l'analyse.
Notes
- Le niveau de mixité des usages au sein des quartiers aurait, selon de nombreuses études et auteurs, des conséquences du point de vue de la qualité de l'environnement, de la vitalité sociale des quartiers et de la santé publique. L'urbaniste et économiste Jane Jacobs est probablement celle qui a fait le plaidoyer le plus célèbre évoquant les impacts positifs de la diversité sur la cohésion et la vitalité des quartiers urbains dans le classique The Death and Life of Great American Cities. Pour des exemples d'études qui font le lien entre mixité au sein des milieux urbains, qualité de l'environnement et santé publique, voir, par exemple, Frumkin, H., Frank L. et Jackson, R. (2004). Urban Sprawl and Public Health. Washington: Island Press.
- Bagley, M.N., Mokhtarian, P.L. et Kitamura, R. (2002). A methodology for the disaggregate, multidimensional measurement of residential neighbourhood type. Urban Studies, 39(4), 689-704.
- Morrill, R.L. (1995). Metropolitan and Nonmetropolitan Areas: New Approaches to Geographical Definition. Dahmann, D.C. et Fitzsimmons, J.D. (éd.). Document de travail no 12. Washington, D.C: US Bureau of the Census.
L'étalement urbain par rapport à l'expansion urbaine
Le but principal des différents articles de la série n'est pas de documenter les tendances de croissance ou de décroissance démographique des grandes régions urbaines. Ces informations sont disponibles dans d'autres documents de Statistique Canada1. Cependant, l'idée selon laquelle les régions métropolitaines croissent et se développent selon différentes formes sera quand même sous-jacente à plusieurs articles de la série. C'est pourquoi il vaut la peine de s'arrêter à ces concepts qui sont, comme ceux de banlieue et de ville centre, compris de différentes façons par différentes personnes.
Plusieurs spécialistes et commentateurs attachent souvent, en Amérique du Nord du moins, une connotation relativement négative au concept d'étalement urbain ou suburbain2. Malgré qu'il existe plusieurs points de vue à ce sujet, on définit généralement l'étalement urbain comme étant une forme d'expansion du territoire urbain désordonnée et excessive, caractérisée par l'empiètement sur des terres agricoles et par une très forte dépendance à l'automobile, ainsi que par le développement de nouveaux quartiers à faible densité de population et à faible mixité d'utilisation du sol : des résidences localisées dans certains quartiers et des commerces et des services dans d'autres3.
Dans le cadre de la série, ce concept d'étalement urbain sera moins utilisé, justement à cause des connotations négatives qui lui sont attachées. On y préférera plutôt le concept d'expansion urbaine, un processus par lequel la superficie du territoire habité au sein d'une RMR augmente au fur et à mesure que la taille de la population de la région croît ou que des municipalités périphériques, à cause des liens économiques et sociaux accrus qu'elles entretiennent avec le noyau urbain, deviennent parties prenantes de la RMR.
Le concept d'expansion urbaine n'est pas, comme c'est fréquemment le cas pour celui d'étalement urbain, associé à une forme de développement urbain en particulier. Il est en effet possible que dans certaines régions urbaines, les nouveaux quartiers aient une plus grande densité de population, une plus grande mixité de l'utilisation du sol et que leurs résidents aient plus souvent recourt au transport public. En bref, le concept d'expansion urbaine peut autant faire référence à ces formes de développement qu'aux formes de développement plus caractéristiques de l'étalement urbain d'après-guerre en Amérique du Nord. L'expansion urbaine va généralement de pair avec la croissance de la population urbaine.
Notes
- Statistique Canada. 2007. Portrait de la population canadienne en 2006. No 97-550-XIF au catalogue. Ottawa : Ministre de l'industrie.
- Voir, par exemple, Bruegmann, R. (2005). Sprawl – A compact history. Chicago: The University of Chicago Press; Brueckner, Jan K. (2000). Urban sprawl: diagnosis and remedies. International Regional Science Review, 23(2), 160-171.
- Duany A., Plater-Zyberk, E. et Speck, J. (2000). Suburban Nation–The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream. New York: North Point Press; Brueckner, J.K. (2000).
Résumé et conclusion
Dans la série d'articles sur la vie dans les régions métropolitaines, on fera appel, en plus des concepts géographiques bien connus de région métropolitaine de recensement et de secteur de recensement, à trois distinctions majeures : quartiers centraux et périphériques; quartiers à forte et à faible densité, ainsi que municipalité centrale et municipalités de banlieue.
On qualifiera les quartiers les plus centraux comme ceux qui sont localisés à proximité du secteur de recensement où se situe l'hôtel de ville de la municipalité centrale, et les quartiers les plus périphériques comme ceux qui sont situés à plus grande distance de celui-ci.
Les quartiers à forte densité correspondront à ceux qui sont composés d'une forte proportion d'immeubles à logements ou de maisons en rangée. Les quartiers à faible densité seront ceux dont la très forte majorité des logements sont des maisons individuelles, jumelées ou mobiles. Il s'agit des modes d'habitation les plus communs des banlieues d'après-guerre.
Les municipalités centrales correspondent aux municipalités qui donnent leur nom aux RMR, alors que les municipalités de banlieue incluent toutes les autres municipalités incluses dans la RMR.
Bien des choses sont dites à propos des différences fondamentales entre les quartiers suburbains et urbains ou périphériques et centraux : qualité de vie différente, profils sociodémographiques et économiques des populations hautement distincts, valeurs différentes, etc. Cependant, on ne possède que rarement des données solides qui permettraient de vérifier si ces prétendues différences relèvent du mythe ou de la réalité. Et lorsque ces données sont disponibles, on a parfois de la difficulté à distinguer clairement les milieux urbains et suburbains, faute de définitions ou de concepts clairs qui permettent de les délimiter.
Un des objectifs majeurs de la présente série est de palier ces deux lacunes, premièrement en faisant appel à différentes sources de données de Statistique Canada pour vérifier différentes hypothèses et deuxièmement, en faisant appel aux classifications qui ont été présentées dans cet article. Malgré la forme et le contenu du présent article, le but ultime de cette série n'est cependant pas de nature méthodologique. Elle vise plutôt à offrir un éclairage nouveau sur la qualité de vie du nombre toujours plus important de Canadiens qui vivent dans les différents quartiers des grandes régions métropolitaines.

Carte 1
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 - RMR de Toronto

Carte 2
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 - RMR de Montréal

Carte 3
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR de Vancouver

Carte 4
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR d'Ottawa

Carte 5
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR de Calgary

Carte 6
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR de Edmonton

Carte 7
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR de Québec

Carte 8
Pourcentage de maisons individuelles, jumelées ou mobiles selon les secteurs de recensement (SR) de 2001 — RMR de Winnipeg
Notes
- Ces localités ont plusieurs noms différents: village, ville, municipalité, town, city, municipal district, réserve indienne, paroisse, etc. On fait parfois référence à ces entités géographiques comme à des subdivisions de recensement.
- Encyclopedia of Human Geography.
- Parr, John B. (2007). Spatial definitions of the city: four perspectives. Urban Studies, 44(2), 381-392.
- Ley, D. et H. Frost. (2006). The inner city. Canadian Cities in Transition (3e éd.) (192-210). Don Mills: Oxford University Press; Broadway M.J. et Jesty, G. (1998). Are Canadian inner cities becoming more dissimilar? An analysis of urban deprivation indicators. Urban Studies, 35(9), 1423-1438.
- Polèse, M. (1994). Économie urbaine et régionale – Logique spatiale des mutations économiques. Paris: Economica.
- Ley et Frost. (2006).
- Shearmur, R. et Coffey, W.J. (2002). A tale of four cities : intrametropolitan employment distribution in Toronto, Montreal, Vancouver and Ottawa-Hull, 1981-1996. Environment and Planning A, 34, 575-598.
- Charney, I. (2005). Property developers and the robust downtown: the case of four major Canadian downtowns. The Canadian Geographer/Le Géographe canadien, 49(3) 301-312.
- La Charte de Montréal est disponible sur le site des Publications du Québec, http://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/accueil.fr.html
- Voir, par exemple, Bunting, Walks et Filion. (2004). The uneven geography of housing affordability stress in Canadian metropolitan areas. Housing Studies,19(3), 361-393. Ces derniers considèrent qu'un quartier appartient au noyau urbain de la ville lorsqu'il contient 1,5 fois plus de logements construits en 1946 ou avant par rapport à la proportion de logements construits avant cette date dans toute la RMR;. Un autre exemple est Walks, R.A. (2005). The city-suburban cleavage in Canadian federal politics. Canadian Journal of Political Science, 38(2), 383-413. Ce dernier considère plutôt que les quartiers constituant le noyau urbain de la ville sont les quartiers contigus dans l'espace dans lesquels la majorité des logements ont été construits avant 1946.
- Cela est d'autant plus vrai que dans le cas de certains quartiers, la décision de les classer comme appartenant au noyau urbain de la ville ou à la banlieue doit être basée sur un jugement au cas par cas (par exemple, le cas de quartiers qui sont très centraux mais dont les logements ont été bâtis plus récemment et qui donc ne devraient pas, formellement, être considérés comme des quartiers anciens).
- Heisz, A. et Larochelle-Côté, S. (2005). Le travail et le navettage dans les régions métropolitaines de recensement, 1996 et 2001, no 89-613-MWF au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : Ministre de l'industrie. Pour un exemple d'une étude ayant utilisé une approche similaire, basée sur la distance au centre de la ville : Boehm, T. et Ihlanfeldt, K. (1991). The revelation of neighborhood preferences: an n-chotomous multivariate probit approach. Journal of Housing Economics, 1, 33-59.
- Notons que nous aurions aussi pu utiliser, comme critère d'identification du lieu central du centre-ville, le secteur de recensement comptant le plus d'emplois au sein de la grappe centrale d'emplois (en se basant sur la méthode utilisée dans l'étude de Shearmur et Coffey; voir note 7). Cette méthode aurait cependant produit des résultats très similaires pour les différentes études car le secteur de recensement contenant le plus d'emplois au centre-ville est typiquement très rapproché du secteur de recensement dans lequel se situe l'hôtel de ville de la municipalité centrale (à Montréal et Calgary, par exemple, le SR contenant l'hôtel de ville est immédiatement adjacent au SR du centre-ville contenant le plus d'emplois). Dans certains cas, le SR de l'hôtel de ville et le SR contenant le plus d'emplois au centre-ville coïncident (RMR d'Ottawa, d'Hamilton, d'Halifax et de Victoria, par exemple).
- Par exemple: Smith, P.J. (2006). Suburbs. Canadian Cities in Transition (3e éd.)(211-233). Don Mills: Oxford University Press; Ray, B.K, Halsethm, G. et Johnson, B. (1997). The changing face of the suburbs: issues of ethnicity and residential change in suburban Vancouver. International Journal of Urban and Regional Research, 21(3), 75-99.
- Gordon, D. et Vipond, S. (2005). Gross density and new urbanism. Journal of the American Planning Association, 71(1), 41-54.
- Harris, R. (2004). Creeping Conformity – How Canada Became Suburban. Toronto: Toronto University Press.
- Il est important de noter que les maisons mobiles ne forment qu'une très faible minorité de tous les logements. En 2001, environ 1 % seulement de tous les Canadiens vivaient dans des maisons mobiles.
- Par exemple, même si elles ne représentent que 38 % du parc de logements occupés dans la ville d'Ottawa, les maisons unifamiliales occupent 70 % des terrains résidentiels en milieu urbain. Au contraire « les immeubles à logements n'occupent que 7 % des terrains résidentiels, mais logent 35 % des ménages en milieu urbain. Autrement dit, les immeubles à logements abritent presque autant de ménages que les maisons unifamiliales, mais occupent dix fois moins de territoire. » Source : Site Internet de la ville d'Ottawa, http://www.ottawa.ca/city_services/statistics/counts/land_use/index_fr.html, consulté le 15 août 2007.
- Les chercheurs qui se sont intéressés aux critères faisant en sorte qu'un milieu constitue une banlieue ou non ont souvent considéré que l'un des plus importants d'entre eux était la faible densité du développement, typiquement marqué par des maisons unifamiliales ou des maisons non attenantes. Voir, par exemple, Harris (2004).
- Cette approche répond en partie aux préoccupations de certains chercheurs qui considèrent que le fait d'utiliser un seul critère (densité, mixité ou distance) pour distinguer les quartiers traditionnels des quartiers suburbains est limitatif et peut être trompeur (parce qu'un quartier peut paraître plus urbain sur une dimension alors que sur une autre, il peut être plus typique des banlieues contemporaines). Pour plus de détails sur cette critique, voir : Bagley, M.N., Mokhtarian, P.L. et Kitamura, R. (2002). A methodology for the disaggregate, multidimensional measurement of residential neighbourhood type. Urban Studies, 39(4), 689-704.
- Il est important de noter que la catégorie des quartiers à forte densité peut inclure des quartiers dont le niveau de densité de population au kilomètre carré varie sensiblement selon les RMR. En effet, dans les grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver, certains quartiers à forte densité sont composés d'immeubles d'appartements en hauteur (principalement au centre-ville). Dans ceux-ci, la densité de population au kilomètre carré peut atteindre des niveaux incomparables à ceux observés ailleurs. Au contraire dans les plus petites RMR, les quartiers à forte densité comprennent surtout des appartements dans des immeubles bas. Conséquemment, il faut faire preuve de prudence lorsque l'on compare les quartiers à forte densité de population de plusieurs RMR différentes.
- Heisz et Larochelle-Côté. (2005).
- Massey, D.S. et Denton, N.A. (1985). Spatial assimilation as a socioeconomic outcome, American Sociological Review, 50, 94-106.
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